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 L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire

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Jealousy
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Jealousy


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L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 21 Aoû - 4:17

Un chant s'éleva alors. Une comptine.
- ♪ Dans la nuit, tu observes de ton regard,
Tes yeux grands ouverts sur tes espoirs.
Enfant de la lune sans émotions,
Mais dont la peur est bien présente,
Ton Cauchemar, à jamais, te hante,
Hibou, qui cherche l'expiation~ ♪

La voix de Mystia, tirant un chariot qui n'était autre que son stand ambulant, calma Pride dont la douleur reflua jusqu'à disparaître. Dans le même temps, sa confusion s'estompa, emportée par les paroles douces du moineau nocturne. Pride se releva doucement, éberlué. Encore une fois, il avait été affecté par la comptine de Mystia, même si l'effet était moindre qu'avec celle du pic-vert. C'était comparable à la musique des Prismriver mais, tout de même… Voilà qui était curieux.
L'Orgueil balaya ses réflexions d'un mouvement de tête. Il avait assez donné pour la soirée, bien que n'ayant pas trouvé de réponse à ses nombreuses questions. Ce fut donc d'une voix presque affable qu'il demanda à Réo s'il voulait revenir.
Celui-ci était inquiet. Lors de la migraine de son partenaire spirituel, il avait été totalement incapable de faire quoi que ce soit. Il garda ses craintes pour lui et reprit le contrôle de son corps, ainsi que sa propre forme.

(♪) Poussant un soupir, il rentra à nouveau dans le village, ne prêtant pas attention à la fille aux yeux et longs cheveux mauves vifs, vêtue d'une chemise sans manches et d'une jupe violet foncé qui arrivait en sens inverse.
Le changeur de forme remarqua qu'il y avait de moins en moins de monde, sans que ce soit le désert non plus. Mains dans les poches, il avança puis sentit un puissant impact dans son dos, ce qui le fit avancer de deux mètres.
- Ah bah enfin ! Je te cherchais partout ! râla une petite oni mécontente.
Réo se retourna pour découvrir Suika qui le toisait d'un regard indéchiffrable, mains sur les hanches. Elle avait sa tenue habituelle, faisant peu de cas de ce genre de détails.
- Désolé, j'étais… Occupé, s'excusa l'Envie.
- Ouais c'est ça. Viens, on va boire !
C'était plus un ordre qu'une proposition mais de toute façon, Réo ne songeait pas à protester. Lui et Suika s'installèrent à une table proche de celle où Youmu et Pride avaient mangé après avoir quémander des verres et une bouteille d'alcool, qui ne servirait qu'au début puisque la rouquine avait sa gourde infinie.
Et ce fut ainsi que la deuxième beuverie de la soirée commença.

Un peu plus à droite, Murasa était assise en face d'une fille aux cheveux aux cheveux bleus ondulés et aux yeux violets foncés. Elle portait un anneau doré de sept centimètres de diamètre dans sa main droite et était vêtue d'un yukata bleu ciel au nuances parfois plus sombre avec des nuages blancs dessinés dessus. Une épaisse fumée rose s'échappait de l'anneau et flottait au-dessus de la fille dont la chevelure était coiffée en queue de cheval.
Concernant Murasa, elle avait troqué sa tenue de marin pour un léger kimono blanc décoré de fleurs turquoises. En revanche, elle avait gardé son chapeau.
- Holà, en voilà un qui va finir dans un sale état, remarqua-t-elle en voyant Réo commencer à boire.
Sa voisine jeta un coup d'œil discret.
- Contre une oni, il n'a aucune chance, admit-elle.
Murasa eut un sourire.
- Hey Ichirin, tu crois que tu pourrais m'avoir à ce jeu là ? demanda-t-elle.
- Je ne bois pas, tu le sais, affirma l'intéressée.
Murasa prit un air déçu puis se retourna vers la rue en entendant des éclats de voix. Une magicienne ordinaire en yukata noir et aux chapeau de sorcière apostrophait un jeune homme aux courts cheveux noirs en bataille et portant une veste noire rapiécée et au passé chargé. Son air de déterré qui n'avait rien à envier à Yoshika expliquait sans doute les propos de la magicienne qui évoquait entre-autres des études complètement folles, trop longues et puis la magie c'était plus flashy, daze. Un peu plus loin, une certaine prêtresse aux cheveux noirs ayant un gros nœud rouge passé dedans attendait, vêtue d'un yukata rouge. Bras croisé, elle regardait la dispute d'un air impatient mais un observateur avisé aurait sans doute remarqué la lueur particulière de ses yeux et l'intensité de son regard.
Murasa ne voyait pas tous ces détails même si elle ne sut retenir un rire à la vue de la sorcière. Puis elle se remit bien face à Ichirin.
- Quoi qu'il en soit, demain, on y va, annonça-t-elle.
Ichirin ferma les yeux brièvement avant de répondre.
- Tu en fais une fixation, ce n'est pas bon, Murasa.
- Je m'en moque ! Une fois qu'il sera hors d'état de nuire, je serai en paix, rétorqua le capitaine.
- Tuer ne t'apportera pas la paix, prévint Ichirin.
- La paix n'a jamais été une option. Malbas doit mourir pour ce qu'il a fait à Nue et tu ne me feras pas changer d'avis.
La voix de Murasa s'était fait plus dure.
- Je le sais. Ce qu'il a fait est abominable mais tu as dit toi-même qu'il t'avait protégée, non ?
Le capitaine tiqua.
- Oui, c'est vrai… Mais… Ce n'est pas une excuse ! Il doit avoir une raison pour faire ça !
- Peut-être voulait-il se racheter ? tenta Ichirin.
Murasa eut un rire nerveux.
- Et ben il est mal barré. Hors de question que je le pardonne ou quoi que ce soit du genre, grinça-t-elle.
La fumée rose volant près d'Ichirin se mua alors en un visage, d'environ soixante centimètres. Il ressemblait à celui d'un homme chauve à la longue barbe, visiblement âgé. Il regarda Ichirin avec qui il sembla communiquer sans pour autant prononcer un mot.
- Unzan veut te demander si, à défaut de pardonner Malbas, tu ne veux pas tenter de le comprendre, transmit la fille aux cheveux bleus.
La réponse ne se fit pas attendre.
- Pas la peine d'y penser. Je me fiche de ses raisons ou excuses possible. Je lui ferai payer, point à la ligne.
Ichirin soupira. Voir Murasa aussi haineuse était à la fois rare et très déplaisant. D'ordinaire, elle était de bien plus joyeuse nature…

Réo reposa son verre puis se retint à la table pour ne pas basculer en arrière. Il lui semblait que le paysage tournait et aucune pensée cohérente ne se formait dans son esprit. En face de lui, Suika tenait le coup bien mieux mais les effets de l'alcool commençaient à se faire sentir, puisqu'elle en buvait en permanence.
- Mh… Euh… Sui… Suika… Je… Je vais m'arrêter… Là… Euh… Erf… O… Okay ? bredouilla le changeur de forme.
- Déjà ? Bon, d'accord, je suis fatiguée. Et comme tu me l'as promis, tu me laisses dormir chez toi !
Difficilement, Réo acquiesça. Il tenta ensuite de se lever mais manqua de s'écrouler au sol lamentablement. Il tituba quelque peu sous les regards amusés de Murasa et Ichirin puis s'entoura d'éclairs rouges. Il prit sa forme d'aigle noir, tituba encore, arrachant un rire au capitaine. Il fallait dire qu'un aigle ivre, ce n'était pas banal, même à Gensokyo.
Puisant dans des ressources jusque là insoupçonnées, Réo trouva la force de s'envoler vers la Forêt de la Magie, suivit de Suika, qui but encore à sa gourde en volant.

Le trajet sembla durer une éternité, voir deux, au changeur de forme qui se crasha plus qu'il n'atterrit à une centaine de mètres de son habitation, retrouvée par miracle. Ses éclairs rouges crépitèrent et lui permirent de reprendre forme humaine, difficilement. Réo tituba en écartant les bras. Durant le vol, Suika l'avait dépassé et se trouvait certainement tout près.
Une vingtaine de secondes permirent au polymorphe de la voir, assoupie contre un arbre. La vision causa un sourire au métamorphe qui rejoignit la petite oni. Il galéra ensuite pendant cinq bonnes minutes afin de la mettre sur son dos avant de repartir vers sa maison, péniblement. Les bras de Suika étaient passés sur ses épaules et il la tenait par les cuisses, dos courbé ce qui était une mauvaise idée même en tenant compte du faible poids de la rouquine.
Quoi qu'il en soit, il ne remarqua en aucun cas le sourire qui étira les lèvres de la petite oni qui se serra un peu plus contre son porteur, lequel se raidit en rougissant. L'alcool aidant, il ne resta immobile qu'une vingtaine de secondes avant de rejoindre sa porte d'entrée. Retenant Suika par la main droite, Réo ouvrit la porte coulissante de son chez lui et referma derrière lui.
La présence de la petite oni l'aurait sans doute bien plus troublé en temps normal mais il était dans un tel état que la plupart de son sens commun était réduit à néant. Le polymorphe se dirigea ensuite vers les escaliers.
Il mena alors une âpre bataille, longue et difficile. Une véritable épopée chevaleresque, pleine de rebondissements et de dangers. Les marches luttèrent férocement, faisant plusieurs fois vaciller le métamorphe qui frôla la catastrophe du bout des pieds mais, au final, il fut le vainqueur de la légendaire Guerre des Escaliers.

Une fois en haut, Réo se rendit dans la chambre allouée à Suika et la déposa délicatement sur son lit. La petite oni bougea un peu mais ne se réveilla pas.
Si elle dormait vraiment.
Réo rejoignit ensuite sa chambre et s'affala littéralement sur son lit. La dernière sensation qu'il eut avant de s'endormir fut celle d'un serpent se collant à lui…
Puis ce fut le noir.

Réo dormit paisiblement, longtemps et profondément d'un sommeil sans rêve. La nuit et une partie du matin passèrent aussi vite qu'une unique seconde mais permirent au changeur de forme de récupérer.
Il resta tout de même en partie endormi lorsqu'il rouvrit les yeux le lendemain. Les rideaux n'ayant pas été tirés, il se prenait tout la lumière du soleil, ce qui n'était pas l'idéal. Le polymorphe voulut s'étirer mais un poids à sa gauche l'en empêcha.
Surpris, il tourna la tête puis…
Son cœur manqua d'exploser tandis que son cerveau rendait les armes. Au moins, sa gueule de bois fut immédiatement guérie.

Une fille devant avoir à peu près le même âge que lui se tenait là. Elle avait des cheveux verts émeraude légèrement ondulés tombant jusque sur ses épaules et deux mèches barraient son visage. La description pouvait s'arrêter là puisqu'elle dormait sur le ventre et…
N'avait pas de vêtements.
Réo fit un véritable bond sous la surprise, ce qui lui valut de tomber du lit avec fracas. Le bruit de sa chute réveilla la fille. Celle-ci bailla puis se redressa, l'air hagard. Ses paupières s'étaient légèrement entrouvertes et elle tâta le lit en constatant qu'elle était seule. Elle écarta les mèches de son visage puis son regard se porta ailleurs et lui permit de découvrir Réo, écarlate et prit de panique.
- Oh, bonjour Réo ! fit la fille en souriant.
- Euh que HEIIIIIIN ?
Le polymorphe fit un véritable Error 404 : The girl was not found en plus d'un plantage général de sa matière grise qui aurait sans doute demandé un redémarrage complet. Il eut la présence d'esprit de détourner le regard pour ne pas être accusé de voyeurisme.
- Mets quelque-chose ! Qui que tu sois ! s'empressa-t-il de dire.
La fille pencha la tête sur la droite, semblant ne pas comprendre.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle d'une voix totalement innocente.
- A ton avis ? Y'a que je me réveille avec une inconnue complètement nue dans mon lit ! Rah, bordel, j'ai foutu quoi hier soir moi ? commença à se lamenter un polymorphe à l'esprit en morceaux.
La fille parut comprendre et s'enroula dans la couverture.
- Voilà mais… Comment ça inconnue ? Tu ne me reconnais pas ? demanda-t-elle, un peu triste.
Réo osa un regard et fut soulagé de voir qu'il ne pouvait justement rien voir. Bon, il fallait bien le dire, elle était jolie mais… Tiens donc ? Pourquoi ces yeux étaient-ils ambrés aux pupilles en amandes ? Et…
- Des yeux comme ça… Des cheveux verts… Attends… Je rêve… Dis, quel est ton nom, que je sois sûr, réagit le polymorphe.
- Hééééé, tu ne me reconnais vraiment pas ! C'est moi, ta Doku !
Nouveau plantage cérébral de Réo qui ne remarqua même pas le "ta".
- Mais… Mais… Mais… C'est pas possible, rétorqua un Envieux abasourdi.
- Ben si. Je suis une yôkai maintenant, grâce à toi !
Sur la fin de sa phrase, Doku avait écarté les bras. Fort heureusement, la couverture tint le coup.
Réo se mit debout bien qu'encore sous le choc.
- Je ne comprends pas. Tu n'étais qu'un serpent hier, alors comment…
Doku ne le laissa pas finir puisqu'elle s'approcha de lui et posa une main sur son torse.
- C'est à cause de ce que tu as là. J'allais devenir une yôkai serpent quoi qu'il arrive à cause de mon âge mais ce truc à l'intérieur de toi a accéléré les choses. Encore une fois, je dois te dire merci…
Sur la fin, la voix de la fille s'était fait murmure. Doucement, elle passa sa main derrière le changeur de forme qu'elle attira à elle. Comme s'il était charmé par le regard hypnotiseur d'une succube, ou plutôt car il était trop choqué pour réagir, Réo se laissa faire. Doku se mit à genoux, toujours sur le lit puis… Une gourde violette traversa la chambre et percuta Réo, lequel percuta Doku. Les deux s'effondrèrent alors que Suika débarquait et reprenait son objet fétiche.
- Hey, il se passe quoi ici ? C'est qui elle ?
Réo s'était à nouveau retrouvé au sol après être retombé en arrière et tâcha de faire face à l'oni.
- Suika, c'est pas du tout ce que tu crois !
- Et je dois croire quoi ?
Gros blanc.
Réo ne sut que répondre alors que la yôkai serpent faisait tressauter sa langue fourchue.
- Je disais donc, t'es qui toi ? s'enquit Suika à l'attention de la fille aux cheveux verts.
- Je suis Doku Ryu ! s'exclama l'intéressée.
Réo écarquilla les yeux.
- Ryu ? Comment ça, "Ryu" ?
- C'est ta fiancée ou femme ? demanda la petite oni, perplexe.
- Non ! s'écria Réo.
- Oui ! répondit Doku en même temps.
- QUOI ?! s'exclamèrent Suika et le métamorphe en chœur.
(- Elle est où la caméra cachée ?), grinça Pride, hilare.
Les trois personnes présentes se regardèrent mutuellement. Puis Suika but à sa gourde.
- Bon, c'est compliqué vos affaires, là, remarqua-t-elle.
Réo soupira.
- Doku et moi ne sommes pas ensembles. Nous sommes justes… Euh… Amis ?
Le polymorphe ne savait pas quoi en penser. Il ne pouvait plus voir Doku comme un simple serpent… Elle était véritablement un personne à part entière, non un animal qu'il considérait déjà comme un ami, certes, mais ce n'était pas pareil.
- Bon, réglez ça entre vous. Moi, tout à l'heure, je vais à l'Ancienne Cité et Réo vient aussi, pour qu'on aille boire avec Yuugi.
- Personne ne donne d'ordres à Réo ! s'emporta Doku.
Des crochets de serpent avaient remplacé ses canines et l'agressivité qui l'animait était en totale contradiction avec sa douceur précédente.
- Oi, oi, du calme ! temporisa l'Envieux en levant les mains.
Doku se calma aussitôt, ses dents redevenant normales. La perplexité de Suika grandit.
- Doku, j'ai fait une promesse. Ce ne sont pas des ordres, d'accord ? expliqua calmement l'Envie en s'approchant de la yôkai.
Celle hocha la tête, l'air triste.
- Je suppose… Que tu me laisses là ?
- Oui… Ne t'inquiètes pas, ce ne sera pas long. Et puis tu es libre de faire ce que tu veux, hein. Tu n'es plus la Doku animal de compagnie.
Cette dernière sembla paniquer.
- Euh, tu veux dire que… Je ne peux plus rester avec toi ? demanda-t-elle d'une voix blanche en se redressant.
- Ce… Ce n'est pas ça ! C'est juste que tu n'es pas obligée de m'obéir ou quoi que ce soit, rétorqua Réo en la prenant par les épaules.
Pour toute réponse, la fille aux cheveux vert se blottit contre lui d'une manière similaire à ce qu'elle faisait sous forme de serpent. L'effet n'était en revanche pas vraiment le même, bien que Doku aie conservé la même présence.
Ce fut pour cette raison que, par pur automatisme, Réo gratta le dessus de la tête de la yôkai, laquelle eut une moue satisfaite tout en laissant échapper un petit sifflement.
- Mmmmh… Je vais t'attendre ici… Et rester avec toi… Je ferai tout ce que tu me diras…
- Comme un shikigami, en fait, intervint Suika.
Réo ne savait pas quoi répondre et continua de gâter la yôkai. Tout allait si vite…
- Voilà. Je serai ta shikigami, au moins, approuva Doku.
- Euh… Et bien… Parfait, bredouilla Réo qui se refusa à s'attarder sur le "au moins".
- Bon, on y va ? lança une oni impatiente.
Etrange comme elle semblait acide ce matin.
- J'arrive, j'arrive…
Le polymorphe prit encore une demi-dizaine de minutes à rassurer et cajoler Doku avant de finalement se lever et quitter la chambre, sous le regard serpentin de la yôkai.
L'Envieux sortit de sa maison avec Suika, visiblement pas fâchée de s'éloigner. Elle célébra cela avec du saké puis, ensemble, ils s'envolèrent dans les cieux de Gensokyo, lesquels étaient parcourus de nuages. (♪)

- C'est bon ! hurla Murasa depuis l'avant d'un bateau pour le moins imposant.
Avec une secousse titanesque, un navire qui avait autrefois été le Temple Myouren commença à s'élever dans les airs, soulevant un nuage de poussière lors de son ascension.
- Hissez les voiles ! ordonna le capitaine qui suivait les mouvement du Palanquin avec attention.
Ichirin, qui volait entre les trois mâts du navire, hocha la tête. Avec l'aide d'Unzan, Shou et une fille en tunique rose ayant deux longues oreilles tombantes et des cheveux et yeux bleu bondi répondant au nom de Kyouko, elle hissa les longs rectangles de toile blanche. Le vent arrière les gonfla aussitôt et commença à faire avancer le Palanquin qui continuait de s'élever dans les airs tout en tournant légèrement sur la droite, à la stupéfaction des villageois qui assistaient à ce spectacle majestueux et ahurissant.
Debout à la vigie, mains posée sur le rebord, regard décidé et cheveux volant au vent, Byakuren regardait vers l'horizon. Une pagode de deux étages beige et rouge s'élevait à l'arrière du bateau et était dominée par la hauteur des mâts.
Après quelques minutes, le Palanquin avait atteint une altitude suffisante pour se déplacer sans heurter quoi que ce soit.
- Cap vers la Montagne Yôkai ! s'écria Murasa.
Elle profitait du vent qui soufflait sans discontinuer et aidait à la progression du Palanquin, le poussant droit vers sa destination. Le capitaine posa une main sur son chapeau et se pencha par-dessus le bastingage, à tribord.
- Malbas Elric, prépare-toi, on va te botter les fesses ! prévint-elle, yeux fixés sur le plus haut mont de Gensokyo.

- Wouaw, c'est ça l'entrée du Monde Souterrain ? s'exclama Réo, stupéfait.
Suika l'avait mené à une grande faille de bien cinquante mètres de diamètre. Il n'y avait nul escalier ou pente douce.
- Et oui. Vas-y d'abord, j'ai oublié de prendre une bouteille pour Yuugi, prévint Suika.
Réo hésita un peu puis se reprit. La petite oni avait décidé de ne pas attendre pour le mener vers cet endroit, ce n'était pas le moment d'hésiter.
- D'accord. A tout à l'heure !
- Ouaip, sois sage !
La rouquine fit un signe de la main puis s'envola, laissant Réo seul à son sort. Celui-ci prit une grande inspiration puis se changea en aigle noir. En quelques battements d'ailes, il s'éleva dans les airs puis plongea brusquement dans le trou.
- En avant ! se lança-t-il à lui-même en entrant dans les ténèbres.
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeJeu 18 Oct - 21:02

Chapitre 24 : Jalousie Déchaînée


"L'ennui avec les envieux est qu'ils ne sont jamais satisfaits. Ils trouveront toujours une personne ayant quelque-chose qu'ils n'ont pas. Ce cercle destructeur est presque impossible à détruire.
Presque…"
Kashydar, Onzième Grand Maître



La lumière du jour descendait dans l'abîme dans lequel un aigle s'enfonçait, presque invisible dans l'obscurité, et l'éclairait à peine. La roche avait succédé à la terre et rapidement, le trou principal se ramifia en une série de tunnels en pente plus douce s'enfonçant encore et toujours dans les profondeurs. S'aidant de ses pouvoirs de métamorphose, Réo avait une vue suffisante dans l'obscurité sans pour autant passer totalement outre. (♪)
L'aigle noir qu'il était s'enfonça dans un couloir de roche de vingt mètres de diamètre et continua de descendre. Plus le temps passait, plus il sentait la chaleur monter, sans réellement se presser. Des échos lointains, indéchiffrables, résonnaient de temps à autres, comme pour indiquer à l'Envieux qu'il n'était pas seul dans la noirceur du monde souterrain qui se dévoilait peu à peu.
Réo se demandait d'ailleurs pourquoi Suika l'avait laissé en plan de la sorte. Cette histoire de bouteille oubliée, il n'y croyait pas vraiment…
Mais les onis ne mentaient jamais. C'était à croire que le Destin lui-même voulait qu'il soit seul pour les événements à venir.
Heureusement pour le rapace, les courants d'air chaud étaient légions et palliaient ainsi en partie à l'absence totale de vent. Malheureusement, cela n'empêchait pas l'Envie de fatiguer, aussi l'aigle se posa finalement dans le boyau de roche dans lequel il était.
Les éclairs rouges caractéristiques crépitèrent, illuminant brièvement les lieux de lumière cramoisie, puis laissèrent place à un loup noir de plus d'un mètre de garrot, indiscernable dans l'obscurité.
Sous cette forme taillée pour l'endurance, à défaut d'une vitesse élevée, le polymorphe reprit sa route.

Nul doute que voler comme le faisaient les autres habitants de Gensokyo était véritablement plus pratique. Le terrain accidenté, orné de stalagmites et autres déformations rocheuses, ne se prêtait guère à la balade touristique et l'absence de lumière n'arrangeait rien malgré la vision nocturne excellente dont bénéficiait le métamorphe sous sa forme lupine. Le loup continua d'avancer pendant une vingtaine de minutes. C'était alors qu'il se demandait si ce long couloir de roche avait une fin qu'il arriva dans une salle bien plus grande et…
Sans s'en rendre compte, le métamorphe reprit forme humaine, émerveillé par ce qu'il voyait. Une multitude de fils de soie entrelacés avec soin parcouraient les hauteurs de l'endroit et une partie des colonnes naturelles qui le parcouraient. Les toiles formaient des arches aériennes et des formes toutes plus complexes les unes que les autres, imitant presque les vitraux des cathédrales. Une douce lueur blanche s'en échappait, comme pour attirer une proie assez sotte pour s'approcher trop près de l'œuvre immaculée. La présence de la toile lumineuse distillait une aura de mystère piquetée d'angoisse, tant elle semblait tout droit tirée d'un rêve qui, d'une seconde à l'autre, allait se transformer en cauchemar.
Le silence de la grande salle n'était brisé que par le clapotis de gouttes d'eau tombant de quelques stalactites, reliées ou non par des fils de soie.

L'Envieux avançait, yeux rivés sur la structure qui s'étendait au-dessus de lui. Jamais il n'aurait imaginé voir cela un jour.
Enfin, il avait vu un dragon presque deux semaines plus tôt, côtoyé des vampires, bu avec une oni… Et pourtant, Gensokyo trouvaient encore le moyen de le surprendre. Et ce n'était pas prêt de s'arrêter.
- Shelob seal of approval, lança finalement le polymorphe.
(- Raison de plus pour te tirer fissa. Mec, qui dit toile géante, dit ARAIGNEE FORMAT EXTRA-LARGE !)
- Pas la peine de hurler…

Réo était perplexe. Certes, dans les films et autres livres, plus il y avait de toile dans un endroit donné et plus il y avait de chances pour tomber sur une créature arachnide de fort méchante humeur et mesurant plusieurs fois un être humain, mais…
Ils étaient à Gensokyo.
En confrontant tout ce qu'il avait déjà vu, le polymorphe pensait avoir à peu près compris que les créatures immondes et ignobles ne comptaient pas parmi les autochtones de Gensokyo. Sauf quand un agent extérieur quelconque s'amusait à en invoquer…
(- Gensokyo, le monde où les jolies filles sont des jolies filles, les sauveuses du monde sont des jolies filles, les créatures de mille ans sont des jolies filles, les monstres sont des jolies filles et les mangeuses de chair humaine sont des jolies filles), énuméra Pride d'un ton quasi scientifique.
- Bizarrement, ça me rappelle quelque-chose…
(- LEAVE THAT FLUFFY TAIL AND MOVE !)
Les deux partenaires rirent un peu puis le changeur de forme avança effectivement, ayant réussi à s'arracher à la contemplation de l'œuvre de soie.
Il lui faudrait bien cinq minutes pour traverser tout le lieu pour atteindre ce qui ressemblait fort à un nouveau tunnel. Du peu qu'il en avait vu, Réo pouvait d'ores et déjà affirmer que les souterrains étaient de véritables labyrinthes.
Il n'était qu'à deux pas de la sortie lorsqu'un cri venant du plafond lui fit lever la tête :
- UWAAAAAAAAAAA-TENTIOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!

La seconde suivante, un seau brun fait de bois entrait en contact avec le visage de Réo, le projetant à terre sous la force de l'impact. Le seau, visiblement tombé du plafond, roula un peu sur la gauche puis se remit droit tout seul sur le sol. Une forme en émergea alors, une petite fille aux cheveux verts avec deux nattes sur les côtés attachées par des perles blanches. Elle était vêtue d'une robe blanche et se massait la tête. De toute évidence, elle était petite et ne semblait pas avoir plus de neuf ou dix ans.
- Ouille, ouille, ouille… Ça fait mal, se plaignait-elle.
De son côté, le polymorphe était entouré d'éclairs rouges et sans doute évita-t-il un nez brisé ainsi, entre autres. Il se releva en râlant, ignorant un Pride hilare. Ça commençait bien, cette affaire !
Un éclat de rire plus haut annonça que ce n'était pas terminé et quelqu'un se laissa à son tour tomber du plafond pour atterrir derrière le seau.

Il s'agissait à nouveau d'une fille mais elle était plus âgée d'apparence, sans doute aux alentours de dix-sept ans. Elle avait des cheveux blonds attachés en chignon avec un ruban brun sombre, plus foncé que ses yeux. Elle était vêtue d'une robe brune et noire étrangement plus gonflée sous la taille et décorée d'un ruban jaune enroulé tout autour et, en haut, de six boutons jaunes.
- Yamame, c'est pas drôle ! lança aussitôt la petite fille aux cheveux verts.
- Rooh, c'était juste pour rire un peu, Kisume. Tu vois, ça fonctionne encore !
La moue boudeuse adoptée par la petite fille démontra son manque de foie en ces paroles, aussi l'attention de la dernière arrivée se reporta sur Réo, visiblement étonné de tout ceci.
- Et toi, qui es-tu ? Tu viens de la surface ? s'enquit la fille en robe brune.
- Euh, oui… Je suis Réo Ryu…
(- Une présentation, ça faisait longtemps dis-donc ! Je savais bien qu'on aurait dû le faire cet écriteau nom/prénom/âge/maladies mentales)
- Connais pas. Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Personne n'est venu depuis plusieurs mois, quand la magie déconnait…
- Hein ?
Ce simple mot allié au penchement de tête vers la droite suffit à faire comprendre à Yamame que Réo avait perdu le fil de soie de ce qu'elle racontait.
- Laisse. Alors ? Ta raison d'être ici ? insista-t-elle.
- Chercher la dernière huître cosmique permettant d'ouvrir un portail en mousse de foie de pigeon voyageur vers la dimension des wapitis ninjas afin de récupérer le camembert mauve du roi girafe de la planète des tourtes, volé par les lémuriens de Mongolie du Nord-Est à 13h13 un Mardi où il pleuvait des chats.
(- KAMOULOX !)
La réplique, énoncée d'un air parfaitement sérieux, eut le don de laisser tant Yamame que Kisume pantoises. Le temps que leur cerveau assimile les informations étranges données par cette phrase à rallonge sans queue ni tête, mais avec majuscule et point, Réo avait commencé à établir un plan pour fuir.
Les lèvres de Yamame se fendirent d'un sourire puis elle se laissa aller à un fou-rire dévastateur, sous le regard incompréhensif de Kisume, toujours dans son seau, dont les bras et le haut de son corps dépassaient de son abri de bois. Elle replongea toutefois très vite dedans lorsque le changeur de forme reporta ses yeux sur elle, pendant que la fille blonde se laissait aller.

Il fallut attendre plusieurs minutes pour que Yamame se calme, mains sur le ventre.
- Et bien… Ahah… Celle-là, elle était pas mal… C'est tellement n'importe quoi…
(- A l'image de celui qui a sorti ces inepties)
Réo s'autorisa un sourire, content de lui. Avec un peu de chance, ça allait bien se passer.
- Bien, bien, bien… Tu comptes te rendre à l'Ancienne Cité c'est ça ? se reprit Yamame, son sérieux à peu près retrouvé.
- Exact, je dois voir une certaine Yuugi, annonça le polymorphe.
- Ah bon ? Tu la connais ? s'étonna la blonde en croisant ses bras.
- Nan, pas vraiment… C'est une amie qui m'a envoyé la voir afin qu'on puisse boire tous ensembles…
(- Alcooliques), commenta l'Orgueil.
Yamame sembla réfléchir un peu puis, finalement, soupira.
- Je voulais un combat mais si j'empêche Yuugi de festoyer, elle va râler… Bah, une prochaine fois. Au fait, je suis Yamame Kurodani, celle qui a fait tout ceci. Et la petite dans le seau est Kisume.
- Ah, d'accord, enchanté… Wait…
Le polymorphe venait de toute évidence de comprendre quelque-chose. Il regarda Yamame, regarda la toile, regarda Yamame, regarda la toile, la toile le regarda, Yamame s'étonna, Kisume bailla et un ange passa.
- Pourquoi cet air surpris ? demanda la blonde.
(- Pourquoi cet air con, dis ?), grinça une ombre en ricanant.
- C'est que… Je n'imaginais pas que… Enfin bref…
- Que je sois en fait une araignée terrestre ? Ne te fie pas aux apparences, surtout dans le Monde Souterrain. Nous vivons tous ici car ceux de la surface nous rejettent, nous haïssent et nous craignent.
Une pointe de tristesse s'était fichée da la voix de Yamame mais elle fit comme si de rien n'était.
(- Un endroit parfait pour toi !), s'exclama Pride, décidément en forme ce jour-là.
- Mh… D'accord… Au revoir, dans ce cas, acheva le métamorphe. (♪)
Il ne savait pas vraiment quoi dire d'autres de toute façon. Il fit un signe de la main aux deux premières habitantes du Monde Souterrain qu'il avait croisé puis reprit son chemin. Il se rechangea en loup une fois que la lumière de la toile de Yamame ne fut plus suffisante pour voir dans le tunnel qu'il traversait désormais.

Comme toujours, le chemin s'enfonçait dans les ténèbres. Sans doute les touristes plus "normaux" avaient-ils un moyen plus pratique d'effacer l'obscurité mais ce n'était pas le cas de l'Envieux. Une chance vraiment que son pouvoir de métamorphose lui permette d'améliorer sa vue en prenant la forme d'un animal efficace dans la nuit, car sinon il aurait été dans un sacré pétrin. Et puis une lanterne lambda aurait eu une utilité toute relative étant donné la grande surface à éclairer.
Le changeur de forme commençait à trouver le temps long. La monotonie du trajet lui pesait plus que sa longueur proprement dite, en vérité, mais il se lassait de ne distinguer que pierres et autres concrétions minérales. Il fut donc assez surpris de voir qu'une très légère brume verdâtre étrangement luminescente commençait à apparaître peu à peu près des murs et du sol.
Le couloir de roche allait en s'élargissant et laissait finalement place à une toute autre partie du Monde Souterrain.
Une cavité immensément plus grande s'étendait désormais devant le polymorphe. La brume verte était toujours présente, mais on n'y prêtait pas réellement attention. Si on continuait d'avancer, elle était secondée par des myriades de sphères lumineuses d'à peine six centimètres de diamètre, vertes également, voletant comme des dizaines de grosses lucioles. Leur éclat n'était pas non plus formidable mais il avait le mérite de permettre de se déplacer bien plus facilement. De ce fait, Réo reprit forme humaine.
L'endroit où il se trouvait tenait du véritable gouffre abyssal et il devait emprunter un petit chemin sur la gauche pour descendre en toute sécurité. Un coup d'œil en contrebas pendant la descente lui permit de repérer d'autres entrées, certaines débouchant juste en bas, et sa prochaine destination : ce qui ressemblait fort à un impressionnant pont qu'il ne pouvait toutefois que vaguement distinguer.
Stalagmites et colonnes peuplaient les environs. Des gouttes tombaient des hauteurs pour s'écraser ça et là et, en tendant l'oreille, on pouvait en entendre certaines tomber dans la rivière qui serpentait silencieusement en fond de l'abîme que le pont enjambait.
Une fois le chemin parcourut, Réo se retrouva à une centaine de mètres de la structure susnommée. Un rapide examen des alentours confirma sa vision précédente : on pouvait bel et bien arriver jusqu'ici directement, sans se taper la descente. En fait, on pouvait même ne pas remarquer les hauteurs.
La brume verte était bien plus présente ici, sans toutefois devenir fumée ou purée de pois. Non, elle restait une brume volatile à la limite du spectral. En étant attentif, on pouvait voir le reflet quasi surnaturel de l'eau sur les parois du précipice, puisque normalement rien n'émettait de lumière assez puissante pour se refléter dans ladite étendue aquatique.
Une certaine poésie se dégageait des lieux, un peu comme avec la toile de Yamame. En revanche, l'angoisse était ici remplacée par un voile de tristesse inexplicable.
Incrédule, Réo se dirigea vers le pont, éloigné d'une soixantaine de mètres. Sa taille forçait le respect, impression renforcée par l'incongruité de sa présence. On pouvait s'attendre à une arche de pierre, non à un édifice de bois brun aux parapets rouges, semblant ne pas avoir de fin, à la courbe quasi imperceptible une fois dessus et large de plus d'une dizaine de mètres.
Il était en outre impossible de le contourner. Ce pont était de toute évidence un passage obligé pour continuer sa route vers l'Ancienne Cité. Par ailleurs, une fois qu'il fut engagé sur la structure, Réo remarqua des lueurs diffuses, à une distance indéterminée après le pont lui-même d'une longueur indéterminée. Plusieurs centaines de mètres sans doute, à moins que l'obscurité ne fausse son jugement ce qui était également fort possible. La hauteur de plafond était également importante, ce qui suggérait que la plupart des gens passaient en volant.
Plusieurs lanternes étaient fixées sur les parapets du pont, à intervalles réguliers. Leur lueur mettait en valeur l'obscurité piquetée de tâches vertes, environnant le lieu qui semblait hors de cet espace-temps, perdu dans un monde fait de ténèbres.
Réo regardait tout cela d'un air hébété et admiratif, sourire aux lèvres. C'était vraiment impressionnant… Et pourtant, toute cette mélancolie qui se dégageait de…
- Qu'est-ce que tu viens faire là ?

La voix fit sortir le métamorphe de sa rêverie, lui permettant de remarquer la fille qui lui parlait.
Ses cheveux blonds très légèrement bouclés s'arrêtaient au niveau de la nuque. Deux tresses passaient autour de sa chevelure et se rejoignaient finalement en une queue de cheval derrière la tête de la yôkai dont les oreilles étaient plus longues que la normale, et pointues. Elle portait une robe noire, surmontée d'un haut dont le haut était brun et les bords faits de bandes violettes, ornées de croix blanches. Le bas, en revanche, était bleu, puis de la même consistance que les bandes évoquées plus haut. Le bas de l'habit était décoré de ficelles rouges croisées pendantes. Elle portait une écharpe rose pâle autour du cou et des guêtres de la même couleur aux bras, que sa robe laissaient nus. De tout ceci, ce qui retint l'attention de Réo, ce fut les yeux de l'inconnue.
Des yeux pareils à des émeraudes, d'un vert si concentré qu'on en oubliait presque la pupille. Il ne remarqua donc pas que les ongles de la yôkai étaient assez longs pour servir de griffes.
La fille se tenait au milieu du pont, bras croisés. Sa silhouette avait beau être fine, elle interdisait le passage sans la moindre équivoque.

- Je me rends à l'Ancienne Cité, lança Réo après s'être reprit.
(- Magicien gris en approche rapide avec son feu d'artifice habituel. Planquez-vous), railla Pride.
La fille aux yeux verts eut une mimique dépréciative.
- Tous ces gens qui vont et viennent sans soucis… Je suis jalouse, lança-t-elle d'une voix vibrante.
- Hein ?
(- Wait, what ?)
Les deux partenaires spirituels avaient visiblement buggés en même temps en entendant cette phrase.
- Je suis jalouse, c'est tout. Rebrousse chemin, qui que tu sois, ordonna la yôkai.
- J'ai déjà bien galéré pour venir… Et au passage, je suis Réo Ryu, lança un Envieux peu enchanté par la tournure des évènements.
- Parsee Mizuhashi, princesse de ce pont. Tant de volonté, je suis jalouse…
(- C'est marrant, elle me fait penser à quelqu'un…)
Réo grimaça. Plus qu'un mauvais pressentiment, il sentait un véritable malaise monter en son esprit. Le regard émeraude de Parsee était braqué sur lui, et dans celui-ci brillait un sentiment que le changeur de forme ne connaissait que trop bien.
- Parsee, tu… Tu n'as pas à m'envier…
(- Je confirme, ahahahah)
L'expression de la yôkai s'était modifiée, passant d'un ennui palpable à une rage de moins en moins contrôlée. Elle… Pétait littéralement les plombs.
De la même manière que Réo…
- Je suis jalouse… Si jalouse… Je suis jalouse de la lumière de la surface… Jalouse des voyageurs qui vont là où ils le veulent… Jalouse de ceux qui sont puissants, énonçait-elle en portant son pouce droit à sa bouche pour en ronger frénétiquement l'ongle.
Un halo de brume verte s'échappait d'elle, proportionnel à la jalousie qui l'animait. Presque malgré lui, Réo recula, l'inquiétude marquant son visage.
Ça ne lui plaisait pas… Pas du tout…
Il tendit les bras, mains ouvertes et voulut dire quelque-chose pour tenter d'apaiser la princesse du pont. Il n'en eut pas le temps.

(♪) D'un bond, Parsee s'était jetée sur lui, bras droit armé et poing fermé à s'en faire blanchir les phalanges. Il fallut une poignée de secondes au changeur de forme pour comprendre ce qui se passait, soit beaucoup trop. Il pivota brusquement sur la droite, son corps mû par un réflexe éclair, laissant passer l'attaque à quelques centimètres. En revanche, il ne put rien lorsque les griffes de Parsee tracèrent cinq lignes sanglantes sur son torse.
Blessure sans importance dont la seule utilité fut de réveiller l'Envieux, lequel tenta de contre-attaquer avec son bras gauche, voulant rendre la monnaie de sa pièce à la yôkai, griffes de carbone à l'appui puisqu'il désirait tout pour lui.
Manque de chance, Parsee sauta en arrière et gagna de l'altitude tout en s'éloignant.

Laissant quelques éclairs rouges crépiter et faire disparaître sa blessure, toute bénigne soit-elle, Réo vit la yôkai écarter les bras. Elle tenait une carte dans sa main droite et ne tarda pas à l'activer, mettant par la suite ses mains au niveau de son front :
- Malice Sign "Midnight Anathema Ritual"

Sitôt la technique annoncée, une multitude de petites aiguilles bleutées jaillirent du néant devant Parsee et filèrent en rafales sur Réo. Des sphères de la même couleur de la taille d'oranges les accompagnaient. Le tout filait à une cadence soutenue, envahissant l'espace disponible à une vitesse inquiétante. Le polymorphe s'entoura d'éclairs rouges tout en bondissant en avant. Il sentit plusieurs sphères frôler le dessus de sa tête mais ignora cette petite frayeur. Il rejoignit le sol de la même manière que s'il avait été un loup, toutefois il ne s'était pas encore transformé. Chose qui changea lorsqu'il sauta à nouveau, prenant la forme d'un faucon blanc et noir, choisit en raison de sa taille réduite par rapport à l'aigle.
Le rapace improvisé, aidé par son acuité visuelle décuplée, tenta de passer entre les projectiles et semblait bien s'en sortir. Sa taille alliée à sa vitesse et son agilité lui permettaient de se mouvoir avec plus ou moins d'aisance entre les tirs. Néanmoins, il était loin d'être infaillible, comme le prouvèrent plusieurs aiguilles qui parvinrent à déjouer ses réflexes alors qu'il n'était plus qu'à trois mètres de Parsee, toujours dans les airs.
Les petits et fins objets de pure énergie se plantèrent dans le poitrail de l'animal, l'interrompant dans sa course. Le rapace piailla de douleur, en même temps qu'il lui semblait sentir un coup sourd dans sa tête, et partit en arrière, évitant de peu un orbe azuré pour ensuite se poser et reprendre forme humaine puisque la spellcard prenait fin.
Les aiguilles qui avaient touché Réo avait disparues mais il en ressentait encore les picotements. Mais ce n'était rien par rapport à l'écho qu'elles avaient rencontré dans son être.
Des éclairs écarlates dansaient auteur de l'Envieux qui avait les mâchoires serrées. Il sentait… Quelque-chose remonter.
Son Envie. Cette spellcard avait légèrement fait remonter cette part de lui-même…
- Tu as réussi à t'en sortir… Je suis jalouse…

Les mots de Parsee résonnèrent sur le pont souterrain alors que Réo tentait de se concentrer à nouveau. Il devait sortir une spellcard, c'était le seul moyen d'avancer un tant soi peu dans ce combat. Mais, il doutait que le Wrath Inferno soit utile. Il allait devoir…
- Jealousy Sign "Green-Eyed Monster"

L'annonce de la spellcard glaça le sang de Réo. La yôkai qu'il affrontait était vraiment déterminée à passer ses nerfs sur lui. Elle pouvait se servir du danmaku si facilement…
Il y avait presque de quoi l'envier…
Relevant la tête pour fixer son adversaire, frissonnant sous son regard vert, Réo sentit un filet de sueur froide courir le long de son dos. Parsee était véritablement enragée, totalement noyée dans la jalousie qui guidait ses actes. Et avec stupéfaction, le polymorphe se rendit compte qu'il tremblait.
Il tremblait car il avait l'impression de se voir lui-même, possédé comme il l'était parfois par son Envie. A cause de cela, un sentiment insidieux montait en lui, peu à peu.
La peur. Mais pas seulement.

Depuis qu'il s'était fait toucher par les aiguilles, Réo ressentait sa propre jalousie monter. Doucement, comme l'eau d'un barrage qui s'écoulerait par une fissure s'étendant au gré de ses envies.
Son attention se porta enfin sur la spellcard de Parsee, à savoir une trentaine de sphères vertes de tailles variables qui s'alignaient pour former un serpent grossier à la gueule monstrueuse et aux yeux émeraude. La chose s'agrandissait au fur et à mesure et avançait vers le polymorphe.
Bien évidemment, ce dernier esquiva la charge simpliste d'un bond sur le côté. Usant de sa polymorphie qui l'entoura des arcs électriques cramoisis et de leurs crépitements, Réo se dota de ses traditionnelles ailes de chauve-souris, rappelant celles de Remilia, et s'envola avec plus ou moins d'aisance.
Il remarqua cependant bien vite que le serpent précédent n'était pas seul puisque deux autres s'étaient formés plus en arrière, accompagnés d'une myriade de sphères vertes d'au moins quinze centimètres de diamètre.
Le changeur de forme évalua rapidement la situation et choisit d'utiliser la méthode qui maîtrisait le mieux car étant la seule qu'il utilisait : avancer et improviser.
Il tenta ainsi de passer entre les deux serpents de danmaku, chose difficile à cause de l'envergure de ses ailes qui lui donnaient un handicap non négligeable. Les deux monstres manquèrent de toucher les deux appendices de peau tendue et l'Envieux ne dû son salut qu'à un mouvement de pivot sur la gauche. Sa rotation terminée, le polymorphe accéléra d'un mouvement d'ailes tout en sortant une carte de son pantalon.
- Deadly Sin…

La morsure du premier serpent au niveau de sa jambe droite coupa le métamorphe dans son incantation. Ce n'était là que le début puisque les sphères formant le corps de la chose se comprimèrent pour ensuite exploser, projetant Réo en arrière et en bas, sur le pont. Il heurta le bois avec violence et roula sur six mètres, faisant en même temps disparaître ses ailes, pour finalement s'arrêter sur le ventre. Ses vêtements et sa chair s'étaient déchirés au niveau de la zone d'impact, réduisant le membre touché à une bouille de chair sanguinolente. Les sacro-saints éclairs rouges refirent alors leur entrée. La blessure se sutura d'elle-même pour disparaître en une poignée de secondes. Mais la douleur semblait toujours là.
Réo ne parvint qu'à se redresser avec ses bras pour se mettre à genoux, penché vers le pont, face à Parsee.
Les éclairs continuaient de crépiter mais ils étaient de plus en plus désordonnés, presque frénétiques, alors qu'une pulsation démentielle détonait dans l'esprit de Réo, si forte qu'il hoqueta. Son Envie avait suivit le mouvement, comme portée par le phénomène qui l'avait décuplée de façon effrayante et douloureuse.
- Tu es résistant… Comme les autres… Je suis jalouse, lança la yôkai en se posant sur le pont.
L'expression douloureuse, le métamorphe mobilisa ses forces pour formuler difficilement une réponse :
- Arrête, Parsee… Je… Comprends… (♪)

Il ne put en dire plus. Il avait l'impression qu'une foreuse en diamant s'était mise en action dans son cerveau. Il avait mal, mal à s'en frapper la tête contre le bois, serrant les dents si forts qu'elles menaçaient de se casser.
Quelque-chose…
Quelque-chose s'agitait en lui… Et Parsee qui riait… Il l'enviait… Il les enviait tous… Reimu, Marisa, Suika, Remilia, Flandre, Sakuya, Malbas, Helya, Lucifuge, Youmu… Si forts…. Et ils avaient une place, eux…
Le rire dément que Parsee modulait s'ajoutait au trouble agitant l'âme de l'Envieux. Un rictus de colère déformait les traits de la yôkai une fois qu'elle se fut calmée, mais ses yeux ne dégageaient pas que cela.
- Tu ne sais rien que ce que je ressens ! Tu es si ignorant, j'en suis jalouse ! Je vous jalouse, TOUS !
Parsee venait de crier. Dans le même temps, elle tendit son bras droit vers son adversaire, toujours prostré et tourmenté.
- A ton tour de ressentir la jalousie, annonça la yôkai en fermant le poing.

Le hurlement de douleur que poussa Réo sembla résonner dans tout le Monde Souterrain. Les attaques de Parsee avaient fragilisé le barrage, elle venait désormais de le faire voler en éclats.
L'Envieux se prit la tête dans les mains alors que ses éclairs rouges redoublaient de violence, comme pris de folie.

A l'intérieur d'une grotte sombre, des tintements métalliques retentissent de manière quasi continue, se réverbérant sur les parois circulaires du lieu. Partant du plafond et des murs, d'énormes chaînes plongent dans un lac démesuré et bougent sans cesse. Le complexe cercle magique rouge orné de symboles, runes et formes géométriques et même d'un ouroboros en son centre brille fortement d'une lumière écarlate, alors que des arcs de lumière de la même couleur en jaillissent.
La chose enfermée sous la surface de l'eau se débattait sans discontinuer, tirant sans relâche sur ses liens pour les briser.
Mais malgré sa rage, les chaînes tiennent bon et seul son rugissement s'échappe de sa prison aquatique…


Réo ne s'était toujours pas tut que ses éclairs s'étaient fait plus grands, près de deux mètres d'envergure. Parsee recula de quelques pas, stupéfaite. Elle s'était brusquement calmée une fois la jalousie de son ennemi amplifiée grâce à son pouvoir. Mais maintenant… La yôkai sentait que quelque-chose se débattait à l'intérieur de Réo. Alors que perplexité et anxiété montaient dans l'esprit de Parsee… Un horrible craquement se fit entendre.

(♪) Dans un éclat aveuglant de lumière écarlate, le corps de Réo s'allongea de manière spectaculaire, s'enroulant autour du pont et n'ayant plus rien d'humain. Devant une Parsee médusée se tenait désormais, enroulé autour du pont, un serpent vert gigantesque. Long d'une trentaine de mètres et haut de cinq, ses écailles alternaient leur vert prédominant avec de fines arabesques noires et rouges.
La yôkai eut un haut-le-cœur lorsqu'elle remarqua autre-chose. Des gémissements s'échappaient du corps du monstre, produits par les têtes humaines vertes qui s'extrayaient en partie des flancs de la créature, avec quelques bras ou jambes. Des gens étaient là, prisonniers de cette horreur et leurs corps faisaient partie intégrante de celui de leur bourreau. La mélopée macabre qui s'échappait d'eux était tout bonnement insupportable.
Les yeux verts, fendus d'une pupille verticale, de la créature brillaient et se posèrent sur Parsee. Le serpent darda sa langue fourchue puis se jeta sur son adversaire avec la ferme intention de la gober tout entière.

Figée par la stupeur, Parsee ne réagit qu'au dernier instant, s'envolant de justesse au-dessus de la bête. Celle-ci percuta le pont, se releva un peu en poussant un rugissement suraigu et attaqua à nouveau.
Le déluge de sphères émeraude que Parsee envoya sur la créature eut un effet proche du néant cosmique du fait de sa taille et la princesse du pont fut obligée de manœuvrer à nouveau dans les airs pour esquiver l'assaut. Le serpent se mouvait très rapidement malgré sa taille colossale, mais il ne semblait pas posséder d'attaques à distance. Sa liberté de mouvement était néanmoins énorme, aussi Parsee fut-elle contrainte à la défensive. Elle laissa passer la tête du serpent à sa gauche mais celui-ci changea brusquement de trajectoire et utilisa son crâne comme arme pour frapper la princesse du pont.
Cette fois, la créature fit mouche et envoya Parsee vingt mètres plus loin, la faisant s'écraser sur la structure de bois. Ce n'était toutefois pas suffisant pour la vaincre, mais assez pour lui causer quelques dommages et surtout l'étourdir pendant de précieuses secondes.
Se relevant péniblement en s'aidant de la balustrade, Parsee lança un regard inquiet au serpent qui s'élevait bien haut tout en avançant, toujours en partie enroulé autour du pont. Le monstre émit un sifflement aigu accompagné des cris de ses prisonniers puis fondit à nouveau sur Parsee.
Celle-ci entendit des bruits de pas précipités derrière elle et ne fut donc qu'à moitié surprise lorsqu'une forme blanche et blonde passa à sa gauche pour finalement envoyer un pied chaussant une geta sous la gueule du serpent, le repoussant dans un craquement désagréable.
- YEAAAH ! Alors Parsee, on s'amuse sans moi ? lança la femme qui venait de rejoindre le champ de bataille avant de boire un peu de saké contenu dans la coupe rouge qu'elle tenait.

Il s'agissait d'une oni, comme le prouvait l'unique corne, aussi rouge que ses yeux, qui pointait de son front. Ses cheveux blonds et longs s'arrêtaient au milieu de son dos et elle portait un haut blanc à manches courtes et aux bords rouges qui surmontait sa jupe bleue ornée de fleurs claires et de lignes horizontales rouges. Des menottes enserraient ses poignets et chevilles mais les chaînes accrochées étaient brisées.

La princesse du pont n'eut pas le temps de répondre que déjà, le serpent revenait à la charge.
L'oni esquissa un rictus, but à nouveau, puis se mit lentement en position, fléchissant les jambes, tendant son bras gauche et tenant sa coupe bien droite dans l'autre main. Ainsi, quand le monstre tenta de la mordre, elle se décala simplement vers la droite, prit appui sur sa jambe gauche, pivota et envoya son pied dans le ventre du reptile. Celui-ci se souleva légèrement sous l'impact, juste assez pour que l'oni puisse, après une rotation inverse à celle opérée juste avant, passer sa main gauche sous le monstre, désormais un peu redressé. D'une puissante détente, la femme s'envola, après avoir fermé son poing. La puissance de l'action lui permit de faire se cabrer violemment le serpent, lequel reçut peu après le bonjour du pied droit de la femme au niveau du cou.
La combattante revint ensuite en arrière, et but à nouveau devant une Parsee médusée.
- Alors ? s'enquit à nouveau l'oni.
- … Je suis jalouse, Yuugi, informa simplement Parsee.
La femme éclata de rire.
- Pour ne pas changer ! Et c'est quoi ça ?
Yuugi avait négligemment désigné du pouce le serpent géant derrière elle qui se rétablissait, entouré d'éclairs rouges.
- Je… Je ne sais pas… J'ai amplifié la jalousie d'un type… Et…

Une nouvelle plainte suraiguë du serpent résonna dans les souterrains. Une série de sifflements serpentins suivirent cette désagréable preuve d'existence
Yuugi soupira et se retourna vers le monstre.
- Tu m'le laisses ? lança-t-elle à son amie toujours derrière elle.
- Avec plaisir, marmonna Parsee.
- Chic ! Je vais bien m'amuser !

Joignant le geste à la parole, Yuugi fit craquer sa nuque et avança de quelques mètres. Le serpent s'ébroua, sortant de la période de stase dans laquelle il avait été prisonnier, puis fonça à nouveau sur l'oni. Celle-ci lança alors sa coupe de saké puis tendit ses deux bras, se préparant au choc. Elle ne recula qu'à peine lorsque le serpent la percuta de plein fouet, gueule ouverte mais retenue par les mains de l'oni, l'empêchant de se refermer ou de s'ouvrir plus largement encore. Cette dernière sauta, toujours en tenant la tête du monstre et en ignorant les crochets venimeux qui la surplombait. La créature fut forcée de suivre le mouvement, se dressant peu à peu. Mobilisant sa force démentielle, Yuugi contracta ses muscles, une fois à la bonne hauteur, fracassa son genou droit contre la mâchoire du monstre
Un nouveau craquement sinistre s'éleva alors que le serpent reculait dans un rugissement perçant. Dans le même temps, Yuugi levait sa main gauche vers le haut et recueillait sa coupe de saké dont elle but une gorgée.
Fixant le serpent, entouré d'éclairs rouges, elle tendit ensuite son bras droit, paume vers le haut et, d'un mouvement de la main, l'incita à venir la rejoindre.

N'ayant visiblement pas apprécié la provocation, le reptile rugit et tenta de gober Yuugi avec une charge précise et étonnamment rapide. Ce ne fut toutefois pas suffisant puisque l'oni parvint à éviter en passant sous son adversaire.
Plutôt obstiné, ce dernier usa de la souplesse de son corps pour effectuer un véritable demi-tour aérien, bien que toujours ancré sur le pont, et repartir vers Yuugi.
La combattante lança sa coupe puis accueillit son ennemi par un coup de pied retourné du plus bel effet qui le fit partir vers la droite. Puis elle récupéra la coupe tout en pivotant et envoya son coude sur le sommet du crâne de la chose.
Ignorant le bruit des os se fêlant et les cris des êtres piégés dans le corps du monstre, elle se débarrassa à nouveau de son objet fétiche, elle passa devant la tête du serpent en perdition, joignit ses deux mains et les fracassa au même endroit que son coude.

Du sang s'échappa de la fracture ouverte qui résultat de l'enchaînement, ayant totalement défoncé le crâne du reptile qui s'effondra. La combattante recueillit son saké et se posa sur le pont, alors que son ennemi ne bougeait plus mais était entouré d'arcs électriques cramoisis. Elle ne marqua aucune surprise en voyant la blessure normalement mortelle se soigner en une vingtaine de secondes, seulement un air vaguement ennuyé.
- Il est temps de passer aux choses sérieuses…
Une lueur nouvelle dans le regard, Yuugi projeta sa coupe bien haut dans les airs. A sa place, elle brandissait une carte.
- Four Devas Arcanum "Knock Out In Three Steps"

Tout se passa très vite.
Le serpent armait un nouvel assaut mais, devenue une véritable fusée, Yuugi se porta à sa rencontre. Le monstre réagit rapidement, tentant de happer son adversaire, mais il en fut incapable puisque le poing droit de l'oni le percuta dans une détonation à en faire vibrer les tympans, alliée à une explosion rouge très localisée mais loin d'être négligeable.
- Une…
Le rugissement de douleur que poussa le serpent déjà sérieusement blessé à l'endroit de l'impact n'arrêta pas l'implacable cornue qui suivit le mouvement de recul du monstre, le contourna par le dessus et le frappa de son poing gauche, créant à nouveau une explosion, turquoise cette fois-ci.
- Deux…
Le serpent avait été projeté avec violence mais Yuugi fut plus rapide que lui. Judicieusement, elle se plaça au-dessus de lui, mit ses bras contre son torse, joignit ses pieds…
- TROIS !!!
Et tomba littéralement sur la tête du monstre, avec une violence inouïe. La puissance de l'action emporta le serpent qui s'écrasa contre le pont sans pouvoir réagir. Son hurlement fut couvert à l'impact par la formidable explosion bleutée qui aveugla même Parsee et la força à reculer malgré la distance. Les alentours semblèrent trembler alors que le bruit de la détonation se réverbérait sur les parois de pierre.
Une épaisse fumée était née de l'action mais, rapidement, on put voir Yuugi, bras écartés et jambes fléchies, sur la tête du monstre qui ne bougeait plus.
- K.O en trois étapes, annonça-t-elle.

Comme s'il s'agissait d'une formule magique annonçant la fin du combat et sa victoire pleine et entière, Yuugi se rasséréna et quitta son perchoir pour s'approcher de Parsee.
La princesse du pont s'apprêta à dire quelque-chose une fois son amie proche mais, levant son index, l'oni lui intima le silence.
Incompréhensive et passablement vexée, Parsee vit Yuugi lever son bras droit et, le plus naturellement du monde, rattraper sa coupe de saké.
Nulle goutte n'avait quitté le récipient autrement que pour être ingérée par la femme qui, souriante, tendit le récipient à la yôkai aux yeux verts.
- Saké ?

Parsee hocha négativement la tête puis s'avança prudemment vers le serpent défait et inconscient. Des arcs électriques écarlates faisaient leur apparition de temps à autre et si les blessures du serpent n'étaient plus, il n'esquissait pas le moindre mouvement.
- C'est… C'est moi qui ai fais ça…
La voix de Parsee était tremblante et elle fit à nouveau la démonstration de sa manie de se ronger les ongles en attaquant celui de son pouce droit.
- Tu crois pouvoir le faire revenir à la normale ? demanda Yuugi en rejoignant la princesse du pont.
Parsee se mordit la lèvre inférieure mais prit le temps de réfléchir, ne répondant qu'après de longues dizaines de secondes.
- Je pense… Si c'est en augmentant sa jalousie qu'il s'est transformé… Raah, pouvoir faire ça me rend jalouse !
Cessant de s'énerver toute seule, la yôkai aux oreilles pointues porta toute son attention sur le serpent géant, avant de fermer les yeux.

Elle laissa alors son esprit se connecter à celui de son adversaire, ressentant sa jalousie comme un véritable océan. Tout cela l'intriguait mais elle verrait plus tard. Pour l'instant, elle devait canaliser cette jalousie, l'empêcher de s'écouler.
Usant de son pouvoir acquit par des années de jalousie dévorante, la princesse du pont força l'océan à se compresser et à s'enfouir pour au final n'être plus qu'une simple rivière d'eau verte.
Dans le même temps, dans le monde réel, le serpent se désagrégeait peu à peu en cendres qu'un vent inexistant éparpillait. Après quelques minutes de labeur, il ne resta rien de la créature, si ce n'est un humain allongé sur le ventre, inconscient et vêtu de sombre veiné de vert.
Parsee rouvrit alors les yeux, sortant de sa transe, et regarda Réo.
- C'est pas banal, commenta Yuugi. C'est qui ?
- Réo Ryu… Je sais juste qu'il voulait atteindre l'Ancienne Cité, répondit la yôkai.
- Comme d'hab'. T'es vraiment pas délicate avec les touristes !
- Et toi alors ? rétorqua la princesse du pont en fusillant son amie du regard.
Yuugi ricana puis, après avoir bu, posa la question existentielle :
- Bon, et maintenant, on en fait quoi ?
Parsee roula des yeux puis, finalement, soupira.
- Aucune idée.
- Bon ben, autant le mettre à l'abri et on verra ensuite. Au pire on le réexpédiera en surface s'il se réveille pas, argua l'oni.
- Bien la peine de me demander ! râla la jalouse.
Ignorant la remarque, Yuugi s'approcha du jeune homme inconscient et, sans la moindre délicatesse, le chargea sur son épaule.
- Hey Parsee, ta maison est plus proche que la mienne, non ?
- Abuse pas non plus ! s'exclama l'intéressée.
- Ne dis pas de choses si dures, voyons… Uhuhuh…

La femme cornue se mit ainsi en marche, suivie par la yôkai aux yeux verts. Alors qu'elles discutaient et s'invectivaient, aucune ne vit la silhouette ailée qui les épiait au loin…
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeJeu 18 Oct - 21:04

Chapitre 25 : Famine Renaissante


"Qu'est-ce que la mort ? Voilà une question fort compliquée, à laquelle personne n'a de réponse pleinement satisfaisante. Ironie du sort, nous finissons tous par connaître la réponse…"
Hieda no Akyuu



Le ciel était dégagé. Peu de nuages affichaient leur couleur blanche dans la voûte céleste azurée. Le vent soufflait toujours, faisant bruisser les arbres de la sombre Forêt Yôkai qui s'étendait au pied de la montagne du même nom.
Dans celle-ci se trouvait une petite maison de bois sans prétention, appartenant jadis à une magicienne yôkai. Officiellement, plus personne ne l'habitait mais, officieusement, c'était une toute autre histoire.
Aucune activité ne pouvait être remarquée par les très rares regards curieux qui se posaient sur la maisonnée, mais il ne s'agissait là que de la partie émergée de la demeure.
Ainsi, dans une salle souterraine, Malbas Elric donna un coup rageur sur un bureau de bois disposé contre un mur de pierre. Il n'arrivait à rien…
Cela aurait encore pu passer s'il ne se sentait pas si mal. Il avait faim… Mais il pouvait encore se contrôler…
Oui…
Il pouvait encore… Il devait se contrôler…

C'était quand même étrange. Pourquoi, depuis qu'il avait tué Nue, se sentait-il si coupable ? Il n'avait jamais apprécié sa condition, d'où son objectif, mais, dorénavant, il ne la supportait vraiment plus. Il avait pourtant dévoré bien d'autres personnes auparavant… Seishi Kodoku par exemple.
Mais pourquoi donc un tel revirement ? Il y avait certes la thèse de la forme que Malbas avait prise, mais avait-il vraiment besoin de ça pour prendre conscience de sa nature ? Il refusait de croire qu'il avait été aussi aveugle en des temps pas si lointains que cela. Non, il y avait autre-chose, mais quoi ?
Pourquoi ces regrets ?
Tous ces morts, ces âmes qu'il avait emmagasinées en lui… Avait-elles déteint sur lui ? Bah, c'était stupide… D'ailleurs, son combat au Manoir du Démon Ecarlate avait fait disparaître une très grande partie de son stock… Il ne lui restait plus qu'une vingtaine, environ…
Lâchant un profond soupir, Malbas regarda les feuilles volantes sur son bureau. Emplies de notes et autres schémas, elles étaient autant de témoignages des diverses entreprises, tests et théories du Dévoreur.
Rien qu'une succession d'échecs. A croire qu'il allait devoir continuer de la même façon qu'au début… Boucler la boucle…
Ce fut alors que la sensation bien connue de formes de vies se déplaçant se fit ressentir. Il s'agissait là d'une facette de son pouvoir de Dévoreur : le repérage des sources de vies et formes vivantes. Il pouvait ainsi en estimer la nature, humain, yôkai, monstres, ainsi que la position de manière générale mais peu précise. Tout cela sur une courte distance, bien entendu, sauf pour Réo qui était un cas à part.
Réo…
Malbas serra les poings puis leva la tête.
Ces présences allaient et venaient, c'était inhabituel. Une patrouille de tengus, peut-être ? Autant attendre…
Ou pas ?
Cédant à la curiosité, et sans doute poussé par sa faim dévorante, Malbas disparut dans une gerbe de flammes pour réapparaître de la même façon dans le salon de la maison. Il alla ainsi à la fenêtre mais ne vit personne.
Pourtant, il y avait des gens… Quelque part dans les environs.
Fronçant les sourcils, Malbas sortit, un mauvais pressentiment à l'esprit. Il fit quelques pas dans la forêt obscure puis regarda autour de lui…

Dans le Village Humain, on pouvait remarquer une certaine sorcière ordinaire afficher un air soucieux, avançant au milieu des passants. L'objet de ses réflexions était aisé à deviner puisque les humains autour d'elle ne parlaient que de ça.
Pourquoi donc le Temple Myouren n'était plus là ? Pourquoi le Palanquin était parti à toute berzingue de cette façon ?
Certes, cela arrivait de temps en temps, Murasa avait besoin de se balader un peu, mais jamais en aussi grande pompe… De plus, toutes les habitantes du temple étaient de la partie. C'était louche, surtout quand on savait que d'étranges zigotos se baladaient.
Marisa s'étonnait par ailleurs qu'il ne se soit rien passé pendant plus d'une semaine. Non pas qu'elle allait s'en plaindre, mais tout de même. Les coupables de tout ceci s'étaient fatigués ?
Ou alors, plus probable, ils attendaient le moment opportun pour frapper un grand coup. La stratégie du "tout d'un coup" n'avait pas été payante, loin de là, alors oui, c'était une possibilité à ne pas négliger.
Voyant une ombre se dresser devant elle, Marisa se stoppa et releva la tête. Sans s'en rendre compte, elle était arrivée à destination, à savoir un bâtiment de taille honorable dont l'enseigne clamait "Magasin d'occasion Kirisame".
Remettant son chapeau droit sur sa tête, la sorcière entra avec une discrétion des plus inhabituelles venant de sa part.

L'intérieur était plutôt sombre et sentait le renfermé. La grande salle qui composait la majeure partie du rez-de-chaussée était parsemée d'étagères et commodes dont la plupart étaient remplies de breloques quelconques. Elles étaient toutefois bien moins nombreuses et mieux rangées que ce qu'on trouvait à Kourindou. De plus, tout venait de Gensokyo ici, malgré la variété de ce qu'on trouvait, comme par exemple cet appareil-photo de tengu posé sur une table. Quelques tableaux aussi, acquis on ne savait trop comment, et de toute façon presque invendables. La magicienne repéra également une horloge qui avait besoin de réparations et quelques bricoles venant certainement des kappas.
Il n'y avait nulle âme qui vive dans la partie magasin du bâtiment, comme trop souvent au goût de la sorcière. Elle ne tarda pas plus et snoba le comptoir et la porte vers l'arrière-boutique pour prendre un escalier situé en retrait, caché par une étagère proposant les Chroniques de Gensokyo, rédigées par une certaine Hieda no Akyuu.
La volée de marches conduisit Marisa à l'étage supérieur servant de résidence au propriétaire des lieux. Une habitude de famille, sans doute. Kourin faisait de même, en plus.
La fille en cheveux d'or atteignit un couloir lui laissant le choix entre deux chambres sur la gauche, une salle de bain tout droit et une salle de séjour à droite. Pas de démesure en ces lieux, loin de là. Tout était en bois, alliant silence, sombre et sobre sans la moindre once de surprise.
En revanche, Marisa ressentit un petit quelque-chose. De la mélancolie ? Peut-être bien. Par contre, cette présence surnaturelle dans le salon ne s'appelait sans doute pas Mélancolie, elle.
Accélérant l'allure, Marisa ouvrit la porte d'ores et déjà entrouverte. Elle ne vit néanmoins rien de suspect. L'homme assis sur une chaise devant une table, aux cheveux blonds mi-longs, mal rasé, et à l'air fatigué était, malheureusement, parfaitement à sa place. Il devait avoir la quarantaine en théorie mais on pouvait aisément lui en donner bien plus.
Balayant le doute qui l'avait assaillie sans pour autant se servir de son balai qu'elle tenait à la main gauche, Marisa entra dans la pièce.
- Yo, papa !

L'homme tourna la tête vers sa fille, laissant un sourire se dessiner sur son visage épuisé. Ses vêtements étaient constitués d'un kimono et pantalon alliant le beige clair et le bleu.
- Bonjour, Marisa…
Sa voix était à l'image de son corps : épuisée. Cela ne l'empêcha pas de se lever pour aller embrasser la sorcière, laissant sur la table ce qu'il tenait auparavant et qui était habilement dissimulé sous un torchon.
Cela n'échappa pas à la magicienne ordinaire qui, une fois installée devant la fenêtre fermée et alors que son père préparait du thé, posa la question fatidique :
- C'est quoi ça ?
Elle fut quelque peu surprise de constater un léger raidissement de la part de son paternel, ce qui excita bien entendu sa curiosité. Cependant, elle n'eut pas le temps de se saisir de l'objet que son père le prenait pour le mettre sur une commode, près d'une photo représentant une femme vêtue d'une robe blanche ayant de longs cheveux orangés. La seule chose que Marisa put en discerner, outre la forme ovale et plate, fut qu'il était blanc.
Et un mystère à résoudre !
- Alors dis-moi, comment vas-tu depuis la dernière fois ? demanda le propriétaire des lieux en s'asseyant finalement face à sa fille en posant deux tasses sur la table.
- Je pète la forme, daze ! C'est plutôt à toi qu'il faut poser c'te question. Je t'avais dit de ne pas rester dans l'noir, non ?
L'homme s'autorisa un petit rire. La bonne humeur inaltérable de Marisa agissait comme un rayon de soleil dans ses mornes pensées.
- Et la boutique, ça tourne ? s'enquit la magicienne.
- A peu près… Les gens ne sont pas vraiment d'humeur dépensière ces derniers temps…
-T'as zappé le festival d'hier. D'ailleurs je t'ai même pas vu, rétorqua Marisa d'un ton plein de reproches.
Son père se contenta de boire un peu.
- Trop de monde, trop de bruit… Raconte-moi plutôt tes dernières péripéties.
- Boarf, j'parie que tu vas encore râler que c'est dangereux, protesta la fille en noir.
Petit sourire paternel.
- C'est exactement ça.
Poussant un soupir largement feint et exagéré, la sorcière endossa donc le rôle de conteuse, comme toujours quand elle venait. L'intervalle entre chaque visite était assez conséquent, lui donnant toujours des choses à dire.
Enfin, elle aurait toujours quelque-chose à dire de toute façon.
Elle émailla son récit de blagues et diverses exagérations, ponctuant le tout d'éclats de rires et de grands gestes. Son père l'écoutait, commentant parfois et bien entendu, soulignant les multiples dangers que courait la magicienne ordinaire. Plus pour la taquiner qu'autre chose.

Une fois le récit terminé, ils parlèrent de tout et de rien puis, finalement Marisa se décida à partir. Son père la raccompagna jusqu'à la sortie, déposa deux baisers sur ses joues et la regarda s'éloigner.
La sorcière n'attendit que peu de temps avant d'enfourcher son balai pour s'élever dans les cieux. Etrangement, elle avait parfois eu l'impression de ne pas être seule avec son père…
Bah, l'imagination.

(♪) L'homme referma la porte puis remonta, atteignant la salle de séjour.
- Pleine d'énergie, c'est le moins qu'on puisse dire. Mes Damnés n'avaient pas torts.
Le père de Marisa ferma brièvement les yeux puis regarda son interlocuteur, assit à la table, menton posé sur ses mains jointes. Il était vêtu d'amples vêtements noirs, décorés d'étranges symboles rouges et avait les doigts longs et fins terminés par des griffes aussi noires que ses cheveux plutôt courts.
- Je ne vois pas pourquoi cela vous surprend…
Lucifuge se cala au fond de son siège et croisa les bras, toisant le propriétaire des lieux qui reprit l'objet repéré plus tôt par Marisa.
- Pourquoi ne pas lui avoir dit ? s'enquit le démon.
- Il y a des choses qu'il vaut mieux qu'elle ignore…
L'homme ôta le chiffon, révélant l'objet, à savoir un masque. Un masque blanc, sans nez ni bouche, uniquement décoré de deux trous pour les yeux et d'une ligne rouge transversale partant du bas du masque pour remonter vers les yeux.
- C'est vous qui voyez. Un mal pour un bien, je pense.
Le vendeur ne répondit pas, scrutant ce masque qu'il tenait.
- J'ai du mal à saisir la raison votre action, lança-t-il.
- Si les mauvais payeurs doivent être châtiés, ceux qui, au contraire, jouent le jeu ont bien droit à des égards particuliers, non ? Même si dans ce cas-là, c'est l'entourage du Pactisant dont il est question. Voyez cela comme une stratégie commerciale, expliqua Lucifuge.
Son interlocuteur marqua un nouveau temps de silence avant de reprendre la parole.
- Merci. Vous n'imaginez pas à quel point… Elle me manque… Même si je doute que vous compreniez…
Lucifuge eut un rictus.
- Je comprends ces choses-là. Ce qui est un atout pour ma tâche.
- Comprendre leur portée est aisé… Mais en avez-vous compris le fondement ? Pourriez-vous ressentir cela ? demanda le propriétaire des lieux en regardant à nouveau le démon.
- Qui sait, humain ? Contrairement à ce que vous tous croyez, nous aussi avons des sentiments. Je me contente de faire mon travail, même lorsque j'ai du mal à le saisir, voilà tout. Et, à titre d'information, ce Pacte est du fait de mon prédécesseur…
- Si vous n'approuvez pas vos actions, pourquoi obéir ? ne put s'empêcher de demander l'humain.
- Voilà bien une question totalement humaine. Je n'ai simplement pas le choix, pour diverses raisons. Même si je trouve cette histoire à la fois étrange et nébuleuse et mes ordres sans queue ni tête, je me dois d'obéir…
Le silence suivit cette tirade et on put voir Lucifuge caresser, sans le remarquer, quelque-chose accroché autour de son cou et dissimulé sous ses vêtements.
- Bien, je vais vous laisser. Comme promis, vous avez jusqu'au couché du soleil, annonça le démon en se levant pour ensuite rejoindre son interlocuteur.
- Merci… Navré de ne pas avoir put vous donner les informations que vous vouliez, s'excusa le vendeur d'une voix lasse.
- Ce n'est rien. Je finirai bien par lever le voile sur cette histoire… Profitez bien du temps qui vous est imparti. Votre fille s'inquiète pour vous et, si je conçois à limiter les dégâts en cas d'affrontement, vous êtes moins résistant qu'elle.
- Elle est tout ce qui me reste… J'aimerai tant qu'il ne lui soit fait aucun mal…
- Vous connaissez la musique. Pour toute chose reçue, il faut en sacrifier une autre de même valeur. Mais étant donné votre santé et vos douleurs, il est inutile de continuer le massacre. Occupez-vous de vous, vos retrouvailles éternelles seront bien assez rapides à arriver. Sur ce, je vais me retirer… Et vous laisser en tête-à-tête.
- Au revoir, Premier Ministre…

Le démon s'inclina puis se dirigea vers l'escalier, qu'il n'emprunta pas puisqu'il disparut avant en une volée de flammes rouges.
M. Kirisame resta un instant immobile puis tendit son bras droit, tenant le masque. Une main gantée de noir se referma dessus avec délicatesse et le prit.
- Rebonjour… Où… En étions-nous ? s'enquit-il, voix chevrotante et yeux humides.
Lui seul put entendre une voix éthérée féminine lui répondre. La femme qui venait de revenir près de lui, ayant disparue à l'arrivée de Marisa, faillit remettre son masque mais, au dernier moment, s'abstint.
Elle avait jusqu'au couché du soleil. Pendant toute cette période, elle… Elle était de nouveau entière, presque vivante.
La femme ne put se retenir de prendre la main gauche du propriétaire des lieux, dont les yeux restaient bloqués sur son visage.
Un visage émacié, presque translucide, grêlé de petites taches brunes et aux yeux totalement noirs. Un visage ne faisant plus totalement partie de ce monde.
Un visage encadré, lorsque la femme rabattit sa capuche, d'une cascade de cheveux orangés…

Une explosion retentissante se déchaîna à la droite de Malbas. N'ayant pas vu l'attaque venir, il fut projeté à dix mètres et roula sur le sol plusieurs fois avant de se reprendre.
Il avait quitté la Forêt Yôkai depuis un moment, suivant les présences qu'il ne parvenait pas à identifier. Quel idiot.
Il venait de tomber tout droit dans un piège. Et ce n'était pas le bateau volant qu'il voyait dans les cieux qui allait le contredire.

(♪) Plissant les yeux mais ne discernant pas mieux Malbas pour autant, Murasa était penchée par-dessus de bastingage. Cette fois, il n'allait pas s'en tirer !
- CHAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGEEEEEEEEEEEEEEEEZ !!! hurla-t-elle, brandissant son ancre.
La main de Byakuren sur son épaule gauche la retint de sauter dans le vide.
- Reste en arrière pour le moment. N'intervient que s'il approche de trop, lui ordonna-t-elle.
- Mais…
Un regard inquisiteur de la femme aux cheveux châtains et violets décida le capitaine à rester sur place, à contrecœur.
Ce fut donc la moniale qui, d'un geste vif, sauta dans le vide, tenant son parchemin entre les mains. Elle l'ouvrit tout en chutant à l'horizontale, envoyant une multitude de sphères violacées de quelques centimètres de rayon en direction du sol, et plus précisément de son adversaire.

Un rictus nerveux se dessina sur les lèvres de Malbas. Voyant Shou se diriger vers lui, l'ayant contourné par la gauche sans se faire remarquer et volant en rase-mottes, le Dévoreur se propulsa dans les airs.
Il arma son bras gauche et laissa s'exprimer sa Combustion. Le rayon transparent fila dans une détonation sonore en direction de la yôkai tigre qui n'eut cependant aucun mal à éviter en regagnant de la hauteur.
Le rayon se comprima et explosa en touchant le sol, mais Shou était largement hors de portée.
Continuant de s'élever, Malbas tourna sur lui-même, passant entre les projectiles de Byakuren. La femme s'éloignait à présent, ce qui ne plut pas spécialement au Dévoreur.
Son mauvais pressentiment passager fut justifié par le poing rose nuageux d'un mètre qui fila dans sa direction depuis les airs, sans qu'il puisse en déterminer la provenance avec exactitude. Ne l'ayant repéré qu'au dernier moment, Malbas fut forcé de disparaître in extremis pour réapparaître un peu plus haut, sur la gauche.
Elles s'étaient parfaitement organisées !

A peine cette constatation effectuée, l'alchimiste fut obligé d'invoquer le trident de Nue pour bloquer, de justesse, un assaut de Shou et de sa lance. La tigresse n'insista pas, laissant à Byakuren le loisir de lancer plusieurs lasers orangés.
Contraint à la défensive, le tueur zigzagua entre les rayons, tellement concentré dessus qu'il ne vit pas Mamizou fuser vers lui pour lui asséner un magnifique coup de pied retourné dans le flanc gauche.
De nouveau propulsé, Malbas fut rattrapé à la volée par le poing tendu d'Unzan, visage rageur nuageux situé au-dessus d'Ichirin qui descendait tel un ange depuis les cieux. Ignorant la douleur et serrant les dents, le Dévoreur effectua un arc de cercle avec le trident noir qu'il tenait. Quelques flammes apparurent, se regroupèrent à l'extrémité de l'arme et jaillirent dans un craquement sur Ichirin.
Manque de chance, Byakuren s'interposa. Ouvrant son parchemin en grand, elle créa un champ protecteur bleuté. Les flammes ricochèrent dessus, laissant un Malbas vulnérable forcé de faire face à Mamizou, déterminée comme jamais.
La tanuki laissait s'exprimer sa colère et frappait du poing et du pied à une cadence soutenue. Le trident tenait le coup et permettait au Dévoreur de ne pas subir de dommages, déviant les multiples assauts mais obligeant Malbas à reculer. A ce rythme, le combat allait être rapidement plié !
Enfin, il devait se rendre à l'évidence, seul contre toutes, il n'avait aucune chance !

Maudissant la distance qui le séparait de la demeure de Seishi tout en écartant la possibilité d'un téléport inutile, Malbas plongea vers le sol brusquement vers le sol, Mamizou sur les talons.
Manque de chance pour lui, Shou avait prévu cela et avait déjà armé une spellcard, l'activant après avoir dépassé son adversaire d'une puissante accélération.
- Light Sign "Demon of Purification" !

Outre une pléiade de sphères rouges, ce fut une bonne dizaine de lasers ondulant dorés horizontaux qui jaillirent du néant. Et quand un laser disparaissait, il laissait derrière-lui une vingtaine de sphères bleues de la taille de Malbas, avant que d'autres lasers n'apparaissent.
Retenant un juron, le Dévoreur tenta de passer entre le rideau infernal, pendant que Mamizou s'élevait plus prudemment.
Il se débrouilla plutôt bien au début, l'expérience apportée par l'âme de Nue et Seishi y étant pour beaucoup. Véritable danseur céleste, il s'aidait également des pouvoirs de Cirno pour geler les sphères qui l'approchaient de trop près mais, malgré tout, ce n'était pas suffisant.
Une sphère rouge mordit à l'improviste l'épaule droite du tueur, le faisant ralentir. Cette rupture de rythme s'avéra vite désastreuse puisque l'adolescent dut esquiver en catastrophe un orbe bleuté mais se prit le pied droit de Mamizou qu'il l'avait rejoint.
La tanuki avait observé le manège de son ennemi et, après un signe de tête de Shou, était descendue en piqué à travers l'enfer de tirs.
Un énième laser doré récupéra Malbas au vol, manquant de lui arracher un hurlement de douleur. Et ce n'était pas tout.
- Seventh Duel "Wild Deserted Island"

La tanuki venait d'énoncer une de ses spellcards, alors que celle de Shou ne s'était pas encore terminée. Des dizaines formes ressemblant à de grossiers animaux à quatre pattes verts jaillirent de la gauche du Dévoreur, croisant les oiseaux rouges qui venaient par sa droite, occupant les espaces entre les lasers de Shou.
Ne s'étant qu'à peine reprit, Malbas eut bien du mal passer entre les attaques, trop nombreuses et trop serrées. De plus, il n'avait pas le temps de se saisir d'une de ses propres spellcards...
Forcé d'utiliser son arme, auréolée de flammes, de façon à détruire les animaux trop proches, Malbas fut cette fois bien plus statique. Il faisait presque penser à un grimpeur prit dans une avalanche, se débattant inutilement pour repousser en vain l'inéluctable.
Comme pour donner raison à cette comparaison, il se fit à nouveau toucher. Tentant le tout pour le tout, Malbas profita de la brève accalmie qui s'ensuivit pour synthétiser un épais bouclier de glace ovoïde devant lui, de sorte à bloquer les projectiles.
Dans le même temps, il arma son bras gauche et utilisa à nouveau la Combustion. Shou, dont la spellcard avait prit fin, était à nouveau la cible et évita à nouveau avec aisance par un looping gracieux.
Le bouclier de glace se couvrait de plus en plus de fissures au fur et à mesure que les attaques de Mamizou explosaient dessus et Malbas n'eut d'autres choix que de se précipiter vers le sol, quelques secondes à peine après sa piètre tentative de défense.
Il était temps de contre-attaquer, et avec la carte qu'il avait sortit d'une poche de sa veste noire, il n'allait pas faire dans la dentelle !
- Earth Sign "Tempest from Ba Sing Se"

Le Dévoreur toucha terre avec violence, accroupit. Toujours armé du trident de Nue dans la main droite, il le leva vers le ciel et effectua un mouvement descendant. Suivant ces actions, une multitude de rochers de tailles diverses et variées jaillirent du sol tout autour de l'adolescent.
C'était une véritable pluie de roche qui, au lieu de descendre, s'élevait, détruisant les projectiles de Mamizou. Shou s'était préparée à répliquer mais elle fut devancée par Byakuren. Membres entourés d'un halo magique bleuté, la moniale se jeta droit en avant.
Sidéré, Malbas la vit détruire un à un les projectiles de pierre, frappant des poings et des pieds. Chacun de ses coups causait une explosion bleutée, réduisant les rochers en confettis dans un bruit de tonnerre. C'était un véritable orage qui se déchaînait sous un ciel clair, déversant un déluge de particules pierreuses.
Mamizou passa à côté de la femme en noir, esquiva habilement un rocher et prit même appui dessus avec ses jambes pour gagner de la vitesse.
Ouvrant les bras en grand, mâchoires serrées, elle fonçait droit sur le Dévoreur, prenant soin de suivre le chemin dégagé par Byakuren.

Malbas fut contraint de mettre un terme à sa spellcard sans grande utilité, lui permettant de bondir en arrière. La tanuki s'y attendait et tourna sur elle-même, frappant son ennemi avec son impressionnante queue. Les dommages étaient minimes, mais permirent surtout à ses camarades d'enchaîner, notamment Ichirin, se trouvant plus en hauteur et étant toujours accompagnée d'Unzan sous sa forme de tête rosée.
- Iron Fist "An Unarguable Youkai Punch"

La yôkai mima un coup de poing, geste que le nyuudou accomplit également. Seulement, ce fut un poing de plus de deux mètres, rose et aussi dur que de la pierre qui s'écrasa contre le Dévoreur, soulevant au passage une petite onde de choc.
Malbas sentit ses os craquer sinistrement tandis qu'une douleur infernale émanait de tout son corps. Sa régénération accélérée se mit instantanément en marche, mais cela ne l'empêcha pas d'avoir bel et bien ressentit cette spellcard.
Et ses ennemies étaient bien décidées à ne pas lui laisser de répit !
- "Nikou Hijiri's Air Scroll"

(♪) C'était au tour de Byakuren de partir véritablement à l'assaut. Déployant son parchemin qui disparut aussitôt après, elle laissa sa magie l'entourer d'une aura bleutée. Devenue une véritable étoile filante, elle parcourut la distance qui la séparait de Malbas en effectuant des zigzags, tissant par-là même une toile de sphères bleues, nées de la queue de lumière qui suivait ses mouvements.
Le Dévoreur vit en premier lieu les projectiles énergétiques. Se plaçant de côté, il prit fermement appui sur ses jambes. Son trident disparut dans une volée de feu et il leva le bras gauche.
Un mur de pierre jaillit du sol en suivant son mouvement. Le Dévoreur pivota, leva son autre bras, créant un autre mur face à lui. Il s'accroupit ensuite, effleura le sol de ses mains puis se releva avec brusquerie tout en élevant les mains vers le ciel. Cinq pieux de pierre naquirent du sol et filèrent pour tenter d'intercepter Byakuren.
Insuffisant.
La vitesse et la trajectoire de la moniale rendirent la riposte désuète. Malbas projeta alors l'une de ses protections d'un coup de pied circulaire et grimaça lorsque son ennemie détruisit le projectile improvisé en fonçant dedans.
Se baissant, le Dévoreur canalisa son énergie, se préparant à la transmettre à la terre pour la soumettre à sa volonté…
Une sphère bleutée lui frappant le dos l'en empêcha. Ayant lancé un mur sur Byakuren, il avait crée une large ouverture ! Mais comment pouvait-il faire des erreurs pareilles ?
Le pied de la moniale percutant son sternum lui ôta la possibilité et l'envie de réfléchir plus avant.

Ballotté par la puissance du coup, l'adolescent traversa une partie du champ de bataille sans pouvoir se retenir.
Il n'y arrivait pas.
Pourquoi n'y arrivait-il pas ?
Face contre le sol, Malbas se releva, se forçant d'ignorer la douleur. Il était largement habitué aux combats de groupe, il s'en sortait même généralement mieux que lors d'affrontements individuels… Généralement. Pourtant, là, il était largement débordé.
Sans compter qu'elles étaient déterminées à en finir avec lui, quitte à avoir des ennuis plus tard à cause de ça.

Voyant Mamizou se diriger vers lui avec la ferme intention de le démolir tout en finesse, Malbas claqua ses mains l'une contre l'autre. Fléchissant les genoux tout en se baissant, il en posa une contre le sol et laissa l'alchimie faire son office.
Lumière et éclairs bleutés apparurent tandis que destruction et reconstruction de la matière se succédaient, transmutant un simple sol de terre et de roche en une multitude de pals obliques s'allongeant rapidement en direction de la tanuki. Elle était cependant bien assez agile pour éviter sans trop de difficultés, reprenant de l'altitude.
Empoignant une spellcard, Malbas décolla d'un bond.
- Doom Sign "World of Sozin" !

La carte disparut, remplacée par quelques flammes qui entourèrent le Dévoreur. Celui-ci leva les bras vers la voûte céleste, tandis que le feu remontait le long de son corps pour finalement se concentrer dans ses mains. Un orbe ignescent de deux mètres de diamètre se forma rapidement puis s'éleva dans les airs, pour finalement exploser en une nuée de petits projectiles de feu, semblables à des météores ne mesurant cependant que quelques centimètres de diamètre.
Leur taille réduite, inversement proportionnelle à leur nombre, par rapport aux rochers précédents les rendit plus compliqué à esquiver, Shou se faisant d'ailleurs toucher à l'épaule gauche. Elle éteignit rapidement l'incendie naissant avec un grognement de frustration puis contra avec une de ses propres spellcards, ignorant la brûlure causée :
- Buddhist Art "Most Valuable Vajra"

Tendant ses bras en croix, la yôkai créa deux rayons d'énergie verte de trois mètres devant elle, rappelant d'imposantes lames. Les deux traits se mirent alors à tourner sur eux-mêmes, à un rythme assez lent tout en avançant sur Malbas. Quatre autres les rejoignirent rapidement. Leur taille et leur rotation leurs permirent de supprimer une partie des tirs de Malbas, qui ne put que constater son échec et esquiver dans le même temps cette nouvelle contre-attaque.
Il ne vit pas Mamizou, mains jointes et bras armés, le rejoindre à toute vitesse pour finalement le frapper de toutes ses forces au niveau de la nuque.
Trop occupé par la spellcard de Shou, l'adolescent ne put cette fois rien pour se défendre. L'impact ne manqua pas de panache et il fut difficile de dire si ses cervicales craquèrent oui ou non.
Dans le doute, la tanuki récupéra le Dévoreur qui commençait à chuter, lui envoya son genou dans le ventre, le contourna et shoota littéralement dedans, le faisant se fracasser contre le sol.

- Ça a l'air de bien se passer, commenta Nazrin depuis le Palanquin.
La yôkai souris suivait chaque détail du combat, aidée par une paire de jumelles grises. Bien que s'étant abstenue de commenter, elle jubilait en voyant que sa stratégie payait. Et en plus, elle n'avait pas besoin de risquer sa peau !
Murasa faisait les cent pas sous le regard inquiet de Kyouko. Cette dernière était largement déboussolée par toute cette aventure et ne savait pas vraiment où se mettre.
- J'aurai voulu m'en occuper moi-même, bougonna le capitaine.
La queue de Nazrin s'agita, précédent sa réponse :
- Je n'avais pas prévu que Miss Hijiri te demanderai de rester avec nous mais c'est pas si mal. Et puis, j'avais raison, avec une stratégie et un travail d'équipe, il n'a pas la moindre chance ! C'est mieux que d'y aller en hurlant avec ton ancre, non ?
Murasa fit la moue mais ne répondit rien, même si l'idée de frapper la souris avec l'ancre en question était plus que tentante…
Elle ne vit pas le corbeau aux mouvements rigides qui se posa sur le mât, croassant sinistrement…

(♪) Etendu sur le sol, son trident disparu, et visiblement mal en point, Malbas affichait une expression douloureuse malgré la disparition de ses blessures. Ses yeux étaient mi-clôt, son corps tremblait sous l'effet de sa faim. Ses forces le fuyaient peu à peu dans ce combat qu'il ne pouvait pas gagner. Ses adversaires étaient trop bien préparées, trop nombreuses, trop puissantes et surtout, trop acharnées.
Sa forme de Dévoreur, à la puissance si effrayante, aurait pu lui être utile tant elle décuplait ses capacités et comblait ses faiblesses… Mais il ne savait pas comment la prendre. Et plus que ne pas pouvoir l'utiliser, il ne voulait pas l'utiliser.
Plus jamais.
Quitte à mourir ici et maintenant.
C'était ironique au fond. Lui qui avait tué tant de gens allait à son tour faire les frais de sa nature… Finalement, c'était peut-être le juste retour des choses, non ? On disait que les yôkai mangeaient les humains et que les humains exterminaient les yôkais. Les Dévoreurs n'avaient-ils pas une place similaire ?
Oui, peut-être que l'ordre naturel des choses était là. Après avoir tué, il devait mourir à son tour…
- Et si tu arrêtais de pleurnicher pour te concentrer un peu ?
Cette voix…
Les yeux de Malbas s'ouvrirent un peu plus. Sa faim était devenue si forte qu'en plus de l'affaiblir, elle lui faisait avoir des hallucinations. Comment expliquer sinon que Nue se tenait debout à sa droite ?
La fille en noir tenait son trident dans sa main droite, bras entouré de son serpent. Bien que semi-transparente, elle se pencha sur le Dévoreur, de sorte à le regarder dans les yeux tout en le dominant.
- C'est toi qui m'as tuée, non ? Alors montre ce que t'as dans le ventre !
Un sourire résigné étira les lèvres du tueur en question.
- Pourquoi faire, Nue ? Je ne peux pas gagner…
- Je ne te demande pas de gagner, Malbas.
La défunte tendit une main à l'adolescent et le tira, l'aidant à se relever sans lui laisser réellement le choix. Cela n'empêcha pas Malbas de tituber une fois en position verticale, jusqu'à ce que Nue le soutienne.
Elle semblait si réelle… Il pouvait presque sentir sa peau désormais froide.
- T'as pas le droit de mourir. Pas avant d'avoir atteint ton objectif, peu importe les moyens.
Le regard de la fille en noir avait capté celui de son meurtrier, lui transmettant toute la force de cette seule affirmation. Elle avait parlé avec force et sérieux, contrairement à l'accoutumée, preuve que l'heure des blagues était passée. Le sujet n'avait plus rien d'amusant, au contraire.
Malbas serra les poings, son corps cessant peu à peu de trembler.
Elle avait raison. Si un jour, il devait mourir, que ce soit une fois son objectif atteint. Il était trop tôt, ou trop tard, pour abandonner et mourir. Lui, Malbas Elric, avait une raison de se battre !
Un sourire carnassier étira les lèvres de Nue.
- C'est ce que je voulais voir. Je compte sur toi !
- Je ne peux pas faire de miracles… Mais j'irai à l'encontre de l'Univers s'il le faut. Pour réparer ce que ma nature m'oblige à faire… Même si je dois le faire seul.
- Qui a dit que tu étais seul ?
Les yeux de Malbas s'écarquillèrent alors que Nue lui donnait une carte avant de se poster devant lui, faisant tourbillonner son trident, souriant de toutes ses dents.
- Tu ne croyais quand même pas que j'allais me contenter de regarder ? J'ai autant à gagner que toi là-dedans ! Ça ne durera pas longtemps, mais cette fois, on combat ENSEMBLE !
Malbas ne put contenir sa surprise mais, au final, acquiesça avec un sourire.
- Merci, Nue…

Le Dévoreur prit appui sur ses jambes et, d'une puissante détente, fusa dans les airs. Il ne s'était écoulé que trente secondes pour ses adversaires, pour le moins surprises. Byakuren semblait en revanche s'y être attendue et brandit une spellcard.
- Great Magic "Devil's Recitation" !

Quatre symboles jaunes en forme de fleurs d'un mètre de diamètre encadrèrent la moniale. Elle tenait à nouveau son parchemin à moitié ouvert. De l'objet naquit une multitude de sphères rouges, mesurant soit trois bons mètres de diamètre soit quelques dizaines de centimètres. Des lignes de projectiles plus petits et violets agrémentaient le tout, ainsi que les quatre épais lasers rouges, projetés par les fleurs.
Personne n'avait remarqué la carte de tarot au dos sombre que Malbas tenait entre son index et majeur droit, carte qu'il activa sans tarder.
Carte qu'il n'avait jamais crée. L'Arcane numéro 1 : Le Magicien.
- Magician Arcana "Starvation Rebirth"!

(♪) Une chape de ténèbres entoura le Dévoreur alors qu'il tournait sur lui-même horizontalement pour passer au-dessus d'une imposante sphère rouge. Une détonation emplit l'air et Malbas ne fut plus seul.
Une forme spectrale, aussi sombre que la nuit et plus mystérieuse que le plus inconnu des vides spatiaux, virevoltait à ses côtés, passant au travers des attaques de Byakuren en sa compagnie.
Une forme à l'allure humanoïde, tenant un trident de noirceur et aux six ailes asymétriques.
- Yahahaaaaaaaaaaaaaaaah ! PREPAREZ LES CANONS, ÇA VA SWINGER !
La réplique, prononcée d'une voix forte et amusée, figea les habitantes du Temple Myouren sur place. Elles s'étaient crispées en voyant la forme apparaître, refusant d'y croire.
Mais…
- NUE ?! s'exclama Mamizou.

Le déluge de tirs de la spellcard de Byakuren continuait de se déverser sur les deux camarades. Nue ouvrait la voie au Dévoreur, ayant fait apparaître cinq soucoupes volantes bleues autour d'elle. Elle envoyait régulièrement un de ces objets contre un orbe d'énergie rouge trop dangereux, faisant éclater les deux objets.
- Glacial Dream "Frozen Soul"

Ouvrant ses bras en grand, Malbas laissa une bouche circulaire aux petites dents effilées s'ouvrir sur ses paumes. Plusieurs flux azurés transparents convergèrent de partout à la fois vers ces trous effrayants, représentant en fait la chaleur que le Dévoreur absorbait.
Il gela ainsi un grand nombre de projectiles ennemis, ce qui permit à Nue de les détruire d'un coup de trident bien placé sans ralentir sa course. Shou tenta de s'interposer, bien que troublée par le retour de celle qui était censée être morte.
Lance et trident se bloquèrent à nouveau avec fracas. Nue regarda Shou d'un air espiègle et poussa brusquement, la faisant légèrement reculer. Un laser de Byakuren frôla la yôkai tigre qui reconnut bien là le style de son amie.
Amie qui, déçue de son petit échec passager, frappa du pied droit une Shou déconfite. Le membre la cueillit au ventre, la faisant à nouveau reculer… Juste assez pour qu'elle soit dans l'axe de Malbas, armé d'une lance de glace qu'il envoya sur la tigresse.

Le Dévoreur n'eut pas le temps de voir si son attaque porta car Byakuren continuait de le bombarder.
- Sa spellcard sera terminée dans très peu de temps, et la nôtre aussi. Autant finir en beauté ! s'exclama Nue.
Malbas opina, sachant par instinct que le temps qui leur restait se comptait en secondes. Il reprit alors sa course folle, accompagné de la fille en noir. Les deux prirent une trajectoire biscornue mais conjointe entre les différents projectiles, gagnèrent un peu d'altitude puis, subitement se rejoignirent. A cet instant, la spellcard de Byakuren prit fin.
Et avec une synchronisation parfaite, deux voix, une féminine et une masculine, s'élevèrent :
- Unidentified "Remorse of the Six-Winged Devil"

Nue se tenait en lieu et place de Malbas. Identique à ce qu'elle était de son vivant, elle braqua son trident sur Byakuren. Les six ailes asymétriques de la fille s'illuminèrent, laissant s'échapper un rayon pour chacune d'entre elles, rayon de la même couleur que sa source. Les rais de lumière bleue et rouge convergèrent vers le trident, tournèrent autour de plus en plus vite alors que de fins volutes de brume obscure s'échappaient de l'extrémité de l'arme. Par la suite, un rayon de ténèbres, à l'aspect vaporeux, entouré de bleu et de rouge s'échappa du trident, traversant le ciel en direction de Byakuren.
La moniale, figée par la stupeur et la fatigue naissante, fut cette fois prise au dépourvu par la vitesse de l'action.

Une retentissante explosion se produisit, entraînant grimaces et inquiétudes.
On put alors voir Byakuren chuter. Malgré ses vêtements déchirés et diverses brûlures, elle était surtout plus épuisée que sérieusement blessée.
Enfin, cela ne durerait pas si elle ne se reprenait pas.
Fort heureusement, Shou veillait au grain et récupéra sa supérieure, l'aidant à rejoindre le sol en toute sécurité et restant près d'elle au cas où.

Dans les hauteurs, Nue avait disparue, laissant place à Malbas. Il haletait, le front emperlé de sueur. Jamais il n'aurait imaginé faire cela, ni même que cela était possible. Mais, du coup, ses théories n'étaient pas fausses…
La sensation d'un déplacement rapide dans sa direction réveilla le Dévoreur qui se jeta en arrière, esquivant du même coup un assaut de Mamizou. Dans son esprit, Malbas pesta.
Il avait peut-être réussi, avec l'aide de Nue, à avoir Byakuren, mais il restait toutes les autres… Et il ne pouvait plus espérer un autre miracle divin ! Ce n'était d'ailleurs pas le moment de se demander d'où venait cette spellcard, mais plutôt d'établir un plan quelconque pour s'échapper. Et cette faim qui était de retour au galop…
Mû par une intuition soudain, Malbas leva les yeux vers le Palanquin, toujours dans les airs et pas particulièrement proche. Il ne pouvait pas l'atteindre par téléportation, n'ayant jamais vu le pont, mais… Oui, ça pouvait le faire.
Mais il lui fallait une diversion.

Le Dévoreur conjura un mur de glace pour arrêter une charge de Mamizou, repéra Ichirin et Unzan se mouvant dans sa direction… Et sourit.
Enfin, il avait un plan.
Malbas commença par s'éloigner de la tanuki, laquelle venait de détruire sa protection. Usant de ses pouvoirs de glace, il créa plusieurs pointes de cinq centimètres qui filèrent sur la femme, forcée de se déporter sur la gauche.
- Thunderous Yell "A Scolding From a Traditional Old Man"

A ces mots, Unzan grandit tout en se dédoublant. Arborant le même air aimable que depuis le début de la bataille, les deux visages roses entourèrent le Dévoreur, rapidement mitraillé de coups de poings accompagnés de lasers.
Malheureusement pour Ichirin et son ami, c'était exactement ce que l'alchimiste espérait.
- Alchemy Sign "Salamander Ignition"

(♪) Malbas passait entre deux mains fermées à l'aspect nuageux tout en remontant lorsqu'il énonça cette spellcard. Plusieurs éclairs bleus crépitèrent autour d'Unzan, et donc d'Ichirin qui se trouvait toujours non loin. La yôkai sembla désorientée quelques instants. Quelque-chose avait changé, mais quoi ?
Elle remarqua alors que Malbas s'était téléporté plus haut, de sorte à dépasser ses adversaires de dix mètres. Il arma son bras gauche et utilisa sa Combustion.
Le rayon transparent fila dans un craquement. Ichirin l'esquiva avec aisance et Unzan n'eut même pas à bouger pour faire de même, étant de toute façon insensible à cela. Le trait translucide se comprima et explosa. Seulement, ce ne fut pas une petite explosion comme à l'accoutumée mais une véritable déflagration qui éclata, une véritable bombe en plein air. La portée des flammes et de la fumée qui s'ensuivit fut telle que tous furent aveuglés pendant de précieuses secondes.
Largement assez pour que Malbas file en direction du Palanquin.

Il était assez fier de lui. En utilisant son "Salamander Ignition", il avait désassemblé l'air ambiant pour isoler voir convertir du dihydrogène et dioxygène tout autour de lui. Ces deux éléments chimiques, sous cette forme, étaient hautement inflammables. Ainsi, il avait crée une véritable bombe à retardement. Toutefois, étant en plein air, il avait dû agir à une vitesse extrême pour éviter la dissipation du mélange gazeux ainsi crée ou son altération par les autres éléments environnants. Nul doute que sans sa téléportation, dont les flammes n'étaient qu'esthétiques comme les éclairs de Réo, il n'aurait jamais pu agir à temps.
S'agissant d'une spellcard quoi qu'il en soit, il était parfaitement conscient que les dégâts causés n'étaient pas trop importants. La chose nuageuse, Unzan d'après Nue, ne pouvait sans doute pas être tuée de toute façon.

Se forçant à ignorer sa faim, Malbas continua de s'élever, bientôt à la hauteur du Palanquin. Sa diversion avait fait assez de remue-ménage pour lui donner une sérieuse avance, mais il devrait faire mieux, ou pire, afin d'avoir l'opportunité de s'échapper.
Le Dévoreur atteignait la coque lorsqu'il ressentit un mouvement rapide derrière lui.
A peine s'était-il retourné qu'une ancre le frappait de plein fouet dans le ventre, l'envoyant contre le bois du Palanquin.
Il n'eut pas le temps de réagir qu'un deuxième coup le plaquait de tout son long contre la paroi, faisant craquer ses os.
- Ordure !
Reconnaissant là le style délicat de Murasa, Malbas posa sa main droite contre la coque, se sachant incapable de claquer des mains à temps. Ainsi, ce furent des éclairs rouges qui crépitèrent avant qu'une explosion ne prive le bateau d'une petite partie de son armature, juste assez pour que le Dévoreur s'engouffre à l'intérieur.

Ayant de toute évidence atteint un couloir, Malbas avança de plusieurs mètres. Blanc et brun étaient les couleurs dominantes ici et les salles devaient être assez grandes au vu du peu de portes existantes.
Etrangement, Malbas ne sentait plus Murasa, ce qui n'était pas pour le rassuré. Ainsi, lorsqu'un crissement retentit plus haut, il tira son projectile favori via la Combustion, ôtant un peu de plafond.
- ARRÊTE DE CREUSER DES TROUS DANS MON BÂTEAU !!!

Le hurlement rageur du capitaine fut suivit par le sifflement de l'ancre traversant l'air. Le peu de lumière des lieux n'aida pas vraiment Malbas à percevoir le projectile, expliquant aisément l'impact douloureux qui s'ensuivit. L'adolescent traversa le couloir, puis un mur, atterrissant dans ce qui devait servir un débarras.
Cela lui rappelait de mauvais souvenirs dans un certain manoir…
- Drowning Sign "Sinkable Vortex"

Un grondement de mauvais augure s'éleva de l'extérieur de la pièce. Malbas n'eut pas le temps de réagir que de l'eau commença à s'infiltrer un peu partout, sans toutefois aller à une vitesse folle.
Plusieurs petites sphères bleues accompagnaient l'eau, tentant de toucher le Dévoreur qui dut rapidement gérer un troisième problème : une fantôme enragée armée d'une ancre qui lui fonçait dessus avec le désir plus ou moins caché de lui briser les os un à un.
Aidé par la lueur des sphères, Malbas parvint de justesse à esquiver le premier revers qui lui était destiné. Décidant de voler pour ne pas être ralentit par l'eau, qui continuait de s'écouler et ce de plus en plus rapidement, le Dévoreur s'approcha d'un mur et joignit ses deux mains.
Il les posa ensuite sur la paroi et transmuta…
Un nouvel écoulement d'eau le coupa dans son effort, coupant du même coup sa respiration. Il sentit alors qu'on l'attrapait par le cou puis, d'un tour de reins, le plongeait sous l'eau.
Murasa allait tenter de le noyer !

Tâchant de garder son calme avec un succès proche du néant cosmique et oubliant visiblement que les spellcards ne pouvaient pas tuer, Malbas se débattit. Seulement Murasa était déterminée et n'avait aucun besoin de respirer sous l'eau, qui avait recouvert la moitié de la salle.
Si elle ne pouvait pas le tuer, elle pouvait l'affaiblir suffisamment pour pouvoir en finir plus tard.
Poussé à utiliser son joker malgré le coût en énergie qu'il impliquait, l'alchimiste utilisa la version "trafiquée" de son art pour transmuter un poing de pierre à partir du bois du sol dans un concert d'arcs de lumière cramoisis.
La création percuta Murasa, mettant fin à sa spellcard tout en libérant l'adolescent de son emprise tant physique qu'aquatique, l'eau disparaissant par la suite.
En manque d'air malgré tout, Malbas tâcha de remplir ses poumons. Il se relevait à peine que l'ancre du fantôme exécutait un nouvel arc de cercle pour finir sa course dans les côtes du Dévoreur.
Nul besoin de le préciser mais la douleur fut au rendez-vous. De plus, Malbas n'était pas naïf : son stock d'âmes avait déjà prit un sacré coup et son corps même s'épuisait. Sa faim en rajoutait une couche, comme si cela ne suffisait pas.
Oui, il allait bientôt atteindre sa limite, ce qui serait arrivé bien plus tôt sans l'intervention de Nue.

Cependant, le Dévoreur ne s'avoua pas encore vaincu et se jeta en arrière pour éviter un autre assaut de Murasa et de son arme. Le trident de Nue serait inutile dans cette situation et la maîtrise des éléments ainsi que l'alchimie n'aidaient pas non plus dans cet environnement fait de bois.
- Crimson Sign "Red Ice" !

S'éloignant d'un bond arrière de Murasa, Malbas passa par l'ouverture du mur précédemment crée tout en lançant une vingtaine de pointes de glace longues de cinq à neuf centimètres. Se servant de son arme favorite, le capitaine dévia les attaques l'approchant qui se plantèrent dans le bois.
Seulement, la glace se teinta subitement de rouge avant d'exploser dans un éclat de la même couleur. Ce faisant, de nouveaux trous apparurent dans la coque.
Malbas récupérait légèrement tout en scrutant la fumée de la salle. La voix qui s'éleva lui apprit que le combat n'était pas encore terminé :
- Capsize "Dragging Anchor"

Et ainsi, l'ancre, entourée d'un halo bleu, vola droit vers Malbas, le percutant dans un craquement peu agréable à entendre. Propulsé par une force surnaturelle, le projectile continua sa course, plaquant Malbas contre le sol d'une autre salle, une fois le mur brisé.
En volant et n'étant que légèrement blessée au bras droit, Murasa rejoignit son ennemi toujours bloqué contre le sol sous le poids de l'objet de métal.
Mais comment faisait-elle donc pour manier un truc pareil ?
Quel que soit son secret, le capitaine attrapa son arme favorite, la leva bien haut et frappa de toutes ses forces.

(♪) Le plancher craqua et les deux adversaires se retrouvèrent rapidement en chute libre, ayant percé un nouveau trou dans la coque du Palanquin.
De nouveau à l'air libre, Malbas voulut s'éloigner mais Murasa ne l'entendit pas de cette oreille.
- Spectral Terror "Flying Dutchman" !

Une série de détonations apprit au Dévoreur que le nom de la spellcard risquait de ne pas être usurpé. Ce fut donc avec angoisse qu'il vit un nuage de boulets de canon énergétiques et fantomatiques fondre dans sa direction.
N'ayant plus grand-chose à utiliser pour se défendre, Malbas essaya d'intercepter les projectiles par des cubes de glace. Il sursauta presque lorsqu'il vit que les boulets traversaient ses attaques comme si elles n'existaient pas.
Convaincu qu'il s'agissait du moment idéal pour fuir, le Dévoreur fit volte-face dans l'optique de s'éloigner de l'attaque. Il se voyait mal se frayer un chemin entre tout ceci. Manque de chance, Murasa avait été plus rapide et le frappa de son ancre.
Par un joli réflexe, Malbas parvint à ne pas se faire broyer un os ou deux, mais il ne put rien pour le boulet qui percuta son épaule droite.

Lâchant un hoquet de douleur et de surprise, le Dévoreur se pencha vers l'avant, vulnérable. L'occasion était trop belle pour Murasa, dont l'assaut suivant brilla par sa violence.
Le combat s'était tellement déporté dans le ciel que Malbas chuta en direction des berges du Lac Brumeux. Véritablement à bout de forces, il tenta néanmoins de se redresser. Avec l'énergie du désespoir, il créa deux jets de flammes en direction de Murasa, sans succès.
- C'est terminé, Elric ! hurla-t-elle.
Elle sortit une nouvelle carte.
- Ocean End "Devil's Triangle" !
Trois points brillants d'une lueur bleu-nuit espacés d'une vingtaine de mètres se formèrent sous Malbas. Il ne fut qu'à moitié surpris lorsqu'un siphon s'y forma, malgré qu'il soit situé dans les airs. La même forme apparut alors au-dessus de Murasa mais l'intérieur du triangle était pareil à un mur.
Une prison.
Une prison dont la fin était un passage dans un tourbillon qui réduirait son corps en charpie. Voilà ce qu'était cette spellcard.

Réunissant ses dernières forces, Malbas fit à nouveau appel au trident de Nue. Usant de sa maîtrise du feu, il envoya d'un geste un arc de cercle ignescent dans sa direction, mais ce fut insuffisant pour percer sa défense d'acier. Mâchoires crispées, le fantôme descendait vers Malbas, lequel remontait pour l'ultime confrontation.
Elle tint ses promesses.
Le Dévoreur se téléporta dès qu'il fut à portée d'ancre, réapparaissant derrière Murasa. Celle-ci savait d'ores et déjà que son adversaire allait agir ainsi, pivota sur elle-même et frappa. Ancre et trident autrefois alliés se percutèrent, obligeant Malbas à reculer sous le poids de l'arme de Murasa.
Celle-ci insista et attaqua à nouveau. Les deux ennemis étaient toujours en chute libre, attirés irrésistiblement par le Triangle des Bermudes conjuré par le capitaine. Le bruit du siphon était couvert par le tintement de l'acier s'entrechoquant sans relâche, presque avec frénésie.
Un coup de pied de Murasa éloigna Malbas de quelques mètres. Un réflexe éclair obligea ce dernier à se déporter vers la gauche pour éviter un assaut descendant, puis il pivota et frappa avec sa propre arme. Le fantôme se recula, pivota et frappa de nouveau, rencontrant le manche du trident comme obstacle. Laissant son arme glisser contre celle de son ennemie, Malbas leva le manche pour toucher le menton de Murasa. Joli coup mais il avait sous-estimé sa réactivité, aussi se précipita-t-elle pour lui rappeler en le touchant aisément avec son imposante arme.
Reculant dans un grognement de souffrance, Malbas tourna également sur lui-même pour ne pas laisser trop d'occasions au capitaine, puis frappa en ligne droite. Survoltée, Murasa dévia l'arme du pied, brandit son ancre bien haut et l'abattit avec une violence inouïe.
Recevant le coup au niveau de l'épaule gauche, Malbas chuta. Il n'eut pas le temps de tenter de se redresser que déjà, la cacophonie du siphon couvrait ses perceptions.
Puis ce fut la douleur.
Ballotté dans tous les sens, ses os broyés sous la pression que l'eau exerçait tout en le noyant à moitié, Malbas crut bien sa fin arriver. Force fut de constater que non puisque le Triangle recracha son corps démantibulé qui s'écrasa sur le sol et ne bougea plus.

(♪) Murasa atterrit peu après, alors que sa spellcard disparaissait. Elle était épuisée. Ce combat avait été éprouvant, mais il l'avait été encore plus pour son ennemi vaincu. Sa maudite régénération s'était mise en marche, mais il était hors combat, incapable de faire autre-chose que respirer faiblement, allongé sur le dos.
En marchant, le fantôme rejoignit son adversaire.

Entendant des bruits de pas, Malbas rouvrit faiblement les yeux. Il se sentait à l'agonie. Ses muscles ne répondaient plus, son corps tout entier lui semblait être une seule et unique blessure pulsant au rythme de son cœur. Et il avait si faim…
Il ne put retenir une exclamation de douleur lorsque Murasa posa son pied droit sur son torse.
- Voilà, Malbas Elric. Ton carnage s'arrête ici, annonça-t-elle.
La fureur qui émanait de sa voix était largement visible, si forte que le Dévoreur en frissonna. Il se savait à sa merci et ne pouvait rien pour se défendre. Même une simple téléportation était inenvisageable. Il se sentait vide, mais les âmes étaient toujours là, en partie.
Chacune de ses respirations était douloureuse, mais il savait que la douleur qu'éprouvait Murasa était bien pire. Une douleur non pas physique mais morale, que rien ne pouvait faire taire.
Sauf peut-être…

- Je vais te tuer, Malbas. Même si je dois m'acharner sur toi jusqu'à en devenir folle, même si Reimu doit me sceller pour l'éternité après ça. Je vais te tuer parce que tu as fait de même à une personne que je considérais presque comme une sœur…
Murasa avait tenté de faire disparaître l'émotion de sa voix, mais sa fébrilité trahissait sa tristesse, de même que ses yeux humides.
- Murasa… Je… Je suis désolé…
- J'ESPERE BIEN !
Le hurlement du fantôme précéda de quelques millisecondes le bruit mât d'une ancre frappant le sol à cinq centimètres de la tête de Malbas.
- Désolé ? Tu te fiches de moi ?!
Malbas serra les mâchoires. Il aurait voulut se justifier, dire qu'il ne pouvait résister à sa faim, dire qu'il n'avait jamais voulu être ainsi, dire qu'il ne cherchait qu'à se racheter et se libérer de sa faim qui le tourmentait sans cesse et à ce moment précis.
Il n'en trouva pas le courage.
Il n'avait rien à opposer, rien à ajouter à la souffrance de Murasa. Seulement une théorie, une hypothèse, un espoir fou auquel il se raccrochait depuis quelques temps, mais qui avait été presque validé plus tôt.
- Murasa… Elle… Elle n'est pas encore… Totalement morte…
- Ne vas pas me raconter n'importe quoi ! J'ai vu que tu as fais tout à l'heure ! Ce genre de tours de passe-passe doit bien être de ton acabit ! s'écria-t-elle.
- Non ! Nue est vivante… En moi… Je ne mens pas, Murasa…
Le visage du capitaine se tordit dans un rictus indéfinissable, sauf par les deux perles qui coulèrent de ses yeux, alors qu'elle baissait la tête.
Malbas la regarda, tentant d'ignorer l'appel irrésistible de sa faim. Il allait craquer mais ne devait pas le faire. Non. Il ne l'attaquerait plus.
- Ramène-la…
La voix de Murasa avait été un murmure, quasi inaudible. Elle releva le menton, plongeant ses yeux dans ceux du Dévoreur.
- Alors, ramène-la ! ordonna-t-elle dans un cri.
- Je… Je ne peux pas !
- MENTEUR !
Le poing droit du fantôme rencontra la joue gauche de Malbas. Puis ce fut le poing gauche à la joue droite.
- Menteur ! Menteur ! Si elle vivait, tu pourrais la ramener ! Ramène-la ! Ramène-la !
Chaque exclamation était ponctuée d'un coup, accompagné de larmes. Incapable de se défendre, Malbas ne put que subir, repoussant encore et toujours l'appel…
Les yeux du Dévoreur s'écarquillèrent lorsque Murasa le força à se mettre assit puis attrapa son poignet. Elle était en larmes.
- Si je te brise les os…
- Non…
Une lueur de panique s'alluma dans les yeux de Malbas.
- Alors…
- Ne fais pas ça !
La main de Murasa se referma sur celle du Dévoreur.
- MURASA, NON !
Dont la bouche circulaire s'ouvrit instantanément. Tout sembla alors se dérouler au ralentit. Le regard de Murasa se teinta d'incompréhension alors qu'elle se sentait comme aspirée par un trou noir. Elle perdait de sa propre substance à une vitesse démentielle, alors que son corps s'asséchait tout en se parant de brun.
- Non, non, non, MURASA !

Malgré ses efforts, pendant les quarante secondes que dura l'absorption, Malbas fut incapable de retirer sa main. Lorsque tout fut terminé, il rattrapa le corps sans vie de son ancienne adversaire, s'étant promptement mit debout. Le souffle rauque, il n'osait même pas baisser la tête, sauf pour regarder sa propre main gauche, dont la bouche circulaire parut lui sourire et ricaner en disparaissant.
Le Dévoreur se mordit la lèvre inférieure, sentant à son tour des gouttes perler de ses yeux.
- Murasa…
Sa voix chevrotante se brisa à la fin de ce prénom, alors qu'il serrait le cadavre desséché contre lui tout en l'accompagnant dans sa chute.
- Pardon, Murasa… Je suis… Désolé… Tellement… Pardon…
Se retrouvant assit, le cadavre sur ses genoux, ce furent les seules paroles qu'un Dévoreur en larmes parvint à articuler.
Et sans manifester la moindre émotion, un corbeau aux gestes rigides s'envola d'un arbre voisin en croassant.

Bien loin de là, assise près d'une rivière, une Lavandière posait les vêtements blancs qu'elle lavait dans un panier d'osier, lequel disparut, remplacé par un autre. En chantonnant, elle prit les vêtements noirs qui les remplacèrent et entama une nouvelle chansonnette, jetant un regard courroucé au corbeau posé à sa droite ayant eut le toupet de l'interrompre…
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Chapitre 26 : Reines Souterraines


"Outre le fait que rien n'y est impossible, l'autre chose que j'affectionne particulièrement à Gensokyo est sa capacité à nous surprendre sans-cesse, quel que soit notre âge."
Yukari Yakumo


(♪) Debout au milieu de la rue, Réo recula de quelques pas tout en se protégeant la tête avec les bras sous l'effet d'un formidable déplacement d'air. Plusieurs copeaux de bois accompagnèrent les vents, se plantant dans la chair du polymorphe. Lorsque celui-ci put à nouveau regarder ce qui l'entourait, au détour du brouillard poussiéreux qui s'était levé… Il ne put retenir un haut-le-cœur, ignorant autant que possible la douleur émanant de ses multiples blessures.
Les maisons du Village Humain n'étaient plus que des ruines, d'improbables assemblages de bois dont chaque pièce semblait avoir éclaté. Une odeur âcre proprement insupportable s'échappait des débris recouverts de poussière, de cendres, de sang et de chair.
Car les restes du village côtoyaient allègrement ceux de ses habitants. Dispersés, tranchés, arrachés, démembrés, les corps ne s'amoncelaient non pas en montagne morbide mais en tapis macabre écarlate. Aucun corps n'avait réussi à conserver plus de la moitié de son intégrité, et ce seuil n'était qu'un maximum très rarement atteint. Ici une tête dépassait de ce qui avait dû être un lit, là on pouvait distinguer un pied gisant près d'un œil. Une main, dont os et tendons étaient visibles, avait atterri sur une figure énuclée qui aurait hurlé si sa langue n'était pas arrachée et les côtes, du corps sans membres qui y était rattaché, disloquées.
Portant la main à sa bouche, simplement horrifié, Réo recula de quelques pas, écrasant dans un craquement ce qui, auparavant, était une jambe désormais à moitié décomposée.
Le polymorphe s'était mis à trembler. La poussière se tassait progressivement, dévoilant toujours un peu plus l'étendue du carnage. Le métamorphe se crispa lorsqu'un cri s'éleva au loin. Il ne savait où aller, il ne savait que faire…
Il avait peur.
Une terreur indicible, pernicieuse, avait commencé à le gagner, gelant son sang dans ses veines et paralysant peu à peu ses muscles et son esprit.
Aussi recula-t-il lorsqu'il discerna une forme humanoïde avançant vers lui.
Tous ces morts… Un tel massacre… Seul Lui pouvait en être capable.
Le polymorphe sentit ses tremblements redoubler d'ardeur. Il aurait voulu fuir, se terrer en boule dans un coin et disparaître aussi sec.
Pourtant il restait là, à regarder approcher l'objet de ses peurs les plus profondes.

A savoir un homme, tout entier revêtu d'une armure grise et noire, entouré d'une cape rouge déchirée, et dont seule la bouche était visible entre les quatre ceintures de cuir reliant les deux moitiés de son casque.
Ses pas étaient lourds et les maillons des chaînes brisées pendant des cylindres gris passés sur ses poignets et mollets laissaient s'échapper de légers tintements. La visière de son casque était parfaitement lisse, sans ouvertures et seul du sang chaud l'ornait, s'étendant à toute l'armure. L'absence de trous n'empêchait guère le tueur de voir et donc de repérer Réo. Ce dernier recula encore alors que son regard était irrésistiblement attiré par la tête suspendue par les cheveux au poing droit fermé de l'homme.
Des cheveux roux, plutôt longs, encadrés par une corne décorée d'un ruban bleu et une autre brisée.
Une épouvantable nausée remua les entrailles de Réo alors que son cœur menaçait de s'arrêter brièvement.
Ce n'était pas possible…
C'était un cauchemar. Oui, il allait se réveiller d'une seconde à l'autre. Suika serait là, souriante, elle lui ordonnerait de venir se saouler avec elle, peut-être même lui ferait-elle visiter le Monde Souterrain…

Un cri de guerre s'élevant dans les airs capta l'attention de Réo mais surtout, fit se dessiner un rictus malsain sur les lèvres de l'Homme en Rouge, lequel se retourna tout en s'élevant dans les airs. Une silhouette vêtue de blanc, aux manches amples et détachées tenant un sabre imposant et un bouclier décoré d'une feuille d'érable rouge filait sur le héraut des massacres.
Momiji était rapide et une fureur sans nom déformait ses traits. Elle armait son bras droit tenant sa lame alors que l'Homme en Rouge levait son bras gauche. Des filaments de sang s'arrachèrent à la gravité pour tournoyer autour de la main ouverte du cauchemar sanglant dont le sourire sembla grandir encore.
Puis il abaissa brusquement le bras.
Les filets de liquide rouge frappèrent le sol et levèrent une véritable tornade de quatre mètres de diamètre juste sur la trajectoire de la tengu. Elle arrivait bien trop vite et fut touchée par les vents. Ceux-ci n'avaient rien de naturel et n'emportèrent pas Momiji mais déchiquetèrent sa chair comme autant de lames acérées et provoquèrent l'éclosion funeste d'une fleur rouge en plein ciel.
(♪) Le hurlement de Réo se perdit dans le néant alors qu'il tombait à genoux, comme si son esprit avait été également pris dans la tornade.
Il ne pouvait plus bouger, plus penser, seulement regarder, impuissant, la scène d'horreur absolue qui se déroulait dans les airs à une trentaine de mètres de lui.
D'insupportables bruits mous s'élevèrent alors qu'une autre attaquante se faisait tailler en pièces, littéralement, par une multitude de fouets de sang venant du corps de l'Homme en Rouge.
Les morceaux sanguinolents retombèrent en une pluie macabre et seul un fragment d'aile draconique bleue permettait de se faire une idée sur l'identité cette nouvelle victime.
Plusieurs détonations retentirent subitement. Une nuée de flèches d'énergie vertes filait en tourbillonnant sur l'Homme en Rouge, statique dans les airs après son dernier exploit. Lâchant la tête qu'il tenait, laquelle tomba près de quelques morceaux difficilement identifiables, le cauchemar sanglant écarta les bras en grand.
Les multiples projectiles tirés par la nouvelle assaillante explosèrent en touchant leur cible, mais ce n'était pas suffisant, loin de là.
L'attaquante n'était autre qu'une certaine magicienne ordinaire, chevauchant son balai et tournant autour de son adversaire. Ce dernier s'entoura alors de plusieurs ceintures de sang qui se compactèrent en une multitude de balles rouges. Les projectiles filèrent ensuite en plusieurs détonations vers Marisa.
La sorcière manœuvra son balai de manière à passer sous les attaques et se rapprocha de l'Homme en Rouge qui avait entouré ses doigts de sang qui se solidifia pour former des griffes. Le tueur fusa ensuite droit vers Marisa et parvint à la blesser légèrement au bras gauche puisqu'elle se déporta sur sa droite au dernier moment.
La magicienne continua sa course, peu affectée par les cinq petites entailles sur son bras…
L'Homme en Rouge sourit tandis que Réo entendait une voix éthérée, indéfinissable, murmurer avec sadisme et délectation :
- La sorcière fut conduite au bûcher~
Un craquement retentit et le corps de Marisa s'enflamma de l'intérieur. Elle n'eut pas le temps de crier ou même de souffrir que déjà son cadavre calciné s'écrasait au milieu de la mer de morts déjà présents.

- Arrête…
La voix de Réo n'avait été qu'un murmure, mais le meurtrier sembla l'entendre. Il se laissa retomber au sol et marcha vers sa victime favorite, toujours incapable de bouger. Charriant les miasmes fétides des cadavres et un peu de cendres, le vent faisait voler la cape rouge de l'homme en armure.
Seulement une forme rouge et blanche volait désormais à toute vitesse vers lui. Avec quatre orbes yin-yang tourbillonnant autour d'elle, Reimu mitraillait à son tour l'Homme en Rouge de projectiles. Les sceaux purificateurs fusaient dans les airs et percutèrent avec violence le meurtrier. La miko continua sa course, se rapprochant de son ennemi qui rencontra les orbes alors que la prêtresse s'éloignait. Seulement, les griffes de sang parvinrent à toucher sa cheville droite, traçant quatre petites lignes sanglantes sans gravité.
Jusqu'à ce que l'Homme en Rouge ne sourie à nouveau, accompagné de la même voix éthérée que précédemment :
- La Vierge de Fer invita la prêtresse~
De multiples trous laissant s'échapper le fluide vital rouge apparurent subitement sur le corps de Reimu, laquelle fut également incapable de faire le moindre mouvement. Son hurlement de terreur et de douleur, insoutenable, s'éleva alors qu'elle rejoignait le sol, laissant une marque rouge dans son sillage.
Réo regarda le corps immobile de la prêtresse, ne remarquant pas les larmes qui avaient commencé à couler sur ses joues. Des craquements de mauvais augure se faisaient entendre depuis le ciel, mais…
D'instinct, le polymorphe tourna la tête et se retrouva face à l'Homme en Rouge. Le cauchemar sanglant avait la tête baissée vers sa victime, distante d'un mètre.
La terreur menaçait de détruire l'esprit de Réo, qui remarqua, alors que l'homme levait sa main droite, que des fissures orangées apparaissaient dans le ciel.
- Ksh~
L'Homme en Rouge abaissa son bras, envoyant un fouet de sang trancher Réo en plein abdomen, distillant une douleur si immense qu'il se prit à hurler.


Oui, Réo hurla, tant et si bien qu'il se releva dans le modeste futon qu'il occupait. Le hurlement avait été si puissant que la fenêtre sur le mur à sa droite avait semblé vibrer. Dans le même temps, la petite fille cornue, qui s'était approchée en voyant l'Envieux s'agiter, sursauta.
- Mais ça va pas ?! râla Suika alors que le polymorphe reprenait sa respiration et ses esprits, assis qu'il était et en sueurs.

Respirant de manière saccadée, comme s'il avait fait trois marathons de suite, Réo avait les yeux presque exorbités et une violente douleur pulsait de son ventre. Il ne la remarquait pourtant qu'à peine, se sentant meurtri à la fois physiquement et spirituellement, comme en témoignaient ses tremblements violents. Sortirait-il d'un combat éprouvant, il ne s'en porterait pas moins bien.
Ce cauchemar…
Jamais il n'en avait eu un aussi intense. Jamais il n'avait autant eu l'impression qu'il ne s'agissait pas d'un simple cauchemar, mais de la réalité. Ses souvenirs étaient clairs, précis et il avait véritablement le sentiment d'avoir vécu le carnage, ce qui expliquait son état.
D'un geste instinctif, il passa sa main gauche sous son haut sombre, grimaçant sous la douleur qu'il éprouvait. Se remettant peu à peu du choc, il recommençait à avoir conscience de ce qu'il ressentait et de ce qui l'entourait, sans pour autant y prêter grande attention.
Le contact d'un liquide chaud et poisseux sous ses doigts le figea.
Lentement, yeux exorbités et un tic agitant la commissure de ses lèvres, Réo leva sa main et regarda ses doigts.
(♪) Couverts de sang.
Nerveusement, il releva son t-shirt, sous le regard médusé de Suika. Ce fut d'ailleurs elle qui réagit la première.
- Hé, d'où ça sort, ça ?!
Son regard était désormais braqué sur la plaie qui barrait horizontalement l'abdomen du polymorphe, tétanisé et livide. La blessure était nette mais peu agréable à regarder. Le sang qui en coulait témoignait de sa récente apparition et sa profondeur apparente n'était pas pour rassurer.
Réo eut la sensation de se retrouver dans un univers froid et suffocant, l'esprit enfermé dans une cage se rétrécissant.
Comment était-ce possible ? Que… Qu'est-ce que cela signifiait ?
Au milieu du tourment agitant son âme et de ses tremblements, il fut alors certain d'entendre, au fond de son esprit apeuré, un "Ksh~" de cauchemar qui résonna de longues secondes dans tout son être…

- Hey, je te parle !
Difficilement, Réo tourna la tête vers la petite oni, s'extirpant de la gangue de terreur qui l'avait enfermé.
- Ah… Suika… Tu vas bien…
- Bien sûr que je vais bien ! C'est toi qui m'inquiète !
Les crépitements habituels des éclairs rouges tout aussi habituels empêchèrent le polymorphe de répondre. Se déclenchant avec brusquerie, ils le firent même sursauter. Ebranlé, il vit sa blessure se refermer peu à peu et disparaître, lentement mais sûrement.
Le silence s'installa quelques secondes, le temps que Suika se désaltère un peu à sa gourde tout en digérant les choses qu'elle avait vues.
- Suika… Pas un mot à qui que ce soit… J'ignore ce que c'est que tout ça… Mais je m'en occuperai. Seul, déclara alors l'Envieux.
- D'accord, d'accord…
- Promis ?
- Oui, promis !
Le polymorphe acquiesça et remercia son amie. Tout ceci était trop gros, trop important et trop inquiétant pour qu'il embarrasse les autres avec ça.
L'Homme en Rouge était dangereux. Mystérieux mais dangereux, il en était convaincu.
Poussant un soupir et doutant de trouver quelque réponse que ce fût de toute façon, Réo commença par observer la pièce dans laquelle il se trouvait.
Il faisait sombre, la seule lumière d'importance provenant d'une lampe à huile posée plus loin sur une petite commode, à gauche de laquelle se trouvait la chaise que Suika avait occupée avant de se lever. La porte coulissante marquant l'entrée de la pièce, relativement petite et au plancher de bois, se trouvait à gauche du lit.
- Passons… Où suis-je ? s'enquit Réo.
(- Dans un volcan sous-marin qui va entrer en éruption), intervint aussitôt Pride de sa voix blasée.
- Chez Yuugi, informa Suika.
(- Presque), soupira l'Ombre.
- Tu ne te souviens pas de ce que tu as fait, hein ? continua la petite fille.
Le polymorphe réfléchit, levant la tête vers le plafond. Rapidement, quelque flashs lui revinrent.
- Je… Je me battais contre une fille… Parsee, je crois…
- Ouais et t'as encore pété les plombs ! Sous forme de super gros serpent mais pété les plombs quand même !
Réo baissa la tête, l'expression gênée.
- Désolé… Je ne sais même plus ce qu'il s'est exactement passé… Je me souviens juste de cette foutue Envie…
- Ça va ! C'est pas à moi qu'il faut aller t'excuser, le coupa Suika.
Le changer de forme releva la tête alors que la rouquine continuait en s'asseyant à sa gauche.
- C'est Parsee qui t'a fait perdre la tête. Puis Yuugi t'a calmé, avec calme et délicatesse, narra-t-elle en buvant quelques gorgées de saké.
- J'espère n'avoir blessé personne…
La réplique prononcée d'une voix misérable fit éclater de rire la petite fille qui eut toutes les peines du monde à ne pas s'étouffer avec son alcool ou le recracher.
Elle se vengea donc dès qu'elle le put en lui frappant l'épaule.
- Arfg, andouille ! J'ai bien failli m'étrangler ! T'as juste réussi à taper Parsee une fois mais elle a rien de grave… Et Yuugi…
Un sourire moqueur éclaira le visage de la petite oni.
- Tu ne l'as même pas touchée. Elle t'a calmé bien comme il faut, et ça ne m'étonne pas !
(- You are a failure, naab), commenta l'Orgueil.
L'intervention de Pride déprima l'Envieux. Si même sous une forme pas piquée des hannetons, il se faisait massacrer sans aucune difficulté…
(- J'ai rien pu faire mais j'ai pu regarder. Et je peux te dire que Yuugi est loin d'être le yôkai moyen du Lac Brumeux. Et cette forme de Seigneur Serpent que tu as pris est certes très grande, ta plus grande je pense, mais elle est moins puissante que celle du Béhémoth aux Yeux Verts), expliqua le maître des ombres.
- Béhémoth aux Yeux Verts ? Seigneur Serpent ? releva le métamorphe, un peu largué.
(- Faut bien leur trouver des noms à tes formes, non ? Vu sa taille, Seigneur Serpent irait bien pour hier. Un peu pareil pour Béhémoth, quand tu as affronté Reimu après avoir payé ton prix. Et puis, ça en jette), se justifia Pride.
- Mouais… Hum, Suika ? On fait quoi, du coup ? s'enquit l'Envieux.
La petite oni répondit en frappant dans le dos de son ami, manquant de lui démettre une ou deux vertèbres.
- On va voir les autres et s'amuser ! Je suis pas venue depuis un moment et, j'te le dis, ça va te plaire !
Le polymorphe acquiesça puis adopta une expression songeuse et regarda par la fenêtre.

La lumière de ce qui devait être l'Ancienne Cité lui parvenait faiblement. Décidant de se lever, il était certes fatigué mais il pouvait bien tenir debout et se déplacer, Réo alla vers la vitre.
Il remarqua ainsi qu'il était en fait au premier étage de la demeure de Yuugi. Les bâtiments qu'ils voyaient étaient tous construits en bois sombre et avaient leur toit en tuiles bleu-nuit, rouge sombre ou gris très foncé. Ils étaient tous de style japonais, ce qui n'était pas une grande nouveauté en soi, visiblement ancien, plus encore que le Village Humain. Les murs semblaient parfois s'effriter et menacer de flancher et parfois quelques tuiles étaient manquantes. La visibilité était assurée par d'étranges lumières blanches flottant dans les airs sous forme de petites sphères de quelques centimètres, comme de grosses lucioles, ainsi que par les lanternes accrochées aux murs ou sur des fils passés entre les maisons.
Le calme se dégageant de cette vision attisa la curiosité de Réo. Ce paysage, dont il ne voyait pas grand-chose, l'attirait déjà. Il lui tardait de sortir pour goûter à cette étrange sérénité qu'il commençait à ressentir.
Comme Pride lorsqu'il se trouvait au Royaume des Morts. Voilà qui était curieux.

Quoi qu'il en soit, Suika poussa bien vite le polymorphe à sortir de son état post-cauchemar, l'informant au passage qu'il avait dormi pendant trois heures.
Elle le conduisit ainsi à une salle de bain afin qu'il ne ressemble plus à un "andouille pas doué traumatisé de la vie qu'il n'avait d'ailleurs pas vécue".
Usant des bienfaits de la douche, même ces vieilles maisons en étaient équipées, le métamorphe reparut dix minutes plus tard, souriant et d'attaque pour une suite qui s'annonçait folklorique.
Il avait utilisé son pouvoir pour se vêtir d'une veste grise passée sur un t-shirt à manches longues brun. Son pantalon bleu-nuit aux cercles verts lui donnait un air assez rêveur, ce qui au final lui correspondait à peu près.
Il descendit l'escalier se trouvant assez près de la salle qu'il venait de quitter, guettant du haut des marches Suika qui attendait dans le hall, assez vaste et menant à trois autres pièces. Quelques meubles décoraient, ainsi qu'un miroir et un tapis. Le tout était assez élégant, ce qui était pour le moins étonnant compte tenu de l'habitante des lieux.
Les couleurs dominantes restaient toutefois le brun sombre, tant sur les murs que le plancher.

- T'as meilleure mine, remarqua Suika lorsque le changeur de forme eut terminé sa descente.
Un simple sourire lui répondit, suivit d'un mouvement de menton vers la sortie qui précéda une simple question :
- On y va ?
- Un peu mon n'veu !
La petite oni ne se le fit pas redire deux fois et ouvrit la porte coulissante de la demeure avec une douceur toute relative. Elle prit ensuite pied sur le perron et le traversa, descendant quelques marches de bois pour arriver dans la rue proprement dite.
Réo était sur ses talons bien plus réservé, et observait les lieux d'un air béat.
Il leva la tête vers l'invisible plafond de pierre, bien trop haut pour être discernable, couvrant l'Ancienne Cité et par-là même ce monde enterré. Peut-être était-ce cette absence de ciel qui donnait cette atmosphère toute particulière à la ville souterraine. A moins que ce ne soit l'œuvre de la semi-obscurité baignant les lieux ou celle de ces demeures des temps anciens devenus foyers chaleureux dans la noirceur de cet univers de roche.
Ou tout cela à la fois.

(♪) Quoi qu'il en soit, cette sensation faisait frissonner le polymorphe. Un frisson agréable, accompagné d'un vieux souvenir qu'il croyait perdu.
Un souvenir lié à ce sentiment d'être à la maison. Celui d'un feu crépitant doucement dans la cheminée pendant que Réo, plus jeune, caressait un chien assis près de lui, à sa gauche.
L'animal avait un pelage de couleur fauve, noir et blanc sur son ventre à partir du collet. Son long museau allait en s'affinant et était tourné vers celui qui le caressait. Sa queue rappelant celle des renards s'agitait un peu sous la joie procurée par cette marque d'affection. Il s'agissait plus exactement d'un shetland qui devait approcher les quinze ans, une femelle se nommant Hestia…
De quand ce souvenir datait-il ?
Deux ans, peut-être plus, certainement pas moins. Pourtant, ce n'était que maintenant qu'il refaisait surface, fragment réconfortant d'une existence révolue. A peu de choses près, il ressemblait à une réminiscence d'une vie antérieure.
Ce qui n'était pas totalement faux.
Combien de temps s'était-il écoulé depuis le jour où tout avait basculé ? Une simple goutte de sang sur un rouleau de parchemin apparu sur un bureau après une négociation en rêve, et tout avait changé.
C'était certain, il n'était plus vraiment la même personne qu'en ces temps reculés. Plus vraiment mais toujours un peu. Il restait fondamentalement un envieux, trait dominant parmi sa multitude de défauts et surtout ses péchés. S'il les incarnait, c'était bien qu'ils ne lui étaient pas étrangers, loin de là.
Son âme était donc-t-elle si noire ? Ou bien, les sept péchés capitaux définissant l'Humanité, était-il, au fond… Plus humain ?
Réo était incapable de se définir et ce depuis bien avant son arrivée à Gensokyo. Ce trouble l'avait agité alors qu'il regagnait doucement sa mémoire en découvrant peu à peu ses pouvoirs en compagnie de Toph, Aang et les autres, dans un autre monde. Si à l'époque il n'avait pas tous les éléments, il n'avait guère avancé depuis.
Etait-il toujours un humain ? Et si non, qu'était-il ? Un yôkai ? Un Damné ? Un homonculus, comme ceux dont il avait les pouvoirs et dont la pierre philosophale était le noyau ? Un démon, peut-être ? Ou bien un simple monstre, n'ayant pas hésité à sacrifier sa famille pour assouvir ses envies ?
Peut-être qu'un jour, il trouverait la réponse. Un jour…
Pas maintenant.

Réo ferma les yeux brièvement puis reporta enfin son attention sur Suika. La petite oni avait croisé les bras et l'observait, l'ombre d'un sourire moqueur planant sur ses lèvres.
- C'est bon, t'as fini de t'extasier ? lui lança-t-elle d'un ton plus qu'ironique.
- Non, je ne fais que commencer mais je peux bien te suivre en continuant, rétorqua le changeur de forme en la rejoignant.
- Ben avance alors et fais gaffe à pas te perdre. Pas envie de te chercher pendant trois heures.
(- Elle te connaît bien), intervint Pride.
- Aucun risque ! contra l'Envie alors que la jeune fille, d'apparence, reprenait son chemin, l'air joyeux.
(- En parlant d'Hestia, tu crois que Doku est à peu près sage ?)
- Parfois, j'aimerai pouvoir penser sans que tu ramènes ta fraise…
(- T'avais tellement l'air con et quasiment avec la larme à l'œil, comment pourrai-je rester de marbre ? Navré de n'avoir rien d'autres à faire de ma vie qu'observer tes agissements et pensées, môssieur Jealousy).
La réplique avait été prononcée d'une voix apparemment amusée et moqueuse mais quelqu'un de particulièrement attentif aurait certainement remarqué la pointe de rancœur habilement dissimulée en dessous. Réo n'était cependant ni très attentif ni particulièrement fin, aussi ne se formalisa-t-il pas pour répondre :
- J'ignore ce que fait Doku et c'est une raison suffisante pour ne pas trop m'attarder. Tout est allé tellement vite, je ne crois pas avoir encore réalisé…
(- Pour ça que t'y as plus pensé depuis que t'es entré dans les souterrains ? Enfin, maintenant qu'elle a forme humaine, elle sera bien incapable de remplacer ton cabot crevé depuis deux ans. Ta seule grande amie à l'époque, hein ?)
- Pride… Qu'est-ce qui te prend ?
Cela faisait un moment que l'Orgueil ne s'était plus exprimé de cette façon, avec autant d'acidité.
(- Rien… Je m'amuse juste de ton égoïsme, Jealousy. Ainsi que de ta tendance à oublier les autres et ce qui se passe autour de toi. Malbas Elric ? Lucifuge Rofocale ? Tu t'en souviens ?)
- Comment ça ? Je ne les ai pas oubliés !
(- Alors fais-moi le plaisir de me le prouver !)
- Et toi alors ? Quand tu es libre, tu…

S'il avait été là, devant Réo, Pride ne l'aurait pas laissé terminer sa phrase. Vif comme l'éclair, il se serait approché de l'Envieux sans qu'il n'ait le temps de réagir pour l'attraper à la gorge, lui intimant le silence tout en l'incitant à l'écouter.
(- Quand je suis libre… Oui, c'est si bien dit. Il est vrai que j'ai siii souveeeent le loisir de faire ce qu'il me plait. Oui, je passe tant de temps dehors, vraiment, quelle honte de mener ma petite vie tranquille d'ombre enfermée et d'en profiter pleinement quand je suis libre. Tu m'en vois navré).
L'Orgueil ne cachait pas le venin de ses mots et ils étaient si bien ajustés que le cœur du métamorphe se serra.
Il n'eut en revanche pas le temps de répliquer, Pride se serait déjà détourné pour disparaître, laissant place à la scène réelle qui se déroulait.

Sans s'en rendre compte, perdu qu'il avait été dans ses pensées, Réo avait atteint une rue bien différente de celle d'où il venait. Moins de maisons, plus large et occupée d'échoppes et commerces, on y trouvait notamment un bar dont le comptoir donnait directement sur l'extérieur. Plusieurs tables et chaises étaient disposées sur la terrasse, délimitée par une petite barrière de bois, preuve que ce n'était pas un simple bar, et la gérante n'était autre qu'une oni. Ses cheveux blonds coupés courts laissaient transparaître ses deux cornes de trente centimètres allant vers le haut en partant des côtés de sa tête. Elle avait les yeux orangés et portait une veste bleue sur une jupe rouge. Une grande variété d'alcools et de bouteilles en tout genre étaient disposées derrière elle, ainsi que le nécessaire pour cuisiner.
Il s'agissait donc d'une sorte de restaurant à la Mystia, en plein air ?

Yuugi était postée sur un tabouret rouge jouxtant le comptoir et s'était tournée vers Suika. Le polymorphe s'était stoppé et regardait la femme qui s'était levée pour s'avancer vers lui, bras croisés.
Elle était de grande taille mais cela n'expliquait pas l'aura singulière qu'elle dégageait, ou du moins que Réo captait. Ses traits harmonieux, oui elle était jolie, mais d'une manière différente que les plus ou moins innocentes habitantes croisées jusqu'alors, et son air avenant cachaient mal sa force, physique et morale. On pouvait le dire, elle était vraiment impressionnante et Réo eut bientôt l'impression de n'être qu'un gamin chétif face à un dragon. Qu'elle ait pu le vaincre sans difficulté particulière sous une forme peu ordinaire lui parut soudain plus qu'évident.
Cette Yuugi était certainement l'un des êtres les plus redoutables qu'il ait croisé !
Pride ne put s'empêcher de noter qu'il s'agissait sans doute de la première fois qu'une personne faisait un tel effet d'entrée de jeu sur le changeur de forme. Pourtant, du Voyageur à Reimu, Pride grinça des dents, en passant par Flandre et Yuuka, il en avait vu des êtres redoutables !
Pourquoi donc Yuugi lui faisait-elle un effet pareil ?

L'oni sourit une fois le polymorphe atteint, l'ayant détaillé le long du court trajet. Avec un air affable, elle lui tendit sa main droite grande ouverte.
- Bonjour, Réo Ryu, Suika m'a beaucoup parlé de toi. Je suis Yuugi Hoshiguma, bienvenue dans l'Ancienne Cité.
Son amabilité surprit le métamorphe, s'attendant à un accueil plus similaire à celui que Suika lui avait réservé, et donc à plus de brutalité caractéristique des onis. Qu'à cela ne tienne, pour une fois qu'on ne lui mettait pas un poing dans la face en guise de bonjour, il n'allait pas s'en plaindre !
- Bonjour, Yuugi. Inutile de me présenter, je vois, mais merci de m'accueillir. Et veuillez m'excuser pour notre première rencontre… Houleuse…
Tout en parlant, l'Envieux avait bien entendu serré la main de la combattante, laquelle avait manqué de broyer la sienne, tout en acquiesçant d'un hochement de tête.
- J'ai cru comprendre que tu n'avais pas été toi-même, et tutoies-moi s'il te plait. Pour tout te dire, ce fut plus amusant qu'autre chose.
- Je sais, je ne suis pas un adversaire digne de ce nom, grimaça Réo, tant sous la douleur qui pulsait de sa main que de l'amertume de son affirmation.
Yuugi secoua la tête négativement.
- As-tu oublié ? Tu n'étais pas toi-même ! C'est pour cela que je veux un vrai match, entre toi et moi. Et pour les excuses, vois cela avec Parsee, même si je ne sais pas qui doit s'excuser envers qui.
- Euh…
Réo se gratta la tête, gêné. Yuugi laissa un petit rire s'échapper devant sa mine déconfite puis désigna du menton Suika, laquelle s'impatientait à leur droite.
- J'en connais une qui semble pressée !
- On avait dit qu'on boirait ! protesta énergiquement la rouquine, s'accaparant aussitôt l'attention des deux autres.
- C'est vrai, et les onis n'ont qu'une parole… Mais, Suika, tu ne veux pas attendre que nous ayons terminé notre combat ? De une, notre ami ici présent aura besoin de se désaltérer, de deux, nous serons plus nombreux.
- Maieuh ! Arrête de toujours vouloir te battre !
- Rectification, je suis à la recherche d'un adversaire intéressant. Et depuis le pétage de durites d'Utsuho il y a un petit bout de temps, ça ne court pas les rues.
- T'avais qu'à te bouger quand il s'était passé des trucs ! Et même maintenant, il se passe des trucs ! Et il se passera aussi des trucs après !
(- Note que le passage par le mode berserk semble assez courant, au final. C'est qui cette Utsuho ?)
Réo ne répondit pas, n'en sachant rien de toute façon. Ses yeux rivés sur les deux onis, il s'amusait de voir leur petite dispute. Puis il réalisa.
- Attendez, quels autres ?
(- Il était temps !)
- Beeen…
La réponse pour le moins minimale de Suika fut coupée par les éclats de voix d'un groupe approchant. Les trois acteurs précédents de la scène reportèrent leurs regards sur les arrivantes, à savoir Yamame, laquelle tenait le seau d'une Kisume curieuse, et Parsee, en arrière et bras croisés.

(♪) La Princesse du Pont balaya la terrasse du regard pour finir par poser ses yeux verts sur le changeur de forme, lequel se sentit tressaillir, à tel point qu'il recula d'un pas. Ses yeux… Leurs regards ne s'étaient que brièvement croisés, pourtant… Pendant ce bref instant, Réo avait eu l'impression de se faire happer par cet univers d'émeraude, s'y enfoncer jusqu'à s'y noyer.
Quoi que pensa Parsee, elle ne laissa rien paraître, se contentant de suivre Yamame.
- Rebonjour, Réo ! C'est ça, hein ? lança joyeusement l'araignée terrestre.
Le polymorphe s'ébroua, comme sortant d'un rêve.
- Oui, oui… Rebonjour, Yamame…
La yôkai animale se rapprocha un peu et donna un coup de coude surprise dans le ventre du métamorphe, arborant un grand sourire espiègle.
- Alors comme ça on fait le malin contre Parsee mais on veut pas m'affronter ! Tu vas devoir réparer ça !
Quelque peu pris au dépourvu, Réo grimaça en se massant le ventre.
- Erf, euh, encore un combat ?!
- Quoi "encore" ? s'étonna l'araignée.
- Tu vas devoir attendre, je passe en première, intervint Yuugi avec un rictus tout en se désignant.
- C'est pas juste, je l'ai vu en premier ! s'égosilla Yamame en trépignant, ce qui fit bouger le seau dans tous les sens, et Kisume avec.
- Uwaaaah, stop, stooop ! hurla-t-elle en s'agrippant aux bords de son récipient.
Loin de compatir, l'araignée terrestre se mit à rire, alors que la petite fille lui décochait un regard noir.
- T'attendras ton tour, argua Yuugi avec un sourire au coin.
- D'accord, mais tu me dois un verre, rétorqua Yamame en se calmant.
- Seulement s'il gagne, lança l'oni.
- Okay ! Réo, je compte sur toi ! tonitrua la yôkai en reportant son regard sur l'adolescent.

Le polymorphe recula, submergé par la scène qui se déroulait. Il était véritablement perdu, pour le coup, et le rire spirituel de Pride n'arrangeait rien.
- Mais… Euh… Je…
- Pas la peine de parier, Yamame, de ce que j'ai vu, il n'a aucune chance, intervint soudainement Parsee.
Elle avait toujours les bras croisés et était restée en retrait, silencieuse. Jusqu'à maintenant.
- C'est cruel ! commenta l'araignée.
- Réaliste, contredit la princesse du pont en haussant les épaules.
(- C'est pas faux), intervint Pride en ricanant.
Désireux de donner son avis sur la question, Réo se prépara à répliquer de manière acide mais le regard vert de Parsee bloqua ses mots aussi facilement qu'un mur d'acier parant l'assaut d'un bâton de cyprès.
Inconsciente de l'effet qu'elle produisait, la princesse pencha légèrement la tête sur la droite, étonnée.
- Et bien ?
Comprenant qu'il perdait pieds, le changeur de forme détourna le regard et fit mine de tousser histoire de reprendre contenance, alors que Kisume se faisait gentiment taquiner par Yuugi, laquelle l'enjoignait à sortir de son seau, menaçant de le casser. Yamame s'en mêla rapidement, ce qui accapara le regard si troublant de la fille aux yeux verts.
(- T'es bizarre), nota Pride, sceptique, pendant que Réo redevenait normal.
Ce fut alors que Suika réclama l'attention générale, frappant une table avec sa gourde à plusieurs reprises pour ce faire.
- Les gens ! Les gens ! Ohé, les geeeens ! … VOUS ALLEZ M'ECOUTER OUI ?!
La fin de l'appel chamanique fut accompagné du fracas de la table se brisant en morceaux. L'effet fut immédiat puisque toutes les discussions cessèrent aussitôt, laissant un voile de silence s'abattre sur la scène. On pouvait presque entendre un vent onirique souffler pour entraîner une botte de paille chimérique en arrière-plan.
- Bon, maintenant que j'ai votre attention…
La petite oni fut coupée par un raclement de gorge de Yamame, laquelle leva vigoureusement une main tout en l'appelant.
- Quoi encore ? s'énerva presque Suika.
- Ahem, désolée mais… Derrière toi…
- Quoi derrière moi ?
La rouquine se retourna vivement, pour apercevoir la tenancière, qui s'était approchée, tout sourire. Et tout en craquant ses doigts. L'alcool présent dans le sang de la petite oni ralentit sa réflexion. Il lui fallut donc une bonne vingtaine de secondes avant qu'une illumination divine ne traverse les vapeurs alcoolisées de son esprit, ce qui provoqua une légère rotation de la tête. Suika regarda alors la table brisée. Puis l'oni qui approchait. Puis la table. L'oni. La table. L'oni. La table, l'oni, la table, l'oni, la table, la sortie, l'oni, la table, la sortie, Réo, Yuugi, l'oni, la sortie, la table, la sortie, l'oni, puis finalement cessa de réfléchir pour boire une gorgée de saké.
- Aaaaah, c'est lui qui paye ! lança-t-elle en désignant le changeur de forme.
- Hé mais pourquoi moi ?! s'insurgea l'intéressé.
- Parce que !
- J'ai pas assez de toute façon ! rétorqua très justement l'Envieux.
- De toute façon, c'est à elle de rembourser, lança la gérante aux deux cornes.
- Maiiiiiiiiiiis… On parie ça à un concours de boisson ? tenta la petite rouquine.
La négation opérée par celle qui lui faisait face lui fit pousser un long soupir.
- Alooors… Danmakuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu !!! fit-elle en levant ses deux bras en l'air.
Yamame choisit ce moment pour ce pencher vers le polymorphe.
- Généralement, c'est à ce moment qu'on court, lui chuchota-t-elle.
- Ah ?
Réo reporta son attention sur la scène et remarqua que Suika s'était reculée, avait armé son poing droit…
Il n'eut pas le temps de voir quoi que ce soit qu'une main se refermait sur son épaule pour le forcer à suivre le mouvement qui s'était créé, à savoir une fuite effrénée pour s'éloigner. Surpris mais pas assez fou pour s'y opposer, l'Envie se laissa faire et suivit le reste du groupe, grimaçant en entendant une puissante explosion derrière lui, projetant divers débris de bois.

Au bout de quelques minutes de courses dans les rues de l'Ancienne Cité où ils croisèrent plusieurs onis, les membres du petit groupe s'arrêtèrent enfin, estimant être assez éloigné du grabuge pour ne pas être comptabilisés dans les dommages collatéraux qui ne manqueraient pas de s'ajouter au bazar ambiant.
Kisume y alla de son commentaire, s'étant cognée dans son seau tant Yamame avait été désordonnée dans sa fuite. Ils se trouvaient près d'une maison semblable aux autres mais surtout, ce qui ressemblait à une grande place pavée de gris les attendait plus loin.
- Et maintenant ? s'enquit le métamorphe.
- Et maintenant, c'est notre tour ! lui annonça Yuugi en lui collant une bourrade dans le dos qui manqua de lui briser une ou deux vertèbres.
- Hein, que, quoi, maintenant ? s'étonna-t-il en grimaçant.
- Plus tôt ce sera fait, plus tôt nous pourrons boire et c'est pour cela que nous sommes tous réunis ! argumenta l'oni.
Yamame s'empressa d'approuver, suivie de Kisume. Parsee soupira, guère plus enthousiaste que cela.
- Faites vite, j'ai pas tout mon temps moi, précisa-t-elle.
Réo ne put retenir une expression intriguée à l'écoute de ces paroles mais il n'eut pas l'occasion de poser la question qui lui brûlait les lèvres. Yuugi l'attrapa une fois de plus et le traîna plus qu'elle ne le guida vers la place.

Plusieurs stands l'encadraient, signe qu'il devait s'agir d'un endroit majoritairement marchand. Toutefois, tout était organisé de façon à occuper les bordures du rectangle de gris, ce qui laissait un grand espace vide. Espace dont Réo ne comprit la fonction que lorsque Yuugi le poussa dedans.
Il s'agissait d'un espace de combat.
Visiblement habituées, Parsee, Yamame et Kisume cherchèrent un endroit où s'asseoir, ce qui fut rapidement obtenu puisque des tables et bancs se trouvaient proches des comptoirs de boisson, nourriture ou autres. Les environs étaient assez peuplés, généralement d'onis mais aussi par d'autres sortes d'habitants, telle la femme aux ailes de chauve-souris qui observait le match en préparation avec intérêt.
Yuugi s'était reculée de manière à se trouver vingt mètres devant Réo. Elle prit alors sa grande coupe rouge qu'elle remplit avec une bouteille prise en venant sans que qui que ce soit ne la remarque.
- Euh, que fais-tu ? ne put s'empêcher de demander l'Envie.
- Une vieille tradition de mon crû. Si tu parviens à me faire renverser rien qu'une seule goutte de saké, tu gagnes, annonça l'oni.

(♪) Réo fronça les sourcils. En théorie, une telle condition de victoire était presque insultante tant elle signifiait la médiocrité de celui qui en bénéficiait. Cependant, Yuugi n'était pas du tout de ce genre là, comme tous les onis, et ça Réo en était convaincu. Non, elle était parfaitement sérieuse. Jambe gauche légère fléchie, elle fixait son adversaire en laissant un léger sourire flotter sur ses lèvres.
Elle était prête.
Et elle ne se fichait pas de lui en lui proposant cette condition de victoire mais lui offrait simplement une petite chance de gagner, ce qui le motivait du même coup tout en augmentant le challenge de son côté.
Inspirant puis expirant profondément, Réo se mit en garde sous les yeux satisfaits de l'oni.
- Essaie de me donner un bon combat. Prêt ? s'enquit-elle.
Les éclairs rouges crépitèrent.
- Prêt ! répondit Réo avant de fuser vers l'oni avec le pouvoir de la Paresse.

- Il a fait ça aussi, avec toi ? s'enquit Yamame, ne ratant pas une miette de ce qui se passait.
- Je ne crois pas. Raah, je peux pas faire ça moi, je suis jalouse, répondit Parsee avant de se ronger l'ongle du pouce droit.
Yamame grimaça alors qu'un violent coup de pied envoyait valser le polymorphe.
- Tu ne le jalouses pas pour les tatanes qu'il se prend quand même ? lança-t-elle.
- Prends-moi pour une folle, j'te dirai rien… Ouch, ça doit faire mal, ça, nota la princesse en laissant sa main droite tranquille.
- Pas qu'un peu. Mais, il se soigne tout seul, c'est ça ? remarqua l'araignée alors que l'adolescent blessé se relevait, entouré d'arcs électriques cramoisis.
- Oui, je crois. Je suis jal-
- Laisse ton ongle tranquille ! s'écria Yamame alors que Parsee menaçait de reprendre son travail d'érosion.
La yôkai animale avait par ailleurs tenté d'attraper le bras de la princesse du pont, qui ne se laissa pas faire. Les deux gesticulèrent tant et si bien qu'elles manquèrent une partie du combat, au contraire de Kisume, dont la tête sortait timidement de son seau.
- Elle a l'air contente, Yuugi ! lança-t-elle.
Les deux blondes arrêtèrent leurs chamailleries pour reporter leur attention sur la confrontation.
- C'est pas faux, remarqua Yamame.
- Pour une fois qu'elle a un combat, surtout avec un inconnu… Enfin, elle est vraiment gentille, là, continua Parsee.
- Ça ne l'empêche pas de faire très mal. Ouille, j'ai mal pour lui, acheva l'araignée.
- Il faudrait les encourager ou non ? s'enquit alors Kisume.
- Sais pas. Puis tu veux encourager qui ? rétorqua la jalouse.
- Bonne question. Oh, avec son espèce de bras-fouet noir, il a presque touché la coupe ! commenta Yamame.
- Presque. Mais… Aïe. Je ne me souvenais pas que sa jambe était dans ce sens, lâcha Parsee.
Elle posa ensuite sa tête sur son poing gauche fermé.
- Lui non plus, on dirait.
Les deux yôkais eurent un petit rire avant d'être coupées par une exclamation de joie de Kisume.
- Vous avez vu ! Il s'est transformé en… En… C'est quoi en fait ?
- Un genre de… Tigre, non ? Avec des grandes dents, tenta l'araignée.
- Trop lent en tout cas, observa Parsee.
- Oui. En tout cas, c'est vrai que Yuugi s'amuse.
- Elle s'était plus amusée sur le pont… Quoique…

Les coups résonnèrent pendant quelques minutes encore sur la place de l'Ancienne Cité, puis il fut possible de voir un adolescent allongé sur le ventre, épuisé. Juste devant lui, pied posé sur son dos en signe de victoire, Yuugi buvait un peu de son saké.
Aucune goutte n'avait quitté la coupe.
- Pas mal, pas mal du tout ! apprécia-t-elle avant de se reculer.
L'Envieux émit un borborygme incompréhensible, signe de son abattement et de sa résignation. Certes il avait perdu, mais ce n'était pas très étonnant.
Il se releva faiblement, titubant quelque peu.
- Merci, merci… Aïe…
- Tu as un bon potentiel. Ce qu'il te faut, c'est de l'entraînement et de la détermination, énonça l'oni.
- Ah… Enfin, entraînement, je m'entraîne déjà…
- Pas assez. C'est pour ça qu'à partir de maintenant, c'est moi qui m'occuperai de toi ! Et Suika aussi !
La décision, ce n'était même pas une proposition, laissa le polymorphe pantois, permettant aux spectatrices d'approcher.
- C'est bon, c'est terminé ? demanda Parsee d'une voix ennuyée.
- Oui, et je me suis bien défoulée ! Merci, Réo. Et ne te bile pas, on commencera quand tu seras prêt, si c'est ce qui te fait avoir cette tête.
(- Tu vois que t'as l'air d'un gland), railla aussitôt Pride, lequel avait savouré le combat à sens unique qui avait eu lieu.
Car en vérité, Réo n'avait pas touché Yuugi, pas plus que sa coupe de saké.
Pas une fois.
Il devait en revanche admettre qu'il avait pris plaisir, au fond, à faire ce combat. Non pas qu'il aimait particulièrement se faire tailler en pièces et broyer les os mais plutôt l'esprit de compétition de Yuugi l'attirait.
Elle ne se battait pas pour la gloire ou pour humilier son adversaire. Elle se battait parce qu'elle aimait se battre et parce que plus le combat était corsé, plus elle y prenait plaisir.
Une oni forte aimant les adversaires forts et respectant ceux qui voulaient le devenir. D'où sa proposition, qui devrait à terme lui promettre un combat véritablement digne de ce nom. Une proposition bien difficile à refuser, même s'ils se connaissaient à peine… D'ailleurs, elle allait bien vite en besogne. Y avait-il une raison particulière, plus que son goût prononcé pour le combat, qui expliquait cette attitude ? Elle se montrait tout de même bien accueillante…

Voyant le quatuor d'habitantes de ce monde souterrain se chamailler, Réo ne put s'empêcher de sourire. Tout n'était vraiment que très récent et pourtant, il aimait cet endroit, même s'il avait bien des questions en suspens. Il comptait bien accepter l'aide de Yuugi, au final, il lui fallait juste régler quelques détails en surface, surtout un en vérité, à savoir une certaine yôkai serpent qui devait l'attendre…
- Bon, on va voir où en est Suika et on fête ça ? proposa Yuugi.
- Pas trop tôt ! s'exclama Parsee.
- C'est vrai que tu ne peux pas rester trop longtemps… Alors allons-y ! décida l'oni sur-le-champ.
A nouveau la curiosité s'empara du changeur de forme qui n'eut à nouveau pas l'occasion de poser de questions. Tout le monde s'était mis en mouvement, sans courir néanmoins, afin de rejoindre Suika.
Personne ne remarqua la femme qui les suivit discrètement, de loin...

Le trajet ne dura qu'une poignée de minutes. Aucun bruit d'affrontement ne s'élevait, ce qui suggérait que le combat était terminé. Supposition exacte qui n'empêcha pas Réo d'arborer un visage profondément surpris à la vue du spectacle qui se montra bientôt à tout ce petit monde.
Chaises et tables brisées gisaient partout dans la cour, une seule seulement ayant survécu aux ravages. A celle-ci et sur les bancs attenants, Suika et son adversaire buvaient tranquillement, comme si de rien n'était.
La rouquine tourna la tête distraitement vers les arrivants en les entendant approcher.
- Ah bah enfin, j'vous attendais, moi ! les apostropha-t-elle.
- On voit ça, commenta Yuugi.
- Pas de ma faute, vous êtes lents, railla aussitôt la petite oni.
Réo retint un soupir, mais pas Parsee.
- Vous comptez vous joindre à nous ? s'enquit la voisine de tablée de la rouquine.
- Bien sûr, Aruka. S'il reste un peu de place...
La réponse de Yuugi tira un rire à Yamame.
- Il en reste, pour sûr. Mais quand Suika aura tout réparé, ce sera bien mieux, répondit la propriétaire.
- Maiiiieuuuuh, Yamame, faudra que tu m'aides !
- Hein ? Non, je suis forte en architecture, pas en réparations ! s'insurgea l'araignée.
Il restait assez de place autour de l'unique table pour permettre à tout le monde de s'asseoir, un coup de chance qui se devait d'être célébré. Aruka alla chercher plusieurs bouteilles au contenu indéfini mais très certainement alcoolisé et servit généreusement la tablée déjà agitée.
Voyant que Réo hésitait, Yuugi s'arrogea le rôle de guide, lui fracassant à moitié le dos d'une bourrade tout en le rassurant.
- Tu dois l'avoir compris, nous onis aimons ce genre évènements, indiqua-t-elle.
- Certes, mais je ne suis pas habitué...
- Il faudra bien, car c'est très courant ici. Surtout avec des deux-là, précisa Yamame avant de servir Kisume, posée à sa gauche et toujours dans son seau.
Parsee suivit l'échange du coin de l'œil et se servit également, assez peu par rapport à l'araignée et rien du tout comparé aux doses des onis. Ces dernières ne laissèrent pas le choix au polymorphe qui dû faire des pieds et des mains pour avoir une quantité raisonnable à son niveau.
- A... Euh... A quoi ? demanda la fillette aux cheveux verts en brandissant son verre.
- A l'arrivée d'un nouveau compagnon de beuverie ! s'exclama Yuugi.

L'exclamation générale qui s'ensuivit, bien que peu partagée par la princesse du pont, mit le métamorphe mal à l'aise. Tout allait si vite... Et méritait-il tout ça ?
L'alcool noya rapidement ses doutes, les repoussant à une prochaine fois. Prenant garde à ne pas en abuser, sa résistance n'était pas formidable non plus et il avait un long chemin à parcourir, Réo se joignit au groupe. Il assista donc aux querelles entre les trois onis, plus généralement Suika avec une des deux autres. Parfois, Yamame s'y invitait, sa joie et son énergie la portant autant que le saké. Kisume était toujours aussi timide, intervenant de temps en temps mais restant généralement discrète. De côté là, elle était toutefois largement battue par Parsee.
La jalouse buvait peu et observait la scène d'un regard pour le moins distant. Etrangement, si elle appréciait cette réunion, quelque-chose l'empêchait de pleinement en profiter. Ses yeux émeraudes se posèrent sur Réo, occupé à rire avec Yamame.
Etait-ce parce qu'il était là ?
Non, pourquoi serait-ce ça ? Elle était toujours renfermée et se laissait rarement aller comme les autres le faisaient... Du moins, autant qu'eux… Oui mais généralement, ce n'était tout de même pas autant qu'en cet instant.
Alors quoi ?
Etait-ce parce qu'on fêtait son arrivée ? Ou plutôt, son arrivée elle-même ? Un de plus dans tous ces gens qui profitaient de la vie sans soucis…
Avait-elle simplement du mal à accepter que quelqu'un d'autres s'intègre aussi aisément ? Pour elle, cela n'avait pas été si simple… Puis, il avait l'air d'avoir une vie en surface…
Poussant un long soupir, Parsee se leva discrètement. Tous les autres étaient plongés dans une discussion animée, émaillée de rires et de délires en tout genre. La princesse du pont fit la moue et se retourna.
Elle n'était pas à sa place. C'était aussi simple que ça.
Si elle ne parvenait pas à se réjouir de ce qui devait être fait pour, c'était parce qu'elle n'était pas dans son élément. Pas aussi joyeuse que les autres, pas aussi extravertie, pas aussi délurée, pas aussi alcoolo… Elle pouvait continuer longtemps ainsi.
Ce n'était pas un endroit pour elle, voilà tout. De toute façon, elle n'aimait pas les fêtes.
Ce fut sur cette pensée -pourquoi avait-elle le goût amer du mensonge ?- que Parsee s'éloigna, disparaissant rapidement au coin de la rue.

La tablée continua sa dégustation dans la joie et l'allégresse, trop embarquée dans la gaieté propre aux gens alcoolisés pour remarquer le départ de la jalouse. Du moins, jusqu'à ce que l'agitation ne retombe peu à peu.
- Hey, où est passée Parsee ? s'étonna Réo, se mettant bien au fond de sa chaise.
Les regards convergèrent vers la chaise vide.
- Partie, remarqua Kisume.
- Sans doute ne pouvait-elle plus rester, continua Yamame.
- Je ne comprends pas… Enfin… Vous pensez qu'elle était jalouse ? s'enquit l'envieux.
Il n'avait pas trop abusé de la boisson et cela s'en ressentait de par ses capacités mentales encore correctes. Le haussement d'épaules généralisé qu'il obtint en réponse démontra que ce n'était pas le cas de tout le monde.
- Probable, commenta laconiquement l'araignée.
- D'accord… Dans ce cas, j'y vais ! annonça le changeur de forme, l'air décidé.
Il se releva brusquement, ce qui le fit chanceler, mais se rattrapa aux bords de la table.
- Ah bon ? s'étonna Suika, l'air absent.
- Oui. Je… J'ai des choses à faire en surface, bredouilla le polymorphe.
- Dont aller voir Parsee, puisqu'elle est sur le chemin, lança Yuugi aussitôt.
Réo ne sut quoi dire, mais ses vaines tentatives de parole furent coupées par la main tendue de l'oni.
- Non, inutile de te justifier. Ce fut un plaisir de te rencontrer et je suis contente que tu correspondes à l'image que je me faisais de toi. Reviens me voir quand tu veux, quand tu seras prêt, et nous pourrons commencer à travailler. Je n'ai qu'une parole. Et ne me demande pas pourquoi, nous verrons plus tard.
La réplique -comment pouvait-on parler autant avec une telle quantité d'alcool dans le sang ?- rasséréna Réo. Il se prit même à sourire et opina derechef.
- Merci Yuugi, fit-il avant de s'incliner.
- Merci à toi…
- Reviens vite ! Moi aussi je dois t'affronter ! avertit Yamame.
- Et t'as encore des trucs à faire ! continua Suika.
Le changeur de forme ne put qu'acquiescer, promettant de ne pas trop tarder puis, sur un ultime salut de la main et une vague indication de la direction à prendre, s'en alla.

Les rues défilaient autour du changeur de forme qui marchait à vive allure. Il ne faisait même pas attention aux autres habitants, concentré sur son parcours. Il se savait parfaitement apte à se perdre en un temps records, d'autant plus dans une ville inconnue.
(- Tu m'as l'air bien décidé…), fit un Pride pour le moins sceptique.
- Je le suis. Hors de question de laisser Parsee seule.
(- Si elle s'est tirée, y'a une raison), soupira l'Ombre.
- Oui et je veux la connaître.
(- Et si elle ne veut pas te la donner ?)
- C'est son choix. Mais je veux essayer.
(- Quelle grandeur d'âme, elle t'a traumatisé à ce point ?), ironisa l'Orgueil avant de ricaner.
C'était vrai ça, pourquoi réagissait-il ainsi ? Il ne connaissait pas Parsee, enfin si peu, pourtant il brûlait de savoir la raison pour laquelle elle s'était éclipsée. Mais ce n'était pas à mettre sur le compte de son incurable curiosité. Enfin, peut-être un peu.
Alors ? Pourquoi donc le sort de Parsee l'intéressait-il tant ?
(- Parce que tu te reconnais en elle et tu veux l'aider. En l'aidant, tu t'aideras toi-même), lâcha subitement Pride, comme s'il s'agissait d'une évidence.
Réo se stoppa.
L'analyse de l'Orgueil, dépourvue de toute moquerie, était… Juste ? Elle avait des accents de vérité en tout cas. Voilà une théorie intéressante…
Guidé par les lumières surnaturelles voletant dans les airs avec simplicité et par les lampions accrochés un peu partout, Réo reprit sa route. Il ne devait plus être loin de la sortie désormais. Puis il lui faudrait atteindre le pont, chose rapide, mais ensuite, tout remonter pour regagner la surface, la forêt et sa maison.
Il avait vraiment de la route en fin de compte.

Alors qu'une vague de découragement s'abattait sur son mental et ses jambes, un murmure attira son attention. Une petite chanson, de toute évidence mais…
Son sang se glaça dans ses veines à son écoute.
- ~A l'Aube de l'histoire,
Début du Purgatoire,
La sorcière fut conduite au bûcher,
Ses cendres éparpillées.
Au Crépuscule des temps,
Quand brûlent les enfants.
Sans larmes ni tristesse,
La Vierge de Fer invita la prêtresse.
Ses larmes de sang,
Avec son cri de désespoir,
Se mêlèrent à l'Océan,
Et sa Bête de Cauchemar.~ ♪

Livide, Réo vit la personne chantant se rapprocher. Il s'agissait d'une femme à la longue chevelure noire lui arrivant au bas du dos. Elle portait une élégante robe noire au long col et aux longues manches ne ressemblant pas à ce qui se faisait habituellement à Gensokyo mais ressemblant plutôt à ce qui se faisait en Europe au dix-neuvième siècle, tout en variant. L'intérieur du col ainsi que le centre et une partie des manches étaient rouge vif, s'accordant aux yeux de la femme. Deux grandes ailes de chauve-souris sortaient de son dos et était délicatement repliées. Son teint pâle accentuait la brillance de ses yeux rubis, lesquels se plongèrent dans ceux de l'Envieux qui recula instinctivement.
- Suis-je donc si effrayante ?
La voix douce de la femme s'éleva avec volupté puis se transforma en un rire frais. Réo tentait de reprendre contenance mais la comptine chantonnée juste avant l'en empêchait. Comment se pouvait-il que… Non, il ne pouvait pas croire à une coïncidence.
- Je me nomme Yoru. Himitsu no Yoru, plus exactement.
En parlant, la vampire, c'était une vampire à ne point en douter, s'inclina quelque peu de manière caricaturale.
- Euh… Je… Enchanté… Je suis Réo Ryu, répondit l'adolescent intimidé en s'inclinant à son tour, tentant de repousser son angoisse.
- Je t'ai vu te battre tout à l'heure. Intéressant, mais tu as tellement mieux à montrer…
Elle rit à nouveau, achevant de mettre l'Envieux mal à l'aise et ne s'en préoccupant visiblement pas.
- Je ne vous suis pas.
- Bien sûr que si. N'essaie pas de me masquer tes secrets, la Nuit me les a déjà révélés, mon petit pécheur. Tout comme cette petite balade.
Le ton de Yoru n'était pas menaçant mais amusé. Comme un chat jouant avec une souris.
A nouveau, Réo se recula.
- Comment ça ?
Il n'aimait pas ça. Pas du tout.
(- Merde, des énigmes), railla l'Orgueil.
- Ne fais pas l'enfant. Nous savons tous deux ce que tu caches en toi. Et j'espère que tu profiteras des évènements pour les montrer car j'ai hâte de voir tout ceci en action.
Yoru avait pointé du doigt le ventre de Réo et s'était permis un clin d'œil outrancier.
- Les Secrets sont ma spécialité, mon petit. Je connais tous ceux de cette histoire, dont personne n'a encore saisi toute l'ampleur. Plus qu'une histoire, c'est presque un spectacle de marionnettes…
Ce qu'elle racontait devait de toute évidence l'amuser car son rire s'éleva à nouveau.
- Soyez plus précise.
- Non. La lumière de la connaissance ne doit pas être donnée à n'importe qui. Seuls ceux qui le méritent ont le droit d'en profiter. Enfin, par gentillesse, je vais te donner un petit indice : Va donc demander à Sakuya Izayoi ce qu'elle faisait sur les routes d'Angleterre il y a si longtemps… Maintenant, au-revoir, Envieux !
Sur un nouveau sourire mettant en valeur ses canines, doublé d'un dernier clin d'œil, elle sauta en arrière…
Pour ne plus être vue.

Réo resta immobile, faisant le tri sur ce qu'il s'était passé. Et il ne comprenait pas.
(- Cette femme sait des choses et elle en sait trop. Méfies-toi), prévint Pride.
- Je suis d'accord… C'est suspect… Il faudra demander aux autres si cette Himitsu no Yoru leur est familière ou non.
(- Surtout Izayoi. Tu crois qu'elles se connaissent ?)
- On verra…
Avec l'Homme en Rouge, cela faisait peu de choses rassurantes. Et comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle énigme venait s'ajouter !
Enfin, pour l'heure, il fallait déjà avancer.
Ressassant cette étrange rencontre, le polymorphe sortit de l'Ancienne Cité et s'enfonça dans un passage plus étroit. Rapidement, il atteignit le pont de bois qui lui sembla plus petit que lorsqu'il l'avait vu la première fois.
Une impression sans doute.
(- Déjà blasé ?), se moqua l'Orgueil.
- Pour être blasé de cet endroit, et plus généralement de Gensokyo, il faut être fou ou totalement idiot.
(- T'es les deux, ce qui justifie ma question).
Réo décida de ne pas continuer l'échange verbal spirituel et s'engagea sur le pont. Le bruit de ses pas résonna dans le silence qui régnait, au milieu de la noirceur baignant les alentours du pont. Toujours les mêmes orbes verts volaient dans les ténèbres, expliquant peut-être la mélancolie du lieu.
A moins que ce ne soit la cause de son occupante.

(♪) Parsee se tenait sur la droite, bras croisés devant elle et les coudes posés sur le parapet rouge. Ses yeux étaient perdus dans le lointain indiscernable de cet abysse de noirceur, tout comme ses pensées inaccessibles pour les autres.
Elle ne bougea pas alors que Réo approchait, soudain prit d'un léger doute. Il avala sa salive puis, prenant son courage à deux mains, finit par l'appeler tout en accélérant le pas, courant presque.
- Parsee !
Dissimulant mal sa surprise, la princesse du pont se tourna vers lui. Elle parvint tout de même à faire transparaître une pointe d'agacement dans sa voix lorsqu'elle s'exprima.
- Que fais-tu là ?
L'Envieux se stoppa à quatre mètres d'elle puis chercha ses mots pendant plusieurs secondes.
- Je… Pourquoi es-tu partie ?
Parsee ferma brièvement les yeux puis s'appuya à nouveau sur le parapet, replongeant ses yeux dans le lointain.
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?
L'agressivité avait dépassé l'agacement. Réo se mordit la lèvre inférieure.
C'était mal parti.
- Je voudrais savoir… Ou comprendre…
- Tu ne peux pas comprendre, ajouta sèchement la yôkai
- Essayer alors. J'ai fait ou dit un truc qu'il ne fallait pas ?
(- Depuis quand t'es aussi niais ?), remarqua l'Ombre.
- Ce n'est pas de ta faute. Je ne crois pas, lâcha Parsee.
Elle baissa la tête, la tristesse marquant ses traits.
- Alors…
- Va-t-en.
L'ordre avait claqué, aussi tranchant qu'une lame d'acier. Parsee ne regardait toujours pas le changeur de forme, sondant du regard la rivière serpentant tout en bas du précipice que son pont enjambait.
- Mais…
- Va-t-en je te dis ! Tu as des choses à faire, non ?
La colère montait chez la fille aux oreilles pointues. Insister était une mauvaise idée, le métamorphe en avait conscience.
Pourtant il n'avait aucune envie de partir. Il ne voulait pas…
- Allez ! Je n'ai pas besoin de ta pitié ! cracha la jalouse.
Réo recula, le visage crispé. Il aurait dû s'y attendre…
(- Si elle ne veut pas de ton aide, tu ne peux pas l'y forcer. Patience, Jealousy, patience. Tu ne peux pas l'atteindre tant qu'elle sera ainsi sur la défensive. Obéis, maintenant), conseilla l'Orgueil.
A contrecœur, Réo opina.
- D'accord, Parsee. Je m'en vais… Mais… Je… Je veux juste t'aider…
L'adolescent avait terminé sa phrase dans un murmure avant de s'éclipser à pas lents.
- Je sais, murmura la yôkai, tête à nouveau baissée.
Nul besoin de regarder de près pour deviner les larmes noyant ses joues.
Echo parfait à l'humidité des yeux de Réo, dont la tête était également baissée.

Lorsqu'il rentra après plus d'une heure et demi de trajet, son expression était toujours aussi morose. A sa grande surprise, Doku n'était pas là, malgré l'heure tardive indiquée par la position du soleil, lequel allait se coucher dans deux heures, environ.
Ce manque soudain d'activité fit aussitôt ressurgir la fatigue du polymorphe. Physiquement et mentalement, à cause de l'alcool et de l'Homme en Rouge, il ne put rien faire pour repousser le sommeil lorsque celui-ci se lança à l'assaut.
Ce fut donc avec les pensées tournées vers une fille aux oreilles pointues et aux magnifiques yeux verts qu'il s'endormit sur une chaise…
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 29 Jan - 17:21

Chapitre 27 : Mémoire tâchée d'écarlate


"Aucune connaissance ne s'acquiert par un claquement de doigts. Qu'il s'agisse de répondre à une question sur le monde ou nous-mêmes, il faut y consacrer de l'énergie et du temps. Parfois un peu, parfois énormément…"

Patchouli Knowledge


(♪) Il faisait sombre, ce jour-là. De gros nuages noirs obstruaient le ciel et relâchaient à intervalles irréguliers des trombes d'eau. Peu de gens étaient dehors dans ces conditions, et les alentours de l'Eientei étaient pour une fois dépourvus de toutes personnes aux oreilles et queue de lapin chantant dehors.
L'atmosphère de la clinique n'était pas froide ou désagréable, mais morose. Peu de bruits s'élevaient, ce qui rendait celui de la pluie, récemment de retour, maître de l'espace sonore.
- Je suis désolée, toutes mes condoléances.
La phrase d'Eirin résonna dans la tête et l'esprit de Byakuren, ainsi que la pièce qu'elles occupaient. Faiblement éclairée par des lampes accrochées aux murs, on y voyait deux lits d'hôpital en arrière plan. Ils devaient être occupés mais le drap blanc les recouvrant empêchait de savoir par qui exactement. Une fenêtre se trouvait derrière, mais les rideaux, bleu-nuit, étaient tirés.
La moniale opina, l'air grave.
- Merci… Mais, c'est de ma faute…
- Ne commencez pas à vous accabler, cela ne fera qu'aggraver votre peine, conseilla doucement la doctoresse.
Le regard de Byakuren se perdit vers les lits.
- Cela fait deux proches que ce Dévoreur m'enlève… Je vais commencer à croire que Bishamonten m'en veut.
- Permettez-moi d'en douter.
- Le doute est la seule chose qu'il me reste, miss Yagokoro. Après ce qu'il s'est passé, et ce que j'ai cru voir pendant le combat…
- Vous l'avez évoqué tout à l'heure. Nue Houjuu serait donc revenue se battre aux côtés de votre ennemi ?
Nouvel acquiescement de la part de la disciple divine qui regarda à nouveau la Lunarienne. Cette dernière capta la question silencieuse et entreprit d'y répondre sans tarder.
- Les Dévoreurs piègent les âmes de leurs victimes en eux, en effet. Mais de là à les faire revenir ? Je ne peux me prononcer. Voilà pourquoi j'effectue les recherches que vous savez depuis la perte de Nue Houjuu.
- Et cela n'a rien donné, commenta doucement Byakuren.
- Les informations dont j'ai besoin ne se trouvent pas à Gensokyo. Je dois faire appel à d'anciennes connaissances pour les obtenir, ce qui prend un certain temps… Je ne doute pas, cependant, de parvenir à mon objectif.
- Je comprends… J'espère que Reimu parviendra à résoudre le problème. Etant donné ce qu'il s'est passé, je doute que quelqu'un d'autre ose attaquer de front cette menace.
- Ces combats à répétition doivent l'avoir affaibli. Ses dons de régénération demandent l'énergie de ses âmes.
- Voulez-vous dire que si les âmes de ses victimes sont toujours en lui, alors c'est en voulant le tuer lui… Que nous les faisons disparaître pour de bon ?
- Vu sous cet angle, et si ce que je dis est exact, c'est effectivement le cas.
Abattue, Byakuren baissa la tête. La situation lui paraissait désespérée. Affronter ce Dévoreur ne servait donc qu'à faire disparaître l'ultime chance de revoir ceux qu'il avait dévorés.
Si cela était seulement possible. Mais l'idée de tuer une nouvelle fois ses proches lui était tout bonnement insupportable.
- Allez vous reposer, je vous remercie de me l'avoir ramenée. Et je vous promets de mener à bien mes recherches, acheva Eirin de sa voix calme.
Toujours aussi morose, à juste titre, la moniale remercia la doctoresse pour son aide puis quitta la maison de l'éternité, n'accordant aucun crédit à la pluie battante.

Eirin la regarda s'éloigner puis ferma la porte avec délicatesse. Elle n'en laissait rien paraître, mais elle détestait son impuissance face aux évènements. Oh, elle avait bien une piste pour inverser la tendance, mais cela prenait trop de temps. Et ce temps était un luxe auquel elle n'avait pas droit. Car chaque jour qui passait, la liste des victimes risquait de s'allonger. Et à chaque nouvelle victime, le pouvoir du Dévoreur augmentait.
Fort heureusement, la contrepartie était sa perte d'énergie, ce qui le rendait paradoxalement plus vulnérable. A un moment ou à un autre, il finirait par ne plus pouvoir résister, mais à quel prix ?
Ce n'était pas ainsi qu'Eirin envisageait l'avenir. De plus et malgré le cynisme que cela impliquait, il fallait remarquer que le nombre de victimes n'était pas si élevé que ce à quoi on pouvait s'attendre. Si Eirin ne doutait pas des ressources de Gensokyo, elle était surprise du faible nombre de combats impliquant le Dévoreur. Or ce dernier devait se nourrir.
De ceci, on pouvait donc en déduire qu'il se rationnait. La vraie question était : faisait-il cela pour conserver un maximum d'âmes et augmenter ses chances de survie ? Ou alors…
Ne voulait-il pas se nourrir ?
Ou peut-être même désirait-il sauvegarder les âmes de ses proies ?
Dans ce dernier combat, Byakuren et son équipe étaient celles qui avaient frappé les premières. Le Dévoreur avait été discret auparavant, entre son tragique combat contre Nue et cette bataille, restant caché quelque-part à Gensokyo.
Ces divers détails faisaient douter Eirin quant à la volonté du Dévoreur. Peut-être était-ce là un espoir utopique, mais peut-être que lui-même désirait mettre un terme à sa faim, malgré ce que Pride disait de lui.
L'avait-il mal jugé ?
Ou Malbas avait-il changé ? Ou peut-être tout ceci n'était que chimères et il était bel et bien un tueur-né, à la soif inextinguible de puissance ?
Car au fond, Eirin le savait, la personne qui pouvait le plus faire avancer ses recherches n'était autre que Malbas Elric lui-même. Mais le faire venir à l'Eientei de force était trop dangereux, elle se refusait à risquer la vie de qui que ce soit en demandant ce service.
Déjà fallait-il le trouver. Byakuren avait mentionné la Forêt Yôkai. Elle n'avait pas révélé pourquoi elle était allée en cet endroit plutôt qu'un autre mais elle avait bel et bien attiré Malbas dans son piège. En toute logique, il se trouvait donc là-bas.
Mais la Forêt Yôkai était grande, sombre… La cachette idéale. Mais il fallait essayer.
Personne ne devait risquer sa vie pour ceci. Personne d'autres. C'était à elle de le faire.
Peut-être ne risquait-elle rien du tout, du fait de sa faute passée, mais elle ne pouvait l'affirmer avec certitude. Le pouvoir des Dévoreurs était encore trop nébuleux pour qu'elle se risque à un tel pari, ce qui expliquait qu'elle n'ait rien demandé à la princesse Houraisan ou même Fujiwara no Mokou.

La doctoresse jeta un coup d'œil dehors. Trouver Malbas était impossible dans ces conditions. Il allait falloir attendre, malgré l'urgence. La raison était sa plus grande arme dans cette crise, elle le savait.
- Te voilà bien pensive.
Eirin sortit de son labyrinthe spirituel pour faire face à celle qui l'avait rejointe, une certaine Kaguya Houraisan, toujours vêtue de sa robe rouge et sa chemise rose et ayant les mains jointes, invisibles dans ses larges manches.
- Oui, je suis préoccupée, princesse, avoua Eirin en s'arrêtant.
- C'est ce qu'il me semblait avoir remarqué. Qu'y a-t-il donc qui puisse te noyer ainsi dans l'inquiétude ?
Contrairement à son amie, la princesse de la lune souriait. Elle semblait insouciante, à son habitude, comme si le tumulte agitant le reste de la contrée ne l'atteignait en rien.
- Le Dévoreur qui sévit toujours. Je pensais aller le chercher une fois que le temps le permettra.
Un air de surprise se peignit sur le visage de Kaguya.
- Dans quel but souhaites-tu faire cela ? C'est à Reimu Hakurei de remplir cette tâche complexe, non à toi.
- Je ne veux pas le neutraliser mais le rencontrer. Peut-être tenter de le comprendre, ou du moins lui demander de m'aider. Je refuse de croire que tout soit aussi simple qu'une simple histoire de méchant à abattre.
La réponse laissa la princesse pensive, ce qu'elle exprima en regardant le plafond tout en faisant la moue.
- Le monde n'est sans doute pas aussi manichéen qu'on essaie de le penser mais ne te laisse pas bercer par de faux espoirs.
- Je le sais, princesse, mais je me dois d'essayer.
- Je comprends. Sois prudente, même nous savons que les risques sont limités, conseilla Kaguya.
La doctoresse s'inclina en la remerciant puis entreprit de rejoindre le peu de patients occupant encore la clinique. Eux, au moins, elle pouvait les aider rapidement…

(- J'aimerai te faire remarquer, au risque de te paraître redondant, que si tu accélérais le rythme, on serait déjà arrivé !).
L'énième plainte de Pride, Réo avait cessé de compter au bout de vingt, résonna dans l'esprit de l'Envieux sans pour autant lui tirer de réaction particulière. Abrité sous un arbre imposant, il attendait que l'averse en cours décide de s'arrêter. Son regard était porté sur la surface du Lac Brumeux, pour une fois dépossédé de son nom. Les gouttes, nombreuses, venaient mourir sur sa surface en une litanie monocorde et dupliquée à l'infini, accompagnant chaque dernier acte d'une onde circulaire parfaite se diffractant sur l'eau. La berceuse ainsi jouée captivait le polymorphe dont les pensées allaient et venaient au fil des mouvements des larmes célestes et de ceux, conjoints, du miroir aquatique.
Le changeur de forme caressait distraitement son bracelet d'ouroboros gris encerclant son poignet gauche. Il éprouvait presque l'envie d'aller chercher son Ipod, bien à l'abri chez lui mais préférait garder toute la pureté du moment.
Il restait donc là, ignorant Pride qui s'impatientait. Peut-être même les protestations de l'Orgueil l'encourageaient-elles dans cette voie.

- Et bien, qu'attends-tu ?
La voix féminine qui venait de parler sortit l'Envieux de son état second. Se tournant vers sa droite, il put voir une fille approcher, sourire aux lèvres. Vêtue d'une veste brune et verte, elle possédait aussi une jupe d'un vert profond, ornée de cercles et d'arabesques orangés. Le polymorphe remarqua que la veste était ouverte sur un haut noir où une forme rouge était dessinée. Une forme rouge fort reconnaissable malgré le fait que l'Envieux ne la voyait pas totalement : un serpent ailé se mordant la queue, ressemblant presque à une tâche d'encre rouge jetée à la volée.
Les yeux ambrés aux pupilles en amande de la fille semblaient sourire autant que ses lèvres. Deux mèches de ses cheveux mi-longs verts et tombaient de manière transversale sur son visage.
- Wow… Doku ! Où étais-tu passée ? lança aussitôt le changeur de forme en se relevant.
La question éclaira un peu plus le visage de la yôkai.
- Je t'ai manqué ?
(- Suis-je donc le seul ici à la trouver un peu… Excessive ?), remarqua Pride.
- Un peu, oui. Je vois que tu as pu te trouver des vêtements… Ils te vont à ravir !
La fille rougit et remercia Réo.
- Et que fais-tu ici, alors ? Fais attention, tu pourrais attraper froid, lui lança-t-elle.
- Ahah, ne t'en fais pas pour ça. J'attends que la pluie cesse pour aller au Manoir du Démon Ecarlate.
- Pourquoi ? ne put s'empêcher de questionner Doku.
- Des questions à poser…
- D'accord. Je peux venir ?
L'expression de la yôkai en posant cette question était assimilable à celle d'un chat désirant plus de nourriture ou des caresses. Technique redoutable, déjà utilisée lorsqu'elle n'était qu'un serpent. Son efficacité n'était plus à prouver et l'aspect humain de la fille la rendait plus irrésistible encore.
Bien que ne comptant pas protester de toute manière, Réo sentit une vague de tendresse déferler en lui en voyant le visage de Doku.
- Bien sûr ! s'exclama-t-il comme pour se donner contenance.
Le serpent à forme humaine poussa une exclamation joyeuse et fit tressauter sa langue fourchue. Elle rejoignit le polymorphe et ne put s'empêcher de se serrer contre lui, chose qui le déstabilisa quelque peu. Il n'avait pas l'habitude, visiblement, de ce genre de marques d'affection. Sauf peut-être avec Flandre, mais cela n'avait rien à voir.
(- Vraiment affective. Très affective. Trop affective, en fait), remarqua Pride.
- Jaloux ?
La raillerie fit ricaner l'Orgueil.
(- Prudent, plutôt. Et je n'ai aucun besoin d'avoir un serpent pot de colle dans les pattes), cracha-t-il.
Serpent et métamorphe attendirent une dizaine de minute que l'averse cesse avant de s'envoler. Doku pouvait le faire sans aucune difficulté, alors que Réo dut encore se transformer en aigle noir. Malgré les multitudes de formes possibles, il avait ses petites habitudes. Au fur et à mesure, les formes de loup et d'aigle étaient véritablement devenues ses marques de fabrique. Aucune obligation là-dedans, peut-être l'apparition d'une aisance plus particulière à les prendre, du fait de leur utilisation fréquente, tout au plus.

Traversant le lac, les deux compagnons virent en chemin une certaine fée des glaces en compagnie de trois autres, l'une en bleu, l'autre en blanc et l'autre en rouge, se livrant à une bataille de danmaku.
Un peu plus tard, les deux compères prirent pied sur l'île principale occupant la surface de l'eau. Les feuilles mortes tapissaient le sol en cet automne agité et on put remarquer que les visiteurs marchaient d'un pas pressé, redoutant de nouvelles trombes d'eau.
Rapidement, ils furent en vue d'un haut portail gris, seule entrée dans une enceinte de brique entourant tout le périmètre du Manoir du Démon Ecarlate, jardin compris.
Contrairement à ce à quoi Réo s'attendait, Meiling n'était pas rentrée s'abriter à l'intérieur. Un parapluie rouge était fermé et posé derrière elle, debout qu'elle était à continuer sa vigie.
Elle semblait perdue dans ses pensées mais le changeur de forme savait qu'en réalité, rien ne lui échappait. La gardienne portait sa tenue habituelle et son traditionnel béret étoilé.
- Réo ! Te revoilà, je commençais à penser que l'on t'avait enlevé, lança la femme en s'approchant, sourire aux lèvres.
(- Pas totalement tort), s'amusa Pride.
Le ton de sa voix était joyeux. Elle se tourna ensuite vers Doku.
- Qui êtes-vous ? s'enquit la combattante.
- Je suis Doku Ryu, enchantée ! s'exclama la concernée en levant une main.
Visiblement perplexe, Meiling lança un regard interrogateur au polymorphe.
- Mon serpent, tu te souviens ? Ben c'est une yôkai à présent… Je pourrai en profiter pour voir ce que Patchouli en pense, tiens, expliqua-t-il.
La gardienne acquiesça, toujours un peu surprise, avant que Réo ne continue :
- Mais, tu ne rentres pas avec un temps pareil ? Quand j'étais là, tu étais à l'intérieur…
- Certes mais selon la maîtresse, c'est encore acceptable pour moi. Crois-moi que j'aimerai bien rentrer mais le devoir avant tout, soupira Meiling.
- Mouais… Le devoir avant tout…
Inutile de dire que le scepticisme du métamorphe était clairement visible et pas seulement dans sa voix.
- Tu comprendras lorsque tu en auras ! lança la gardienne en reprenant le sourire.
- Sans doute. Et vu que gagner de l'argent ne serait pas du luxe, il va falloir que je m'y mette… clama Réo avec une mine abattue.
- La maîtresse peut peut-être te trouver quelque-chose à faire dans le manoir. Sakuya aurait bien besoin d'aide, même si elle ne songera jamais à en demander, proposa Meiling avec gentillesse.
- Euh… Nan. Je ne pense pas être capable de supporter le quart de la moitié du dixième de tiers du quarante-deuxième de la dose de boulot qu'elle a.
(- Et si je te disais que Youmu est dans la même galère niveau charge de travail et obligations ?), râla doucement Pride.
La réplique tira un petit rire à l'experte en arts martiaux.
- D'ailleurs, cela me fait penser, une vampire du nom de Himitsu no Yoru, ça te parle ? s'enquit subitement l'Envieux.
Meiling prit le temps de réfléchir avant de hocher négativement la tête.
- Non, désolée. Pourquoi et qui est-ce ?
- Une vampire que j'ai rencontré dans l'Ancienne Cité. Elle semblait connaître Sakuya et surtout son passé…
La gardienne haussa un sourcil.
- Ah ? C'est étrange. Je ne le connais pas moi-même, en tout cas. Il faudra que tu en parles avec elle ou la maîtresse. C'était donc dans l'Ancienne Cité que tu étais hier ?
Le changement de sujet avait été naturel et surtout logique, puisque la chinoise ne pouvait aider l'Envie.
- Oui, j'avais promis à Suika d'aller boire avec Yuugi Hoshiguma et elle.
- Et les promesses sont sacrées avec les onis. Comment va Yuugi ? Je ne l'ai vue depuis… Une éternité !
Cette fois, ce fut à Réo d'être surpris.
- Hein, vous vous connaissez ?
(- Thanks Captain Obvious), railla aussitôt l'Orgueil.
Meiling acquiesça derechef.
- Notre première rencontre date d'un temps bien lointain, mais nous nous sommes plusieurs fois affrontées. Notre dernier combat commence à remonter, tout de même. J'ai beaucoup appris grâce à elle, et elle s'est bien amusée. On peut dire que nous sommes rivales. Enfin étions, en tout cas. Rivales et amies. L'as-tu affrontée ?
Pour toute réponse, l'Envieux toussota, détourna le regard, croisa celui de Doku restée en désuétude puis revint vers son amie.
- Mh… Oui… Je me suis fait massacrer.
- Ne t'inquiètes pas, elle est vraiment très forte. As-tu utilisé la forme qui m'avait vaincue ? Je dois te dire que si tu venais à la réutiliser contre moi, je ne me ferai pas avoir deux fois !
La remarqua avait beau être enjouée, le défi était évident.
- Non. En vérité, j'ai bien changé depuis notre affrontement. Je ne pense pas être capable de prendre cette forme si aisément, en me laissant envahir par une colère surpuissante que je ne ressens plus. Gensokyo m'a calmé et ce calme m'a rendu plus faible. C'est pourquoi Yuugi et Suika veulent m'entraîner mais, honnêtement, je ne me sens pas prêt…
Meiling resta quelques instants silencieuse après la tirade puis laissa un nouveau sourire naître sur ses lèvres.
- Dans ce cas, je vais t'entraîner un peu d'abord. Histoire que tu reprennes confiance en toi. Ensuite tu pourras aborder l'enseignement des deux onis. De ce que j'ai vu, elles te correspondent mieux, niveau caractère et style de combat que moi, mais quelques rudiments en arts martiaux ne te feraient pas de mal. Et surtout, je veux que tu sois serein lorsque tu te tiendras devant elles.
Réo cligna des yeux, plusieurs fois.
- Euh, tu es sûre ? Tu crois pouvoir trouver le temps de m'aider ?
- Bien sûr. Le soir, en fait. Et puis…
La gardienne se permit un clin d'œil.
- Comme ça, tu seras forcé de rester jouer avec Flandre.
(- Elle t'a eu, là), commenta une Ombre.
Réo dévisagea Meiling puis secoua la tête d'un air résigné.
- D'accord, bien joué, j'accepte. Merci, Meiling.
Geste inattendu, le changeur de forme ferma alors son poing droit qu'il apposa contre l'intérieur de sa main gauche ouverte, doigts vers le haut. Dans le même mouvement, il s'inclina.
Une lueur de joie s'alluma dans le regard de la chinoise qui salua le métamorphe de la même façon.
- Voilà bien longtemps qu'on ne m'a pas salué ainsi, remarqua la gardienne.
- Le monde que j'ai visité avant Gensokyo était d'influence chinoise, et l'idéogramme sur ton béret ne m'est pas inconnu. Même si ce n'est que maintenant que j'y pense, mais bon, vaut mieux tard que jamais !
Les deux amis ne surent se retenir de partir dans un éclat de rire, vite rejoints par Doku. Celle-ci prit sa forme de serpent pour s'enrouler autour du cou de Réo puis les deux entrèrent, alors que Meiling reprenait sa garde.

A son arrivée dans le hall, Réo ne put retenir un petit sifflement. Rien n'avait changé, toujours la moquette et le papier-peint rouge, toujours l'impressionnant lustre de cristal, l'escalier du fond et les portes sur les côtés. Il avait beau avoir déjà vu cela plusieurs fois, il avait toujours le même sentiment.
Celui de n'être finalement pas grand-chose.
Doku poussa un sifflement, réclamant des caresses qu'elle obtint.
Plusieurs servantes passèrent sans ralentir le changeur de forme, lequel avait emprunté une porte sur sa gauche. Il ignorait où pouvait se trouver Remilia, mais s'il parvenait à atteindre Voile, c'était dans la poche. A condition qu'il y parvienne, ce qui n'était pas gagné d'avance. Un jour, il faudrait qu'il demande un plan…
(- T'es quand même un privilégié de pouvoir entrer comme ça), intervint soudainement l'Orgueil.
- Certes…
(- Remilia va finir par te demander un truc en échange. Brace yourself, stupid requests are coming !), s'amusa l'Ombre.
- Toi t'es un privilégié de pouvoir entrer dans le Royaume des Morts quand tu veux, glissa alors l'Envie.
(- C'est vrai, t'as vu j'y vais tous les jours !), grinça l'Orgueil.
Réo n'eut pas le loisir de répondre puisque la voix caractéristique de la maîtresse des lieux se fit entendre.
- Je me disais bien que j'avais entendu quelque-chose. Bonjour Réo.
L'Envieux vit ainsi Remilia qui approchait, mains croisées derrière son dos et ailes repliées. Contrairement à l'accoutumée, Sakuya n'était pas avec elle, ce qui pour le coup arrangeait bien le changeur de forme. Celui-ci s'inclina à l'approche de la vampire, de quoi flatter quelque peu son ego qu'il savait égal à celui de Pride. Voir bien supérieur. Ils s'entendraient bien, tiens…
- Bonjour, miss Scarlet.
- Nous nous sommes brusquement perdus de vue lors de la fête, où étais-tu passé ? s'enquit la petite fille.
Le métamorphe toussota, le temps de trouver une explication. Bah, autant dire la vérité…
- J'ai laissé Pride s'amuser un peu puis Suika m'a entraîné boire avec elle…
- Pride ? Ta genre de seconde personnalité ou je ne sais quoi ? releva la maîtresse des lieux.
- Oui, Patchouli a dû vous en parler.
- Exactement. Je constate que tu as toujours ce serpent…
Doku darda sa langue fourchue en fixant Remilia, comme si elle la jaugeait pour déterminer de si elle était un ennemi potentiel ou non.
- Il faudra me le présenter, ce Pride un jour, annonça alors le Démon Ecarlate.
(- Et toc !), réagit instantanément l'intéressé.
- D'accord, d'accord… Mais avant, j'ai plusieurs questions à vous poser, si vous permettez…
- Uniquement si je parle à Pride.
La condition avait fusé et un léger sourire étirait les lèvres de Remilia, décidément habituée à commander et à être obéie. Réo tiqua puis laissa Doku descendre au sol. Là, elle reprit forme humaine, à la grande surprise de la maîtresse de maison.
- Ce serpent cachait quelque-chose, je le savais… Mais je ne sais pas encore si je suis ravie de la voir chez moi ou non, lança-t-elle alors.
- Je vais là où va Réo, cracha aussitôt la yôkai.
- Vraiment ? Ce n'est pas à toi d'en décider, contra la petite fille en rose.
L'animal sous forme humaine fit tressauter sa langue fourchue en signe de mécontentement et le polymorphe dut se mettre entre les deux pour tenter de calmer le jeu.
- Ahem, inutile de s'énerver, hein ? Doku est un peu ma shikigami, Remilia. S'il te plait, laisse-la rester…
- Peut-être. Fais déjà ce que je t'ai demandé et j'étudierai la question.
Doku s'apprêtait à protester énergiquement mais l'Envieux lui enjoignit de ne pas intervenir. Soupirant, il se retrouva rapidement être la source d'éclairs rouges crépitant tout autour de lui. La sacro-sainte lumière cramoisie le parcourut, laissant place à une toute autre personne.

Pride, vêtu de son ensemble ténébreux et rouge dont un manteau noir au bas déchiré, laissa un grand sourire illuminer ses traits.
- Yo, Remilia Scarlet. Merci de m'avoir facilité la sortie, je commençais à désespérer…
Sous forme humaine, sa voix n'avait presque plus l'écho métallique qui la caractérisait sous forme d'ombre.
- Enchantée, Pride. Au final, je t'avais déjà vu. Tu étais avec Youmu Konpaku lors du festival, je me trompe ?
L'Orgueil acquiesça avant de continuer d'une voix ironique :
- C'est ça. Et ne me regarde pas comme ça, Doku, ton Envieux va revenir.
La yôkai regardait en effet l'Ombre d'un air peu amène.
- Elle est vraiment… Attachée à lui, remarqua la vampire avec dédain.
- Oui, j'ai cru remarquer. La suite promet d'être sportive.
(- C'est finit, oui ? Doku est très bien, je me contrefous de vos avis), s'énerva le changeur de forme.
- Elle va t'attirer des tas d'ennuis, je peux te l'assurer, rétorqua l'Ombre.
- Réo a dit avoir des questions à me poser, donc ? lança Remilia.
- Oui. Sur plusieurs sujets. Un moyen de trouver de l'argent et si une certaine Himitsu no Yoru est connue de vous. En passant par le passé de Sakuya Izayoi.
La fillette plusieurs fois centenaire pencha la tête sur la droite.
- Tout ça ? Et bien, tu es gourmand, lui lança-t-elle.
- Vous n'imaginez pas à quel point…
Le rictus de Pride trouva son reflet sur le visage de Remilia. Doku assistait à tout ça, en retrait. La situation ne lui convenait pas et c'était flagrant.
- Dans ce cas, je ne vais pas te répondre tout de suite, Pride, asséna le Démon Ecarlate.
L'Ombre fut incapable de masquer sa surprise et sa perplexité, du moins jusqu'à ce que Remilia ne continue :
- Tu vas d'abord devoir me suivre. Quant à toi, Doku, reste ici, Sakuya s'occupera de toi.

(♪) Sans même leur accorder une occasion de protester, la maîtresse du manoir fit volte-face et marcha à pas rapides dans le couloir, obligeant un Pride médusé à la suivre.
(- It's a trap. A lolitrap), signala le changeur de forme en mode spectateur.
- Tu es un spécialiste vu que tu t'es toujours fait avoir…
Le grognement éthéré qui s'ensuivit tira une expression satisfaite au maître des ombres. Il suivait la fille ailée tout en regardant le décor, sombre à cause du manque de fenêtres. Etant donné que le papier peint et la moquette étaient rouges, cela avait le mérite se sauvegarder l'intégrité oculaire de ceux qui étaient à l'intérieur. Toutes ces bougies et autres lanternes pour éclairer, elles sortaient d'où ? D'ailleurs, elles éclairaient mieux que des objets standards…

Remilia le conduisit jusqu'à une salle particulièrement grande. L'éclairage était cette fois assuré par des orbes de lumières suspendus au plafond, comme pour Voile. Ce qui n'empêchait pas des contrastes de lumière peu naturels. Les sphères n'étaient sans doute pas à leur puissance la plus élevée, de plus. Une estrade fermée par un imposant rideau rouge occupait le fond de l'endroit. Nulle table n'était visible mais Pride ne doutait pas de leurs présences à l'accoutumée. Les fenêtres, petites et rares, étaient également masquées et l'inévitable moquette rouge tapissait le sol.
Le Démon Ecarlate et son invité traversèrent une partie de la pièce avant que la vampire ne se stoppe subitement, mains derrière le dos. Elle fit volte-face et sourit comme une gamine préparant un mauvais coup.
Ce qui était le cas.
- Bien. Je vais répondre à tes questions. Plus tard. Avant, tu vas devoir m'affronter, déclara-t-elle.
L'Orgueil haussa un sourcil et laissa un rictus se dessiner sur son visage. Il recula alors de deux pas, laissant son ombre se mêler à celle qui se découpait sur le mur le plus proche, celui des fenêtres cachées.
- Si vous le désirez, miss Scarlet…
- Soyons clairs. Si tu me bats, je te dis tout ce que tu voudras savoir et Sakuya aussi. Dans le cas contraire, Réo et toi devrez rester ici pendant deux semaines, minimum, et j'aviserai pour vos réponses.
Pride ne cacha pas sa perplexité et se contenta d'un soupir de résignation. Ses yeux mauves aux pupilles verticales se posèrent sur Remilia, qui avait décroisé ses mains de derrière son dos.
- Quand tu veux, lui lança-t-elle.
- Dans ce cas…
L'ombre derrière Pride se garnit d'yeux et de sourires formés par des dents acérées, tout en s'étendant encore sur le sol, gagnant également de la consistance.
- C'est parti !

Aussitôt, une dizaine de fins petits bras d'ombres en deux dimensions et se terminant en pointe filèrent vers Remilia. Malgré la rapidité de l'action, elle n'eut aucune difficulté à esquiver, passant entre les tentacules de noirceurs. Lorsque ceux-ci changèrent de trajectoire pour en emprunter une horizontale, elle bondit. Du haut du mur, une longue mâchoire, toujours en deux dimensions, surmontée de quatre yeux violacés s'étendit vers la vampire, tel un monstre ténébreux. Toujours dans les airs, Remilia pivota, se retrouvant tête en bas. La gueule s'était ouverte en approchant et venait de se refermer à quelques centimètres d'elle. Son mouvement de rotation lui avait permis d'échapper à l'assaut mais lui offrit également la possibilité de prendre appui sur la face plate de l'ombre pour se propulser vers l'Orgueil.
Ce dernier roula sur la droite alors que Remilia l'atteignait, la laissant frapper le vide. Il se releva rapidement et envoya deux nouveaux tentacules d'ombres, les précédents s'étant rétractés.
Agissant avec une rapidité proprement sidérante, la vampire se coula entre les deux bras obscurs. Elle allait frapper Pride lorsque ce dernier étira l'ombre juste en dessous de lui pour un assaut qui, s'il fut inefficace, força Remilia à reculer.

Elle était rapide. Vraiment rapide. Pride s'y attendait, en un sens, mais il avait la désagréable impression qu'il était bien mal engagé. Et son adversaire n'avait même pas encore lancé de rideau de tirs ! Son sourire et son air hautains montraient d'ailleurs qu'elle ne faisait que s'amuser.
Pourquoi avait-il l'impression d'être un personnage de niveau un affrontant un boss de fin de jeu ?
Rah, il lui fallait réfléchir. Les capacités physiques de Remilia étaient largement supérieures aux siennes, qu'il s'agisse d'agilité, de force ou de vitesse pure. Elle pouvait également voler et attaquer à distance sans aucune difficulté… Un vrai casse-tête.

La réflexion de l'Orgueil fut coupée par une nouvelle charge de son ennemie. Il avait presque failli ne pas la remarquer…
Renonçant à interrompre la course du Démon Ecarlate, Pride leva un véritable mur d'ombres pour se protéger. La vampire ne se laissa pas démonter pour si peu et s'éleva dans les airs.
Ses mains s'auréolèrent d'énergie rouge alors que plusieurs fins tentacules de ténèbres allaient dans sa direction. Elle les frappa alors avec violence, les repoussant.
(- What ?), s'exclama le polymorphe.
Pride non plus ne s'attendait pas à cela, et encore moins à ce que la maîtresse du manoir tourne sur elle-même pour conjurer une dizaine de chauve-souris de lumière écarlate, d'une quarantaine de centimètres.
L'Orgueil serra les dents. Cinq extensions d'ombre se levèrent, exposant leurs faces planes pour protéger Pride. Si l'être vêtu de noir fut sain et sauf, il ne resta pas longtemps ainsi. Ses protections s'allongèrent pour filer en direction de la fillette aux longues canines.
Virevoltant avec une grâce diabolique, Remilia évita les assauts sans la moindre difficulté malgré l'envergure de ses ailes. Tel un rapace fondant sur sa proie, elle qui s'était élevée fondit subitement sur son adversaire, mains grandes ouvertes.
Alors qu'un nouveau tentacule d'obscurité se tendait dans sa direction, le Démon Ecarlate changea brusquement de trajectoire pour toucher le sol avec violence, dans un claquement sonore. D'une puissante détente, elle se propulsa vers Pride.
Elle changea encore de chemin lorsque d'autres ombres voulurent lui interdire l'accès à l'Orgueil, se déplaçant si vite qu'il était incapable de la suivre des yeux, même aidé de ceux de ses ombres.
Alors qu'un vent de panique soufflait dans son esprit, Pride sentit une fulgurante douleur à son épaule gauche. Conjuguée à la surprise, elle le força à reculer de quelques pas, avant que son bras droit ne se joigne à la partie, ainsi que son ventre lorsque la vampire, après ses deux griffures, lui envoya son pied gauche en plein abdomen.

Désolidarisé du sol, l'Orgueil alla s'écraser contre le mur. Les éclairs rouges habituels crépitèrent autour de lui, soignant les plaies que les ongles de Remilia devenus griffes avaient crées.
L'adolescent aux longs cheveux blancs se remit de bout et jeta un regard à son adversaire. Debout, à la même place que lorsque le combat avait débuté, elle le fixait avec amusement.
Elle se moquait de lui.
Cette constatation eut le don de frustrer Pride mais il garda tout de même le contrôle de ses pensées. Remilia n'avait aucune faiblesse qu'il pouvait exploiter. Et il ne l'avait pas mise en difficulté une seule fois pour le moment, alors qu'elle ne faisait que le jauger.
Voyons… Au moins, elle n'avait pas d'armes. En tout cas, il n'était plus temps de tergiverser. S'il voulait avoir une chance, il allait devoir s'en donner les moyens ! Et comme ses attaques classiques ne servaient à rien…
- J'espère que tu as mieux en réserve, railla Remilia d'une voix moqueuse.
- Depuis ma dernière raclée face à une dragonne, j'ai pris quelques dispositions, lança l'Orgueil avec dépit.
Il chercha ainsi quelque-chose dans son vêtement noir déchiré, chose qui s'avéra être une carte noire.
Se tenant toujours près du mur, il disposait d'un champ d'ombre assez grand derrière lui. Il brandit sa carte et énonça :
- Tree of Death "Joyless Contemplation"

Du mur naquirent alors des branches. Fines, noires, elles sortaient de l'ombre mais en étaient constituées. Les branches grandirent et se parèrent de fleurs obscures en une poignée de secondes. Etant donné les formes adoptées, tout ceci appartenait à un cerisier. Ce ne fut qu'une fois l'entremêlas d'ombre ayant atteint une taille de trois mètres et comportant une quinzaine de membres que le tout se décomposa progressivement en pétales. Des pétales aussi sombres que la nuit et tranchants que des lames, poussés par un vent inexistant et surnaturellement puissant qui les entraînait droit vers Remilia.
Un petit air de satisfaction se peignit sur le visage du vampire qui décolla rapidement, laissant les pétales entailler le sol. La petitesse des projectiles et leur formation serrée rendait difficile une traversée. Le Démon Ecarlate opta donc pour une stratégie adaptée à ce genre de problèmes, à savoir l'activation d'une spellcard.
- Heaven Punishment "Star of David"

L'effet fut immédiat. Plusieurs lasers rouges, aussi épais que leur créatrice était grande, se formèrent, partant d'elle pour former une étoile à six branches dont elle était le centre et s'étendant ensuite afin de former un véritable labyrinthe. L'objectif était normalement de réduire les mouvements de l'adversaire afin d'augmenter les chances de le toucher avec la pluie d'orbes violets deux fois plus gros que des ballons de football. Cependant, l'attaque fut utilisée pour nettoyer la salle des pétales d'ombres, incapables de résister. Les rayons écarlates changeaient souvent de place, modifiant la prison.
Rapidement, Remilia n'eut qu'à bouger un peu pour esquiver les rares projectiles rescapés. Elle laissa toutefois sa spellcard active, sachant qu'il lui restait plusieurs secondes.
Pride ne se laissa pas piéger, glissant au sol pour ne pas se prendre les attaques mauves. Ses ombres fusèrent et, si elles parvinrent à passer outre les autres balles, elles furent forcées de refluer suite à un rayonnement cramoisi bien trop concentré.
Autant le dire, c'était un échec.

Pride réprima un juron, malgré la fin de la carte ennemie. Il était vraiment dans une sale posture, la gamine était insaisissable. Refusant de céder à toute trace de panique ou de désespoir, l'Orgueil suivit son adversaire des yeux.
Celle-ci joignit ses mains, paumes vers Pride. Une dizaine de cercles magiques rouges apparurent derrière elle, lançant à intervalles réguliers de petites chauves-souris rouges.
Décidé à détruire cette menace, le maître des ombres envoya ses dernières mettre en pièces les animaux d'énergie. Et il y arriva sans problème. Les longs appendices noirs en deux dimensions tranchèrent leurs cibles, aussi facilement que…
Un leurre.
Pride ne le comprit que lorsque Remilia prit appui sur le plafond pour fondre à une vitesse vertigineuse sur lui, passant sa garde avec une facilité déconcertante. Incapable de réagir à temps, la petite fille percuta son adversaire avec violence, enfonçant sans ménagement son poing droit sous sa cage thoracique. Elle ne lui laissa pas le temps de s'envoler que déjà, elle était derrière lui. Une onde de douleur effroyable secoua le corps de l'Orgueil lorsque cinq plaies s'ouvrirent dans son dos, rapidement suivies de jumelles au flanc droit, au ventre avant que l'être en noir ne soit jeté au sol d'un revers aussi rapide que dévastateur.

Les arcs électriques cramoisis firent à nouveau leur apparition pendant que Pride se relevait fébrilement. Il n'avait pas encore dit son dernier mot ! N'empêche qu'il fatiguait et que la douleur n'était pas négligeable.
- Alors, Pride ? Je m'attendais quand même à mieux, bougonna la maîtresse des lieux.
L'intéressé se contenta de braquer ses yeux mauves sur elle. Un sourire de mauvais augure se dessina sur ses lèvres avant que trois lames d'ombre ne se tendent vers la vampire. Elle les esquiva sans aucune difficulté, presque avec un soupir.
- Trop lent ! nota-t-elle avec dédain.
Avec lenteur, Pride lui désigna le plafond.
- J'espère que tu n'as pas peur du noir, lâcha-t-il.

A cet instant, les trois formes de ténèbres remontèrent pour frapper leur véritable cible : l'un des orbes lumineux. Sa destruction entraîna immédiatement l'apparition d'une portion d'ombre bien plus grande, plus d'un quart de la salle. Et l'Orgueil était en plein dedans. Cela n'impressionna pas Remilia, loin s'en fallait, mais attira son attention.
Ce qui lui permit de repérer la carte que l'adolescent aux cheveux blancs tenait.
- Hidden Terror "Boogeyman Will Take You"

Cette incantation s'accompagna d'un prolongement des ombres existantes sur les parois où elles apparaissaient. Un tunnel noir se formait rapidement, niant à la lumière le droit de l'entraver, noyant les murs sous une chape noir aussi tangible que de l'acier. Les orbes restants continuaient toujours d'éclairer le champ de bataille mais dans une moindre mesure. Il y avait cependant encore assez de lumière pour que l'ombre existe. Lumière qui formait désormais une véritable opposition à l'ombre qui s'était étendue, chose ironique compte tenu de la nature de celle qu'elle abritait. Malgré son aplomb, la petite fille ne put empêcher un léger frisson de la parcourir. Les yeux habituels apparurent alors, multitude, suivis de sourires pernicieux aux dents grinçantes. La vampire avait la désagréable impression d'être perdue dans les ténèbres, sans aide possible… Et ces yeux…
Ce fut à ce moment que Remilia vit que de fins bras en deux dimensions terminés par des mains griffues sortaient de l'ombre, au sol. D'abord lentement, zigzaguant tel des serpents, les appendices inquiétants gagnèrent en vitesse lorsqu'ils furent captés par le regard rubis de leur cible.
Bien que prise au dépourvu, la maîtresse du manoir agit avec sa célérité habituelle. Plusieurs doigts se tendirent inutilement dans sa direction, échouant à la griffer. Quelques chauves-souris rouges suffirent à les écarter, malgré ceux qui suivirent. Remontant vers le plafond pour échapper à ses frêles assaillants s'allongeant sans-cesse, la vampire déversa une pluie de projectiles écarlates vers le bas. Elle ne vit qu'au dernier moment une main d'ombre, avec volume cette fois, jaillir des ténèbres pour se refermer sur elle.
Cela aurait pu arriver si le Démon Ecarlate n'avait pas été si prompt à réagir, laissant le membre fantasmagorique passer sur sa gauche. D'autres apparurent mais Remilia filait entre les obstacles, trop gros pour lui causer du tort et bien trop lent. Du coin de l'œil, elle remarqua un autre bras obscur qui se tendait vers elle. Seulement, le poing d'ombre était fermé.
Elle sourit lorsqu'il s'ouvrit, révélant son véritable rôle. Un tremplin.
Qui permit à Pride, niché dans sa création, bras écartés, de traverser la salle en direction de son adversaire. Les doigts de l'Orgueil étaient devenus de longues griffes noires de dix centimètres, formées d'ombre également. Seulement, de petits yeux mauves aux pupilles verticales ornaient les jointures des phalanges, s'étaient donc finalement des doigts, et une mâchoire aux dents pointues occupait les côtés des petites lames, identiques à celles formées habituellement.

Le vol de l'Orgueil était bien calibré mais Remilia n'eut qu'à aller sur la droite pour l'esquiver. L'infime relâchement de sa garde permit cependant à une main d'ombre de s'abattre sur elle. La seule conséquence fut de la ramener vers le sol, ce qui était en fait l'objectif de l'être en noir. Se servant d'un autre membre de ténèbres comme support, il rejoignit la terre ferme, enfin la moquette, pour se ruer sur Remilia.
Ses griffes lui offraient un avantage net mais elles étaient limitées dans le temps. Leur obscure trajectoire en direction de l'épaule droite du Démon Ecarlate ne rencontra rien d'autres que l'air ambiant.
Remilia avait contourné son ennemi bien trop rapidement pour qu'il la remarque. Ses griffes à elle entaillèrent le maître des ombres au flanc droit avant que celui-ci ne se retourne pour un assaut oblique et descendant.
Raté.
La vampire venait de se couler à quelques centimètres des lames d'un simple effacement d'épaules. Son aile droite s'inclina en même temps que son corps pour toucher avec force le visage de Pride, avant que ce ne soit le poing gauche de la vampire qui ne le fasse.
La spellcard se termina enfin. Les griffes disparurent et les ombres refluèrent, bien que la surface dépourvue de lumière soit toujours plus grande qu'au début de l'affrontement suite à la destruction d'un orbe lumineux.

Pride recula, sa régénération se mettant en marche. La carte l'avait certes un peu fatigué, mais c'était surtout les attaques du vampire qui drainaient son énergie. Et il avait commencé à amasser pas mal de blessures. Son ombre se détendit en quatre tentacules en deux dimensions pour le protéger mais un saut sur la droite rendit la tentative vaine. Contrairement au maître des ombres, Remilia ne montrait aucun signe d'épuisement. D'un geste, elle conjura à nouveau une dizaine de cercles magique carmins, envoyant les petites chauves-souris sur son ennemi.
Ne se laissant pas accaparer par cela, Pride avança, se servant de rapides et éphémères extensions ombreuses pour se débarrasser une attaque trop proche. Remilia créa d'autres cercles encore, compliquant la tâche de l'adolescent aux cheveux blancs. Bien obligé de revoir son plan, l'Orgueil fit un pas en arrière, concentra ses ombres et lança une grande mâchoire de plus de deux mètres de larges pour cinq de long à l'attaque. Horizontale et secondée de lames protectrices couvrant leur maître, la création obscure se referma sur Remilia telle une cisaille géante.
Voulut se refermer.
La vampire était passée au ras des dents pointues de la bête en s'éjectant vers le plafond. Adoptant l'expression de celle qui avait déjà gagné et venait de remplir les conditions pour ce faire, elle énonça :
- Destiny "Miserable Fate"

Une demi-dizaine de chaînes d'énergie rougeâtre jaillirent du Démon Ecarlate. S'allongeant sans limite apparente, elles contournèrent la mâchoire, filèrent entre les tentacules qui combattaient les chauves-souris, lesquelles disparurent aussitôt, et, sans qu'il ne puisse réagir en quoi que ce soit, s'enroulèrent autour du torse de Pride, de ses bras et de ses jambes.
Outre leur contact brûlant, une sphère de lumière parcourut les créations depuis leur maîtresse. Elles se rejoignirent au niveau de l'Orgueil et détonèrent à ce moment, l'engloutissant dans l'explosion qui s'ensuivit, mettant fin à l'existence des chaînes dans le même temps.
Si la déflagration ne fut pas impressionnante, elle causa assez de dégâts à Pride pour qu'il s'effondre et pose un genou à terre, vêtements et chair brûlés. Ses ombres refluèrent rapidement, écho à ses halètements.
Cette fois, c'était terminé.

Remilia se posa à dix mètres de son adversaire vaincu et, prenant un air supérieur, s'avança en croisant ses mains derrière son dos. Les lumières rouges de la régénération accélérée éclairaient la salle par intermittences. Les blessures du maître des ombres se refermaient peu à peu, de même que ses vêtements, comme si on passait une vidéo à l'envers pour revenir au début. L'Orgueil tenta de se remettre debout mais tituba, perdit l'équilibre et se rattrapa de justesse à une colonne noire jaillie de son ombre pour lui servir d'appui.
L'air joyeux du vampire dénotait avec l'expression crispée de Pride. Perdre n'était jamais facile lorsqu'on représentait la Fierté et cela n'arrivait pas souvent. Non pas du fait de sa force mais plutôt du peu de combats qu'il livrait. Cette absence de liberté empêchait aussi les entraînements réels mais rester spectateur de ceux de Réo compensaient cette gêne. Les leçons de Youmu étaient toutefois toujours autant désirées... Hey, pourquoi pensait-il à ça ?
- On dirait bien que j'ai gagné, susurra la petite fille.
L'adolescent soupira de dépit, de résignation, de frustration et un peu d'agacement, certainement. Cocktail peu recommandable, mais il fallait faire avec.
- Oui, on dirait bien. Bien joué, lâcha-t-il.
- Ne t'inquiètes pas, tu n'avais de toute façon aucune chance, insista la maîtresse des lieux.
- C'est moi l'Orgueil... marmonna ce dernier.
- Hein ? Releva Remilia, s'interrompant dans son début de monologue.
- Non rien. Vous disiez ?
Le sourire moqueur de l'être en noir et le ton de sa question débordaient d'ironie. Le Démon Ecarlate le remarqua sans doute, battit deux fois des ailes et se renfrogna.
- Bon. Suis-moi, nous parlerons dans un endroit plus… Adapté…
- Si c'est pour un autre combat, je dis non tout de suite !
Un petit rire s'échappa des lèvres de la petite vampire. Elle mena ensuite son invité dans les couloirs, Réo avait d'ailleurs renoncé à suivre mentalement, pour atteindre un étage. Le polymorphe en mode spectateur s'inquiétait par ailleurs du sort de Doku. Il y avait peu de chances qu'il lui soit arrivé quelque-chose avec Sakuya mais quand même…
Pride récupérait peu à peu, quant à lui. Il avait cessé de contempler le manoir et râlait intérieurement contre son manque d'efficacité. Un problème qu'il espérait pouvoir régler rapidement…

Le trajet se termina lorsque la maîtresse des lieux ouvrit l'accès à un salon de taille modeste. Canapé et table ronde occupaient la pièce, secondés de deux commodes. L'épais rideau rouge bloquant la lumière de la fenêtre, réduite, perçant le mur du fond achevait le décor. Réo était déjà venu dans ce salon pour y jouer avec Flandre ou lui conter des histoires. C'était d'ailleurs là qu'il avait été avant l'incident des morts-vivants.
En parlant de Flandre, elle se trouvait là. Elle et Doku, la yôkai se trouvait à l'opposé du meuble, se dévisageaient sans la moindre aménité. On pouvait presque voir de l'électricité crépiter sous le poids de leurs regards. Insensible à la tension pourtant palpable du lieu, Sakuya attendait près de la porte. Debout et immobile, attendant patiemment la suite des évènements, il ne faisait aucun doute qu'elle était capable de faire face à presque toute sorte de situation dans la seconde suivante.
Le bruit de la porte s'ouvrant vers l'intérieur attira les deux filles à l'évidente inimité. Remilia entra sans manifester d'émotion particulière. Pride s'autorisa un sourire au coin en voyant la pointe de déception qui parcourut les regards rouges et ambrés posés sur lui.
- Toi tu es Pride, lança Flandre comme pour en être certaine.
- Exact. Tu as entendu parler de moi ? répondit l'intéressé en tentant de rester le plus neutre possible.
Difficile en sachant qu'elle pouvait le faire exploser dans l'instant. Sans doute était-ce pour cela qu'il ne se sentait pas très à l'aise en sa présence. D'autant plus qu'elle était aussi instable psychologiquement que l'Envieux…
- Un petit peu. Je préfère Réo, trancha la cadette.
Doku approuva discrètement, tirant un soupir lassé à l'Orgueil.
- Et il trouve encore le moyen de se plaindre, envier, jouer la victime, marmonna-t-il.
(- Je dois comprendre quoi ?), réagit la victime.
- Rien, ta petite tête verte est incapable d'assimiler l'évidence, répondit mentalement l'Ombre.
Pendant ce temps, Remilia s'était approché de sa servante et lui avait murmuré quelques mots à l'oreille. Sakuya acquiesça, s'inclina, puis prit la parole.
- Enchantée de vous rencontrer, Pride.
L'adolescent pivota vers elle et, chose rare, se pencha également vers l'avant en joignant ses mains.
- Ravi de vous voir de mes propres yeux, miss Izayoi. Je tenais à vous féliciter pour votre dur labeur accompli avec brio.
(- Depuis quand tu complimentes quelqu'un, toi ?), s'étonna le changeur de forme.
Sakuya ne devait pas non plus s'attendre à cela. Elle accueillit néanmoins les paroles de l'Orgueil avec le sourire et le remercia de bon cœur.
- Pride restera pendant les deux prochaines semaines. Du moins, lui et Réo, à eux de s'organiser comme ils le souhaitent. Sakuya, va donc préparer une chambre pour eux, et une autre pour Doku.
Une nouvelle fois, la domestique opina puis quitta la pièce. Pride avait observé sans un mot. La loyauté de Sakuya envers Remilia l'impressionnait tout en lui rappelant Youmu et Yuyuko. Il avait beau dire, il trouvait leur tâche écrasante. Pourtant, elles n'étaient pas traitées comme l'Orgueil estimait qu'elles le devraient. Certes, elles étaient sous les ordres de leurs maîtresses mais un peu de gentillesse, compassion et compréhension n'étaient pas du luxe, si ? Et que feraient les dames si leurs subordonnées s'en allaient, tiens ? Pride voyait mal Remilia gérer tout le manoir et encore moins Yuyuko s'occuper de ses jardins.
Après, les deux maîtresses pouvaient également agir ainsi pour conserver leur statut de supérieures hiérarchiques. Classique et désespérément humain… Pour des non-humaines.
Quoi qu'il en soit, l'Orgueil devait admettre que Sakuya l'étonnait, dans le bon sens du terme. L'impressionnait, même…

- Pride, peux-tu laisser la place à Réo ? Si c'est lui qui a des questions à me poser, autant que je lui réponde directement, lança alors Remilia en s'asseyant sur le canapé.
- Ma liberté aura été bien courte ! railla le maître des ombres.
Quelques instants plus tard, Réo se tenait à sa place… Et accueillait en catastrophe une petite vampire blonde qui avait sauté dans ses bras.
- Jeaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaal' ! Enfin ! cria-t-elle.
Elle se blottit contre le changeur de forme avec force, causant un regard noir de Doku. La yôkai, toujours assise sur une chaise, avait posé sa tête sur son poing droit et observait la scène avec dépit.
- Moi aussi, je suis content de te revoir, Flandre. Excuse-moi, mais il faut que je parle à Remilia.
- D'accord mais tu joueras avec moi après ! s'exclama la sœur cadette.
- Bien sûr ! fit l'Envieux en reposant la fille au sol.
Cette dernière sautilla de joie et quitta la pièce, déclarant attendre le polymorphe dans sa chambre à elle.
Il ne restait plus que Doku, Réo et Remilia dans la pièce. Cette dernière invita le seul garçon présent à avancer.
- Comme je suis de bonne humeur, je vais répondre à tes questions, fit-elle en croisant les bras.
- Merci. Tout d'abord, cela peut paraître bizarre mais… Vous ne connaîtriez pas un bon filon pour avoir un peu d'argent ?
(- Une mine !)
La blague de l'Orgueil tira un léger sourire au métamorphe alors que Remilia réfléchissait.
- Et bien… Garder Flandre ? Cela te forcerait à venir plus souvent…
- Non. La relation que j'ai avec Flandre est au-delà de ça. Je ne veux pas de ce genre de chose entre elle et moi.
(- Sortie du contexte, elle est bizarre cette réplique), railla à nouveau l'Orgueil.
- J'espérais que tu dises cela. Mais, je n'ai pas grand-chose d'autres à te proposer. A moins que seconder Sakuya ne t'intéresse ?
La grimace de Réo suffit à faire comprendre le fond de sa pensée à la maîtresse des lieux.
- Je m'en doutais. De son côté, Meiling s'en sort très bien à l'entrée… Je n'ai donc rien à te proposer.
- Bon, merci quand même… Et pour Himitsu no Yoru ? Ce nom vous dit-il quelque-chose ?
Remilia prit le temps de réfléchir.
- Oui… Elle était en Angleterre, à l'époque où j'y vivais encore. Etrange avec son nom typiquement japonais. J'ignore totalement d'où elle vient et ce qu'elle y faisait, seules certaines rumeurs en parlaient… Elle n'y habitait pas, en tout cas. Tu l'as rencontrée ?
- Oui, dans l'Ancienne Cité. C'est elle qui m'a guidé vers Sakuya, pour que je lui demande "ce qu'elle faisait sur les routes d'Angleterre il y a si longtemps".
La nouvelle fit froncer les sourcils de Remilia. Arborant désormais un air préoccupé, elle quitta son canapé.
- Là, ça devient à la fois étrange et désagréable…
Réo ne put contenir sa surprise.
- Pourquoi ça ?
- Le passé de Sakuya n'est pas des plus banals. Je suis la seule ici à le connaître, jusque dans ses moindres détails, à travers ce qu'elle m'a raconté et le rôle que j'y ai joué.
Le Démon Ecarlate avait commencé à faire les cents pas, signe manifeste de son trouble.
- Elle a pu en entendre parler d'une manière ou d'une autre, non ? tenta l'Envieux.
- Non. Vu la manière dont elle l'a dit… Je n'aime pas ça. Pas du tout.
Réo était perplexe devant cette attitude, autant que Pride.
- C'est si grave ? s'enquit le changeur de forme, déboussolé.
Remilia se stoppa pour le dévisager.
- Disons que c'est troublant. Tu ne comprendras que lorsque tu seras au courant… Cependant, c'est Sakuya qui doit te parler d'elle, non moi.
Réo roula des yeux.
- D'accord… Mais qui dit qu'elle acceptera de me raconter ça ? C'est pas comme si nous étions proches ou quoi que ce soit d'approchant…
- Parle-lui simplement de Yoru, conseilla la fillette.
(- Très RPG tout ça. Parler avec machin qui te renvoie vers truc, tout ça pour résoudre un mystère et mettre minable au méchant ensuite), nota l'Ombre.
De plus en plus sceptique, Réo ne put qu'acquiescer.
Il quitta alors la maîtresse des lieux et s'enfonça dans les couloirs, accompagné de Doku qui marchait à ses côtés.

L'Envieux était soucieux. Il ignorait tout de ce qu'il allait devoir découvrir mais il sentait que ce n'était pas très joyeux. Il se tourna cependant vers Doku, qui faisait grise mine.
- Désolé, on dirait que tu ne leur plais pas, lâcha le changeur de forme.
La yôkai passa sa main droite dans ses cheveux.
- Ce n'est pas grave… Seul ton avis m'intéresse.
Le rouge gagna les joues de Réo. Vraiment…
- Pourquoi t'es-tu autant attachée à moi ? lança-t-il soudain.
Il n'y avait pas vraiment réfléchis jusque là mais il était vraiment temps qu'il pose cette question. Laquelle valait également pour lui, ce que le serpent ne tarda pas à faire remarquer.
- Et toi ?
L'Envie hésita. Pride se posait des interrogations similaires depuis le début, quelque peu étonné d'avoir vu ses deux-là se prendre d'affection mutuellement.
- Je ne sais pas, Doku. C'était un peu comme… Un coup de foudre. En moins fort, certes, mais… Je ne saurai pas l'expliquer. Je t'ai trouvée, t'ai aidée puis quand tu as insisté, je t'ai adoptée. Je ne crois pas qu'il y ait une raison particulière à cela…
Pride voulut dire quelque-chose mais il se tut lorsque la première concernée parla :
- C'est un peu pareil pour moi. Je commençais à désespérer sous cet arbre puis tout d'un coup, tu m'as sorti de là. Aussitôt, je me suis accrochée à toi. Peut-être est-ce parce que tu me rappelles ma sœur, sans que je ne sache pourquoi.
- Ta sœur ? releva l'Envieux, stupéfait.
Doku hocha la tête et sourit tristement.
- Oui. Elle était déjà une yôkai, mais…
L'apparition subite de Sakuya devant les deux compagnons coupa court à la discussion, les faisant sursauter en même temps. Inconsciente de son effet ou plutôt trop fine pour leur faire remarquer, la domestique s'inclina respectueusement comme si de rien n'était.
- Vos chambres sont prêtes, annonça-t-elle doucement.
Réo feignit une petite quinte de toux pour reprendre contenance, sous un commentaire acerbe de son homologue spirituel.
- Ahem, merci, Sakuya… D'ailleurs j'ai des questions à vous poser.
La domestique ne put cacher sa surprise.
- Oh ? Et bien, je vous écoute…
- Allons plutôt dans un endroit plus tranquille, proposa Doku presque discrètement.

Le changeur de forme opina et quelques instants plus tard, le trio se trouvait dans la chambre du polymorphe, chambre qu'on pouvait qualifier "d'habituelle".
La lumière, chiche, provenait d'une lampe posée sur une table de chevet. La fenêtre était fermée, tout comme les rideaux, ce que le polymorphe ne changea pas.
- Qu'y a-t-il donc ? s'enquit la servante, quelque peu étonnée.
- J'aimerai savoir ce que vous faisiez sur les routes d'Angleterre il y a si longtemps, lança l'Envieux.
Fronçant les sourcils, subitement méfiante, Sakuya fit un pas en arrière. Plusieurs couteaux brillaient entre les doigts de ses poings fermés.
- Pourquoi me posez-vous cette question et comment pouvez-vous savoir cela ? demanda-t-elle d'un ton menaçant.
Un peu pris au dépourvu, Réo leva ses mains dans un geste d'apaisement.
- Du calme ! C'est une certaine Himitsu no Yoru qui m'a demandé de, hey !
A peine avait-il prononcé le nom de la vampire que le métamorphe s'était retrouvé avec la lame d'un couteau posée sur sa gorge, poignet gauche bloqué par une main de fer. Il n'avait rien vu venir…
- Himitsu no Yoru… Comment la connais-tu ?
D'ordinaire douce, distante et au sang-froid extraordinaire, Sakuya devenait effrayante une fois en colère. Le filet de sueur froide coulant sur le front de l'Envie en était la preuve.
- Arrêtez ! Il n'est pas votre ennemi ! s'écria alors Doku, furibonde.
Un regard aussi froid qu'une étoile de glace la fit reculer de quelques pas malgré sa détermination.
- Ne te mêle pas de ça, articula lentement la servante d'une voix sans âme.
- Et toi essaie de rester la servante parfaite et élégante, ma chère.
La voix masculine tira un sursaut de surprise à la première concernée. Elle regarda alors la personne vêtue d'un kimono vert et rouge aux brodures dorées qui lui faisait dorénavant face.
De stupeur, Sakuya le lâcha, ce qui lui permit de se reculer.
- Que… Don…
Sa phrase se stoppa lorsque l'homme fut parcourut d'éclairs rouges pour laisser place à Réo.
- Yeah, ça a marché. On peut parler, maintenant ?

(♪) La frustration de s'être fait avoir par une ruse mille fois éculée n'atteignit pas l'esprit de la servante. Se rendant compte de ce qu'elle avait fait, elle rangea ses couteaux et s'inclina largement.
- Je suis désolée, je… J'ai… Je n'ai aucune excuse, tenta-t-elle.
- C'est… Rien… Ahem… Je peux comprendre que tu ne veuilles pas en parler…
Sakuya dodelina de la tête, à nouveau droite.
- Je… Te dois bien ça… J'étais une chasseuse de vampires.
- Euh, ah ?
L'air ahuri de Réo, mâchoire pendante, était comique, ce que remarque Doku en étouffant un rire. La yôkai s'était calmée et assise sur le lit. Sakuya, elle, restait sérieuse.
- Oui. Afin de venger mes parents. Assassinés par un vampire.
L'annonce jeta un froid. Réo adopta un air grave, tout comme le serpent.
- J'ignore duquel il s'agit et pourquoi il a fait ça. Mais un jour, j'ai croisé cette Yoru qui m'a dit que la coupable était miss Scarlet. Je n'ai appris que plus tard que c'était un mensonge et que Yoru était elle-même vampire. Le reste de l'histoire… Ne répond pas à ta question.
Aucune émotion n'avait trahi la voix de la domestique. Réo resta silencieux une fois le court récit achevé, tentant de mettre les différents éléments en place.
- Yoru est donc au cœur de tout ceci… Il va falloir que je la retrouve…
- C'est préférable. Comme je suis retenue ici, je… Je te fais confiance. Si tu apprends quelque-chose…
L'Envieux hocha la tête positivement.
- Tu seras la première informée.
La domestique s'inclina.
- Merci. Je te laisse à présent, à tout à l'heure.
Une seconde plus tard, Sakuya n'était plus là.

Réo resta quelques instants immobile puis se laissa tomber sur le lit. Doku se blottit aussitôt contre lui, ce que l'Envie laissa faire.
- Et bien… Je ne m'attendais pas à ça, confia le changeur de forme.
Il passa sa main dans les cheveux de sa presque shikigami, laquelle rougit légèrement sans qu'il ne s'en rende compte, yeux perdus dans le vague.
- Moi non plus… C'est triste… réagit le serpent.
- Oui, très. Pour ça que je vais m'entraîner dur et retrouver Yoru. Et lui faire cracher ce qu'elle sait !
Petit rire féminin.
- Je n'en doute pas ! Tu y arriveras…
- Merci, Doku. Merci beaucoup. D'ailleurs, pour ta sœur, où est-elle ?
La question fit se serrer un peu plus la yôkai contre le polymorphe, ce qui annonçait la couleur.
- Je ne sais pas… Elle a disparue… Elle était déjà un yôkai depuis longtemps, bien avant moi… Tellement qu'elle m'a peut-être même oubliée…
Conscient qu'il fallait se montrer présent, l'Envieux réagit au quart de tour :
- Je ne pense pas. Tu es inoubliable, Doku !
Nouveaux rougissements de cette dernière, plus marqués.
- Et comment elle s'appelle ?
Petit silence. Puis l'annonce.

D'une voix un peu chevrotante. Prononcée dans un moment de vulnérabilité à un être en qui elle avait toute confiance et même plus.
Révélation innocente.
Mots implacables.
Paroles destructrices.

- Elle… Elle s'appelle Hebi. Hebi Gurin…
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Jealousy
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 2 Juil - 22:13

Chapitre 28 : Ce que les autres ne voient pas



"Les gens, quels qu'ils soient, aiment juger. Toujours pour nos actes, nos décisions, notre comportement. Pourtant, pouvons-nous dire que nous connaissons quelqu'un alors que nous ne sommes que simples spectateurs de son existence ? Ne nous arrêtons-nous, en fait, qu'à ce que nos yeux nous montrent et nos esprits veulent voir ?"
Iktar, dixième Grand Maître


Bien qu'épuisés, aucun des deux combattants ne songeait à rompre le combat. Se faisant faces dans une salle à la fois vide, grande et bien éclairée par le lustre qui pendait en son centre, Meiling et Réo reprenaient leur souffle en se rétablissant. Leur dernier assaut les avait laissés séparés d'une bonne dizaine de mètres et avait consumé une partie non négligeable de ce qu'il restait de leur énergie.
Déjà qu'il n'y avait plus grand chose, désormais ils devaient être proches du zéro.
Si la gardienne avait ses vêtements habituels, le changeur de forme avait opté pour un T-shirt vert sans manches et un pantalon noir tout aussi léger. La transpiration que son corps relâchait indiquait que cela n'était pas suffisant pour se prémunir des contrecoups des gros efforts.
Cela devait faire trois heures que les deux combattants avaient démarré leur entraînement. L'heure approximative était donc dix-huit heures, à quelques tours de pendule près. Une chance qu'il se soit remit à pleuvoir, ils avaient ainsi pu commencer plus tôt…

Deux semaines n'étaient pas encore passées depuis la défaite de Pride, il manquait pour cela deux ou trois jours. Force était de constater que cela était passé assez vite, à nouveau. Réo était d'ailleurs sidéré de voir à quel point il se sentait presque chez lui, au manoir… La vitesse relative du temps s'expliquait aisément, en tout cas. Si Patchouli s'était occupée du polymorphe, précédemment, Meiling s'en était cette fois chargée. Sous sa houlette, Réo avait un peu pris confiance en lui mais il faudrait bien plus de temps pour une évolution significative de son style de combat. Ce n'était de toute manière pas le but et Meiling ne se faisait guère d'illusions à ce sujet. Le reste du temps, Réo avait joué avec Flandre, comme d'habitude, ou flâné avec Doku. La yôkai était toujours au manoir mais Réo ignorait ce qu'elle y faisait exactement. Peu à peu, elle avait gagné en enthousiasme et cela intriguait beaucoup l'Envieux et son homologue spirituel.
Ce dernier n'avait d'ailleurs pas passé son temps en mode spectateur. Chose inespérée et inattendue, Remilia avait plusieurs fois sollicité son retour. Bien plus mature, généralement, que sa sœur cadette, elle avait réclamé la présence de l'Orgueil pour le défier tant aux Echecs qu'à divers jeux de cartes. Si le danmaku était exclu, leurs affrontements devenaient souvent verbaux et l'ego de chacun s'exprimait alors pleinement. Néanmoins… Réo avait l'impression que Pride n'attendait qu'une chose : partir.

Il le prouva d'ailleurs implicitement, une fois encore, en se manifestant lorsque Meiling se mit à évoquer les progrès du changeur de forme tout en lui donnant quelques conseils bienvenus.
(- Au moins, cet enfermement aura eu une quelconque utilité. Peut-être).
Si soupirer mentalement était possible, Réo s'y adonna immédiatement. Extérieurement, il n'en laissa évidemment rien paraître et écouta attentivement sa partenaire. Son inébranlable bonne humeur la rendait vraiment agréable, même l'Orgueil incarné ne pouvait le nier. Il la soupçonnait également de jouer à plus idiote qu'elle ne l'était vraiment…
Ce fut en tout cas avec elle que le changeur de forme sortit après un petit quart d'heure supplémentaire, les étirements divers de fin de séance expliquant cela.

Sa destination était simple : la salle de bain la plus proche ! Enfin, la seconde plus proche puisque Meiling le dépassa rapidement pour lui chiper la place, comme d'habitude.
(- Tu crois que tu ne te feras pas avoir, un jour ?), railla l'Ombre avec détachement.
- Je ne sais pas. Nous verrons…
Ignorant les servantes qui passèrent en lui jetant de regards curieux, Réo continua son chemin. Il arrivait enfin à se repérer, du moins grossièrement, dans les couloirs du manoir. Ce n'était pas la perfection non plus, bien entendu, se perdre restant toujours un risque dont il avait conscience.
(- Nous verrons… Et pour Hebi, on continue de feindre la totale ignorance ?), lança Pride après une minute de silence.
L'Envieux frissonna. Savoir que Doku était en fait la sœur cadette de Hebi Gurin… Le mettait vraiment mal à l'aise. Pourtant en son for intérieur, il ne ressentait pas de réelle et totale culpabilité. Après tout… C'était Pride qui l'avait dévorée avec ses ombres ! Pas lui !
Un grognement spirituel de contrariété enjoignit Réo à changer de sujet mental. Il valait mieux ne pas y penser, oui… Mais si Doku désirait rechercher sa sœur ? Qu'allait-il faire ? Lui donner de faux espoirs et perdre du temps ? La yôkai n'avait pas l'air de vouloir tout de suite retrouver son aînée mais nul doute que l'idée lui était déjà venue.
La question n'était pas de savoir si ça allait arriver mais bel et bien quand. Et comment y faire face.
Et quoi qu'il en dise, cela hantait les pensées du polymorphe.
(- Nouvelle crise en perspective. Remarque, c'était bien trop "calme", si on peut dire. Ça me fait penser, Malbas est toujours en vie, tu crois ?).
Il était vrai que Réo n'avait plus de nouvelles du Dévoreur, à présent. Néanmoins, quelque-chose lui disait que ce n'était pas parce qu'il avait été calme, mais plutôt à cause de l'isolement des jours passés. Quelles nouvelles pouvaient bien l'attendre en dehors du manoir…

Alors que Réo arrivait à destination et entreprenait de se rafraîchir, une toute autre scène se déroulait ailleurs.
La pièce était toujours aussi sombre. Le bois du plafond et la pierre des murs n'avaient en rien changé. Ce n'était pas le cas de l'adolescent aux cheveux blonds penché sur le sol.
Une craie en main, il s'acharnait à reproduire l'étrange cercle de transmutation qu'il venait de finaliser. Les notes correspondantes étaient éparpillées tout autour dans un bazar parfait. Une quinte de toux prit soudainement le Dévoreur, le forçant à faire une pause.
Il s'assit à droite de son cercle inachevé et attendit que ça passe.
- Bon sang… J'ai vraiment perdu beaucoup trop d'énergie… constata-t-il.
Son regard se perdit dans l'inextricable fouillis de papier qui s'était amassé ici depuis deux semaines, rejoignant ce qui avait déjà élu domicile en ces lieux.
Deux semaines.
Pour Malbas, ça avait été l'équivalent d'une ou deux éternités. L'absorption de l'énergie et de la vie de Murasa était encore nette dans sa mémoire mais elle lui semblait absurdement lointaine et douloureuse.
Le Dévoreur avait quitté les lieux en catastrophe, laissant le corps desséché du capitaine ainsi que son ancre derrière lui.
Il avait beau retourner les évènements dans tous les sens, le Dévoreur se sentait coupable. Il était responsable de ce qui était arrivé. Certes c'était Murasa qui l'avait défié et avait littéralement pété une durite mais c'était la mort de Nue qui l'avait mise dans cet état. Et il avait tué Nue. Ce fait ne pouvait être remis en cause, tout était de sa faute.
Oui, de sa faute…
A nouveau, chaque jour, il avait tenté de trouver un moyen de supprimer sa faim. La réduire, au pire. L'alchimie, la magie, tout ce qu'il savait déjà, tout ça pouvait bien l'aider ! Vœu pieu, inutile. Chaque nouvelle expérience et tentative n'avaient fait que lui enlever un peu plus de ce qu'il lui restait d'énergie. Loin de toucher au but, il ne faisait que tourner en rond. Il n'avait rien. Rien mis à part son plan initial…
Sauf que vu son état, à présent, l'appliquer était encore plus compliqué qu'au départ ! Déjà que pendant tout ce temps, il n'avait jamais réussi…

Malbas soupira et passa sa main dans ses cheveux. Il faisait un bien piètre alchimiste, en fin de compte. La recherche de la vérité était le but ultime des alchimistes, normalement, mais il s'en éloignait plus qu'autre chose.
- Pas d'accord !
La réplique, lancée d'une voix haute et claire fit sursauter le Dévoreur. Le petit rire impertinent qui y succéda fit à nouveau converger son regard doré vers le bureau. Nue s'y tenait assise, jambes croisées, sourire aux lèvres. Légèrement transparente comme pour marquer sa distance avec le monde réel, elle n'en demeurait pas moins présente pour Malbas. La voix de la yôkai en était la preuve, son existence se passait d'enveloppe physique, désormais. Ce qu'il voyait n'était qu'une illusion de son propre esprit, ou son pouvoir lié à l'âme de la jeune fille, mais pourtant… Il regarda bel et bien dans la direction de l'apparition.
- Et pourquoi, pas d'accord ? s'enquit l'alchimiste sans la moindre joie.
D'un bond, Nue rejoignit le sol et marcha à grands pas vers celui qui l'avait ni plus ni moins tuée. Bras croisés, elle se pencha par la suite vers lui, l'air sévère, plantant son regard totalement noir dans celui de son interlocuteur.
- Tu as arrêté de te voiler la face. Tueur sans âme ? Machine à détruire ? Foutaises ! Tu as certes fait comme si ta condition ne te touchait pas mais à présent, tu connais la vérité sur toi-même. C'est un bon point de départ, non ?
Malbas ravala sa salive.
- Je ne connais pas la vérité, non… Je ne suis même pas sûr de ce que je veux vraiment, tenta-t-il.
Nue cligna des yeux puis, finalement, s'assit en tailleur.
- Tu es un peu borné, sur les bords, quand même… Enfin je tiens à te faire remarquer que tu n'obtiendras rien tout seul. Ces deux dernières semaines en sont la preuve.
La yôkai décédée s'exprimait franchement, sans prendre de détour. Ce qui n'était pas du tout étonnant.
- Parce que tu crois que quelqu'un voudrait m'aider, peut-être ?!
Pointe d'énervement. Qui laissa Nue de marbre. Non, en fait, elle se permit même de sourire de tout son long par la suite.
- Et moi je fais quoi, alors, tête de nœuds ! s'exclama-t-elle joyeusement.
Un rire secoua sa silhouette fantomatique et certainement imaginaire, ce qui prit Malbas un peu au dépourvu. Surtout qu'elle avait raison. Elle l'aidait, au final. Et elle lui avait sauvé la mise lors de son combat contre tout le personnel du Temple Myouren, allant jusqu'à affronter ses anciennes amies !
Elle ne lui était apparue que deux ou trois fois pendant les jours ayant suivi la bataille, seulement par intermittence. C'était la première fois qu'elle restait aussi longtemps.
La constatation simple força le Dévoreur à accepter l'évidence. Il hocha la tête, l'air légèrement plus serein.
- Tu as raison, désolé. Je te remercie, Nue. Tu es un soutien des plus nécessaires.
L'alchimiste prit même la peine de s'incliner, sous l'œil goguenard et satisfait de celle qui fut sa victime.
- C'est mieux. Mais avec moi uniquement comme soutien, tu n'iras pas loin mon coco. Ce serait déjà bien que les autres âmes en toi daignent te parler mais on dirait qu'aucune n'a envie de le faire de manière directe… Ou que j'ai un truc en plus qui fait que ça marche avec moi, aucune idée.
- J'ai tenté de contacter les âmes mais sans résultat…
- J'ai vu. C'est pour ça qu'il faut que tu sortes de ce trou. Va donc voir les gens, il y en aura qui voudront bien t'aider ! Même sans ça, tu trouveras des trucs, j'en suis certaine !
Nue avait fait de grands gestes pour appuyer ses mots et avait de la conviction à revendre. Faire bouger Malbas devait être une priorité pour elle. D'ailleurs… Au fond…
- Nue… Pourquoi tiens-tu tant à me filer un coup de main ? Pas seulement maintenant mais même avant… Tu as quand même affronté les autres… Puis j'ai dévoré Murasa…
- Elle l'avait cherché.
Une nouvelle fois, Malbas fut pris de court. La yôkai en noir l'avait coupé, du tac au tac, sans la moindre hésitation.
- Murasa était, est, bref, mon amie. Je comprends qu'elle ait voulu te faire mordre la poussière mais elle s'est mise en danger toute seule. Ce qui lui est arrivé est entièrement de sa faute alors commence aussi par ne plus te torturer avec ça !
L'explication s'était transformée en ordre.
- Mais…
Nouvelle coupure, empêchant le tueur de continuer sa phrase.
- Mais ne crois pas que je sois indifférente à son sort ! Ce serait bien étrange d'une amie de se moquer royalement de la mort de son amie, justement. C'est une raison supplémentaire pour t'aider, Malbas. En t'aidant, je m'aide moi, j'aide Murasa, j'aide même Gensokyo. Hey, je suis l'héroïne en fait !
Cette fois, l'adolescent resta muet, assimilant les paroles de Nue. Ce qui n'était pas très facile puisque jamais il ne s'était attendu à ce qu'on lui dise ça, encore moins si on était une de ses victimes.
- Nos objectifs sont les mêmes, Malbas. Stopper ta faim… Et nous faire revenir. Ce que tu peux prendre, tu dois pouvoir le rendre, même si ça doit être par un rituel tordu sorti des bas-fonds de la magie la plus obscure du multivers. On trouvera ce moyen, Malbas, pour que Murasa, moi et tous ceux pour qui c'est possible retrouvions nos corps et nos vies. Parce que je tiens quand même à te mettre mon poing dans la face en personne !
La fin de la tirade redonna un semblant de sourire au Dévoreur. Il ne pouvait pas continuer ou même se permettre de faire l'autruche plus longtemps. Il n'était plus vraiment tout seul et devait avancer. Quelle farce qu'il lui faille autant de temps pour s'en rendre compte ! Toujours était-il qu'il mourrait de faim…
- J'ai dit quoi déjà ? Ah oui… DEHORS !
Soupirant de résignation et d'amusement puisque l'image d'une Nue trépignant sur place et s'énervant toute seule s'imposait à son esprit, Malbas se leva.

Une gerbe de flammes plus tard et il se trouvait dans la Forêt Yôkai. Mais comment diable Byakuren et sa clique avaient-elles réussi à le trouver là ? D'ailleurs, pourquoi donc personne d'autres ne s'était pointé ?
La question méritait d'être étudiée mais Malbas n'avait pas d'interlocuteur à qui la poser. Nue n'était plus présente, il le sentait et personne d'autres ne daignait lui adresser la parole parmi la peuplade réduite occupant son être. Sans doute les discussions intérieures ne seraient-elles possibles que périodiquement… Ce serait un comble d'imiter Réo et Pride !
En parlant de ces deux hurluberlus, que devenaient-ils ?
Marchant mains dans les poches de sa veste noire, Malbas se stoppa à l'ombre d'un arbre et regarda en l'air, sans distinguer le ciel à cause de la cime des arbres et leur feuillage. Même en automne, la Forêt Yôkai conservait son habitude à filtrer la lumière et offrir une atmosphère angoissante à ses habitants et visiteurs. D'après l'humidité environnante et les odeurs l'accompagnant, il avait plu un peu avant. Malbas n'avait pas la moindre idée de la date actuelle mais il pressentait que l'hiver n'allait plus trop tarder. Enfin, peut-être…
Réo et Pride, donc. Où pouvaient-ils bien être ? Autrefois, Malbas parvenait à les repérer par une sorte de sixième sens mais à présent, il n'y parvenait plus. Le lien entre eux était-il rompu ou sur le point de l'être ? Etrange coïncidence avec les évènements précédents…
L'alchimiste poussa un grognement désabusé et reprit sa marche. Voilà qu'il se perdait en conjectures et suppositions. Il n'allait pas aller bien loin ainsi.
Un mouvement attira alors l'attention du Dévoreur. Quelque-chose de léger, sur sa gauche. Subitement sur ses gardes, Malbas s'approcha prudemment, mains grandes ouvertes, prêt à réagir en cas d'attaque.
Etrangement, nul buisson ou autre plante n'avait bougé. Pourtant, Malbas avait bien vu quelque-chose se déplacer mais il n'y avait eu aucun bruit provenant de la végétation. Aucun bruit du tout, d'ailleurs.
Tout en s'approchant, le Dévoreur constata que la température diminuait. Rien de drastique ou de particulièrement alarmant mais tout de même, deux ou trois degrés s'étaient fait la malle. Le coupable se montra finalement, passant au travers d'un tronc. Un fantôme. Une masse blanche et volante, sorte de boule suivie d'une queue façon comète, distillant le froid et l'impression de ne pas tout à fait faire partie de ce monde.
- T'es pas vraiment à ta place, toi, lâcha spontanément le Dévoreur d'un ton blasé.
L'ectoplasme ne réagit pas vraiment et continua de voleter, parfaitement insouciant. Lui au moins n'avait pas besoin de dévorer l'énergie vitale d'autres êtres…
Malbas sortit sa main droite et regarda sa paume. Une bouche circulaire s'ouvrit, garnie de petites dents pointues. Dire que tout son malheur se résumait à ça…
Il reporta son attention sur le fantôme puis… Tendit instinctivement son bras droit vers lui.
Un frisson le parcourut alors que sa paume aspirait un flux d'énergie matérialisé par une brume transparente emportée par un vent trop violent. Brume qui venait du fantôme.
Complètement abasourdi, Malbas fut incapable de s'arrêter alors que le fantôme perdait de sa substance. Sa silhouette était de plus en plus vague, indéfinie et sa couleur indiscernable. Au bout d'une quarantaine de secondes, il n'y eut plus aucune trace de l'entité.
La bouche sur la main de l'alchimiste se referma tandis que son propriétaire réalisait ce qui venait de se passer. Il avait littéralement dévoré un fantôme. Sans le toucher. Mais le pire…
C'est qu'il avait bel et bien moins faim. Cela ne valait pas une proie de chair et de sang comme un humain, yôkai ou affilié mais il se sentait déjà mieux. Ce n'était pas une solution tombée du ciel et miraculeuse, néanmoins… C'était un bon début. Nue avait eu une bonne intuition en le poussant à aller dehors !
Peut-être bien que tout n'était pas perdu au final.
Ce fut sur cette agréable pensée que le Dévoreur reprit son chemin, balade au calme quasi incroyable dans une telle forêt.

Calme qui se retrouvait un peu moins dans le Manoir du Démon Ecarlate.
(- Je t'avais dit de tourner à droite !), râla pour la centième fois un maître des ombres spirituel.
Réo poussa une exclamation plutôt similaire un râle d'agonie et mit son front contre le mur, à deux doigts de taper dedans. Il s'était encore paumé… Mais il avait bien commencé, depuis la salle de bain, il en était certain !
(- Piètre consolation. Le Titanic avait aussi pris le bon chemin mais l'iceberg n'a pas été plus tendre pour autant.), commenta l'Orgueil.
- C'est très spirituel…
(- Je sais, merci. Tu comptes rester comme ça jusqu'à te rendre ridicule auprès de l'entièreté de ce manoir ou bien ?).
- Y'a pas à dire, t'es vraiment un soutien, Pride. Vraiment, merci, merci beaucoup.
(- Achète une carte et une boussole et marche !).
Le polymorphe se lamenta encore quelques secondes avant de déambuler à nouveau dans les couloirs. Toujours aussi sombres, toujours aussi rouges, toujours peuplés de temps à autres par des servantes toujours aussi inutiles.
(- Faudrait penser à les mettre au boulot un jour. Izayoi tiendra pas l'éternité à tout faire ici), lâcha l'Ombre.
- Sans doute. Mais je vois pas trop comment procéder pour motiver des tas de Sloth insouciantes.
(- Faudra je tente un jour…).
- Genre. Déjà, genre tu te soucies de Sakuya. T'es malade ?
(- Non. Je trouve juste qu'elle a du mérite. Je respecte les efforts des autres ainsi que le sens du devoir, la loyauté, tout ça. Je ne supporte pas quand des personnes donnant tout leur être sont traitées comme des moins que rien.).
Réo poussa un petit sifflement.
- Tu es sévère…
(- Certes. Je veux dire que le fait que Sakuya soit la seule à bosser alors que les autres ne foutent rien est juste aberrant. Plus clair ?), reformula l'Orgueil.
- Oui.
(- De plus, Sakuya reste parfaitement calme, toujours. Ce qui rend son pétage de durite d'il y a presque deux semaines d'autant plus… Bizarre.).
- J'ai remarqué aussi…
Des bruits de conversation attirèrent le changeur de forme à une porte un peu plus ouvragée et luxueuse que les autres. Porte légèrement entrebaîllée. N'écoutant que sa curiosité, Réo repoussa doucement le panneau de bois et passa la tête.
Au moins, il avait trouvé la cuisine…

Une quantité remarquable d'ingrédients était présente, que ce soit sur les deux grandes tables ou suspendue près des plans de travail. Diverses armoires et placards occupaient les bordures des lieux, donnant l'impression que tout était plein à craquer. Un appétissant fumet s'échappait d'une casserole imposante masquée en partie par les deux filles occupant la pièce. La première était Sakuya, occupée à découper des légumes. Ses gestes précis étaient accompagnés de ses paroles douces. Des conseils et des instructions que l'autre écoutait avidement. Autre qui se nommait Doku.
(- C'était donc là qu'elle traînait… D'après ce qu'elles se disent on peut deviner que Doku est juste en train d'apprendre des trucs par Sakuya. Et pas que la cuisine à mon avis. On se demandait ce qu'elle faisait tout ce temps…), énonça Pride.
Doku était donc "l'élève" de Sakuya ? Pour une surprise…
Cela rendait la réaction de la domestique en chef encore plus étrange, comme le disait Pride. Réaction qui avait d'ailleurs marqué un certain revirement de l'attitude de Sakuya.
Ainsi, l'Envieux avait pu discuter un peu plus avec elle. Rien de sensationnel mais la glace était brisée. Néanmoins, force était de constater que le courant passait mieux avec Pride.
Lors de ses rares sorties, l'Ombre avait également côtoyé la servante. C'était à ces occasions qu'elle était réellement montée dans l'estime de l'être de noirceur. Réo n'avait pas beaucoup eu l'occasion d'observer ceci, généralement trop épuisé pour suivre.
Mais de manière générale, le sang-froid et le calme de la servante étaient parfaits. Même devant les ordres tous plus puérils les uns que les autres venant de sa maîtresse.
(- Y'a anguille sous roche mon petit. Elle ne t'a pas tout dit, loin de là !), s'exclama l'Orgueil.
Réo approuva. En même temps, ce n'était pas étonnant. Sakuya lui avait donné les informations qu'il devait avoir concernant Yoru et le minimum syndical pour qu'il comprenne un peu les choses. Rien de moins, rien de plus. De l'efficacité pure et simple en somme.
(- On va devoir chercher des infos par nous-mêmes mon gars. Et crois-moi, on les trouvera pas ici.), affirma l'Ombre.
Réo opina alors qu'il se reculait pour se retrouver dans le couloir, en toute discrétion. Il avait interrogé tout le monde à propos de Yoru mais personne n'avait pu lui donner de nouvelles infos. Ou personne n'avait voulu, ce qui faisait une différence de taille. Malheureusement, Réo n'était pas assez doué dans le domaine de la rhétorique pour saisir cette différence.
Le polymorphe se retourna vers le couloir. Finalement, sortir allait sans doute être très utile. Et puis ce n'était pas comme si…
- JEAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAL' !!!

Le cri souffla dans le couloir avec la puissance d'un ouragan. Réo eut à peine le temps de lever la tête que Flandre avait sauté vers lui. Le résultat fut sans appel : la collision brutale envoya le métamorphe au tapis, avec une petite vampire assise sur son ventre, l'air victorieux.
- Je t'ai enfin trouvé ! s'exclama-t-elle en levant les bras.
- Oui… J'ai cru remarquer… Tu vas me tuer un jour…
Comme pour donner du relief à ses paroles, Réo toussa un peu. Ce qui ne changea à rien à l'attitude de Flandre.
- Bien sûr que non ! Je sais ce que je fais ! fit-elle en s'agitant.
Commentaire de Pride avec des images d'une vampirette psychopathe.
- … Si tu le dis !
Fort heureusement, Flandre ne profita pas de son avantage et se mit debout avant d'aider son compagnon de jeu à se relever. Compagnon qu'elle entraîna à sa suite, certainement vers sa chambre.
Certaines choses ne changeaient jamais…

D'autres en revanche évoluaient avec le temps. Parfois, même, elles évoluaient dans le bon sens. C'était tout du moins le ressenti d'une magicienne. Occupant une chaise sur les quatre disposées autour de sa table, elle avait sorti tout un matériel de couture, ce qui occupait tout l'espace de son plan de travail. Un grand silence à peine rythmé par le tic tac d'une pendule au fond du salon accompagnait la fille dans son ouvrage. Sa maison était d'ailleurs propre et parfaitement ordonnée. Les murs blancs avaient souvent pour voisin des meubles et étagères. Une impressionnante collection de poupées et marionnettes en tout genre attendaient patiemment dessus, semblant observer d'un œil aussi silencieux que le reste. Le tout était décoré assez simplement mais le rendu était très occidental avec une pincée de "chic". Rien à voir avec d'autres demeures dans la même forêt… Plusieurs lampes éclairaient le salon, puisque plus aucune lumière ne perçait les rideaux bleus passés sur les fenêtres.
Quel plaisir d'être chez soi…
Alice sourit à cette pensée et fit quelques mouvements avec ses jambes. Aucune douleur, séquelle, rien. Cela avait pris le temps mais à présent, tout allait bien. Et tout était si…
- Yo Alice ! Alors, encore à reproduire les gens en poupées, hein ?!
Calme…
La marionnettiste soupira après que le bruit de sa porte s'ouvrant avec fracas ait accompagné le cri lancé par une magicienne ordinaire qui entrait avec la douceur d'un ouragan.
Tout ETAIT si calme…

(♪) Marisa laissa la porte se refermer toute seule et fila droit vers le salon. Elle tenait son balai dans la main droite et le fit passer derrière elle en mettant la gauche sur sa hanche correspondante.
- Oy, tu m'écoutes ?
Alice tourna légèrement la tête vers son amie dont la mine se voulait contrariée.
- Bonsoir, Marisa, fit-elle simplement et calmement.
- Ah bah tu parles !
- Belle constatation…
D'un mouvement de sa main gauche, la marionnettiste fit venir Shangai. La petite poupée était en robe bleue, blonde aux yeux bleus et avait quatre ailes de fées dans son dos. Le fil magique la reliant à sa maîtresse était parfaitement invisible.
- Alice travaille, il ne faut pas la déranger ! déclara-t-elle avec une petite voix fluette.
- A trop bosser, la tête explose ! Il faut savoir se détendre, daze ! rétorqua la sorcière notoire.
Elle écarta Shangai d'un revers de main et se planta à gauche d'Alice avant de se pencher vers elle pour la toiser d'un regard soi-disant inquisiteur.
- Dis-donc, toi, tu cherches à m'éviter, peut-être ?
- Le docteur Yagokoro m'a conseillé le calme, répondit Alice sans regarder son interlocutrice.
Marisa se frappa le front avec sa main libre tout en se retournant et marcha vers une étagère.
- Mais tu es remise ! Et tu vas mourir d'ennui si je ne mets pas un peu de piquant, avoue-le !
La main libre et baladeuse de la magicienne ordinaire se balada sur l'étagère et attrapa une poupée de chiffon imitant Patchouli Knowledge.
- N'y pense même pas, lâcha aussitôt Alice.
La kleptomane notoire se retourna vivement, cachant son pseudo butin derrière son dos. Avec ça et son balai, ses deux mains étaient prises.
- Je ne vois pas de quoi tu parles ! Tu t'amuses avec des marionnettes, tu ne lis pas dans les pensées, j'te signale ! Imite pas Satori, daze !
Presque malgré elle, Alice opina.
- C'est vrai. Tout aussi vrai que je te connais, Marisa. Egalement vrai que les murs ont des yeux et des oreilles…
La marionnette dans la main de Marisa s'anima subitement et fit mine de vouloir s'envoler. Par réflexe, la sorcière resserra sa prise sur le petit objet. Ce qui ne l'empêcha pas de vouloir s'échapper.
Alice eut donc droit à l'étrange spectacle d'une Marisa baladée dans la salle, accrochée à une Patchouli de chiffon à peine plus grosse que sa main. Ce qui eut le mérite de faire rire la maîtresse de maison.
Marisa finit par lâcher prise alors que la reproduction miniature allait vers le plafond. Elle eut un grognement de douleur en s'étalant sur le dos et se releva en massant la zone d'impact.
Voyant que son amie riait toujours, la magicienne ordinaire lui jeta un regard noir. Avant de voir que la Patchouli de chiffon s'était mise devant son visage, bras croisés et air boudeur.
- Euh…
L'expression d'incompréhension totale ayant pris place sur le visage de Marisa n'attendrit pas la poupée. Elle s'approcha d'ailleurs de la kleptomane.
- Mais, mais… Roh ça va, je m'excuse d'avoir voulu te voler. N'empêche que je t'aurai la prochaine fois, ronchonna Marisa en prenant garde à ce que la dernière partie soit quasi inaudible.
La marionnette approuva et repartit sur son étagère, comme si de rien n'était.
- Et ça t'amuse ? lança Marisa à sa camarade, mimant une passionnante occupation.
- Il faut bien… Mais c'était le but de ta visite, non ?
Marisa écarta les bras, prenant l'air de celle qui était découverte.
- On se voit pas souvent en ce moment et tu as passé un bon moment à l'Eientei… C'est vraiment guéri, hein ?
Acquiescement de la marionnettiste.
- Parfaitement. Même les cicatrices ne sont plus là. C'est comme si rien ne s'était passé.
La joie dans la voix d'Alice donna le sourire, chose peu compliquée, à Marisa. Elle l'avait bien caché mais l'état de la magicienne l'avait pas mal inquiétée. Elle n'avait même pas retrouvé ce Dévoreur d'ailleurs…
- Bah tant mieux ! Par contre, paraît que y'a eu une nouvelle victime, y'a deux semaines… On arrive vraiment pas à l'attraper et ça turlupine Reimu.
- Cela commence à durer, nota Alice sans la moindre ironie ou moquerie.
Marisa se gratta la tête sous son chapeau. Elle avait raison et c'était justement ce qui l'embêtait. Pour une fois, le coupable était connu mais pourtant, il leur filait entre les doigts.
- Les incidents longs sont de vraies plaies. Mais on a eu plus long. L'hiver éternel…
- Ou son contraire, l'été à rallonge…
Marisa approuva, jetant par la suite un regard en biais à la marionnettiste. Celle-ci avait un petit sourire en coin.
- Je dois comprendre quoi ? s'enquit la sorcière.
- Tu n'as pas été très utile cette fois-là, il me semble.
- J'ai des circonstances atténuantes ! s'exclama la magicienne ordinaire.
- C'est cela, oui. Heureusement que Reimu est là.
Le regard de Marisa aurait pu lancer des éclairs si elle avait voulu et si son sourire ne démentait pas sa tentative de fusillage oculaire.
Au final, seul nouvel un éclat de rire jaillit.
- Tu vas voir que je serai encore plus forte qu'elle ! Puis sans moi, elle n'a aucune chance d'arriver à faire quoi que ce soit, elle le sait bien.
- Flagrant délit de vantardise, remarqua une Alice feignant d'être blasée.
Un claquement de doigt de la magicienne ordinaire fit naître deux éphémères étoiles de cinq centimètres, l'une verte et l'autre bleue.
- Bien évidemment, je suis indispensable et tout le monde le sait, daze ! Ce serait d'ailleurs bien que Reimu se décide à tout me dire si elle veut pleinement profiter de mon aide.
Le court de la conversation devenait plus sérieux. Alice était bien assez fine et connaissait trop bien Marisa pour ne pas louper la dernière partie de sa phrase.
- Elle te cache des choses ?
Une conversation sérieuse ne nécessitait pas forcément de l'être totalement. Fidèle à ce principe inventé sur le moment, Marisa fit la moue, boudeuse.
- Oui, j'en suis sûre. En tout cas, elle ne partage pas tout ce qu'elle sait et tout ce qui se passe. J'en suis certaine.
La perplexité mina le visage de la marionnettiste.
- Comment peux-tu en être certaine ?
L'expression de Marisa s'accentua.
- J'le sens, c'est tout, 'ze !
- Inutile de tenter d'avoir une explication logique, conclut Alice, résignée qu'elle était.
- Même un golem pourrait le deviner !
- Seishi n'est plus là pour en produire. Elle t'aurait démontré le contraire, les golems sont comme des poupées.
Craignant subitement la gaffe, Marisa grimaça. Mais sa crainte rapide était infondée, bien qu'Alice sembla désireuse de creuser le sujet.
- C'est dommage qu'elle se soit finalement installée dans la Forêt Yôkai, travailler toutes les deux était sacrément plus pratique lorsqu'elle était encore ici.
- Tu la connaissais bien, hein ? Je l'ai jamais vue, perso…
- Lorsque nous nous sommes rencontrées, Seishi était déjà partie depuis un moment. Tu dois avoir déjà aperçu sa maison, elle est très grande. Elle doit être en très mauvais état maintenant que j'y pense.
- Personne ne l'a reprise ? s'étonna la sorcière.
- Pas à ma connaissance.
- Mouais, faudra jeter un œil un de ces quatre. M'enfin tu m'intéresses, on fait comment un golem ?
La curiosité s'était invitée dans le discours de la sorcière qui regardait son amie avec des yeux ronds. Amie qui prit le temps de réfléchir. Elle savait à quoi elle s'exposait si… Oh et puis zut, elle pouvait ainsi profiter de la présence de Marisa plus longtemps tout en la gavant de savoir.
- Je vais chercher un ou deux livres que j'ai et traitant de ce sujet puis nous verrons cela plus sérieusement. D'accord ?
Joie immense de la magicienne ordinaire.
- Ouais ! Sont par où les livres ? Je te les apporte, si tu veux !
Finalement, gérer un ouragan en étant à peine sortie de convalescence n'était peut-être pas une si bonne idée…

La convalescence en moins, Réo avait une réflexion similaire alors qu'il regardait Flandre terminer le gâteau à la fraise servis un peu plus tôt par Sakuya. La petite fille était en face du polymorphe. La troisième personne attablée n'était autre que Remilia, laquelle avait pris place à gauche de l'Envieux et donc en tête de table, comme d'habitude. (♪)
A la grande surprise de tout le monde, Doku s'était mise à seconder la servante en chef de la demeure, sans toutefois porter d'uniforme. Visiblement, même la maîtresse des lieux n'était au courant de rien.
Flandre, la seule à encore manger, termina ce qui était en fait sa troisième part de gâteau. Au grand dam de sa sœur qui n'avait ainsi pas pu en reprendre.
La cadette fila ensuite se coucher, laissant seuls les deux autres. Sakuya en profita pour amener le thé que Remilia attendait.
- Serait-il possible que tu laisses ta place à Pride ? Le thé n'est pas trop ton fort, lança subitement la vampire.
Réo lui jeta un regard perplexe.
- C'est faux, c'est le café que je n'apprécie pas du tout. Mais j'ai compris le message et comme il est tard… Je suis trop gentil, en fait.
- C'est cela. Je te remercie.
- A votre bon plaisir !
Divers éclairs rouges crépitèrent autour du changeur de forme, confirmant ladite appellation. Une vingtaine de secondes suffit pour que Pride se tienne à sa place, visiblement ravi d'être de sortie.
- Bonsoir, miss Scarlet. Merci de m'inviter à votre table, lança-t-il.
Difficile avec lui de recevoir de la politesse non-accompagnée d'une pointe d'ironie. Remilia n'était pas l'une des exceptions à cela mais ne s'offusqua pas. En quelques rencontres, elle avait une idée du personnage.
- Bonsoir, Pride. Tu ne t'ennuies pas trop là-dedans ?
Un ricanement moqueur lui répondit en premier.
- Si, un peu. Même si voir toutes les sottises de mon partenaire est aussi amusant qu'affligeant.
(- Je t'emmerde !), réagit instantanément le partenaire concerné.
- Je comprends. Cela dit, je sens comme une certaine hâte à partir d'ici maintenant que les deux semaines sont presque écoulées…
Pride but quelques gorgées de thé, il était bien rouge, avant de répondre.
- Cela se voit tant que ça ? Zut alors !
- Tu ne fais pas beaucoup d'efforts pour le cacher… Est-ce si ennuyant ici ? s'enquit la maîtresse de maison, contrariée.
- Tu te répètes. Mais si je pouvais sortir un peu plus, peut-être que j'apprécierai plus également. Heureusement que Sakuya est là pour taper la discute.
- Je m'étonne que vous vous entendiez bien, remarqua la petite fille.
Pride haussa les épaules.
- Il faut bien que ça arrive avec quelques personnes dans le monde. C'est déjà bien assez rare comme ça…
Remilia haussa les sourcils, un peu étonnée d'entendre cela.
- Il y a des gens que tu aimerais voir, dehors ?
Aucune réponse de la part de l'Orgueil qui fit comme s'il n'avait rien entendu et but même encore un peu.
- D'accord… Tu es amoureux ? continua le Démon Ecarlate.
La question manqua de faire s'étouffer l'être en noir. Il toussota et fit les gros yeux à son interlocutrice hilare.
- C'est quoi cette question ? N'importe quoi ! Je suis l'Orgueil, je me vois mal aimer qui que ce soit…
Remilia croisa les bras. Elle n'avait clairement pas l'ai convaincue et ne se gênait pas pour le faire savoir.
- Excuse bidon. C'est la meilleure explication à ton désir de partir d'ici.
Ricanement de l'Ombre. Il semblait remis de son trouble passager.
- Parce que ton manoir est censé pouvoir retenir tout le monde éternellement ? Le luxe n'est pas ce dont j'ai besoin.
Bien évidemment, la petite fille bondit sur l'occasion, haussant un sourcil.
- Et de quoi as-tu besoin, alors ? Je vois mal ce que mon manoir ne peut procurer…
Un sourire différent des autres lui répondit. Nulle ironie, nulle pensée moqueuse. Non, ce sourire-là était plus mystérieux et… Mélancolique.
- Je ne vois aucune raison de te répondre, Remilia Scarlet !
La vampire gonfla ses joues, montrant sa contrariété. Elle n'aimait p as qu'on lui résiste ou qu'on ne réponde pas à ses questions. Qu'on ne fasse pas ce qu'elle voulait, en fait.
- Et toi alors, tu es amoureuse, peut-être ? s'enquit Pride comme en guise de revanche.
La réaction de Remilia fut des plus classiques. Elle éclata de rire.
- Ne dis pas n'importe quoi ! Ahahah, je vois mal qui que ce soit être digne de toute mon attention.
La petite fille aux ailes de chauve-souris avait ouvert la main droite en parlant de son air hautain traditionnel. Pride s'y attendait.
- C'est ce qu'on dit. Et personne n'a tenté ? contra-t-il sans s'émouvoir le moins du monde.
Remilia lâcha un "pfff" désabusé et mit son menton sur ses bras, à nouveau croisés mais sur la table cette fois.
- Tu m'a bien regardée ? Malgré mes siècles d'existence, je suis coincée dans ce corps bien trop jeune. Il faut être extrêmement bizarre et tordu pour avoir de quelconques sentiments envers une gamine de dix ans physiquement.
La légère pointe de regrets dans la voix de Remilia n'échappa pas à Pride.
- Il est vrai que ce serait malsain…
- Voilà. Or, je ne grandirai jamais. Si on suit la logique de la société, je ne pourrai donc jamais avoir d'amant. Flandre non plus, d'ailleurs, mais c'est toujours une gamine dans sa tête. La situation est donc clairement établie et définitive !
De l'énervement s'était ajouté dans la voix du Démon Ecarlate. Remilia s'en rendit vite compte et fit comme si de rien n'était, sirotant à nouveau sa tasse de thé. Blanche et décorée de bleu, des arabesques ou des branches, Pride ne se souvenait pas en avoir vu d'autres ainsi. Il reconsidéra les paroles de la maîtresse des lieux. Elle illustrait à merveille l'une des nombreuses contraintes de cette immortalité que tant d'imbéciles désiraient. Et encore, c'était la jeunesse qui posait problème ici. Une trop grande jeunesse destinée à rester figée dans le temps. Pour le meilleur et surtout le pire.
- Enfin ce n'est pas important, conclut subitement Remilia.
Pride haussa les épaules.
- Comme tu veux. Tant mieux si c'est vrai. La solitude est certainement la pire ennemie de l'immortalité.
La vampire balaya la salle du bras, désignant plus généralement son manoir.
- Je suis loin d'être seule, comme tu as pu le constater.
- Etre entouré ne signifie pas pour autant ne pas être seul. Dans ce genre de choses, ce n'est pas forcément le domaine purement physique qui décide. Tu pourras avoir autant de servantes, à l'utilité discutable, que tu voudras, si aucune ne parvient à te procurer ce dont tu as émotionnellement besoin, tu te sentiras toujours aussi seule. C'est comme ça que je vois les choses.
Remilia papillonna des yeux, surprise. Puis elle siffla.
- Jolie tirade. Tu es moins bête que tu en as l'air, en fait, admit-elle.
- Quand on n'a rien de mieux à faire, on réfléchit beaucoup…
- Si tu le dis. Quoi qu'il en soit, si le Destin me fait me sentir "seule", je ne pourrai pas m'y opposer. On ne va pas à l'encontre du Destin, sauf si on est comme moi.
Pride leva les yeux au ciel.
- Je suis l'Orgueil, normalement…
- Et moi Remilia Scarlet ! Ahahah, tu n'as rien à y redire !
Le regard mauve de Pride parla à sa place, montrant à lui seul le peu de cas qu'il faisait de l'identité de son interlocutrice.
- … Tu pourrais avoir une réaction, quand même, bougonna la petite fille.
- J'étais trop impressionné pour dire quoi que ce soit, lança un maître des ombres blasé au possible.
Forcément, Remilia prit la mouche et répliqua aussitôt, donnant lieu à un nouveau combat verbal opposant les deux plus gros égos du manoir. Ce fut ainsi que passa la soirée, tranquillement.

(- Tu vas être en retaaaaaaard !).
- Tais-toi Pride et dis-moi plutôt par où je dois aller !
Il était aux alentours de midi sur le manoir. Réo avait récupéré son corps après le dialogue entre Remilia et l'Orgueil et courait à présent dans les couloirs. Comme tous les midis, il avait un rendez-vous à ne pas manquer mais il avait dormi comme un loir et s'était réveillé il y a peu. Un petit-déjeuner rapide et une toilette plus tard, il courait comme un dératé pour rejoindre l'entrée servant de sortie. Une fois que ce fut chose faite, l'Envieux alla droit vers le portail.
Il avait revêtu d'un pantalon noir ainsi qu'une veste grise sur un haut vert. Son bracelet d'ouroboros enserrait son poignet gauche et bougeait un peu au court de sa course. Le ciel était parcouru de nuages blancs mais nulle pluie à prévoir pour le moment. Quelques feuilles mortes parcouraient le sol mais, autrement, le jardin du manoir était toujours aussi vert et parfaitement ordonné.

A la non-surprise générale, Meiling attendait de l'autre côté du portail, appuyée contre celui-ci dans une feinte nonchalance. Rares étaient ceux à comprendre qu'en réalité, aucun détail ne lui échappait.
Encore moins la course du retardataire désorienté qui fusait vers elle, derrière une grille d'acier !
- Tu es en retard, nota-t-elle lorsque Réo fut assez proche, sans même se retourner.
La remarqua figea le polymorphe sur place, le foudroyant presque. Il baissa la tête, gêné.
- Je sais… Désolé…
Il en fallait bien plus pour entamer la légendaire bonne humeur de Meiling qui se retourna en riant.
- Ne fais pas cette tête, voyons, ce n'est pas grave !
Rassuré à cette idée, Réo se changea en eau pour passer le portail. Il reprit forme humaine devant la gardienne avant de la saluer comme il se devait, s'inclinant en joignant ses mains, l'une fermée et l'autre ouverte.
(- Cet air officiel ne te vas pas du tout, rassure-toi.), railla aussitôt Pride pendant les "salutations d'usage".
Les malédictions mentales qu'il récolta suffirent à lui tirer un sourire éthéré.
- Prêt à commencer ? s'enquit Meiling par la suite.
Réo opina et se mit à droite de son amie.
Comme chaque midi.

(♪) Sans mot supplémentaire, ils écartèrent ensemble les bras dans un mouvement alliant souplesse et lenteur. Un pas sur la gauche plus tard et ils pivotaient, toujours lentement, comme suivant un flux invisible. Leurs bras décrivirent un cercle avant qu'ils ne se retournent sur la droite. Difficile de savoir ce dont il s'agissait réellement si on les voyait de loin. Danse étrange pour les uns, combat lent contre un adversaire invisible pour les autres… Les gestes des deux amis étaient parfaitement synchrones et identiques, calqués qu'ils étaient l'un sur l'autre.
En harmonie. Avec son partenaire et le monde tout entier.
Comme à chaque fois qu'il s'adonnait à la pratique du Tai Chi Chuan, une extraordinaire paix était descendue dans l'esprit de Réo. Ses yeux grands ouverts voyaient sans rien voir et ses mouvements suivaient ceux de Meiling sans fioriture aucune. De la lenteur dans un monde qui allait à toute vitesse, calmant l'âme et ressourçant le corps.
La respiration du changeur de forme s'était faite plus profonde et lente. Si harmonie avec le monde il y avait, alors Réo laissa ses pensées suivre le flux et accompagner ses mouvements.
Après tout, il en avait vu des choses à Gensokyo. Un monde bien plus petit que celui dont il venait mais à la population incroyable. Alors qu'il reculait de trois pas sur la droite, Réo fit vagabonder son esprit.
Il lui sembla suivre les oiseaux, s'éloignant de l'île du manoir sans soucis. L'eau du Lac Brumeux était claire mais le brouillard se levait déjà sur l'étendue aqueuse. Il était loin d'empêcher les fées d'y jouer.
Les fées…
Jamais Réo n'aurait cru en voir en vrai. Gamines immatures au pouvoir faible, elles incarnaient à elles seules toute l'innocence de l'enfance et cette fantaisie qu'on perdait avec l'âge. Mais que Gensokyo avait jusqu'au plus profond de son existence.
Balayant les environs de sa main gauche ouverte, Réo leva son bras droit vers le ciel et plia la jambe droite.
Par-delà le lac se trouvait la Forêt de la Magie. Endroit enchanté et enchanteur semblant tout droit sorti d'un conte. Difficile de ne pas s'y sentir à l'aise maintenant que l'Envieux y avait une maison qu'il ferait d'ailleurs bien de meubler. La forêt n'était pas spécialement angoissante mais il était aisé de s'y perdre. Le seul gros point noir était l'humidité qui donnait le feu vert à tous types de champignons. Mais surtout, Réo savait que deux authentiques magiciennes y vivaient. L'énergique Marisa avait élu domicile dedans et il paraissait inconcevable qu'elle soit ailleurs. Sa présence seule donnait un aspect différent à la forêt, au sens propre comme au figuré. Oui, la Forêt de la Magie méritait parfaitement son nom et avait tout d'un endroit qui pouvait être associé à un chez-soi.
L'Envieux et sa partenaire tournèrent sur eux-même et levèrent une jambe puis le bras gauche. L'esprit de Réo s'éleva également, dépassant la cime des arbres. Il longea la surface rocheuse de la Montagne Yôkai qu'il avait tant vue mais si rarement visitée. Le vent y soufflait toujours à la même vitesse en ces lieux que les tengus avaient investi. Réo crut d'ailleurs voir Momiji, debout sur un rocher, scrutant la montagne avec la même précision que Meiling. Ses cheveux blancs et ses longues manches agités par le vent, elle était prête à se servir de son sabre et de son bouclier dès qu'un danger surviendrait.
Plus haut encore, Aya volait à la recherche d'un scoop. Son appareil photo en main, elle aussi surveillait ce qui pouvait se passer mais pas pour les mêmes raisons. Elle ne tenait pas en place et se devait de tout savoir. Réo ne l'avait vue qu'une fois et ça n'avait pas été particulièrement joyeux. Les choses avaient bien changé depuis, surtout lui, peut-être qu'ils pourraient s'entendre à présent… De même pour Momiji, même si le combat mené de front tous deux n'avait sans doute pas été inutile de ce côté-là.
Baissant sa main droite tendue, Réo quitta la Montagne Yôkai. Il descendit sans problème et alla vers le Village Humain. A l'image de son bras gauche posé sur son torse, le village ramenait de vieux souvenirs à Réo.
Il avait été et était toujours humain. Le village était une parcelle de normalité perdue dans un monde d'excentriques, un peu de terre-à-terre dans l'imagination. Sans pour autant faire tache mais, au contraire, parfaite composante du monde. Le festival avait été un événement ayant particulièrement plu au changeur de forme. Il aimait le village humain et savait qu'il y retournerait le jour même. Cela avait été l'un des premiers lieux qu'il avait vu et savait qu'il avait encore bien des choses à y faire et à y découvrir. Sakuya avait d'ailleurs parlé d'un restaurant à la cuisine délicieuse mais il n'y avait pas que ça. Les gens y étaient agréables, l'air était pur, rien à voir avec sa vie d'avant.
Le sourire de Réo resta dans sa tête alors qu'il paraît une attaque imaginaire. D'un mouvement lent, il se replaça et son regard se perdit dans l'horizon.
Du Village Humain, il partit vers la Forêt de Bambous. Complètement différente de celle de la Magie, s'y perdre y était là une obligation. Pride s'était surtout occupé de cet endroit-ci, afin d'aller à l'Eientei. Réo ignorait ce qui s'était passé là-bas mais savait juste que l'Orgueil avait veillé sur Youmu.
Youmu…
Il fut impossible pour Réo de ne pas la voir s'entraîner au maniement de ses katanas. Ses gestes devaient aussi être lents, au début, pour une brusque accélération et des attaques à rendre jaloux les héros de manga. Perle de vie dans un monde de morts, elle était une véritable amie pour le polymorphe. Egalement l'une des rares personnes pour qui Pride avait de l'estime voir de l'affection. Voir… Plus ?
Ce fut sur cette amusante pensée que Réo passa devant Yuyuko -pourquoi lui faisait-elle coucou ?- pour quitter ce monde et descendre.
Jambe gauche fléchie, le changeur de forme regardait le sol et avait tendu ses bras vers lui. En bas… Sous terre…
Là où la lumière du soleil n'était qu'un vague concept oublié, Réo avait trouvé ce qu'il avait toujours cherché. Il avait encore du mal à croire à la vitesse avec laquelle il avait été accepté. Pourtant… Il s'était rarement senti aussi bien que lors de sa virée à l'Ancienne Cité.
La bonne humeur dont les habitantes faisaient preuve lui avaient fait oublier tous ses problèmes. Kisume la timide, toujours dans son seau et accompagnée de l'énergique Yamame. Deux opposés certainement inséparables. Que dire de Yuugi, une force de la nature qui avait accepté de prendre Réo sous son aile, ce qui ne saurait tarder puisque lui et Pride seraient bientôt libérés. Suika avait joué son rôle également, bien que connue en surface, elle avait guidé le métamorphe jusqu'à ce qu'il considérait déjà comme un paradis souterrain. Un havre de paix et de joie, coupé du monde mais conservant sa part de mystères, de surprises et une pointe de chagrin, parfois… Alors qu'il quittait le Monde Souterrain, Réo repassa par le pont gardé par Parsee. La jalouse était comme lui, rongée par ce sentiment qui était plus redoutable que n'importe quel poison. Réo avait l'impression de se voir et quoi qu'il s'en dise… Voulait l'aider. Il voulait la sortir de cette situation, la libérer de cette odieuse jalousie qu'elle n'avait pas à ressentir. Quoi qu'il lui en coûte, il y arriverait. Son sourire serait la plus belle des récompenses et un objectif et des plus merveilleux.
Balayant l'espace de ses bras, Réo contempla ce monde qui n'était pas le sien mais pourtant. Il s'y sentait bien. Tellement bien. Il avait encore tellement à découvrir, tellement à ressentir. Une dernière escale s'imposa alors.
Son esprit gravit une grande montée de marche avant d'arriver au Sanctuaire Hakurei. Reimu était la gardienne de ce monde et veillait sur la Barrière. Elle et le polymorphe ne se connaissaient pas très bien mais l'inimité du début n'était plus. Bien des choses avaient changé, n'est-ce pas ? Cela en faisait partie et c'était nécessaire pour la suite. Se faire accepter d'elle revenait à se faire accepter de ce monde. Et si le polymorphe pouvait l'épauler, il n'y avait pas à hésiter.
Ramenant ses bras à lui, Réo se tourna vers le manoir. Il y avait passé un temps énorme et s'y sentait bien, également. Flandre le couvrait de joie et leur relation était si forte qu'elle en donnait presque le tournis. Mais il y avait également Patchouli qui l'avait bien aidé. Sakuya et Remilia étaient plus avec Pride, quant à elles, mais Réo les appréciait également. Puis il y avait Meiling. Sa joie de vivre couplée à son faux air idiote la rendait tout bonnement géniale. Elle débordait de gentillesse et était l'une des rares personnes à jouer également avec Flandre. Une femme ayant le cœur sur la main mais des plus sérieuses concernant son devoir.
Réo se retourna lentement et abaissa ses bras, se remettant droit tout en expirant doucement.
Gensokyo n'était pas son monde d'origine. Mais une chose était certaine : il n'avait aucune envie de le quitter. Peut-être n'était-il pas digne de cela mais ça n'était pas important. Il adorait ce monde. Et savait que Pride aussi.

Une fois que se fut terminé, Meiling et Réo restèrent quelques minutes sans rien dire, profitant simplement de l'instant présent. Comme de coutume, ce fut l'Envieux qui parla en premier.
- Merci, Meiling. Cela fait beaucoup de bien, comme d'habitude, fit-il en la regardant.
- Un plaisir, Réo. Pense à t'exercer encore quand tu seras parti !
Le polymorphe opina puis s'étira. S'imaginer visiter Gensokyo ainsi était fatigant, tout de même. Et il venait à peine de se lever…
(- Flemmard), railla aussitôt Pride.
Etonnant qu'il soit resté silencieux avant, lui. Il avait pourtant très certainement des vannes à lancer…
(- Sans doute, oui, mais c'était marrant de te voir. Bon, t'as accepté de faire un tournée des magasins dans le Village Humain, non ? Genre pour décharger Sakuya…).
Réo acquiesça mentalement. Il s'imaginait déjà revenir avec une tonne de trucs mais il s'était proposé en remplacement de la domestique afin de ravitailler le manoir. Un bon moyen de sortir, l'air de rien. Nul doute que Pride n'était pas contre non plus.

Il fallut attendre encore deux heures pour que le polymorphe ne puisse y aller, partant après le déjeuner, avec un grand sac à dos rouge et orange. Il avait d'ailleurs frôlé le malaise en voyant la liste de courses, proprement immense. Heureusement que ce n'était pas lui qui payait…
Il prit sa forme d'aigle noir pour le trajet et savoura presque malgré lui cet instant de liberté. Il était loin de s'ennuyer au manoir mais explorer Gensokyo lui était véritablement agréable. Il y avait toujours cette surprise… On ne savait jamais sur quoi on allait tomber, au moment où on s'y attendrait le moins.
L'aigle se posa à l'orée du Village et reprit forme humaine. En entrant, Réo s'amusa à constater le changement avec la soirée du festival. C'était déjà bien plus vide et moins animé, tout de même. Le Village était cependant loin d'être désert, loin s'en fallait.
Le polymorphe s'engouffra dans une rue et entreprit d'atteindre le quartier marchand. Presque miraculeusement, il y parvint sans se perdre mais ce n'était là que la première étape. (♪)
Il sortit la liste de courses d'une poche de sa veste et se gratta la tête.
- Pride, tu as une idée d'où on doit trouver tout ce bazar ?
L'Orgueil ricana, de son côté. Il s'attendait à une telle question.
(- Va chercher ce que tu sais trouver, je m'occuperai du reste…), lança-t-il presque l'air de rien.
Réo accepta et entra dans une première boutique. Lorsqu'il en ressortit, armé d'un sac, il se surprit à attendre Suika. Voilà qu'il se rappelait de la fois où ils avaient parcouru les lieux de long en large pour trouver de quoi rénover la maison ! Que de bons souvenirs… Cela commençait à remonter, ça aussi ! D'ailleurs, qu'est-ce que Suika pouvait bien faire, à présent ? Etait-elle restée dans l'Ancienne Cité ? Quoi qu'il en soit, elle était certainement avec un taux d'alcool dans le sang proprement inhumain…

Avec brin d'amusement, Réo se mit à récolter les divers ingrédients demandés par Sakuya. La nourriture occupait une place très importante dans la liste et ce n'était pas étonnant… Comment diable pouvait-on nourrir toute cette armée de servantes ?
(- De servantes inutiles), corrigea aussitôt l'Ombre.
- Merci de cette précision…
Ayant pris pied dans un véritable marché, Réo s'effaça pour laisser passer une fille aux cheveux mauves, avec une fleur dedans et vêtue d'un kimono jaune aux motifs floraux sur les manches.
(- Précision nécessaire, envieux).
Décidant de ne pas répondre, Réo continua sa tâche, goûtant à la joie de ne plus être enfermé entre des tas de murs rouges. En revanche, la force de la Paresse allait être requise pour porter ce que le changeur de forme estimait être une future caverne d'Ali Baba ambulante, tenue dans des sacs eux-mêmes mis dans un grand sac qui commençait à peser lourd.
- Je vais galéreeeeeer, se plaignit l'Envieux au troisième sac rempli à ras-bords.
Il en fallait bien plus pour que Pride montre de la compassion, si c'était seulement possible, et il ne se fit pas prier pour donner son avis :
(- T'as qu'à apprendre à dire non ! A gauche maintenant ! A gauche je te dis !), s'énerva finalement la voix.
Réo avait été tout droit et avait ainsi manque une petite ruelle menant au magasin de thé, un peu à l'écart. Avec la tête d'un homme à l'agonie, Réo fit demi-tour encombré qu'il était par tous ses sacs.
(- Tu sais que la logique veut qu'on commence par les trucs légers pour terminer avec les machins lourds ? T'es donc tout à la fin), susurra le vanneur habituel.
- Je t'emmerde ! grogna Réo.
Ce fut ainsi que la porte s'ouvrit devant le changeur de forme pour laisser paraître Rinnosuke. Celui-ci bugga en voyant le polymorphe, qui en fit de même.
Plusieurs secondes s'écoulèrent ainsi avant que le propriétaire de Kourindou ne se décide à parler.
- Oh, bonjour… Réo c'est ça ? Cela faisait un moment.
(- UN HOOOOOOOOMME), s'égosilla un Pride hilare.
C'était si rare, oui… Mais bien moins dans le Village Humain et ils y étaient justement !
- Yo m'sieur, c'est bien ça. M'attendais pas à vous voir ici, nota l'adolescent en remettant son sac à dos en place.
- Je venais faire une livraison, répondit simplement le marchand.
- Livraison ? Vous ne faites pas que vendre des trucs dans votre magasin ? s'étonna le métamorphe.
Rinnosuke eut un petit rire gêné.
- Les affaires ne sont pas forcément… Bonnes. Cela fait donc un moment que je m'occupe de diverses livraisons, surtout d'articles qu'on me demande de réparer ou de modifier.
Mimant une profonde réflexion, Réo se caressa le menton, sous les quolibets de l'Orgueil.
- Vous croyez que ça peut être un bon filon, ça, livreur ?
- A condition de ne pas être contre le fait de parcourir une sacrée distance chaque jour, oui. Les Humains sortent peu ou pas du Village, de peur des yôkais. Si tu demandes, je pense que tu pourrais te trouver une place facilement. L'Eientei pourrait aussi en avoir besoin d'ailleurs.
Réo eut du mal à retenir une exclamation de victoire. Cette solution tombée du ciel lui allait à ravir.
- D'accord, merci des infos !
Rinnosuke acquiesça.
- Ce n'est rien… Mais pourquoi avez-vous tant d'articles ? Vous achetez pour une armée ?
Le regard et l'expression du métamorphe s'ajoutèrent à sa réponse dépitée :
- Vous allez rire mais c'est exactement ça… Manoir du Démon Ecarlate…
- Bon courage, lança le marchand, compatissant.
- Merci bien, bonne journée !
Les deux se quittèrent alors. L'air de rien, échanger quelques mots rien qu'avec une vague connaissance faisait du bien. L'Envieux se demanda même s'il ne ferait pas mieux de retourner dans le Monde Extérieur pour aller y récupérer des choses à vendre. Le rappel de Pride sur sa piètre réussite la dernière fois doucha ses espoirs de fortune et de gloire.
Qu'à cela ne tienne ! Maintenant qu'il avait une piste, il allait devoir la suivre !
Fort de cette résolution en béton armé, Réo se mit en quête du thé rouge qu'il devait ramener. Cela ne pèserait pas lourd ça au moins…

Au moins une heure supplémentaire fut requise pour que l'Envieux parvienne à tout rassembler. Ses épaules et son dos commençaient à le faire souffrir, fort heureusement que c'était terminé !
Il se dirigea ainsi vers la sortie du Village avec une pointe de joie.
(- Stop), lança subitement Pride.
Surpris, Réo obtempéra. Il se trouvait dans une rue déserte et s'était même arrêté en plein milieu.
- Ben quoi ? Tu as repéré quelque-chose ? s'enquit l'Envie.
(- Oui. Pas toi ?).
Le changeur de forme fit un tour sur lui-même, les yeux ronds. Il n'y avait rien à déplorer de particulier…
(- C'est ici qu'on a rencontré Youmu pour la première fois), annonça le maître des ombres.
- Ah… Ah oui, tiens, bien joué !
Un léger rire sortit de la bouche de Réo. Il s'attendait à quelque-chose de bien plus sombre… Mais non ! Maintenant que Pride le disait, c'était bel et bien là que le duo avait rencontré la jardinière du Royaume des Morts. La première personne rencontrée à Gensokyo, d'ailleurs. Comment auraient-ils pu imaginer qu'elle deviendrait une amie ? Tant de choses avaient changé depuis…
Mais ils étaient toujours à faire les courses.
Cette nouvelle constatation causa un monumental éclat de rire de l'Envieux. Etrangement, Pride ne le suivit pas.
- Je suis vraiment irrécupérable, remarqua l'Envie.
(- Je ne peux que te donner raison…), commenta sobrement l'Orgueil.
L'absence d'ironie dans la voix de l'Ombre attira l'attention de Réo.
- Bah alors, ça va pas ? T'as l'air tout tristounet…
Il y eut un moment de flottement que l'adolescent fut incapable d'interpréter. Il dut attendre près d'une minute avant que Pride ne reprenne la parole.
(- Tu devais me laisser sortir, non ?).
Aucune trace d'amusement n'était audible.
- Ben, pas eu besoin pour tout trouver donc…
Nouveau silence. Lourd de sens. A tel point qu'une pointe d'angoisse se ficha dans le cœur de l'Envieux.
- Pride ?
(- Laisse-moi sortir).
Ce n'était pas une demande mais bel et bien un ordre. Subitement inquiet pour son homologue spirituel, Réo n'eut pas le cœur à refuser.
- J'ai mal aux épaules et tout le tralala t'façon ! Fais pas n'importe quoi hein !
Dans un concert d'éclairs, Pride apparut donc en lieu et place de l'Envie. Il portait ses vêtements habituels et ne rechigna pas en sentant le poids du sac à dos. Il se mit donc en route, à pieds, pour rejoindre le Lac Brumeux. C'était là qu'il utiliserait une carte pour voler jusqu'au manoir. Autrement, il n'avait aucune intérêt à abréger le voyage.
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 2 Juil - 22:14

(♪) Pride regarda le paysage qui défilait lentement sans éprouver de grande joie comme Réo en avait fait preuve. Ses yeux mauves étaient plus mesurés et même un brin distants. Pas qu'il n'aimait pas Gensokyo, au contraire, mais… Quelque-chose l'empêchait de totalement apprécier ce monde. Ce monde comme tout le reste. Il avait un goût amer dans la bouche et sentait quelque-chose bouillir en lui. Cela faisait un moment que ça avait commencé, d'ailleurs.
Combien de temps avant qu'il ne craque ?
Un soupir de frustration se fit entendre alors que l'Orgueil continuait sa marche. Cela ne servait à rien de ressasser tout ça, de toute façon…
- Bonjour, Pride.
La voix, féminine bien entendu, avait retenti derrière l'Ombre. Un bruit d'atterrissage l'avait accompagnée.
Nouveau soupir de l'Orgueil.
- La journée avait si bien commencé. C'est pour quoi, Hakurei ?
Sur ces mots, Pride s'était retourné. Il faisait désormais face à la prêtresse, laquelle avait les bras croisés. Et l'air fatigué au vu des cernes sous ses yeux.
- Du calme, je suis juste là pour parler… fit-elle sans grand entrain.
- Avec moi ? Tu dois être encore plus crevée que tu en as l'air. On croirait que tu as planqué trois dictionnaires dans chaque valise que tu as.
Seul un sourire naquit du fusillage en règle venant du regard de la jeune fille.
- On fait avec ce qu'on a. J'espérais que tu laisserais ta place à Réo, en fait…
Elle remarqua avec surprise l'air de dédain teinté de contrariété qui parcourut le visage de l'Orgueil.
- Pfeuh, bien sûr, comme d'habitude…
- Pardon ?
Pride dodelina de la tête, comme pour oublier ce qu'il venait de dire.
- Nan, rien. Tu vas où comme ça ?
- … A l'Eientei. Mais quelque-chose ne va pas ? s'enquit la prêtresse.
Une étrange sensation s'était emparée d'elle. Elle était persuadée que… Quelque-chose clochait.
- Parce que ça t'intéresse, peut-être ? Occupe-toi plutôt de Malbas, lança Pride sans la moindre aménité.
- C'est ce que je fais figure-toi !
Reimu n'eut pas le temps de s'énerver que Pride ricana.
- Ça explique tout. Ton état de fatigue avancé et le fait qu'il soit toujours en liberté.
Difficile de lancer plus d'éclairs que les yeux de Reimu en cet instant.
- Tu es payé pour être désagréable ? lança-t-elle après un soupir.
- Ce serait bien, ça te donnerait une piste pour avoir de l'argent. Des fidèles aussi d'ailleurs, j'ai entendu dire que ton temple était l'un des plus grands déserts de tous les mondes réunis.
- Mais bien sûr… Tu étais plus agréable la fois où je t'ai vu avec Youmu à l'Eientei.
Pride tiqua puis fit mine de ne pas être affecté.
- Tout le monde a de petits moments de faiblesse, on va dire…
- C'est vrai. Aussi vrai que tu ferais mieux d'aller voir Youmu.
Pride ne s'attendait pas du tout à une telle affirmation et cela se voyait largement.
- Je… Je ne vois pas en quoi ! tenta-t-il.
- Bien sûr que si… répondit doucement la prêtresse.
Pride serra les dents. Il n'aimait pas ça…
- Et qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne sais rien de moi !
Hey, ça ne lui ressemblait pas de s'énerver ainsi.
- Inutile d'être clairvoyante pour voir que tu t'es attaché à elle. Et comme je viens de l'Hakugyokurou, je peux aussi dire que tu lui manque. Enfin c'est ce que j'ai cru remarquer quand elle m'a demandé de tes nouvelles…
Difficile de viser plus juste. Reimu gardait son calme malgré les assertions de son interlocuteur, lequel chancela.
- Je suis l'Orgueil. Tu crois sincèrement que qui que se soit pourrait m'apprécier ? Ah ! Il faudrait déjà que je puisse moi-même apprécier quelqu'un. Tu t'es trompée de client ma pauvre. Je ne suis qu'une Ombre. Remballe tes rêves de poneys roses et de bisounours.
Un rictus moqueur avait pris place sur les lèvres de l'adolescent aux longs cheveux blancs. Reimu se força à ne rien laisser paraître puis se détourna.
- Après tout c'est comme tu veux. Mais tu ne pourras pas te mentir encore très longtemps. Crois-moi. Qu'il s'agisse de Youmu ou de toi-même. Tu vaux bien plus que ça.
Sans même laisser l'occasion à l'Orgueil déstabilisé de répondre, Reimu reprit son chemin en s'envolant brusquement. A nouveau seul, Pride ferma les yeux.
Il ne l'avait pas laissée apparaître mais une violente migraine avait commencé à l'assaillir… Fort heureusement, elle allait en décroissant. Une poignée de minutes plus tard, il put repartir. Seulement son esprit était tiraillé par diverses pensées contradictoires.
Mais d'où Reimu se mettait-elle à lui parler comme ça ? Il avait loupé quoi, pendant ces deux semaines ? Pourquoi donc ce malaise à l'écoute de ses paroles ? C'était n'importe quoi…

Les pas de Pride le conduisirent à la rive du Lac Brumeux. Tiens, c'était là qu'il avait vu Reimu pour la première fois… Les deux s'étaient d'ailleurs bien mis dessus, comme d'habitude à Gensokyo.
Depuis ce temps, lui aussi avait bien changé. Enfin…
Nerveusement, Pride se mit à agiter les doigts dans les poches de son manteau noir. Réo pouvait se vanter d'avoir changé, il était bien moins colérique, irritable et insupportable. Il avait retrouvé son véritable caractère : paumé, inconscient, envieux et pas doué de première.
Mais qu'en était-il de lui, Pride ?
Quelques pas de plus permirent au maître des ombres de regarder son reflet, malgré les ondulations de l'eau. Avait-il vraiment changé depuis son arrivée à Gensokyo ?
Il avait au moins pu sortir, il s'était trouvé une apparence… Son caractère était un peu différent d'avant, sans doute. Néanmoins…
Les doigts de la main droite de l'Orgueil attrapèrent un objet dans sa poche. Une petite chose métallique qu'il mit devant ses yeux.
La clé que lui avait offerte Youmu.
La preuve tangible et irréfutable qu'il avait changé. Mais également celle que…

Pride referma son poing sur la clé et de son autre main, tira une carte de son manteau. Les ailes rachitiques de son "Shadowflight" se formèrent avant qu'il ne s'envole droit vers le Manoir du Démon Ecarlate.
Meiling le vit arriver, un peu surprise. Encore plus lorsqu'elle nota que Pride ne faisait pas mine de ralentir sa course.
- Livraison express ! s'exclama-t-il avant de lancer le sac à la gardienne.
Par réflexe, elle parvient sans trop de mal à l'attraper, grimaçant en constatant son poids élevé. A peine Meiling ouvrait-elle la bouche pour une question que Pride faisait demi-tour et gagnait de l'altitude rapidement.
Sa destination bien en tête et rapidement en vue : la porte menant au Royaume des Morts. Il ignora par ailleurs les commentaires de Réo concernant le deal avec Remilia.
Presque malgré lui, Pride s'en moquait éperdument.
Il avait bien assez attendu et n'accordait aucune importance à ce que les autres pourraient penser. Il était grand temps qu'il fasse ce que lui avait envie de faire.

La porte s'ouvrit en grand lorsqu'il présenta la clé. Aussitôt, l'atmosphère si particulière du Monde des Morts happa l'Orgueil. Alors qu'il posait les pieds sur le sol dallé éclairé par des lanternes mauves, son esprit s'apaisa.
Comme par magie.
La porte se refermait sans un bruit derrière lui alors qu'il avançait vers l'escalier gigantesque qui s'élevait à présent devant lui.
Incroyable comme il se sentait bien ici… Il y avait plusieurs explications à cela mais l'Orgueil n'avait envie d'en étudier aucune. Il voulait juste profiter.
Ce fut avec un rare sourire que Pride commença à monter les marches.

(♪) Il était difficile d'être surpris lorsque le calme de l'Hakugyokurou est une énième fois évoqué. Que ce soit dans les couloirs ou les jardins, difficile de ne pas le remarquer. Ainsi, le bruit des branches que Youmu coupait était une des rares sources de mouvement sonore.
Ayant terminé avec cet arbre-ci, la jardinière regagna le sol, puisqu'elle volait juste avant. Elle s'épongea le front avec une serviette posée tout près et jeta un coup d'œil à l'immense jardin dont elle avait la charge.
L'automne était une véritable plaie et elle ne comptait plus les heures qu'elle passait à ramasser les feuilles mortes. Une taille sévère s'imposait parfois en plus, histoire d'être sûre que l'arbre passerait l'hiver sans trop de soucis. Quoi qu'il en soit, il restait encore quelques arbres à calmer dans leurs folles ardeurs puis Youmu pourrait estimer avoir terminé pour la journée de ce côté là.
Ce qui était à des années-lumières d'une tranquillité quelconque. D'ailleurs, pourquoi Reimu était-elle venue s'entretenir avec Dame Yuyuko ?
L'escrimeuse n'avait pas pu suivre l'échange, absorbée qu'elle était par sa masse de travail à effectuer. Elle n'avait pu échanger que quelques mots avec Reimu, tentant au passage de savoir ce que devenait Pride. Echec total puisque la prêtresse n'en avait pas la moindre idée. Elle avait d'ailleurs tiré une drôle de tête…
La température commençait à baisser à présent, quelle heure pouvait-il bien être ? Youmu frissonna et s'attaqua à un nouvel arbre.
C'était étrange…
Ces derniers temps, une sensation à laquelle elle n'avait jamais réellement prêté attention s'était faite très présente. C'était désagréable et pas foncièrement inconnu, pourtant… Pourtant la demi-fantôme ne parvenait pas à s'empêcher d'être mélancolique. Il faisait froid et personne ne s'en souciait. Dame Yuyoko était à l'intérieur à faire on ne savait quoi…
Mais elle était seule.

Youmu s'arrêta pendant quelques secondes et reprit son travail. C'était donc ça… Elle se sentait seule.
Ce n'était pas nouveau en soi mais cela faisait peu de temps qu'elle le ressentait avec tant de force. Depuis…
Nouvelle pause.
Depuis le festival, tout simplement. Mais même encore avant, en y réfléchissant bien, elle avait connu ce sentiment de solitude. Pas la peine d'être une déesse pour deviner la cause de cela…
Pride.
Youmu ferma les yeux à cette pensée.
Elle ne voyait pas foncièrement beaucoup de monde au quotidien. Parmi toutes les personnes qu'elle connaissait, bien peu se souciaient vraiment d'elle… Puis Pride était arrivé.
Le temps passé avec lui était presque ridicule par rapport à celui passé avec d'autres mais pourtant… Une certaine force s'en dégageait. Une force qui ne laissait pas la sabreuse indifférente. Elle ne pouvait pas le nier, elle avait tout de même offert la clé du Monde des Morts à Pride…
Dame Yuyuko n'avait pas commenté cette action et ne le ferait certainement pas mais elle avait très bien vu sa subordonnée faire. D'ailleurs, pourquoi s'effaçait-elle toujours pour les laisser Pride et elle ensemble ?
La réponse qui lui vint en tête crispa la demi-fantôme en faisant virer sa peau pâle au rouge.
C'était… Stupide. Vraiment.
Elle n'avait pas à imaginer cela ! Reprenant ses esprits, Youmu continua son labeur, à nouveau en altitude.
Myon était bien entendu à ses côtés. Myon, son deuxième corps fantôme… La jardinière n'avait jamais vraiment réfléchi à sa condition. Elle était mi-humaine, mi-fantôme. A moitié morte et à moitié vivante. Cela expliquait l'un de ses questionnements concernant sa place, même si son allégeance à Dame Yuyuko simplifiait largement la chose.
Mais n'étant qu'à moitié vivante…
A nouveau, les pensées de la demi-fantôme dérivèrent vers Pride. Lui était dans la situation inverse. Autant Youmu avait deux corps pour un esprit, deux existences pour une, autant Pride, lui, n'était qu'à moitié existant. Il n'était "que", le terme fit grimacer la jeune fille, la seconde personnalité d'une âme. Plutôt une seconde âme en fait, à bien y regarder.
Oui, Pride était bien plus indépendant que ce qu'on pourrait croire en le qualifiant de seconde personnalité. Il ne pouvait juste venir que très ponctuellement…
Youmu baissa les yeux.
Trop ponctuellement… Pas la peine de se voiler la face…
Dire qu'il avait fallu qu'elle soit hospitalisée à l'Eientei pour que tout se mette véritablement en marche. C'était peut-être bien après cela qu'elle avait commencé à se sentir seule. Pride avait été si présent les jours précédents… Jamais personne n'avait agi ainsi à son égard.

Cette pensée redonna le sourire à Youmu qui se décala sur la droite. Elle se prépara à frapper avec Roukanken pour trancher une branche en surplus mais une masse noire passa devant elle, se mua en une mâchoire en deux dimensions et cisailla la branche à sa place.
Youmu interrompit son geste, abasourdie. Elle regarda vers la droite, au niveau du sol qu'elle commença à rejoindre.
La présence de Pride, bras croisés et sourire moqueur, lui sembla presque être une illusion tant elle ne s'y attendait pas.
Cela n'empêcha pas la demi-fantôme de ne rien laisser paraître puis de s'avancer vers son visiteur.
- Bonjour Pride, bonjour Réo aussi. Quelle surprise…
(- Yo m'dame, y'en a un qui est pressé on dirait), railla mentalement un changeur de forme, conscient que son rôle s'estompait.
- Bonjour Youmu. Tu ne galères pas trop ?
La voix de Pride était bien plus posée que ce qui avait précédé. Et pour une fois, son sourire n'était pas que moqueur.
- Je me débrouille, c'est mon métier je te rappelle. J'aurai bientôt terminé, par ailleurs.
Pride acquiesça.
- Okay. J'ai le droit de t'aider à finir ? Tant que tu ne me demandes pas un truc super compliqué, je devrais pouvoir me débrouiller…
Youmu ne parvint même pas à être surprise. Bizarrement elle s'attendait presque à une telle demande…
- D'accord mais ne rechigne pas devant la bassesse de la chose, prévint-elle.
- Réo en subira les conséquences, pas toi, promis.
La jardinière eut une mimique de type "désolée !" à l'adresse du polymorphe spirituel. Elle se tourna ensuite vers son prochain objectif, accompagnée de Pride.

Les deux amis prirent une petite demi-heure afin de tout terminer. Vint ensuite la séance d'entraînement qui dura jusqu'à ce que le soleil soit en train de se coucher. Les deux compagnons s'étaient débarbouillés et avaient même cuisinés ensemble le repas qu'ils étaient à présent en train de déguster avec Yuyuko. La femme avait croisé Pride lorsqu'il était arrivé et avait implicitement joué à la convaincre de rester. Il était trop tard pour repartir de toute façon, il allait bientôt faire nuit, avait-elle argumenté. L'Orgueil n'avait pas insisté, au grand dam de son homologue Envieux.
Les ramëns exécutés, Yuyuko avait apprécié apparemment, cette dernière réclama l'attention générale en tapant dans ses mains.
- J'ai chipé quelques chocolats à Yukari mais il ne m'en reste qu'un… Qui en veut ?
Nul doute pour quiconque concernant la raison pour laquelle il n'y avait qu'un seul survivant… Ni une ni deux, Pride et Youmu exprimèrent en même temps leur désir d'hériter de la précieuse friandise.
Pour l'un comme pour l'autre, on ne plaisantait pas avec le chocolat.
Les deux rivaux momentanés se regardèrent, aussi étonné l'un que l'autre. Yuyuko ne put retenir un rire puis… Lança le chocolat, un kinder maxi pour les connaisseurs, en l'air.

Ni une, ni deux, Pride étendit son ombre. Une main parfaitement reconstituée et donc en trois dimensions se tendit vers l'objet. Mais c'était sous-estimer la demi-fantôme qui bondit littéralement et attrapa le kinder.
- Je l'ai ! annonça-t-elle en le brandissant.
Mauvaise idée puisque Pride en avait profiter pour l'approcher et lui chipa la friandise des mains.
- Ou pas ! lança-t-il avant de détaler dans le couloir.
La ligne droite de bois qui lui faisait face était bien pratique. L'Orgueil se doutait que Youmu était sur ses talons et regarda en arrière…
Pour voir un wakizashi fuser en ligne droite vers sa tête.
Pride réagit au dernier instant et vit Hakurouken se planter dans le mur à sa droite. Il l'avait échappé belle… Mais il s'était arrêté.
Youmu n'eut donc aucun mal à lui reprendre le kinder, agrémentant l'action d'un "Merci !" jovial. Elle prit même le luxe de récupérer son arme avant de s'enfoncer plus loin dans le couloir et de tourner à gauche.
Bien décidé à ne pas se laisser avoir si facilement, Pride alla à sa suite. Il fut cependant contraint de constater que Youmu était plus rapide que lui. Il n'avait donc pas le choix.
L'escrimeuse remarqua que la luminosité baissa d'un coup. Un regard sur les murs lui permit de voir la masse noirâtre qui se déplaçait sur le bois et se paraît d'œils bien connus et de dents effilées.
Youmu fit brusquement volte-face et partit dans la direction inverse, droit vers Pride.
Celui-ci n'avait pas prévu le coup et ne put que voir passer Youmu, ce qui rendait ses ombres inutiles. Pestant, il se lança à sa poursuite puis lança un fin bras d'ombre, presque un fouet, vers le kinder.
Youmu parvint à l'éviter mais fut ralentie.
Trop ralentie puisque Pride fut incapable de s'arrêter avant de la percuter de plein fouet.

Ils exécutèrent un magnifique roulé-boulé qui se solda par la perte du kinder, lequel atterrit aux pieds de Yuyuko, qui le ramassa.
- Bon, puisque vous ne parvenez pas à vous décider, je le reprends ! chantonna-t-elle.
Pride voulut dire quelque-chose mais il prit alors enfin conscience de là où il était. Soit allongé sur le sol, sous Youmu. Il était assez difficile de déterminer qui était agrippé à qui mais lorsque Youmu réalisa également, elle se recula vivement, rouge aux joues.
- Désolée ! fit-elle en panique.
Pride bugga pendant encore trois secondes puis s'assit.
- C'est à moi de m'excuser ! Enfin… Tout ça pour ça…
Les deux compères regardèrent Yuyuko s'éloigner puis… Furent tous deux pris d'un incommensurable fou-rire.
Il fallut plusieurs minutes pour qu'ils se calment. Pride se releva alors et tendit son bras gauche à Youmu qui l'attrapa pour se relever. Ils revinrent ensuite à la salle principale puis, d'un accord tacite, s'assirent sur le rebord de la terrasse.

(♪) Il faisait nuit à présent, le soleil s'était couché assez rapidement. Il n'y avait quasiment pas de nuages, ce qui laissait les étoiles et la lune pleinement visibles. Un petit vent frais décida de se montrer et Youmu trembla légèrement.
- C'est beau, l'air de rien, commenta Pride.
Son regard était captivé par la voûte céleste. Youmu sourit et approuva.
- Je te l'ai dit, lorsque les cerisiers sont en fleur, c'est encore plus beau.
- Trop long, râla l'Orgueil.
La demi-fantôme feignit de lui donner un coup de poing.
- Arrête de te plaindre, que ce soit possible est déjà une excellente chose.
- C'est vrai… Soi-disant qu'il faut savoir attendre…
- C'est après avoir beaucoup attendu qu'une chose nous paraît encore plus merveilleuse, argumenta l'escrimeuse.
Pride fit la moue puis regarda l'escrimeuse. Quatre lanternes éclairaient la terrasse et, ajoutées à la lumière de la salle derrière, permettaient de voir sans problème. L'Orgueil remarqua ainsi le tremblement de Youmu et, instinctivement, passa son bras gauche autour d'elle pour la serrer contre lui.
Youmu en fut surprise et se sentit à nouveau rougir. C'était une habitude avec Pride…
- Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda-t-elle, nerveuse.
- Aucune idée ! rétorqua le maître des ombres en masquant sa gêne.
La réponse tira un sourire à la demi-fantôme qui se détendit. Sa tête se posa doucement contre l'épaule de Pride et elle se permit même de mettre sa main gauche au niveau du ventre de son désormais support.
Une chaleur bienfaisante se répandait en elle, écho à celle de Pride mais pas seulement… La demi-fantôme se sentait bien, comme ça, sans parvenir à l'expliquer. La respiration de Pride s'était accélérée et ce détail amusa Youmu, même si elle se doutait qu'elle ne s'en sortait pas mieux de ce côté.
Elle imita le maître des ombres et observa les étoiles. Peu à peu, la respiration des deux compagnons se calma et ils furent totalement détendus.
Contrairement à Youmu, Pride était envahit par la fraîcheur corporelle de cette dernière. Il ne s'en plaignait cependant pas du tout et l'appréciait… Beaucoup. Cela lui rappelait la fois où elle s'était endormie contre lui à l'Eientei…
Sauf que cette fois, elle était bien consciente… C'était d'ailleurs… Bien mieux…
- Je suis contente que tu sois venu, fit Youmu avec une voix aussi basse que douce.
Pride sourit à cette évocation et répondit dans le même ton.
- Moi aussi, Youmu, vraiment…
- Où étais-tu passé ?
- Tu étais inquiète ?
Youmu se mordit la lèvre inférieure.
- Un peu… C'est stupide je sais mais avec ce Dévoreur qui court toujours…
Pride grimaça. Nul doute que Malbas avait marqué la demi-fantôme…
- Je comprends et… J'en suis heureux et désolé. Tu es bien la première personne à s'inquiéter pour moi… Quoi qu'il en soit, j'ai été retenu au Manoir du Démon Ecarlate à cause d'une défaite contre Remilia… Je ne devais pas en sortir avant après-demain.
Youmu ouvrit de grands yeux étonnés et regarda l'Orgueil, décollant un peu sa tête de lui.
- Dans ce cas, pourquoi es-tu là ?
Sourire.
- J'ai fugué~
- Pour me rejoindre ?
Malgré la légère ironie, Youmu se doutait de la réponse.
- Il faut croire…
Sous son air fier de lui, la gêne de Pride ne faisait qu'augmenter. Il s'étonnait même d'avoir pu réussir à avouer ça…
Youmu remit sa tête contre l'épaule de l'Ombre. Un peu plus fort.
- Tu es bien le premier à faire le mur pour me voir…
- Il y a un début à tout…
L'escrimeuse eut un petit rire.
- C'est vrai. Je suis vraiment contente de l'apprendre… Merci beaucoup, Pride.
- Merci à toi… Si on m'avait dit un jour que quelqu'un apprécierait ma compagnie…
Ce petit voile de pensées plus noires vola en éclat lorsque Pride sentit la présence de Myon dans son dos. C'était également Youmu après tout… Un détail supplémentaire qui contribuait à son… Charme ? …
Pride n'avait même plus la force de repousser ses pensées qu'il qualifiait autrement de niaises. D'ailleurs aucun mal de tête de se montrait. Il était au contraire pleinement détendu…
- Pride… Tu te souviens de l'Eientei ?
La voix de Youmu était toujours aussi douce.
- Bien sûr…
- Tu as passé trois jours entiers à mon chevet. Tu n'as pas cessé d'être aux petits soins, que ce soit physiquement ou moralement… J'aime… Beaucoup… Passer du temps avec toi…
Il sembla à Pride que son cœur manquait de déraper à l'écoute de ces paroles. Il avala difficilement sa salive, incapable de maîtriser ses émotions.
- C'est réciproque…
Un nouveau sourire illumina le visage de la demi-fantôme. Ces mots, la présence de Pride, si proche… En cet instant, elle se sentait… Heureuse. Et elle n'avait qu'à voir l'Orgueil pour savoir qu'il ressentait la même chose.
Alors… Peut-être que…
Le silence s'était installé entre eux. Un silence parfait que Youmu décida de ne pas rompre. Pas tout de suite. Après tout… Elle n'était pas sûre de ce qu'elle devait dire… Pas sûre de pouvoir mettre des mots dessus…
Ils n'avaient pas besoin de parler pour se comprendre ou pour savourer cet instant magique.
Ils restèrent donc ainsi pendant une durée qui ne saurait être déterminée. Puis, sans même en parler, ils se levèrent et rentrèrent. La main droite de Youmu était dans celle gauche de Pride et ils ne se lâchèrent pas avant d'atteindre la chambre allouée à l'Orgueil.
- Et bien, bonne nuit, Youmu.
Une pointe de regret était discernable dans la voix du maître des ombres. Youmu la perçut et s'approcha.
- Bonne nuit, Pride. C'était une merveilleuse soirée… Merci… Merci pour tout…
Sans qu'il ne puisse réagir, Youmu attira l'Orgueil à elle et déposa un baiser sur sa joue gauche.
- A demain, murmura-t-elle avant de se détacher de l'Ombre afin d'aller à sa chambre.

Pride resta quelques instants penauds puis caressa sa joue.
- A demain, Youmu, murmura-t-il avant d'entrer dans sa pièce réservée.
Jamais il ne s'était senti aussi heureux.
C'était également le cas de la demi-fantôme qui terminait de se changer et se glissa dans son futon. Elle avait agit sans réfléchir en donnant ce baiser à Pride mais ne le regrettait pas. Loin de là. Son regard fut alors attiré par la peluche de corbeau qui était posée juste à sa droite. Nouveau sourire. Comme une promesse.
Non, elle n'était plus seule.
Et tant que Pride serait là, elle ne le serait plus jamais.
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Aoû - 16:15


Chapitre 29 : Frisson dans les Ténèbres



"Les évènements surviennent rarement comme ça, sans raison. De même, une multitude d'indices peuvent permettre de les comprendre ou de prédire leur occurrence. Pour peu qu'on ne se fasse pas berner par notre imagination.
Dans ce contexte, il ne faut jamais relâcher sa vigilance et toujours ouvrir l'œil !"
Erik Sirevant


La chambre, comme tout le manoir, était calme. Déjà que l'Hakugyokurou ne brillait pas par son activité débordante du fait de la maigreur de l'effectif qui l'occupait, on atteignait là des sommets dans l'inaction. L'explication était aussi simple qu'un regard vers le ciel où le soleil commençait à pointer le bout de ses rayons. Il était tôt. Vraiment tôt.
L'obscurité de la chambre commença peu à peu par être troublée par la lumière du jour. Joueuse, elle s'amusa à s'infiltrer entre les interstices des rideaux et entreprit d'explorer du mieux qu'elle pouvait l'endroit. Très sommaire, il n'y avait là qu'un parquet avec un futon occupé disposé au centre, deux placards, une table de chevet, quelques armes disposées sur des présentoirs et une peluche. Cette dernière était posée à droite du futon. Ailes écartées, elle regardait la fenêtre d'un air étonné, peut-être même courroucé de part son intrusion malvenue. Une autre théorie serait qu'elle couve la personne dans le futon du regard. Difficile à déterminer, les peluches ne sont pas aisées à comprendre, mais on pouvait se faire une petite idée.
En revanche, nul doute que la lumière était la cause du mouvement dans les draps. Un léger soupir et Youmu ouvrit les yeux avant de se redresser doucement.
Une nouvelle journée commençait et le réveil était identique à tous les autres mais… Voir la suite de cet agréable rêve n'aurait pas été du luxe. Enfin, ce n'était pas bien important.
Youmu se leva donc, vêtue assez légèrement pour donner des saignements de nez à certains. Il ne fallut que relativement peu de temps avant qu'elle ne soit fin prête pour affronter une journée qui s'annonçait chargée. Mauvaise saison…
Vérifiant une dernière fois la position de Roukanken dans son fourreau, l'escrimeuse passa devant la chambre qu'elle savait être occupée par Pride. Sans s'en rendre compte, elle posa sa main droite sur la porte.
Et quand elle s'en rendit compte après un tour dans l'imagination, ce fut une sorte de doute qu'elle n'aurait jamais cru possible qui l'assaillait.
Pourquoi avait-elle donc cette idée saugrenue d'entrer ? Ce n'était pas très correct…
Enfin c'était surtout ce qu'il y avait de sous-jacent qui était curieux.
Cet attachement envers Pride…
L'escrimeuse ne parvenait pas à déterminer la manière dont elle devait agir.

Patience…
Il ne fallait pas se précipiter. Lentement, la demi-fantôme se recula de la porte et reprit son chemin, rangeant ses questions au placard.
Pour l'instant.

Une poignée d'heures passa avant que Pride ne paraisse, visiblement en pleine forme. Arrivant dans le salon et jetant un coup d'œil du côté du jardin, il ne fut pas surpris de voir Youmu s'affairer dedans. Elle se levait vraiment tôt. Et lui n'avait jamais aussi bien dormi.
- Bonjour !~
Yuyuko avait parlé en entrant dans la pièce, volant toujours au-dessus du sol. Son éternel sourire lui donnait presque plusieurs années de moins. Enjouée, comme d'habitude, elle alla sur la terrasse et héla Youmu avec de grands gestes en prime.
L'Orgueil la regardait faire, sans mot dire. Yuyuko faisait partie de ces êtres que l'Ombre trouvait parfaitement incompréhensibles. En un sens, elle avait ainsi parfaitement sa place dans Gensokyo où l'illogisme était parfois roi. Au diable le sens commun…
Du coin de l'œil, Pride vit que Youmu avait entreprit de les rejoindre.
La différence entre la maîtresse et sa subordonnée était tout de même effarante. Elles n'avaient tout simplement rien en commun. Tout les opposait, même physiquement. Le maître des ombres ne put s'empêcher de se demander comment l'une voyait l'autre et vice-versa. La loyauté de l'escrimeuse était parfaite et sans faille, elle accomplissait son devoir sans faillir. Mais elle devait bien avoir un avis sur sa supérieure, non ?

Pride reconsidéra les deux. Au final, il ne connaissait que peu Yuyuko. Il n'avait pas des masses essayé aussi. Enfin, comme elle passait son temps à disparaître on ne savait où afin de le laisser seul avec Youmu…
Ce qui n'était pas plus mal, d'ailleurs…
Hey c'était quoi cette pensée, là ?
… Bon ce n'était pas faux non plus. Youmu l'intéressait infiniment plus que Yuyuko mais connaître un peu plus la fantôme notoire ne pouvait rien apporter de mauvais. Sans doute. Bah, Youmu était là, c'était le plus important.
Comme de coutume, l'escrimeuse salua Pride et Réo, lequel ne se manifestait presque jamais en ce moment. Surtout quand l'Orgueil était seul avec la demi-fantôme en fait.
Un lien existait-il entre ces deux choses ?
- Tu t'es fait une mèche ? s'enquit l'escrimeuse en coupant ainsi court aux réflexions de l'Ombre.
Pride passa sa main dans ses cheveux, un poil surpris. Effectivement, une mèche rebelle et solitaire s'était pointée sans raison apparente après qu'il se soit recoiffé avant de venir. Ou il se l'était faite sans faire gaffe.
Fine et sacrément longue, elle partait de la gauche de la chevelure pour aller vers l'arrière, tout en se distinguant largement du reste de la longue chevelure blanche.
- Faut croire. Elle fait sa maligne, lança l'Orgueil.
- Qu'elle continue, ça te va bien !
Le sourire lumineux accompagnant cette phrase causa un léger bug chez Pride.
- Ahem… Merci !
Un compliment de l'escrimeuse faisait toujours son petit effet. Tout en rendant des décisions bien plus faciles, comme garder ou non la mèche. L'Orgueil trouva fort heureusement une échappatoire à son éphémère gêne grâce au petit-déjeuner qu'il ne tarda pas à attaquer.
Bon, c'était avec Yuyuko qu'il le partageait mais c'était mieux que rien.
Youmu était repartie dans le jardin. Ce fut d'ailleurs quand le maître des ombres  rêvassait en regardant dehors que Yuyuko s'adressa à lui.
- Tu devrais venir plus souvent.
- Euh… Sans doute, lâcha un Orgueil qui ne s'attendait pas à cette intervention.
- C'est même certains. Youmu est trop timide pour le dire mais tes visites lui font vraiment plaisir. Nous n'avons pas de visiteurs réguliers, excepté Yukari. Je suis contente que tu sois là pour prendre soin d'elle.
Pride allait de surprise en surprise. Cela se voyait à son expression et tira un franc rire à la femme aux cheveux roses.
- Et à toi aussi cela fait du bien que quelqu'un s'occupe de toi !
A nouveau gêné, la journée commençait bien, Pride détourna le regard, amusant encore plus la maîtresse des lieux.
- Tu comptes repartir bientôt, n'est-ce pas ? s'enquit-elle.
Pride soupira.
- Oui, malheureusement… Si ça ne tenait qu'à moi, je resterais plus longtemps mais Jealousy et moi avons des choses à faire et des réponses à trouver.
- Jealousy ? releva la femme.
- Réo, je le surnomme comme ça, parfois.
- C'est joli… Quelles réponses cherchez-vous, vous deux ? s'enquit la fantôme après avoir presque vidé sa tasse de thé.
- Des trucs divers et variés, dont certains concernant une certaine Himitsu no Yoru.
Un léger flottement accompagna une réflexion de Yuyuko.
- Himitsu no Yoru… Cela faisait longtemps. Comment va-t-elle ?
Nouveau bug. Plus marqué.
- Bien… Je suppose… Vous la connaissez ? lança Pride.
Yuyuko agita la tête sur les côtés.
- En quelque sorte. Elle est assez célèbres chez les yôkais.
- Ah bon ? Pourtant Remilia ne m'en a pas parlé des masses…
(- C'était moi qui posait les questions !), s'indigna presque l'Envieux.
- Tiens tu vis ? Je simplifie pour que tu puisses suivre ! Tu peux me remercier !
- Yoru s'est fait connaître en déclenchant un incident. Après son arrivée du Monde Extérieur paraît-il. C'était avant que le Manoir du Démon Ecarlate n'apparaisse.
Pour le coup, Pride devait avouer que c'était intéressant.
- Un incident ?
- "L'incident vampire" comme on le nomme. Il a précédé l'invention des spellcards. Yoru avait réussi à mettre de nombreux yôkais sous sa coupe, en faisant ses esclaves. Elle a mené un véritable mini soulèvement mais d'autres yôkais l'ont arrêtée à temps.
Alors ça, pour une info, c'était une info. Parfaitement inattendu qui plus est.
- Et… Vous faisiez partie du lot ? demanda naturellement l'Orgueil.
- Cela dépend duquel ! ricana Yuyuko.
Moment de solitude.
- Pour une fois, je suis intervenue. Yukari me l'avait demandé. Yuuka Kazami était aussi de la partie, avec Kagerou Imaizoumi et Seishi Kodoku, notamment.
- Seishi Kodoku… On la retrouve partout en ce moment… Youmu a-t-elle participé ? Et que sont devenu les yôkais d'en face ?
Un onigiri disparut en partie dans la bouche du fantôme.
- Tu es bien curieux !
- Et ça vous étonne ? manqua de s'étrangler l'Ombre.
- Ne sois pas si pressé ! répondit Yuyuko en agitant son éventail, sortit on ne savait comment et tenu dans sa main gauche.
Des fois, même Pride avait des pointes de déprime. Comme en cet instant. Il baissa la tête avec tant de désespoir affiché que des mauvaises ondes pouvaient aisément être imaginées au-dessus de sa tête.
L'onigiri terminé, Yuyuko continua.
- Youmu n'a pas été au combat à ce moment là. Pour les yôkais, ils ont fini par se disperser et se faire tout petits. Il n'y avait aucun "grand nom" parmi eux. Je ne me souviens que d'une…. Gurin parmi eux. Quelque-chose comme ça.
Silence. (♪)
(- Je savais bien que tu aurais dû fouiller dans sa mémoire quand tu le pouvais encore), râla le polymorphe.
- Ta gueule. Et Yoru ?
- Elle a disparu de la circulation. Jusqu'à maintenant en tout cas. Tu l'as rencontrée ? s'enquit la dame.
- Oui. Enfin, Réo se l'est coltinée. Elle était… Enigmatique mais semblait savoir des choses… Trop peut-être.
Sentiment partagé par Réo. Les paroles de Yoru étaient toujours aussi peu claires. Son objectif aussi. Mais d'où pouvait-elle bien tirer ses infos ? Si infos elle avait bel et bien, rien ne l'empêchait de bluffer.
Enfin si…
La Comptine.
Celle chantée par Yoru comportait des vers entendus dans le dernier cauchemar de l'Homme en Rouge. Ni Réo, ni Pride ne se souvenaient des paroles exactes, cependant…
Peut-être un indice s'y cachait-il, comme par hasard ? En était-il de même pour les comptines de Mystia ?
D'ailleurs, avaient-elles un lien ? C'était possible mais les comptines de Yoru n'avaient eu aucun effet sur les deux partenaires spirituels. Contrairement à celles de Mystia qui calmaient les esprits et les âmes. Surtout celle du pic-vert.
(- Serait vraiment temps qu'on y prête attention), remarqua Réo.
- Yoru était dans l'Ancienne Cité, en tout cas, lança Pride.
Yuyuko finissait un nouvel onigiri.
- Bon choix pour une vampire puisqu'il n'y a pas de rayon de soleil ! J'y pense, Yoru s'était présentée comme une Gardienne des Secrets.
Grands yeux étonnés.
- Gardienne des Secrets ? C'est quoi ?
La fantôme fit une moue enfantine.
- Aucune idée ! Tu devras t'informer ailleurs.
- Trop simple autrement…
(- Patchy needed !), s'exclama l'Envie.
Pride soupira. De toute évidence, la galère n'était pas prête de prendre fin. Son regard se perdit une nouvelle fois vers l'extérieur.
- Je pense que si tu dois partir tôt, c'est le moment ou jamais de la rejoindre ! lança presque innocemment Yuyuko.
- Vous ne vous arrêtez jamais, hein ? Enfin c'est ce que je comptais faire de toute façon. Si vous voulez bien m'excuser…
Sur un hochement de tête approbateur du fantôme, Pride se leva et sortit. Il ne faisait pas si chaud que ça, l'air de rien. Le soleil s'était levé depuis peu, à n'en point douter.

Que ce soit en entendant ses pas ou par instinct, Youmu se tourna vers Pride lorsqu'il fut à une poignée de mètres d'elle.
- C'est reparti pour une journée chargée, je suppose, envoya l'Orgueil.
- C'est exact, comme d'habitude. J'imagine que tu vas devoir retourner au Manoir du Démon Ecarlate ?
La voix de la jardinière était empreinte d'un léger voile… De déception ?
- Remilia peut bien patienter encore un peu. Elle me fera sans doute rattraper mon temps perdu de toute façon alors…
- Alors ?
La demi-fantôme avait relevé ce dernier mot avec une légère ironie teintée d'impatience.
- La réponse est évidente, non ? fit mine de s'offusquer Pride.
- Absolument pas, je n'ai aucune idée de ce que tu comptes faire du temps qui t'est imparti.
Se prenant au jeu, Pride mit les mains dans les poches de son manteau.
- Je vais sans doute aller voir Reisen. Après ça, un petit tour à la Montagne Yôkai pour faire un coucou aux tengus. Programme alléchant, non ?
Haussement d'épaules désabusé de l'escrimeuse.
- Tu fais ce que tu veux, répondit-elle sèchement.
Inutile de lire dans les pensées pour lire le message caché dans cette sécheresse de façade. Comme s'il s'agissait d'un signal, le maître des ombres sourit largement.
- Mais comme j'ai la flemme, je vais rester dans le coin. Genre, très près.
- Et si je ne suis pas d'accord ?
Pride se composa un air étonné.
- Je partirai sur-le-champ.
Il se pencha en avant, bras croisés, d'un air de défi.
- Alors dis-moi, qu'est-ce que tu désires ?
Leurs regards se croisèrent et se soutinrent. Tant et si bien que la parodie d'assurance des deux se fissura. Ils restèrent ainsi, sans rien dire, pendant une bonne minute avant que Youmu ne réponde.
- Tu le sais très bien. Tu avais une spellcard à finaliser, non ?
Toussotement du maître des ombres pour reprendre contenance.
- Exact. Mais as-tu du temps à m'accorder au moins ?
Sourire. Etincelant.
- Autant que tu en disposes Pride. J'aurai toujours du temps à t'accorder.

Etrangement, l'Orgueil eut un temps d'arrêt. Pendant une seconde, il aurait juré que son cœur avait cessé de battre. Que le monde tout entier n'avait plus la moindre importance. Il aurait pu cesser d'être et se voir remplacer par les ténèbres les plus noires qu'il n'y aurait pas accordé un regard. Car au cœur de la nuit, il y aurait ce sourire. Cette foule de sentiments qui le faisaient naître et en découlaient.
C'était grâce à… Lui ? Pride ?
Une drôle d'émotion se fraya un passage dans l'esprit de l'Ombre. Même s'il fit tout pour ne rien laisser paraître, il se sentait fébrile. Mais…
Pour rien au monde il n'aurait voulu que cela s'arrête ou même se trouver ailleurs. Un sourire, un simple sourire de Youmu… Preuve d'un bonheur palpable.
Et promesse de tellement plus à venir.
- Dans ce cas, me voici Youmu, lança Pride en faisant un nouveau pas en avant vers elle.

- Gardienne des Secrets ? Voilà qui est bien curieux.
La faible voix de Patchouli avait forcé Réo à se pencher en avant pour l'entendre.
- Plus à droite, s'il te plait !
Obtempérant suite à l'ordre lancé par une petite vampire, Réo alla plus à droite par rapport à l'étagère la plus proche, à sa gauche.
Sur ses épaules, Flandre tendait sa main droite, la gauche étant posée sur la tête de son porteur. Avec une exclamation de victoire, elle parvint à attraper le livre qu'elle voulait.
Elle l'ouvrit aussitôt et commença à le parcourir, toujours sur son perchoir.
C'était à cause d'elle que Réo avait plus de mal à entendre Patchouli, assise à sa légendaire air de lecture, devant lui. Elle regardait les deux faire leur petit manège sans le commenter. L'habitude sans doute.
- Ce terme ne me dit rien de particulier. C'est assez étonnant d'ailleurs. Paradoxalement, je pense l'avoir déjà entendu…
- Là !
L'exclamation de Flandre fut suivie par le remplacement de la magicienne par une image. Celle d'un serpent doté d'ailes de plumes dessiné en noir et blanc sur la page droite du livre que la vampirette tenait ouvert devant le visage de son compagnon de jeu.
- Non, Flandre, ce n'est pas un dragon, je te l'avais dit.
- C'est quoi alors ?
- Un dieu d'un pays très très loin. Quetzalcóatl.
Flottement.
- C'est dur à dire ! affirma la fillette.
Elle enleva le livre de sous les yeux de son ami et recommença à le feuilleter en se servant de sa tête comme de support.
Le polymorphe adressa une mimique désolée à Patchouli.
- Je vais chercher un peu mais je ne te promets rien, continua-t-elle enfin.
- D'acc, merci ! Autrement, tu as une idée d'où je pourrais chercher ?
Il ne fallut pas plus de trois secondes à la magicienne pour réfléchir et répondre.
- La bibliothèque de Palais des Esprits de la Terre. Si tu parviens à y aller et à convaincre Satori Komeiji de t'aider, tu auras peut-être des éclaircissements. Là encore, je ne peux rien te promettre.
(- Note la simplicité, encore, du nom du machin), remarqua Pride.
- C'est où ? s'enquit le changeur de forme.
- Au-delà de l'Ancienne Cité. Tu ne devrais pas avoir de difficulté à trouver. Il faut savoir que personne ne s'y rend, habituellement.
Comme souvent, Réo pencha la tête vers la droite pour manifester son étonnement.
- Ah bon ? Comment ça se fait ?
Il rééquilibra son fardeau au passage.
- Satori peu lire dans les pensées… C'est pourquoi tout le monde la fuit. Je me demande comment elle réagira avec Pride et toi.
(- Ça promet d'être du beau spectacle. Je la plains d'avance), ricana l'Orgueil.
Mentalement, le polymorphe ne put que lui donner raison.
- A part ça, Doku est dans le coin ? s'enquit Réo.
- Non. Elle doit encore traîner avec Sakuya.
- Ah… J'espère que cela ne lui ajoute pas une charge supplémentaire…

Patchouli leva quelque peu les yeux de l'ouvrage imposant qu'elle lisait.
- Je pense qu'elle n'est plus à ça près, fit-elle d'un air blasé.
Ce n'était pas faux.
Un maître des ombres sourit dans l'esprit de son partenaire et lui proposa quelque-chose.
- Ah… Patchouli ? Peux-tu réunir toutes les servantes ?
Le regard le plus blasé du monde, à la limite du "tu te moques de moi ?", fut offert au métamorphe par-dessus un livre ouvert.
- Ahem… Pride a un plan, on dirait…
- Plan pour ?
C'était possible d'être aussi perplexe et peu convaincue ?
- "Faire en sorte que ces feignasses aient une utilité minimale dans la vie".
Une poignée de secondes s'égrena lentement et dans le silence avant que la bibliothécaire ne replonge dans son livre.
- Vois ça avec Remilia, ça ne me concerne pas.
Les choix étaient réduits…
- Flandre, tu sais où est Remy ?
La petite fille leva le nez de son propre livre et réfléchit en mettant un index sur sa bouche.
- Mmmmmh… Oui, je crois. Tu veux la voir ?
- Oui, s'il te plaît…
- D'accord !
Guidé par Flandre, Réo s'éloigna de Patchouli puis de Voile. Au plus grand plaisir de la lectrice qui était, tout de même, enfin tranquille…

- … Je ne saisis pas l'utilité de ta proposition. De plus, ça ne te concerne pas, Pride.
Assise sur un canapé rouge, jambe droite sur celle de gauche et bras croisés, Remilia dévisageait Pride sans cacher son scepticisme.
L'Orgueil lui faisait face, debout et un brin impatient. Flandre, plus loin, jouait avec des peluches fraîchement apportées.
- Tu crois sérieusement que ça peut durer éternellement ? tenta-t-il.
- Je ne vois pas de raison que ça change, rétorqua la maîtresse des lieux.
Facepalm de l'Ombre.
- Surmenage, ça te parle ? Sakuya n'est ni un yôkai, ni vampire, ni je ne sais quoi encore. Elle est humaine. De fait, elle a les mêmes contraintes qu'un être humain. Dont des limites.
- Je vois mal où tu veux en venir, avoua le Démon Ecarlate.
- Trop de travail peut faire fléchir sa santé. Et même, tu feras comment quand elle ne sera plus là ? Tu traverses le temps sans fléchir ni âger mais pas elle !
Remilia ricana.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles. Sakuya est plus vieille que tu ne le crois.
- Je ne parle pas que de ça. Les humains sont fragiles. Et ils ont des désirs et des besoins. Ils peuvent parfaitement avoir envie de voir ailleurs si l'herbe n'est pas plus verte et le thé meilleur. Ou les bras plus chaleureux.
- Sakuya est loyale ! Elle ne me lâchera jamais !
- Ah oui ? Qui s'est retrouvée toute seule lors du festival, déjà ? Je ne crois pas que ce soit Sakuya justement.
L'argument fit mouche. Les ailes de Remilia s'agitèrent et elle serra les mâchoires.
- C'est hors de propos ! s'exclama-t-elle.
Elle se calma aussitôt, ou du moins en donna l'apparence.
Pride ferma brièvement les yeux puis s'approcha du Démon Ecarlate.
- Remilia, si tu veux que Sakuya reste à tes côtés, tu dois faire un geste envers elle. Tu as tout à y gagner. Plus qu'elle, même.
La petite fille soupira.
- Bien, bien, d'accord. Mais ce soir, tu fais tout ce que je te demande. Je te signale par ailleurs que tu restes deux jours de plus suite à ta… Fugue.
- Accordé.
Un rictus étira les lèvres de la petite fille.
Gagné.

La salle était comble. Pleine à craquer même, tant le nombre de fées servantes était grand.
Toutes étaient relativement différentes. Leur apparence physique différaient des fées qu'on trouvait à l'extérieur puisqu'on pouvait leur donner entre dix et seize ans. Leurs tenues étaient néanmoins identiques.
Un brouhahah incessant avait envahit la pièce, né de la curiosité des fées. Toutes rassemblées par un ordre express de la Maîtresse, elles en ignoraient totalement la raison. Des coups d'œil curieux et anxieux étaient jetés sur l'estrade qu'un rideau rouge masquait.
L'attente dura encore durant dix longues minutes avant qu'une voix n'émerge de l'estrade.
- SILENCE !
Un sursaut général précéda le silence complet. Une voix masculine avait hurlé et son détenteur ne tarda pas à paraître devant son auditoire.

Pride fit quelques pas, se plantant au milieu de la scène. Ses vêtements différaient de l'habituel et lui conféraient une aura presque effrayante pour les servantes aisément impressionnables.
Des rainures rouges parcouraient ses amples habits d'un noir profond. Un œil mauve grand ouvert surmontait chacun de ses avant-bras, ornant ainsi les manches de son ample toge obscure. Cela tranchait avec l'ouroboros rouge décorant son torse, lequel surmontait un grand sourire de dents pointues.
Le regard mauve de l'Orgueil parcourut l'assemblée avec sévérité et moquerie. Dans le même temps, la lumière sembla décroître. Les murs, le sol et le plafond se recouvraient d'ombre, jusqu'à enfermer les servantes dans un monde d'obscurité.
- Inutile de regarder par-là, lança Pride.
Une fée avait tourné les talons pour aller vers là où la porte se trouvait. L'ouverture d'un œil violacé en amande accompagné de trois rictus lui arrachèrent un cri de terreur. D'autre suivirent, naissant un peu partout.
- Bien, mesdemoiselles, si vous êtes réunies ici c'est pour une raison très simple.
Une mâchoire d'ombre sortit du sol et continua.
- Vous êtes inutiles.
Des jumelles de celle-ci suivirent, passant dans les rangs en répétant cette même phrase à des fées de plus en plus tremblantes. Elles se passèrent ensuite la parole sans crier gare.
- Vous n'avez rien à faire ici.
- La Maîtresse n'est pas fière de vous.
- A vrai dire, j'ai bien envie de…
Une bouche s'ouvrit et fila vers un cou.
- Vous croquer !
La victime hurla en fermant les yeux, ce qui l'empêcha de voir que la mâchoire claqua juste devant elle dans un bruit désagréable.
Ce fut au tour de Pride de continuer.
- Vous êtes nourries, logées, tout ça gratuitement. Mais vous ne servez à rien. Prendre soin de votre uniforme semble être la seule chose que vous savez faire tout en étant la limite de vos compétences.
Soupir.
- Vous pouvez être stupides mais épauler Sakuya est bien une chose qui est dans vos cordes ! Vous pouvez et DEVEZ le faire !
Ses lèvres s'étirèrent avec un sadisme évident, reflet de celui qu'affichaient ses sourires. Il poursuivit d'une voix douce, plus effrayante encore que s'il était en colère.
- Il est donc grand temps de se mettre au travail, les filles. Sérieusement. Autrement, j'ai peur de ne pas pouvoir me retenir…
Des rires éraillés résonnèrent tout en s'éloignant alors que les ombres refluaient peu à peu. Sur un ultime avertissement.
- Je vous regarde. Je vous suis et vous observe… Comme votre ombre…
Lorsque la salle eut retrouvé son état normal, les fées étaient seules.
Seules et apeurées. Elles regardèrent partout autour d'elle, attendirent plusieurs minutes puis, hésitantes, sortirent. Lentement. Nombre d'entre-elles continuèrent de regarder nerveusement autour d'elles et plus encore jetaient souvent un œil à leur propre ombre, laquelle leur semblait tout à coup presque menaçante…

Dans la salle vide, derrière le rideau, Pride mit sa main droite sur son front en grimaçant. Il s'était adossé au mur.
- Bon sang… Voilà que ça recommence…
(- Tu crois que ça changera quelque-chose ?), s'enquit un envieux sceptique.
Pride inspira profondément. Il était assailli par une nouvelle migraine.
- J'espère….
(- C'est sympa de ta part, quand même. C'est rare que tu fasses quoi que ce soit pour les autres… Hey, ça va aller ?)
Réo commençait, enfin, à s'inquiéter. Et il y avait de quoi ! S'il ne ressentait rien de la douleur qui vrillait la tête de son homologue, il pouvait remarquer que celui-ci ne l'avait en fait même pas écouté. Ou entendu.
Une nouvelle tempête de questions agitaient l'esprit de l'Ombre, toutes conduisant à une seule.
Qui était-il ?
L'Orgueil aiderait-il ainsi quelqu'un qu'il connaissait, au final, qu'à peine ? Serait-il ainsi avec Youmu ? Lui qui n'était que l'ombre d'un être, pouvait-il vraiment être… Autre-chose ? Qu'il n'était pas et ne serait jamais ?
C'était ridicule ! Il n'était qu'une ombre… Pourtant…
Coupant court à ses questionnements, Pride laissa brutalement sa place au polymorphe. Ce dernier, yeux ferma, resta immobile.
- Pride ? Pride ?!
Silence.
- Hey, réponds ! Qu'est-ce qui t'arrives, vieux ?
Pas mieux. Aucune parole, aucun murmure et ce pendant plusieurs minutes.
(- C'est rien…), marmonna l'Ombre.
- Genre ! Ne dis pas n'importe quoi !
(- C'est rien, je te dis ! T'as ton corps, profite donc de la vie qui t'as été donnée).
Un peu d'acide dans cette réplique. Réo tiqua mais préféra ne pas relever. Inutile de chercher à comprendre.
Ce fut donc sur un haussement d'épaules que le changeur de forme traversa la pièce et sortit sans un mot.

Un mouvement similaire déclencha une clochette, disposée au-dessus du battant de bois. Assis derrière le comptoir et occupé à tenter de réparer une horloge, un certain vendeur leva la tête.
Sous ses cheveux blonds, ses traits fatigués se plissèrent sous la surprise. Avec un brin, un gros brin, de méfiance. Il fallait dire que l'être qui venait d'entrer était peu commun, même à Gensokyo.
- Bonjour, Mr Kirisame ! fit-il d'une voix étrange. Masculine mais haut-perchée sur la fin.

Son détenteur était un homme de taille moyenne. Tellement moyenne que le qualificatif "petit" pouvait venir à l'esprit mais était exagéré. Sa peau grisâtre et poisseuse s'allait à merveille avec ses cheveux bruns mi-longs, ondulés et gras. Ses yeux ambrés aux iris plus grande que la moyenne dévisageaient son interlocuteur. Ce regard souriait presque autant que la bouche, laquelle dévoilait des dents jaunies. Des fumerolles noires s'échappaient de son corps, légèrement, discernables uniquement en y prêtant attention.
Sa veste de cuir mauve fermée tirait parfois sur le noir et avait une apparence écailleuse. Un pantalon, également de cuir, était en dessous et était plus sombre encore.
Ses mains aux ongles noirs et longs étaient jointes devant lui alors qu'il avançait d'une démarche sautillante. (♪)
- Rumplestiltskin, bonjour à vous… fit le vendeur à s'adossant à sa chaise tout en lâchant son ouvrage.
L'être de noirceur s'arrêta. Ses fumerolles obscures se stabilisèrent avant qu'il ne s'incline en écartant les bras en un geste emprunt de bouffonnerie.
- Ravi de voir que vous vous souvenez de moi ! s'exclama-t-il en souriant de tout son long.
- Nous nous sommes vus il y a à peine plus de deux semaines…
Toujours penché en avant, Rumplestiltskin leva le bras gauche et l'index correspondant.
- Précisément !
Il leva la tête.
- Mais les Humains ont la mémoire courte !
Il se redressa enfin et tapota le bout de ses doigts en gloussant.
- Alors, avez-vous fait ce que je vous avais conseillé ?
Sa tête bougeait légèrement, trahissant une excitation certaine. Il ne semblait pas tenir en place.
A l'inverse, le calme propriétaire des lieux soupira.
- Oui… Je n'ai rien révélé à ce Lucifuge, feignant l'ignorance… Et… Ça a fonctionné… J'ai pu la revoir…
L'émotion qui étreignit le vendeur n'atteignit que peu, voir pas du tout, l'être qui lui faisait face.
- Magnifique !
L'homme effectua un tour complet sur lui-même sur sa jambe droite.
- Vous ne le savez pas, mais vous avez été très utile à votre monde ! lança-t-il une fois remit en place.
- Si vous le dites… Mais comment saviez-vous que cela arriverait ? Et que ça allait marcher ? Pourquoi avez-vous fait ça ?
Rumplestiltskin leva les mains.
- Je plaide non coupable, monsieur l'agent ! Quel interrogatoire !
Petit ricanement avant qu'il ne joigne à nouveau les mains.
- Beaucoup de questions mais je n'y répondrai pas ! Le plus important est que notre affaire a été menée à bien !
Sa voix était allée dans les aigus sans raison apparente. Il leva ensuite son index gauche.
- Un message à Lucifuge.
L'index droit s'ajouta.
- Contre le retour temporaire de votre femme Damnée ! Pour toute chose reçue, il y a un prix à payer !
Difficile d'être plus sceptique et largué que le commerçant en cet instant précis. Rumplestiltskin s'en rendit compte et se mit sur la pointe des pieds.
- L'ignorance est une arme redoutable ! Laisser Lucifuge mariner dans son jus vous permet, à tous, de gagner du temps !
- Du temps pour quoi ?
Seul un clin d'œil lui répondit avant que l'être de noirceur ne recule de deux pas.
- Inutile de vous angoisser avec ça ! Les secrets sont mes amis et il m'appartient de les garder !
Mr Kirisame poussa un nouveau soupir.
- Lucifuge avait dit quelque-chose de similaire…
- Entre marchands, il y a un peu de solidarité ! Et Rofocale ne fait que jouer un rôle, son véritable visage est bien différent !
Amusé, Rumplestiltskin s'était un peu agité. Kirisame comprenait de moins en moins.
- Enfin, votre frontière joue son rôle à merveille ! Toujours aussi efficace et debout malgré le poids des années.
- Vous êtes déjà venu ?
Sautillements puis clin d'œil.
- Comment connaîtrais-je votre estimée femme si ce n'était pas le cas ?
Le commerçant écarquilla les yeux. Le sous-entendu était parfaitement compréhensible.
- Alors… Vous…
Gloussement.
- Oui… Et non !
L'être obscur écarta les bras.
6 Comme je l'ai dit, la barrière remplit parfaitement son rôle… Comme je ne fais que remplir le mien ! Rien de plus… Et certainement rien de moins !
Cela n'empêcha pas le maître des lieux de se lever.
- Vous avez fait affaire avec elle !
Sourire. Des plus frustrants. Ce fut là sa seule réponse.
- Qui d'autres avez-vous eu de la sorte ?!
- Eu ? Ne vous méprenez pas, très cher !
Rumplestiltskin tourna sur lui-même.
Je ne suis pas responsable de sa mort ! Au contraire, je suis plutôt la cause de sa survie… Du moins en partie. Et si vous tenez tant que ça à le savoir, j'ai aussi fait affaire avec quelqu'un d'autres ! Un certain…
L'être ténébreux hésita, jouant avec ses doigts.
- J'ai du mal à me souvenir de son prénom… Shiuken ? Non… Sael ? Non plus… Tant pis, à mon âge, la mémoire commence à flancher !
Rumplestiltskin prit un air désolé des plus grotesques avant de sourire.
- J'ai un doute concernant le nom, également mais il me semble qu'il était important également…
L'étrange personnage eut un nouveau gloussement et joignit encore ses mains. Il fit ensuite volte-face et, d'une démarche rigide, alla vers la sortie.
- Si vous avez besoin de moi, je serai ravi de refaire affaire avec vous ! A la prochaine !
Il sortit ainsi, laissant un marchand désorienté derrière lui.
L'ignorance était une arme redoutable mais le doute et la peur en étaient tout autant !
- Des clés de cette histoire, nul ne se doute !
Fort de cette réflexion, l'homme s'enfonça dans les rues du Village Humain…

(♪) Il faisait sombre. Si sombre…
Il n'y avait aucune lumière en provenance du plafond de pierre servant de ciel ni de nulle par ailleurs. Avançant dans l'obscurité, Réo étouffait. Il avait des vertiges et était obligé de se tenir à la paroi pour rester un tant soit peu debout.
Enfin, après des minutes d'effort aussi longues que des éternités, il arriva au bout du boyau qu'il traversait.
L'Ancienne Cité, il le savait, se dresserait là. Fière mais simple, son aura si particulière, sa sobriété accueillante…
Il n'en fut rien.
Réo se stoppa, yeux écarquillés. Il refusait d'y croire. Ça ne se pouvait pas, c'était tant impensable qu'impossible. Car de l'Ancienne Cité, il ne restait plus que des ruines.
Tout était détruit, annihilé, dévasté. Les bâtiments étaient éventrés, déchiquetés, implacablement, à l'image des corps et restes qui les teintaient du rouge du sang et d'autres couleurs, plus piquantes encore, de la chair pourrissante. Bientôt, les odeurs entremêlées du sang, des cendres et de la poussière affligèrent les sens de l'Envieux et lui offrirent une nausée lourde et intense. Réglé comme un automate, Réo avança, presque douloureusement, alors qu'un vent aux miasmes écœurantes se levait, charriant une voix spectrale chantant une comptine incompréhensible.
Pourquoi…
Une tête décapitée roula, presque négligemment, aux pieds du polymorphe depuis une façade écroulée. Yeux et langue arrachés, elle n'en était pas moins reconnaissable.
Aruka…
Un effondrement proche fit sursauter le polymorphe. Il avait une irrépressible envie de vomir et une douleur atroce pulsait de son ventre. A croire que son cœur voulait sortir de sa poitrine et s'enfuir de lui-même. Ou, plus probable, exploser sous le choc du terrible spectacle.
Le chemin de l'Envieux finit par lui faire croiser le corps de Yamame. Enfin, seulement sa partie droite.
Réo détourna la tête, livide et portant sa main gauche à sa bouche. En titubant, il voulut se tenir à un mur. Le liquide rouge, chaud et poisseux, qui le recouvrait eut tôt fait de faire reculer le changeur de forme.
D'ailleurs, une chape glaciale s'était abattue sur le métamorphe. Autant avant il suffoquait sous la chaleur, autant maintenant il tremblotait de froid.
Seulement de froid ? Non, certainement pas.
Il devait…
Il devait sortir de là.

Contenant ses envies tant de vomir que de faire un malaise, Réo se retourna.
Il ne vit pas la sortie.
Il était perdu. Perdu dans un véritable enfer, dans un tombeau laissé à l'air libre et encore tout récent. Rassemblant tout son courage, ou ce qui y ressemblait le plus en cet instant, l'Envie se remit à marcher. Il contourna un haut bâtiment de bois à la façade en miettes et buta sur quelque-chose.
Hésitant, il jeta un coup d'œil.
Un seau.
Un seau dont il manquait une partie et dont l'intérieur était maculé de sang. Gisant plus loin, un cadavre au ventre ouvert put voir un changeur de forme être prit d'un haut-le-cœur.
Pourquoi… (♪)
Serrant ses bras autour de lui, Réo se força à ignorer les images ignobles qui s'imposaient à son esprit. C'était insoutenable.
Un nouvel effondrement accompagné d'un long chuintement se fit entendre. Surnaturellement attiré comme un papillon de nuit par la flamme allant le brûler, l'Envieux avança vers ledit bruit.
Se faisant, il passa sous un assemblage de bois. Une chose légère tomba sur son épaule droite, sans crier gare, ce qui le fit sursauter. Une main… Dont il manquait le pouce. Après avoir repoussé le membre, le polymorphe s'empressa de continuer, alors que des gouttes de sang tombaient du haut de la structure comme une fine pluie d'automne ou alors la rosée d'un matin frais et au ciel rougeoyant.

Ce qu'il vit là le tétanisa. Et le hurlement de douleur poussé par Yuugi ne fit qu'empirer les choses.
L'oni était debout. Du moins, c'était le cas avant qu'un filament de sang ne lui arrache les jambes.
Une main de fer, littéralement, attrapa la combattante par le cou avant que l'autre ne plonge dans son orbite droite.
Cri.
Douleur.
Impossibles à concevoir ou entendre. Réo se boucha les oreilles de ses mains tremblantes sans pour autant ôter de ses tympans le hurlement de son amie.
Son visage masqué par son masque de métal et de sang, cape volant au rythme d'un vent mortuaire, l'Homme en Rouge était là.
Un léger claquement précédé l'acquisition de la bille de chair que le Cauchemar Sanglant désirait. Il n'y accorda qu'un bref regard.
Second claquement et son nombre de jouets doubla. Craquement sec, une pointe rouge compléta la collection. Yuugi avait cessé tout bruit et peu après, ce qu'il restait d'elle se mua en un feu d'artifices rouge, aux traînées tombant comme autant de larmes. Tel un ultime cri d'agonie, laissant sa marque partout autour, jusqu'aux pieds de l'Envie.
A moins que ce ne soit celui poussé par Réo. L'Homme en Rouge joua quelques secondes avec ses petits trophées puis les jeta aux pieds de l'Envieux, dans les flaques de sang crées juste avant.
Réo leva la tête pour ne pas les voir.

Ce fut alors qu'elle arriva, débordante de fureur. Parsee…
Ses assauts de danmaku verts furent inutiles. Réo voulut lui hurler de s'en aller, vite. Aucun son ne sortit de sa gorge.
Alors que la main gauche de l'Homme en Rouge se refermait sur celle de Parsee. La yôkai tenta de bouger un bras…
Claquement sec.
Il roula au sol. Nouveau craquement. Sinistre. Insupportable. Ecœurant.
Suivi d'une multitude de petits semblables.
Une chaude pluie écarlate partit du cou de la princesse du pont alors que sa tête était séparée de son corps. Plusieurs gouttes atteignirent le visage de Réo, achevant son cœur et son âme.
Le corps de Parsee s'effondra une fois les dernières vertèbres cassées et veines déchirées afin que la tête reste entre les mains du Cauchemar Sanglant.
Tenue par les cheveux, ladite tête gouttait sans interruption et se tourna vers le polymorphe. Le visage de la yôkai était à jamais figé dans une expression mêlant douleur et terreur les plus absolues. Une larme rouge roulait même sur sa joue droite.
- Pourquoi…
L'Homme avança.
- Pourquoi faites-vous ça…
Ses pas résonnaient dans le souterrain désormais vide de toute vie.
- Qu'est-ce que vous voulez… Qui êtes-vous ?
Arrachant son regard de la tête, Réo posa ses yeux remplis de larmes sur le Cauchemar.
Celui-ci leva sa main gauche… Et tendit son index vers Réo.

Il y eut un flottement. Une prise de conscience, accompagnée d'une réponse, insoutenable… Puis une terreur.
Incontrôlable.
- Que…
- Ksh~
Deux filaments de sang partirent de l'Homme pour déchiqueter le pauvre envieux qui lui faisait face, tailladant son ventre, ses bras puis son cou.


Violemment, Réo se mit droit dans son lit. Haletant, en nage, il passa sa main gauche sur son front.
Mouvement à sa gauche. Avec un petit clapotis irrégulier.
Etonné, le polymorphe se tourna vers cette nuisance. Se figea.
Il était là. (♪)
Le corps démembré et affreusement mutilé de Doku dans ses mains. L'Homme en rouge regarda Réo.
Sourit.
Sourire si douloureux que Réo hurla. Le "Ksh~" résonna dans son esprit alors qu'il se débattait sous l'effet d'une douleur atroce.
Ses mouvements désordonnés le firent basculer à sa gauche et donc tomber du lit.
Réo rejeta les draps qui l'avaient accompagné et se mit à quatre pattes avant de cracher le liquide nauséabond qui coulait dans sa bouche.
Du sang.
La douleur n'était pas partie et s'imposa comme la seule sensation perceptible. Horrifié, se fiant à ce que ses yeux parvenaient à voir, Réo s'en aperçut enfin. Il saignait. Abondamment.
Une plaie hideuse barrait son ventre. Il voulut bouger les poignets, les multiples plaies constellant ses bras entiers ainsi que ses mains le rappelèrent à l'ordre.
Il toussa.
Du sang coulait aussi de son cou et la blessure le faisait souffrir comme jamais. De plus, il avait l'impression qu'Il était toujours là. Tout près.
Incapable de distinguer le cauchemar de la réalité, Réo bascula sur le dos, respirant à grandes goulées. Il se forçait à ne pas hurler.
Ça faisait si mal…

Alors qu'il pensait sincèrement mourir, de salvateurs éclairs rouges crépitèrent autour du polymorphe. Ses blessures se refermèrent donc. Mais elles prenaient du temps. Beaucoup de temps, comparé à d'habitude.
La sensation des plaies se refermant doucement était particulièrement désagréable et tout aussi douloureux. Il se passa ainsi plusieurs minutes.
Quand elles furent écoulées, Réo gisait toujours de la même façon. Sa respiration finit par s'apaiser, de même que les battements de son cœur.
C'était terminé.
Fébrilement, Réo se mit debout en s'appuyant sur son lit.
Il était seul. Personne d'autres que lui-même n'était présent dans cette pièce.
Qu'est-ce qui s'était donc passé ? Cela avait-il été un cauchemar ? Suivi d'hallucinations ?
Un coup d'œil à ses draps fit grimacer l'Envieux. Ils étaient ensanglantés, même si ça ne durerait pas puisque comme ses membres tranchés, le sang disparaissait hors de son corps.
Seule sa vision de l'Homme en Rouge avait été illusoire.
Vraiment ?
Refusant d'y penser, Réo regarda ses bras puis son torse. Les blessures étaient bien parties et la douleur avait fait de même, globalement. Mais elles avaient été parfaitement réelles.
Qu'est-ce que ça voulait dire ?
La vision du Cauchemar Sanglant le pointant du doigt s'imposa à l'esprit du polymorphe.

- Hey, Pride… T'en penses quoi ?
Silence. Lourd, presque oppressant.
L'Orgueil était-il "endormi" ? Cette explication ridiculeusement simpliste fut acceptée dans la seconde.
Ne pas réfléchir. Ne pas supposer. Pas maintenant. Inutile de chercher à se rendormir pour le moment. Un coup d'œil vers la pendule à droite du lit et l'heure fut annoncée, il était 4h26.
Las, Réo sortit de sa chambre.

Les couloirs rouges étaient vraiment sombres. La nuit, c'était encore plus frappant. La lumière tamisée produite par les sphères lumineuses était ainsi loin d'être optimale.
- Tu vas bien ?
Lessivé, le polymorphe ne prit même pas la peine de sursauter lorsque Sakuya apparut devant lui. Mais l'intention y était.
- J'ai tant que ça l'air d'un déterré ? lança l'Envieux pour se donner contenance comme pour occuper son esprit.
- Tes yeux sont petits et cernés. Tu trembles. Mais ce sont surtout tes cris qui ont attiré mon attention. Cauchemar ?
Difficile de nier devant une telle avalanche de remarques et d'observations sur ses différents symptômes. L'œil était la servante était aussi aiguisé et précis que ses couteaux !
- … Je me rends, votre honneur. C'est bel et bien ça, répondit le zombie du jour.
- Il t'a mis dans un tel état… Je peux faire quelque-chose ?
Négation lente et détachée.
- Non merci, Sakuya. Je fais juste une balade, puis je retournerai au lit. Avec un peu de chance, je me rendormirai. Avec un peu de chance…
- Je t'accompagne.
C'était plus une affirmation qu'autre chose et le changeur de forme fut bien incapable d'y trouver quoi ce soit à y redire. Ils se mirent donc en marche.
- Merci. Mais tu es encore debout à cette heure ?
Sakuya opina avec un discret sourire.
- Effectivement. Comme tu le sais, le manoir est parfois très actif pendant la nuit. Plus que le jour, d'ailleurs. Tout dépend de l'humeur de la Maîtresse.
Le calme de la domestique faisait du bien, l'air de rien.
- Maîtresse qui doit dormir à poings fermés, en ce moment. Ça doit te faire du bien.
Petit rire de la servante.
- Ne vas pas le répéter, surtout, mais ce n'est pas vraiment faux. Toutefois, j'ai toujours du travail à faire, quoi qu'il advienne.
- Ça rend Pride malade, ça… D'ailleurs, j'ai remarqué que Doku te suivait partout ?
Sakuya ouvrit une porte menant à un couloir perpendiculaire et s'y engouffra avec l'Envie.
- C'est le cas. Tu vas te retrouver avec la parfaite servante yôkai en herbe.
Pointe de déprime.
- J'ai jamais demandé ça, moi…
- Elle ne fait ça que pour se rendre utile à tes yeux.
Sa voix se fit plus froide.
- Elle a beaucoup d'affection pour toi. Et elle n'est pas la seule ici, même si c'est différent. Fais très attention.
Un frisson parcourut l'échine du changeur de forme. Quand Sakuya adoptait ce ton, elle avait un côté sacrément effrayant.
Un peu anxieux, le jaloux notoire acquiesça. Cela sembla convenir à la servante en chef qui continua sur une note plus légère.
- Cela dit, j'ai remarqué que ma charge de travail a légèrement diminué. Sais-tu ce qui est arrivé aux fées ?
L'Envieux étouffa un bâillement.
- Pas ma faute, chef ! fit-il en levant les mains.
- Etrangement, je m'en doute. J'ai d'ailleurs ma petite idée sur l'identité du responsable…
Décalqué, Réo agita la tête.
- Je te le passe ? Ça me reposera peut-être.
Approbation de la domestique. Sur un dernier au revoir, les éclairs rouges firent leur travail et ce fut au tour de Pride d'apparaître devant Sakuya. Sa tenue était des plus habituelles.
- Yo ! Tu as quelque-chose à me dire ?

(♪) Visiblement, l'Orgueil était plus en forme que son partenaire. Et enfin réveillé, contrairement à tout à l'heure. Il n'était pas non plus débordant d'une énergie illimitée mais au moins, il ne ressemblait pas à un cadavre terrifié ambulant.
- Bel effort de déduction. Même si je ne suis pas particulièrement d'accord avec ta méthode, merci pour avoir mis les autres servantes au travail. Cela dit, ne recommence sous aucun prétexte. Suis-je claire ?
Un rictus ironique lui répondit en premier.
- Bien reçu. Je ne comptais pas recommencer de toute façon. Si ça n'a pas marché en revanche…
- Mais de quoi je me mêle ? rétorqua la servante.
Difficile de savoir si elle plaisantait ou non. Dans le doute, Pride haussa les épaules.
- Vois le côté positif, cela te libère des heures pour dormir et te reposer. Enfin, ça c'est la théorie…
Sakuya sortit sa montre à gousset argentée et l'ouvrit d'une pression sur le bouton se trouvant en haut.
- Il est 4h47. Ce serait à toi d'aller dormir.
Elle remarqua ensuite le regard que Pride posait sur la montre.
- Et bien ?
La servante rangea l'objet alors que l'Ombre sortait de sa réflexion.
- J'ai l'impression de l'avoir déjà vue ailleurs, cette montre.
- Tu dois confondre, la Luna Dial est unique. Et peu de monde a ce genre de montre à Gensokyo.
Pride approuva.
- C'est pour ça qu'en voir une, ça marque. Le Voyageur en a une mais elle est dorée. Y'a un rapport ?
Sakuya resta pensive quelques instants.
- Je ne sais pas… Peut-être bien. Rien n'est sûr avec lui.
L'Orgueil croisa les bras.
- Vous vous connaissez bien ?
La jeune femme eut une légère hésitation.
- Vaguement. Je ne sais, justement, pas grand-chose à son sujet. Tu vas devoir trouver des réponses ailleurs !
Le maître des ombres eut un petit rire.
- C'est la mode en ce moment, courir aux quatre coins de Gensokyo pour avoir des explications. Je suis blasé de ce côté-là.
- C'est ce qui arrive quand on veut connaître la vérité. Je suis passée par-là, moi aussi. Pour découvrir l'identité du vampire ayant tué mes parents.
L'Orgueil eut du mal à masquer sa surprise. Sakuya n'était pas du genre à se laisser aller au point de parler d'elle-même et encore moins de son passé nébuleux. Surtout de cette partie-ci. Ce fut pourquoi Pride hésita à continuer sur le sujet. Mais tant qu'à faire…
- Au final, tu l'ignores encore, hein ?
Confirmation de la tête, sans joie.
- J'ai des doutes, néanmoins… Mais surtout, je veux savoir pourquoi ils ont été tués. Car ce n'était pas pour servir de repas.
- D'où l'utilité de trouver Yoru et de lui faire cracher ce qu'elle sait, renchérit Pride.
Lequel bugga.
- Tu parles de ça le jour où je peux sortir. Comme par hasard.
Sakuya feignit la confusion.
- Oh, je n'y avais pas pensé !
Son sourire disait l'inverse.
- Bien sûr. Hasard aussi si tu glisses ce nouvel élément sur tes parents…
La domestique écarta les bras.
- Pur hasard.
- Je n'en crois pas un mot ! Je vais néanmoins me montrer magnanime et accéder à ta requête. Enfin, je vais essayer, je ne te promets rien.
- J'en suis bien consciente et ça me suffit.
- Tu peux aussi demander à Remilia qu'elle te lâche pour aller voir toi-même.
- Non.
Sec, net, clair et précis. Un peu trop, sans doute. Sakuya s'en rendit compte et tâcha d'expliquer.
- J'ai perdu une partie, une grosse partie, de ma vie à tenter de régler cette histoire. J'ai fini par trouver la paix une fois que je suis entrée au service de la Maîtresse. J'ai gagné un foyer, une famille, tout ce qui me manquait. Je ne veux pas repartir dans le doute.
- Même pour mettre un terme définitif à tout ça ?
L'air de rien, Pride avait du mal à suivre le raisonnement. A ses oreilles, c'était… Totalement abscons.
Le sourire que fit Sakuya attira son attention. Un sourire différent de tous les autres.
Un sourire carnassier.
- Je ne veux pas repartir dans le doute. Mais des certitudes ne me dérangeraient pas le moins du monde.
L'Orgueil acquiesça. Il avait compris. Il allait trouver la personne responsable. Et quand ce serait fait, cette personne allait avoir du mouron à se faire…
- Pensez à revenir, tout de même, vous deux. Flandre réclame Réo quand il est absent.
Pride ricana.
- Elle a une grande sœur, non ? Pourquoi ne pas en profiter ?
Le visage de Sakuya se ferma.
- C'est plus compliqué que ça en a l'air.
- Je ne vois pas en quoi. Remilia a juste à sacrifier un peu de son temps. Elle a l'éternité devant elle, ça devrait pouvoir se trouver…
- C'est ce que je dis, ce n'est pas aussi simple. Flandre a été enfermée pendant 495 ans par Remilia elle-même. Ça ne s'oublie pas du jour au lendemain ?
- Flandre lui en veut ?
La domestique en chef prit le temps de réfléchir.
- Je pense, oui. Mais cet enfermement a surtout eu un effet déplorable sur leur relation de sœur à sœur. La Maîtresse a une sorte de… Blocage. Ce n'est pas qu'elle ne veut pas, crois-moi. Elle n'y arrive simplement pas.
Pride reste pensif, passablement étonné.
- Remilia n'a jamais parut s'en plaindre. Sauf peut-être au festival…
- La Maîtresse et toi êtes pareils. Vous ne laissez rien paraître de ce que vous ressentez, vous contentant d'afficher une façade d'orgueil, mépris et d'insensibilité.
Le maître des ombres resta quelques instants sans réagir. Un étrange rictus flotta ensuite sur ses lèvres avant qu'il ne reprenne la parole.
- C'est toi qui le dis.
- Tu ne pourras pas toujours arborer ce masque d'ombre.
- C'est marrant, Reimu me disait des trucs semblables.
- C'est donc que je ne me trompe pas.
- J'aurai tendance à dire l'inverse… Cela dit, je reste sceptique avec cette relation entre Flandre et Réo.
Le changement était si brutal que Sakuya ne songea pas à le relever.
- Comment cela ? Ils s'entendent à merveille.
- Oui… Mais je pense que ça a un risque immense de mal finir.
La jeune femme renvoya une mine surprise à son interlocuteur.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Pride haussa les épaules.
- J'en sais rien, un pressentiment on va dire.
Il fut impossible pour l'un comme pour l'autre d'en savoir plus. La discussion dura encore une dizaine de minutes supplémentaire, voir plus, puis Pride décréta qu'il était temps de reprendre la nuit de sommeil. Ou du moins essayer.
Bien lui en prit car cela fonctionna. Ainsi, s'achevèrent les deux semaines au Manoir du Démon Ecarlate et par-là même la sanction infligée par la maîtresse des lieux.
Ce qui ne réduisait en rien la liste des choses à faire.
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L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Aoû - 16:15

- Tu es sûre de vouloir venir ?
Doku approuva énergiquement.
Les deux compères étaient sortis du manoir. Les au revoir divers et variés et effusions de départs habituelles avaient laissé place à un calme relatif, puis à cette question. Le soleil était haut dans le ciel nuageux et il faisait un poil frisquets. L'hiver n'allait plus tarder, le baratin habituel…
Déjà ?
- Je veux venir avec toi ! Je pourrai t'aider ! s'exclama la yôkai avec enthousiasme.
(- J'en doute), répliqua un Pride glacial.
Doku avait joint ses mains et regardait l'Envieux presque avec des étoiles dans les yeux. La technique du chat suppliant marchait à la perfection sur le polymorphe, surtout si c'était le serpent désormais jeune fille qui s'en servait.
Il fut ainsi incapable de refuser. La yôkai sautilla de joie et lui attrapa le bras droit qu'elle câlina sans retenue.
Le teint du métamorphe vira au rouge.
(- Et allez…)
Il ne put pas lui faire lâcher jusqu'à la berge du Lac Brumeux.

Plusieurs choix s'offraient à Réo. Du moins, en théorie. En pratique, il ne voyait qu'une seule bonne chose à faire dès à présent.
Foncer vers l'Ancienne Cité.
Sa conversion en tant que livreur pourrait bien attendre que cette histoire soit réglée. Sous forme d'aigle noir, le polymorphe guida Doku vers le passage menant sous terre. La jeune fille pouvait voler sans problème, elle, d'ailleurs.
Les deux compagnons s'enfoncèrent dans l'obscurité des profondeurs et, rapidement, se posa une épineuse question : par où aller ?
Il fallait dire que prendre des repères dans un trou semblant sans fond était compliqué.
Se fiant à son instinct ou plutôt au hasard et à la chance, l'aigle descendit profondément. Comme la dernière fois, il atterrit et se changea en loup pour continuer, toujours suivi de Doku.

La vision que cette forme procurait au polymorphe lui permit de remarquer qu'il empruntait un chemin différent de la fois précédente. Décidant de ne pas s'en préoccuper, l'Envieux continua. Le chemin était en pente relativement douce. Plusieurs virages agrémentaient ce voyage souterrain qui gagna peu à peu en monotonie. Il fallut bien une heure au minimum pour que Réo ne parvienne à un grand espace plus éclairé et qu'il reconnut sans peine.
Sans doute à cause du pont entouré de lumières vertes volants autour de lui, distillant lumière et mélancolie dans une fresque irréelle.
Le changeur de forme reprit forme humaine et s'avança, contemplant la beauté des lieux avec des yeux ébahis. Doku n'était pas en reste.
- C'est magnifique ! lança-t-elle alors qu'ils atteignaient le pont.
- Je pense la même chose. L'Ancienne Cité n'est pas mal non plus, je peux te l'assurer.
- Je veux bien te croire.
Les bruits de pas sur le bois ajouta une touche de vie dans le tableau alors que les lanternes sur les côtés mettaient de la lumière.
Une silhouette se découpa peu à peu, penchée sur la rambarde. A sa vue, le changeur de forme hésita, même s'il fit en sorte que cela ne se voit pas trop.
(- Elle va pas te bouffer. Te tuer, peut-être, mais te manger…), railla l'Orgueil.
Malgré les assertions de Pride, Réo n'était pas totalement rassuré. Au loin, de plus en plus près ce loin cela dit, Parsee se tourna pour faire face à ses visiteurs.
Ses yeux verts détaillèrent les deux. Surtout Doku. Inutile d'être devin ou mentaliste pour remarquer la légère crispation sur le visage de la jalouse notoire.
- Te revoilà donc, lança-t-elle à l'intention du métamorphe lorsqu'il fut assez près.
Si elle trouvait un quelconque confort à cet état de fait, il était parfaitement enseveli sous une impressionnante couche de mécontentement.
- Exact. J'ai des tas de choses à faire…
- Dont faire visiter à ta charmante petite-amie ?
(- Tu peux commencer à courir), lança Pride avec ironie.
Doku devint instantanément écarlate tandis que le polymorphe levait les mains en reculant de deux pas, passablement paniqué.
- Ce n'est pas du tout ça ! Doku est juste une amie !
Un regard polaire le fit frissonner.
- Soit.
- On doit aller chercher des infos au Palais des Esprits de la Terre… Tu sais où c'est ?
- Tout droit, après la sortie l'Ancienne Cité. Pas très loin, tu devrais pouvoir y arriver.
(- En théorie…)
A croire qu'ils s'étaient donnés le mot. Réo ne se laissa cependant pas abattre et vit que Doku fulminait.
- Pour en être sûr, pourquoi ne pas nous accompagner ?
L'Envieux avait posé sa question avant même d'y réfléchir. Il s'attira ainsi les regards étonnés des deux filles en présence.
Dit comme ça, on pouvait presque sentir la bombe à retardement…
- Je ne peux pas.
Espoir inconscient mort-né. Enfin, il fallait bien tenter.
- Ah… Dommage.
Parsee avait croisé les bras et toisa le métamorphe.
- Tu es accompagné de toute façon. Pourquoi voudrais-tu que je vienne ? Sauf si tu ne me vois que comme guide potentiel.
(- Ça diminue le risque de rape dans les coins sombres), railla aussitôt Pride.
- Pour… Euh…
Et zut, il trouvait quoi à répondre à ça ? C'était mal barré…
- Ça t'arrive d'être gentille ?
Réo eut fort à faire pour retenir un facepalm. Si Doku s'y mettait, ils étaient pas sortis… Et pas entrés non plus.
- Je ne t'ai pas demandé ton avis, miss la touriste. Tu joues le chien de garde ? T'as de la chance Réo d'avoir une personne aussi dévouée…
Et c'était parti pour se sentir mal… Mais quelle idée aussi de paraître devant Parsee avec une fille aussi…
Aussi…
(- Yandere)
L'adjectif était bon, sans doute. Un peu technique et exagéré mais l'Envie n'avait pas mieux à proposer actuellement.
Doku avança de deux pas en faisant tressauter sa langue fourchue mais Réo mit sa main devant elle.
- Paix ! s'exclama-t-il.
(- Comme un air de réchauffé…), remarqua platement l'Orgueil.
Le polymorphe ne tint pas compte de la remarque et continua.
- On va s'éloigner et tout le monde va se calmer, d'accord ? Merci Parsee pour cette indication et bonne… Euh… "Journée" !
- Grrrr… C'est ça, à plus tard !
L'Envieux attrapa Doku par les épaules et la força à avancer. La yôkai ne songea même pas à s'y opposer, cette initiative la faisant même rougir un peu…

Au final, les deux compères déboulèrent dans l'Ancienne Cité. Hors de portée de Parsee et de sa jalousie, Réo soupira de soulagement.
- Je suis désolée, j'ai fait n'importe quoi… s'excusa aussitôt Doku en s'inclinant.
(- Schizophrène en plus de ça. Ou folle), lâcha l'Orgueil.
A force, l'Envieux en avait légèrement marre de tous ces sous-entendus de son homologue spirituel. Il contint cependant sa rage et laissa l'atmosphère de l'Ancienne Cité faire effet sur ses sens et son âme.
Sans réfléchir, il se mit à marcher. Il se sentait… Bien mieux. Vraiment mieux. Cette ville était tellement accueillante… Pas dans sa forme mais dans son ambiance.
- Ce n'est que la deuxième fois que je viens ici mais je m'y sens chez moi, ou presque… C'est débile, non ?
Redevenue calme, Doku suivait le changeur de forme.
- Je ne pense pas. J'ai eu la même impression quand tu m'a recueillie, c'est comme si j'avais toujours été là, que c'était ma place.
(- Tududum ! Niaiserie, level-up !)
Soupir. Long et plein de sens.
Le polymorphe repéra, au loin, plusieurs onis occupés à festoyer.

C'était un classique dans l'Ancienne Cité. Des onis, partout… Mais pas seulement. D'autres yôkais vivaient ici, même si ce n'était pas eux qui faisaient le plus parler d'eux. Généralement.
Rasséréner, l'Envie de retourna vers sa suivante.
- On regarde depuis le haut ?
Doku approuva. Le polymorphe se changea en aigle puis les deux partirent en direction du plafond de pierre, trop haut pour être vu. D'en haut, l'Ancienne Cité paraissait bien calme. Difficile en effet d'imaginer que la ville était en fait le théâtre de beuveries, fêtes et combats en tout genre.
Les lueurs volantes combinées à celles des bâtiments créaient une étrange toile de lumière, attirante et mouvante. L'espace d'un instant, Réo se demanda si tout n'avait pas été désiré et décidé par une araignée terrestre afin d'avoir ce rendu.
Heureusement pour les aventuriers en herbe, l'espace aérien était étendu et surtout, haut. Il n'y avait aucun risque de se manger une stalactite en pleine face, puisque le plafond demeurait parfaitement invisible, dissimulé dans les ténèbres. Revers de la médaille, les lueurs volantes étaient plus rares ici.

Plus rares se faisaient aussi les maisons. Oui, plus les deux avançaient, plus l'activité retombait… Et il faisait sombre. Assez rapidement, un chemin de pierres grises solitaire fut repéré. Des lanternes disposées sur ses bords à intervalles irréguliers le mettaient en évidence mais il y avait peu de chance pour que qui que ce soit l'emprunte. En effet, le chemin n'avait pour autre finalité… Q'un manoir.
(- Quelle originalité, dis-moi !), s'exclama Pride.
Difficile de ne pas lui donner raison, pour le coup.
Cela dit, par rapport à tous les autres, celui-ci était bien plus austère. Occidental, visiblement, il était tout entier fait de pierre grisâtre. Des vitraux faisaient office de fenêtres mais difficile de savoir comment une quelconque lumière pouvait parvenir à l'intérieur.
D'un accord tacite, Réo et Doku se posèrent au sol. Force fut de constater, en approchant, que le manoir en imposait. Enfin, manoir, pas pour rien qu'on le nommait Palais des Esprits de la Terre !
- J'ai vu des tombeaux plus joyeux, lança l'Envieux au hasard.
- Il n'y a personne dehors, en tout cas, remarqua Doku.
- La maîtresse des lieux, Satori Komeiji, est apparemment fuie… Elle pourrait lire dans les pensées.
- Ce doit être… Assez gênant…
Etant donné son expression, Doku n'avait visiblement pas très envie de tester.
- Je sais. Mais on a pas le choix. Je te l'ai déjà demandé mais, Himitsu no Yoru, ça ne te dit vraiment rien ?
- Non, désolée…
(- A l'époque, elle devait être encore un serpent lambda), ajouta Pride.
Logique.
Rapidement, les deux compères se trouvèrent devant la porte d'entrée. Ni portail, ni gardienne, cette fois. Seulement un panneau de bois de quatre mètres de haut pour deux de large, environ.
(- Frappe donc pour qu'on vienne vous ouvrir !), proposa un maître des ombres amusé d'avance.
L'Envieux n'eut même pas besoin de bouger, Doku alla ouvrir à sa place. Sans frapper.

(♪) S'engouffrant dans le manoir à sa suite, sans repérer la silhouette ailée qui les avait suivi depuis l'Ancienne Cité, le polymorphe remarqua qu'il y faisait… Sacrément sombre. Sans parler du manque de déco. C'était aussi morne à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Le sol, dallé en échiquier, de blanc et de noir alternativement, était coloré de temps à autres par… Un vitrail. Un vitrail carré représentant un corbeau à trois pattes sur un fond multicolores. Ces vitraux servaient de principal éclairage puisque, visiblement, une source lumineuse énorme était en dessous. Assez pour que, en traversant les vitraux, la lumière éclaire un peu les alentours, teintant au passage le blanc de rouge.
- Y'a un soleil en bas ? s'enquit le polymorphe, relativement surpris.
Seul un haussement d'épaules de la part de Doku lui répondit. Ils s'enfoncèrent un peu plus dans le manoir.
- S'il n'y a qu'une seule résidente, elle doit se sentir vachement seule ! C'est immense, ici ! hurla presque l'Envie.
(- Tu connais le mec qui savait pas le sens du mot "discrétion" et qui a rameuté tous les occupants d'un manoir dans lequel il s'était introduit ?), soupira l'Orgueil.
Tant de non-sens cérébral, ça avait le don de l'énerver, parfois.
- Mais y'a pas âme qui vive !
Comme pour lui prouver qu'il racontait des âneries, un loup blanc passa furtivement à des dizaines de mètres devant le duo.
(- Tu disais ?), ironisa l'Orgueil.
- J'étais censé savoir qu'Amaterasu squattait ici ?
Le sifflement caractéristique de Doku ramena l'Envieux à la raison.
- Quelqu'un approche, le prévint-elle.
(- Je ne suis pas surpris. Quelqu'un est surpris ?)
Visiblement, Pride avait envie d'emmerder le monde en cet instant. Et comme d'habitude, il n'allait pas se priver. Il n'avait de toute façon aucune raison de le faire.
Ainsi, une personne approcha. Elle n'était pas seule, cependant, puisqu'un chat l'accompagnait. Comme il était noir, majoritairement, il se fondait à merveille dans l'obscurité ambiante. La personne, quant à elle, était, surprise… Une fille !

Son physique était celui d'une adolescente, en gros, mais impossible de s'amuser à lui donner un âge. Ce qui serait de toute façon inutile. Elle possédait des cheveux assez courts, d'un mauve pâle, moins prononcé que celui de ses yeux. Un serre-tête noir orné d'un cœur doré était passé sur sa tête. Concernant ses vêtements, elle portait un chandail bleu avec des boutons jaunes en forme de cœur ainsi qu'une jupe rose avec un motif de fleurs effacé. Ses pantoufles étaient également roses. Néanmoins, ce n'était pas ceci qui attirait l'œil. Ce n'était pas non plus sa peau pâle ou son absence d'émotion particulière.
Non, les regards de Réo et Doku furent tous les deux captés par le troisième œil de la fille. Le globe oculaire était recouvert d'une matière rouge impossible à déterminer et était hors du corps de la fille. Positionné au niveau de son cœur, il était au centre d'un réseau de corde rouges et jaunes qui le reliaient aux poignets, au serre-tête ainsi qu'au haut et au bas de la tenue de la fille. A chaque point, les cordes passaient sous le cœur doré qui ornait la tenue.

(- What the fuck is that ?), réagit automatiquement Pride.
L'œil s'était braqué vers Réo et Doku. A croire qu'il lisait en eux comme un livre ouvert.
- Je suis Satori Komeiji. Bonjour à vous trois, Doku, Réo et Pride.
Sa voix était monocorde, en accord totale avec son expression.
- Wait…
(- What ?)
- Oui, je t'entends également, Pride. Non, je ne vais pas révéler tout ce que tu penses. Tout ce que vous pensez, inquiétudes partagées.
Le trio mental, ou duo physique, bugga de concert. Ils avaient tous l'impression de ne pas pouvoir en placer une. Et le fait que leurs pensés étaient ainsi épiées n'étaient pas pour arranger les chose… Un petit vent de panique sembla même souffler sur l'assemblée des visiteurs.
- Hem, nous venons pour… commença le polymorphe.
- Himitsu no Yoru, oui. Elle a tenté une fois de venir, afin d'accéder à ma bibliothèque, mais ma présence lui a, semble-t-il, déplu. Mon pouvoir, plus exactement. Je ne sais rien à son sujet mais, maintenant que vous y pensez, peut-être que vous pouvez en apprendre plus sur cette appellation de "Gardiens des Secrets". Elle ne m'est pas inconnue.
(- Pour les révélations, c'est mal barré).
- Tu t'attendais à quoi ?"Non ! Je suis ton…"
(- Grille-pain !)
- NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !
(- Bref, elle nous entend…)
- Oui… Du calme… La voilà…
(- Qui ça ?)
- … Je sais pas !
Plongés dans leur délire naissant, les deux partenaires spirituels ne virent pas Satori froncer les sourcils… Il fallait dire qu'entendre ce commencement d'absurdités en tout genre n'était pas courant. Elle décida d'ailleurs d'y mettre rapidement un terme avant que cela ne dégénère car, à les entendre hurler, un mal de tête pourrait bien poindre… Mais ce n'était là qu'une hypothèse qu'il serait, par ailleurs, intéressante à étudier. Rares, très rares, étaient les âmes doubles de ce genre. C'était une raison suffisante pour les laisser passer. De plus, cela éviterait un nouvel affrontement qui serait certes distrayant mais également ennuyeux. Réparations et soins divers et variés ne rentraient pas dans la catégorie des bénéfices de batailles de danmakus.
Un nouveau détail attira cependant l'attention de Satori. Il y avait comme… D'autres esprits à l'intérieur de cet humain. Ils étaient comme enfouis et étouffés, faibles et distants, mais ils étaient là…
Etait-ce la raison pour laquelle aucun de ses animaux de compagnie n'avait intercepté ces intrus ? La source de la peur qu'elle avait sentie chez ceux qu'elle avait croisés et qui se terraient à des couloirs de là ? L'instinct animal était quelque-chose à ne pas sous-estimer…
Son regard se posa ensuite sur Doku. C'était également une yôkai animale mais elle ne fuyait pas. Au contraire.
- Dis-moi, qu'y a-t-il dans le corps de ton compagnon pour causer tant d'effroi chez les autres ?
Doku lui fit des yeux ronds. Elle ne voyait pas là où Satori voulait en venir. En conséquence, son esprit s'emballa. Ses pensées aussi, remontant une multitude d'informations et hypothèses… Et donc d'informations exploitables pour la liseuse d'esprits.
Ainsi donc, cette chose était également responsable de la transformation de Doku en yôkai… Et se nommait la Pierre Philosophale.
Presque trop facile. Dire qu'elle n'avait même pas besoin de lire dans les souvenirs pour apprendre cela, chose qu'elle ne pouvait de toute façon pas faire. Sauf par hypnose.

A nouveau, les trois yeux de la maîtresse du palais se posèrent sur Réo. Son esprit à lui était tout occupé avec Pride. Cela pouvait durer longtemps, ainsi.
- Il suffit. Cheshire va vous mener à la bibliothèque pendant que j'irai rassurer mes autres animaux.
Sa voix, toujours aussi calme et monocorde, sortit les deux andouilles de leur délire mental.
- Cheshire ? releva Réo.
(- Dans la catégorie "j'ai pas d'idée pour un nom de personnage", j'ai nommé…), railla l'Orgueil toujours aussi dévastateur.
Satori opina et le chat aperçu tout à l'heure s'avança. Un miaulement plus tard et il commençait à se diriger vers sa destination, sans trop se préoccuper de si les autres suivaient ou non.
- Euh, d'accord. Merci ! s'exclama le changeur de forme avant d'emboîter le pas au chat, suivi bien évidemment de Doku.
Un véritable dédale les attendait et s'y repérer était aussi compliqué que… Partout ailleurs, en fait. Quoiqu'il en soit, Réo espérait que le chat les guiderait ensuite vers la sortie parce que sinon, c'était très mal engagé.
Et Satori avait évoqué ses autres animaux, pourquoi n'en voyait-il aucun ?

Finalement, après une dizaine de minutes de marche, voir un peu plus, ils arrivèrent. La bibliothèque était au rez-de-chaussée, à une extrémité du palais. Etrangement, nulle trace de la source lumineuse au sous-sol, la luminosité était produite par des lustres au plafond. Bien moins grande que Voile, l'inverse paraissait impossible de toute façon, la pièce avait une moquette rouge au sol. Fauteuils et étagères la peuplaient, ainsi que diverses peintures sur les murs.
(- Une fille aux cheveux rouges et noirs avec une 'tain de faux, devant la pleine lune ?)
- Un mec avec des ailes de phénix juste à côté ?
(- Quitte à faire des gens, dites les noms, didju), râla l'Orgueil.
- Nous y voilà.

Doku et Réo se regardèrent. La voix venait… Du chat ?
Celui-ci se retourna et dévisagea ses deux accompagnant, à tour de rôle. Son image se fit moins nette, tout à coup, avant qu'il ne change pour prendre une forme humaine.
C'était, en apparence, un jeune homme ayant la vingtaine passée, ses deux oreilles de chat noires sortaient de son crâne et donc de ses cheveux noirs ébouriffés. Ils masquaient une partie de son visage et s'arrêtaient au-dessus de la nuque. Ses yeux rouges fendus de pupilles en amande avaient l'air ennuyés. Un gilet noir, à capuche, ouvert avec des griffures bleutées au niveau des flancs était passé sur le haut de son corps. En dessous se trouvait un haut alternant le rouge sombre presque brun avec des rayures noires. Un châle noir, étendu et triangulaire était passé sur ses épaules. Divers foulards pointus semblaient partir de sa tenue, un sur chaque bras et un derrière son dos, rendant le tout comme fantomatique. Il avait un pantalon, en bas. Sa queue de chat, assez courte par rapport à sa nouvelle taille, se balançait derrière son dos. Il avait des mitaines noires et rouges sur ses mains et des bottines aux pieds.
- Faites attention. Rares sont les gens à venir ici, surtout les humains, si on excepte le cuisinier qui vient parfois.
Sa voix était un peu similaire à celle de Satori dans le sens où il n'y avait que peu d'émotions perceptibles. Voix qui était d'ailleurs un peu enrouée sur les bords.
- On fera gaffe. Enfin j'imagine que vous restez à proximité ? s'enquit le métamorphe.
Un frisson le parcouru lorsque les yeux de Cheshire se posèrent sur lui.
- Bien entendu. Alors pas de bêtises, même si cela vous demande de gros efforts.
(- Je l'aime bien, lui, il a totalement raison, ahahah !).
Pendant ce temps, Doku avait commencé à regarder du côté des livres. Se forçant à ignorer leur étrange accompagnateur, Réo alla la rejoindre.
Et pendant tout le temps que durèrent les recherches, Cheshire ne les quitta pas un instant des yeux, même si eux ne le voyaient plus.

Ainsi, une heure s'écoula. Puis une autre. L'un comme l'autre des chercheurs d'informations ne faisaient que survoler les ouvrages semblant les plus pertinents mais ça ne s'avérait pas spécialement utile. Le pire c'est que comme Satori elle-même ne savait plus où elle avait lu ce nom, ils n'avaient… Aucun indice. Réo remit un nouveau livre à sa place et soupira.
Rien de rien, à force, ça l'énervait. Il leva la tête vers le plafond, regarda autour de lui et soupira. Son regard alla ensuite vers le centre de la salle.
(♪) Une étrange sensation s'empara alors de lui. Il lui sembla entendre… Comme des pulsations.
Lentes et espacées… Elles s'accaparèrent tous les sens du polymorphe et toute son attention. Un sentiment des plus inattendus s'instilla dans son esprit. Une espèce de… Sérénité ?
- Hey, Réo, un livre de légendes !
Doku avait emprunté une échelle et exhibait son butin depuis le haut. Elle faillit perdre l'équilibre mais se rattrapa in extremis. Elle descendit puis remarqua que son partenaire était… Fixe, les yeux dans le vague.
- Réo ? Réooooo ?
(- On t'appelle, ahuri), confirma l'Orgueil.
Etonnée, Doku s'approcha. Mais l'Envieux ne la vit pas.

La pulsation semblait s'être accélérée et ressemblait… A un battement de cœur. Ce battement résonnait non pas aux oreilles du changeur de forme mais à son âme. Ignorant que la yôkai serpent le tirait par le bras droit, il frissonna. Une sensation désagréable avait soudain déferlé. Une nausée passagère, accompagnée d'un froid glacial.
Un froid de l'âme. La sensation disparut rapidement, remplacée par… Une douce mélodie. Comme un chant cristallin, incompréhensible. Aussi léger qu'un papillon et doux qu'une rose, il était hypnotisant. Oui, c'était le mot. Et ça l'appelait. Lui, Réo.
Accaparé par ce bruit, l'Envieux n'entendit même pas le cri de Doku qui l'appelait. Doucement, il se dirigea vers le centre de la pièce, tendant son bras gauche.
Quelque-chose… Quelque-chose l'appelait…
Ce chant était si beau…
(- Ohé, ici la Terre ! Jealousy, réagis, bordel !), s'énerva Pride.
L'Envieux avait presque atteint le milieu de la salle, sous l'œil impuissant de Doku. Pour elle, s'était comme si on avait pris possession du métamorphe. Il baissa alors la tête vers le sol.
Puis…

Réo se cabra soudain alors que le pied de Cheshire s'enfonçait dans son abdomen. Le chat, ce n'était pas vraiment un chat, avait déboulé de nulle part pour arrêter le polymorphe.
- Recule immédiatement, ordonna l'animal, ce n'était pas un animal.
- Hey, pas touche à Réo !
Doku s'était exclamée, sans réfléchir. Cheshire la regarda et… Sourit. Un sourire de dents effilées, petites mais aiguisées comme des rasoirs. Un sourire anormalement grand, tant et si bien qui semblait aller littéralement jusqu'à ses oreilles.
L'effet fut tel que Doku recula, prise de peur. Cela donna le temps nécessaire à Cheshire pour balayer les jambes de Réo pour qu'il s'écrase au sol.
- Il faut l'éloigner de là. Nous allons voir miss Satori et tu as intérêt à me suivre, petite.
La voix du chat ne souffrait d'aucune réplique. Inquiète, Doku opina. Avec une grimace, Cheshire mit l'Envieux sur ses épaules et commença à marcher.
Lorsque Réo reprit pleinement conscience, une poignée de minutes plus tard, il vit que Doku était… Endormie.
- Hey, se passe quoi ?
Il était assis contre un mur et Doku était à sa gauche.
- Ah, te revoilà parmi nous.
La voix de Satori. Elle était devant le polymorphe et s'accroupit pour que ses yeux soient à la même hauteur que les siens.
- Te souviens-tu de ce qui est arrivé ?
- Euh…
L'Envieux réfléchit. Erreur.
- Je vois. Je n'ai donc pas le choix. Cela vaut pour toi aussi, Pride. Je suis désolée mais c'est très important.
Réo voulut dire quelque-chose mais les doigts de Satori se posèrent délicatement sur ses tempes. Elle vrilla son regard dans le sien, son troisième œil s'ouvrit largement…

- 'tain, j'le crois pas, on n'a rien trouvé !
Sur le chemin vers l'Ancienne Cité, Réo trépignait et râlait.
- Tout ça pour rien, c'est ennuyant. Satori nous a tout de même prêté ce livre, c'est gentil, commenta Doku.
Elle montra son livre sur les légendes au polymorphe qui ne le regarda qu'à peine.
- Ouais. C'est notre lot de consolation… Je me demande bien combien de temps nous avons cherché…
- Je ne sais pas. Longtemps… Je suppose… C'est flou…
Réo approuva.
- Je me souviens plus des recherches que de la bibliothèque. Y'avais des peintures, non ? Raaah, mémoire courte en mousse…
(- Tu comptes te plaindre ainsi longtemps ? Dire que j'ai tellement pas fait gaffe que j'ai l'impression d'avoir pioncé durant toute vos "recherches"…), lâcha l'Orgueil.
Soupir du métamorphe. Afin d'épargner Doku, il décida de changer de sujet et entreprit de lui parler de Yuugi. Et de la monstrueuse branlée qu'elle lui avait mis la dernière fois.
Dire qu'il allait devoir s'entraîner avec… L'air de rien, Réo ne pouvait pas s'empêcher d'y penser avec appréhension.
Et une pointe de douleur anticipée.

Le duo continua son chemin pendant une bonne vingtaine de minutes. Un bout de chemin à pied, cela faisait du bien aussi, tout de même. Mais ça pouvait devenir lassant si la destination était éloignée.
Remarque, ladite destination était loin d'être claire.
- Bonjour, vous deux.
La voix, féminine, s'était élevée devant Doku et Réo. L'obscurité l'avait dissimulée et étrangement, la yôkai serpent n'était pas parvenue à la détecter.
Cependant, le son de sa voix permit au polymorphe de la reconnaître.
Himitsu no Yoru.

La vampire ne se fit pas prier et s'avança, apparaissant dans la lumière des lanternes au bord du chemin. Elle avait toujours la même tenue que la dernière fois, robe d'un siècle passé parfaitement incongrue en ces lieux. (♪)
- Vous semblez déçus, remarqua-t-elle.
Son air suffisant était toujours à couper au couteau.
- Nop. En fait, vous voir est une superbe chose, rétorqua le polymorphe.
- Réo a des questions pour vous, je vous conseille de ne pas faire n'importe quoi ! lança aussitôt Doku.
Le regard de Yoru s'amusa.
- Ohohohoh, je vois. C'est amusant, petite, tu me fais penser à une autre yôkai… Hebi Gurin, ça te dit quelque-chose ?
(- Ouh, c'est bas !), réagit aussitôt Pride.
Sous la surprise, Doku sursauta presque.
- C'est ma grande sœur ! Que savez-vous d'elle ?
La première réponse de Yoru fut d'éclater de rire. Un rire méprisant et vicieux.
- Elle m'a obéit, il fut un temps. A présent… Et bien je crois savoir qu'elle est…
Elle regarda Réo.
- Morte.
Le visage de Doku se décomposa. Celui de l'Envieux se chargea de fureur.
- Que… Comment…
La pauvre yôkai recula en titubant. Elle tremblait et nul doute qu'elle n'allait pas tarder à s'effondrer.
- Je m'en charge Doku. Va-t-en. Eloigne-toi.
Une détermination sans faille était lisible et pour une fois, le serpent ne contesta pas. Elle n'en avait de toute façon pas la force.
Rapidement, elle s'envola, laissant les deux adversaire face à face.
- Parfait, je souhaitais que nous soyons seuls, avoua la vampire.
- Je n'ai pas demandé ça pour vous. Doku a raison, j'ai beaucoup de questions à vous poser.
Les mains et bras de Réo se recouvrirent de carbone noirâtre.
- Et je compte sur vous pour y répondre…
Ricanement. Puis Yoru disparut.
- Sinon quoi ?

La voix s'était élevée sur la droite de l'Envieux. Lorsqu'il se tourna, il ne vit personne.
- Que comptes-tu faire ?
A gauche. Réo suivit le mouvement mais elle était trop rapide.
- Tu vas me blesser ?
A droite.
- Me démembrer ?
Derrière.
- Tu es un tueur après tout.
Elle refit une brève apparition sur la gauche et esquiva habilement un coup de griffes.
- Tu es un tueur.
Derrière.
- Tu ne sais faire que ça, mon cher. Inutile de te cacher.
Sa voix était suave. Mielleuse, un peu comme celle de Lucifuge. Yoru évita sans problème un nouvel assaut puis se mit à droite de son jouet.
- Tu caches ta vraie nature. Mais je veux la voir. Je veux LE voir…
Sa voix se fit murmure. Elle repassa derrière sa victime.
- Montre-le… Laisse-le sortir… Ton véritable toi…
Une rage sans nom prenait peu à peu possession de l'Envie. Mais les paroles de Yoru se frayèrent tout de même un chemin vers son esprit.
Elle voulait… Elle parlait de…
Tendrement, la main gauche de Yoru se posa sur l'épaule droite de Réo. Elle était devant lui.
- Mais comme tu ne veux pas… Donne-le moi. Ton véritable pouvoir…
Elle sourit.
Réo voulut bouger… Mais une onde de douleur lui refusa ce droit.

Etonné, il baissa les yeux… Et vit que la main droite de Yoru était plongée dans son ventre. Un cri de douleur monta à sa bouche alors que la femme refermait son poing… Avant de retirer sa main. Elle venait d'arracher quelque-chose et Réo eut l'impression qu'il s'agissait de toute une partie de son être. De son âme.
Réo recula… Et tomba à genoux.
La douleur était insupportable. Sa vision se troublait alors que son sang s'échappait à gros bouillons de sa blessure.
Mais… Cela voulait dire que…
Les yeux de Réo se posèrent sur la main droite ouverte de Yoru. Une vague d'angoisse précéda la clôture de ses yeux alors qu'il basculait sur le côté.
Incapable d'agir.
Incapable de bouger.
Alors qu'il perdait connaissance, cette dernière image l'accompagna. Celle de Yoru qui souriait.
La Pierre Philosophale brillant au creux de sa main.
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Chapitre 30 : Le Sacre des Ombres



"Tout être vivant a des sentiments. On a d'ailleurs vite fait de se faire une idée de quelqu'un et de le classer dans une catégorie. Surtout de dire qu'une personne est, ou non, un monstre.
Mais même les êtres les plus sombres peuvent se mettre à briller."
Shinki



La salle était silencieuse, parfait reflet de l'angoisse naissante. De même qu'elle n'était que peu éclairée. La seule source lumineuse était la lanterne posée sur une table de chevet. Doku et Yuugi avaient leurs yeux rivés sur le lit trônant dans la pièce, chambre de la dernière femme mentionnée.
- Ce serait donc Yoru la responsable, marmonna l'oni.
Doku approuva de la tête, sans répondre. Elle ne bougea pas non plus lorsque Parsee soupira. Cette dernière regardait par la fenêtre, front posé dessus. Et elle semblait s'ennuyer ferme.
- Tu l'as déjà dit, remarqua néanmoins la princesse du pont sans daigner tourner la tête.
- Je ne vois pas de mal à cela. Je préfère être sûre de l'identité de la prochaine cible de mes poings.
- Rien que ça, nota la jalouse avec détachement.
Cela faisait bien trois heures qu'elles étaient là, à veiller sur ce pauvre bougre. Doku avait, par hasard, trouvé Yuugi et l'avait menée à lui, affolée. Parsee était non loin à ce moment et avait suivi, plus par curiosité qu'autre chose. Enfin cela avait tout de même l'air sérieux…
L'attente continua, silencieuse… Du moins jusqu'à ce que Doku ne se mette à hurler, ce qui manqua de faire sursauter Parsee.
- Il bouge !

(♪) C'était un fait, il bougeait. Dans un grognement, il se mit assis, se forçant à ignorer la douleur de son ventre. Remarque qu'elle était bien minime à présent. Un juron monta de ses lèvres puis, enfin, Pride ouvrit les yeux et dévisagea les trois filles tour à tour.
- … Quelqu'un peut me dire ce que je fiche ici ?
Il fallait dire que ça faisait son petit effet, de se réveiller ainsi encadré. Rien de spécial, néanmoins, pour quelqu'un comme lui. Seulement une pointe de surprise avec un brin de curiosité, le tout enrobé d'une couche de mauvaise humeur.
- Pride, c'est ça ? s'enquit Yuugi.
C'était un bon début, oui, puisque l'être susnommé n'avait vu aucune habitante de l'Ancienne Cité de ses propres yeux.
- C'est exact. Doku vous a expliqué ?
L'oni approuva puis tendit sa main droite à l'Ombre.
- Enchantée de te rencontrer !
Avec une surprise grandissante, le maître des ombres serra la main de la combattante. Et remarqua que Parsee l'ignorait, ce qui ne lui faisait ni chaud ni froid.
- De même… Alors, je me suis téléporté ici ou bien ?
- Je t'ai amené ici. Tu étais inconscient et blessé, expliqua l'oni.
Pride parut étonné.
- Mais c'est Réo qui était blessé et mal en point, pas moi.
Doku approuva.
- Il ne va pas bien ? Il ne peut plus revenir ?
Son inquiétude était palpable et gava l'Orgueil comme à l'accoutumée. Cependant, les questions n'étaient pour une fois pas stupides et inutiles. Ignorant la remarque acerbe que Parsee lança à l'encontre de la yôkai serpent, Pride tenta de contacter son homologue Envieux.
- Hey, t'es en vie ?
L'absence de réponse suggérait que non. Cependant, Pride avait conscience de la présence de son partenaire spirituel.
- Il semble endormi. Ou indisponible, expliqua l'Ombre.
- Que s'est-il passé exactement ? s'enquit Yuugi.
- Yoru a volé la Pierre Philosophale que Réo avait dans son corps. Mais dans le même temps… C'est comme si elle lui avait arraché une part de son être. J'aurai du mal à expliquer plus…
- Je vois. Cela expliquerait sa "disparition" et ton arrivée à sa place, par défaut.
Pride eut du mal à masquer son étonnement. Yuugi était, visiblement, très perspicace. Quelqu'un lui avait expliqué tout le bazar d'âmes multiples ou bien ? Quoi qu'il en soit, son raisonnement était juste.
L'Orgueil jeta un rapide coup d'œil à Doku et manqua de lâcher un profond soupir en voyant son état. Elle transpirait l'inquiétude, c'était navrant.
Ou mignon ?
Pride faillit ricaner. Si elle était moins yandere, il aurait peut-être trouvé son attitude mignonne. Mais comme elle était, la yôkai ne faisait que l'insupporter. D'autant qu'elle venait d'apprendre la mort de sa sœur… Mais elle ne s'inquiétait que pour Réo !
Et puis pourquoi adorait-elle tant l'envieux ? Envieux qui n'avait d'ailleurs rien de mieux à faire que ne PAS s'y intéresser. Ou en tout cas, rester totalement aveugle.
Le maître des ombres recentra son attention sur les autres.

Il fut surpris, encore, de constater que Yuugi s'était mise à discuter avec Doku. L'oni parlait calmement et tentait visiblement de la réconforter. Absolument rien à voir avec Suika…
Enfin une personne saine d'esprit dans tout ce petit monde ! Du calme, cela faisait du bien. Une pointe de douleur fit grimacer, un peu, l'Orgueil. Son ventre avait décidé de l'élancer…
Une discrète vérification lui apprit cependant qu'il avait surtout une cicatrice. La plaie s'était refermée, coup de chance. Parce qu'autrement, il était vraiment mal barré. Déjà que là…
Il ne voyait que du coin de l'œil la princesse du pont. Toujours à la fenêtre, il lui était bien difficile de deviner ce à quoi elle pensait. Il en profita donc pour la faire sortir de sa rêverie.
- Hey, Parsee, tu te fais tant chier que ça ?
La yôkai souterraine ne s'attendait manifestement pas à ce que Pride lui parle.
- Un peu.
- Pauvre petite. Enfin tu devrais avoir l'habitude, sur ton pont.
- Cela ne m'empêche pas de ne pas apprécier tout de même.
Niveau joie, l'Orgueil avait vu mieux. Au moins il voyait toujours bien en mode spectateur, maintenant qu'il y était pour de vrai, il remarquait bien que c'était aussi gai qu'un enterrement de chef d'état.
- Dans ce cas, dis-moi où je peux trouver Yoru.
La princesse du pont marqua un temps d'arrêt.
- Tu envisages d'aller récupérer cette Pierre ?
Ce devait être un genre d'indignation.
- Chapeau. C'est ça, je vais retrouver cette vampire à la noix et récupérer ce qu'elle nous a piqué.
- Dans ton état, tu ne pourras rien faire !
- Tiens, tu t'inquiètes ?
La jalouse se mit à se ronger l'ongle du pouce droit.
- Elle est plutôt jalouse de ta détermination, lança Yuugi.
Pride l'avait presque oubliée, elle.
Il se tourna vers l'oni avec un air particulièrement perplexe. Chacun ses hobbies, sans doute.
- Mais elle a raison. Laisse-moi plutôt m'en charger, continua la combattante.
- Hors de question. C'est à moi de faire ça.
Yuugi fit craquer les doigts de sa main droite fermée.
- Pourquoi ça ? C'est du suicide.
Pride n'aurait avoué pour rien au monde qu'il en était parfaitement conscient. Sans la Pierre Philosophale, il doutait de pouvoir faire quoi que ce soit contre Yoru. D'autant plus si elle avait elle-même ladite Pierre.
Pour en faire quoi d'ailleurs ? C'était un autre sujet ça. La Pierre était une formidable source d'énergie, elle pouvait faire des ravages… Enfin en théorie car celle-ci ne possédait pas une quantité astronomique d'âmes. Son utilisation s'en retrouvait donc limitée.
Mais dans ce cas pourquoi l'avoir volée ? Yoru devait bien s'en douter.
Encore un mystère, ça devenait vraiment rageant. C'était donc trop demander d'avoir une réponse de temps en temps ? Et une bonne nouvelle aussi…
- On devrait prévenir la Prêtresse, non ? s'enquit Doku, incertaine.
- Un incident peut découler de ça, oui, approuva Yuugi.
- Non mais ça va PAS ?

Pride avait haussé le ton. Il respirait plus vite et ses yeux s'étaient écarquillés, furieux.
- Et bien ? s'étonna Parsee en laissant un peu son ongle tranquille.
- Pas besoin d'elle pour régler ça ! Qu'elle s'occupe de ses affaires !
L'Orgueil était bien plus virulent, d'un coup. Cela n'échappa pas à la yôkai aux oreilles pointues.
- T'as un problème avec elle ? s'enquit-elle avec amusement.
Elle n'eut qu'un grognement en guise de réponse. Ce qui ne fit que l'amuser encore plus. Yuugi croisa les bras avant de prendre à nouveau la parole.
- Très bien, comme tu voudras, Pride. Si cette affaire est réglée assez vite, nous n'irons pas solliciter Reimu. Dans le cas contraire…
- Ce sera réglé vite fait, rétorqua l'Orgueil.
- Mais pas forcément en bien, ajouta Yuugi.
Le maître des ombres aurait bien lancé un regard noir à l'oni mais il y avait peu de chances que ce soit utile. La situation était néanmoins bloquée.
- Que fait-on, alors ? s'enquit Doku.
- On va chacun de notre côté pour rechercher et trouver Yoru, annonça Yuugi.
Parsee bondit.
- Hé, je n'ai jamais dit que je voulais participer !
- Comme tu voudras, fit l'oni.
Doku jeta un regard meurtrier à la Princesse du Pont mais ne dit rien de plus. Fait rare, Pride s'abstint de tout commentaire, se contentant de réfléchir.
- Doku, en tant que serpent, tu peux repérer l'odeur de notre vampire voleuse préférée ? demanda-t-il subitement.
La jeune fille hocha négativement la tête, désolée.
- Je ne pourrai pas la reconnaître avec certitude.
- Ah… Et la Pierre ? C'est assez spécial, je pense, pour être repérable sans trop se casser la tête.
Doku s'autorisa quelques secondes de réflexion.
- Oui… Peut-être bien…
- Dans ce cas, tu devrais pouvoir me guider jusqu'à notre objectif.
Une fois que Pride avait une idée en tête, le faire changer d'avis était bien compliqué. Les filles l'apprenaient à leurs dépens. Le contraste avec Réo, qui s'était fait embarqué sans pouvoir faire quoi que ce soit, était vraiment frappant. Restait à savoir pourquoi cet être plus noir voulait tout faire lui-même.
Enfin, la réponse coulait de source pour peu qu'on réfléchisse un minimum.
- Si l'orgueil est ta seule motivation, tu vas droit dans le mur, prévint Yuugi.
La remarque fit rire Parsee.
- Ne t'en fais pas. J'ai d'autres motivations…
Ce fut un rictus cruel qui se dessina sur les lèvres du maître des ombres. Il n'y avait pas que l'orgueil dans cette histoire, non… Mais le reste n'était certainement pas plus rayonnant.
Yuugi jaugea l'Ombre du regard… Puis fini par acquiescer.
- Fais comme tu veux. Tu n'auras qu'à y aller avec Doku, cela réduira les chances de te retrouver en morceaux.
Enfin ça avançait !
Pride ne cacha pas sa satisfaction. Il comptait bien retrouver cette satanée vampire… Et lui arracher toutes les informations qu'elle avait.

En surface, le soleil se couchait. Spectacle naturel et hebdomadaire mais pas moins très agréable à regarder. Perchée dans un arbre de la Forêt Yôkai, Helya regardait l'astre du jour tirer sa révérence.
Elle était sous sa forme humaine, laissant sa queue azurée bouger légèrement dans son dos. Ses ailes s'étaient repliées et ses cheveux blancs volaient sous l'effet de la brise qui soufflait.
Voilà un moment qu'elle était arrivée ici. L'ambiance était totalement différente de son monde. Ici, elle était acceptée sans problème, presque louée… Mais elle voulait tout de même rentrer chez elle.
Malheureusement, elle ne connaissait personne qui pouvait lui rendre ce service. D'autant plus que le Damné responsable de son arrivée ici était introuvable. La situation n'était pas pressée mais tout de même relativement inquiétante. Se retrouver coincée ici n'était pas vraiment une perspective qui enchantait la dragonne.
- Salutations~
La voix, fort reconnaissable, arracha Helya à sa contemplation. Elle se retourna et regarda le sol. Le Voyageur marchait vers elle tant bien que mal, boitant largement. Heureusement qu'il avait sa canne.
- Voyageur, bonsoir à vous !
Helya descendit d'un bond et salua cette vieille connaissance qu'elle ne s'attendait pas à croiser ici.
- A moins que je ne me trompe, vous semblez vous morfondre, nota-t-il.
- Le mot est un peu fort mais c'est à peu près ça. On peut dire que vous tombez bien, je vais avoir besoin de vous.
Le Voyageur sembla surpris mais également content.
- Quel heureux hasard que nous nous croisions, dans ce cas ! Veuillez m'excuser de ne pas être venu vous trouver plus tôt, j'avais bien des affaires à régler.
- Ne vous en faites pas, j'aurai ainsi pu profiter de cette étonnante contrée. Mais tout comme vous, le devoir m'appelle.
Nul doute, à les entendre qu'ils se connaissaient. Helya était souriante depuis l'arrivée de cet individu tout de blanc vêtu et elle semblait avoir de l'estime pour lui.
- Dans ce cas je vais vous emmener à Lyamind. Nous n'aurons qu'à discuter de nos aventures là-bas.
La dragonne acquiesça. Mais une nouvelle voix retentit.
- Pas maintenant !

(♪) Dans un ensemble parfait, les deux connaissances, ou amis, tournèrent leur tête vers celui qui les avait apostrophés. Assis sur une souche, jambe droite sur la gauche, Rumplestiltskin semblait être là depuis des heures tant il était naturellement, confortablement peut-être même, installé.
- Vous ? Mais… Que faites-vous ici ? s'étonna Helya.
- Beaucoup de choses, j'ai un emploi du temps chargé, répondit le mage noir en se levant.
Un scepticisme affiché avait pris place sur le visage du Voyageur.
- Cela ne nous dit pas la raison de votre présence devant nous.
Rumplestiltskin ouvrit la bouche, prenant une inspiration, puis tendit son index gauche vers la dragonne.
- J'ai besoin qu'elle reste ici. Navré, cette histoire n'est pas un conte de fées, tout ne s'arrangera pas aussi facilement !
Surprise, pour tout le monde.
Joignant ses mains, l'être de noirceur pivota vers la dragonne.
- Très chère, vous me devez un service. Or, il est grand temps que je le réclame !
Sa voix était partie dans les aigus et il avait levé son index droit.
- Mais… Cela remonte…
- Helya Ger'Kalt, ou devrais-je dire Sélène, de votre véritable nom, le temps n'a pas d'effet sur ce genre de choses ! J'espère que vous ne comptez pas briser notre marché.
Elle fit signe que non.
- Dans ce cas vous m'en voyez navré mais vous allez devoir remettre votre départ à plus tard ! Ne vous en faites pas, cela ne durera pas très longtemps.
Il gloussa comme il savait si bien le faire, se jouant de ses interlocuteurs comme toujours. Sélène semblait un peu perdue, ne s'attendant certainement pas à ce que cet individu ne vienne lui souffler son billet de retour.
- Quel est donc ce service ? J'aimerais que vous soyez précis, tenta-t-elle.
Le mage noir tendit sa main droite vers elle.
- Que vous retrouviez une personne. Un Dévoreur pour être plus précis. Sans avertir la Prêtresse Hakurei actuelle !
- Que lui voulez-vous donc ? s'enquit le Voyageur.
Rumplestiltskin agita ses doigts en regardant à nouveau l'homme en blanc.
- Si vous voulez le savoir, il faudra en payer le prix ! Je ne donne pas mes secrets gratuitement, sauf si cela m'arrange !
Le Voyageur eut une moue gênée. Visiblement, il n'était pas étonné, simplement excédé que le mage noir n'en fasse toujours qu'à sa tête.
- Mais… Comment pourrais-je le retrouver alors que personne n'y arrive ? s'enquit la dragonne.
Rumplestiltskin sourit.
- Car j'ai justement ce qu'il faut pour ça~

Ne pas la frapper. Ne pas lui crier dessus. Ne pas s'énerver.
Telles étaient les consignes que Pride se répétait, mentalement, en boucle. C'était dur de les respecter tant Doku l'insupportait.
Elle avait une petite mine depuis le début de leurs recherches. Elle ne cessait de s'inquiéter pour son Réo adoré. Autant dire que l'Orgueil en avant par-dessus la tête.
Cela devait faire deux heures qu'ils avaient quittés l'Ancienne Cité. Les filles étaient parties ailleurs, Pride ignorait où et s'en moquait pas mal. Mais tout ce temps seul avec la jeune yôkai était une torture.
Limite il aurait préféré que ce soit Reimu. S'engueuler avec avait au moins l'utilité de faire passer le temps.
Doku restait attentive, concentrée à sa tâche. Sa langue bifide tressautait à intervalles irréguliers pour tenter de trouver une piste. Pour le moment, c'était léger.
Ils étaient dans un coin sombre, éclairé uniquement par ces lueurs volantes si pratiques. Seule la pierre les entourait et le plafond était si haut qu'on ne pouvait le voir. Ce qui n'allait pas durer puisqu'ils se dirigeaient vers une cavité plus petite.
Pride avançait avec les mains dans les poches de son manteau noir. Il s'ennuyait ferme depuis un moment. Mais au moins, il se sentait capable de mettre une raclée à Yoru.
- Et sinon, t'as pas des questions à poser ?
Surprise, la yôkai déporta son regard sur Pride.
- Comment ça ?
Nouvel excès d'énervement miraculeusement contenu. Ou plutôt, converti en ironie.
- Yoru a clairement signalé que ta sœur était morte. J'avais cru comprendre qu'avec ce concept génial de "famille" venait celui d'affection. S'inquiéter, ce genre de trucs…
- C'est le cas…
- Alors pourquoi as-tu l'air de t'en contrefoutre ? Tu arrives à être si obsédée par l'Envieux que t'es infichue de penser à autre-chose ?
Doku était mal à l'aise, à présent. Elle tripotait ses mains de manière anarchique, ne sachant pas trop quoi faire.
- C'est… C'est pas ça… Enfin, si, un peu… Mais…
- Mais quoi ? Il passe avant tout ? Arrête ton char, ma pauvre. Occupe-toi déjà de toi, avant de dédier ta vie à quelqu'un d'autres ! Cela se finit toujours mal, sinon. Toujours.
Doku se renfrogna.
- Je veux savoir ce qu'il s'est passé… Mais ça peut attendre… Réo est plus urgent. Je… Verrai après… Pour Hebi…
Comme si souvent, Pride s'autorisa un ricanement.
- Enfin des paroles sensées.
La jeune fille ne répondit pas. Elle réfléchissait sans doute aux paroles de l'Orgueil. Tout du moins l'espérait-il. Avec de la chance, se disait-il, il pourrait lui éviter le triste sort de ces êtres sans âme ni personnalité suspendus à leur personne favorite et incapable d'exister par eux-mêmes ! Dire que ça faisait fureur dans les mangas…

Le maître des ombres jeta un coup d'œil au plafond remarquant que Doku et lui s'étaient engagés dans le petit tunnel. Un tel coupe-gorge, ça devait bien figurer dans la liste des pires endroits où aller.
L'étroitesse des lieux permettait à la yôkai serpent de mieux pouvoir sentir. Enfin, sentir comme le faisaient les serpents, captant les odeurs non pas avec le nez, mais la langue.
D'un œil distrait, Pride regarda Doku se baisser pour mettre sa tête près du sol, et faire tressauter son organe sensoriel serpentin. Au moins restait-elle logique, ça faisait pas de mal de temps en temps. Après tout, c'était bien car l'odeur se déposait sur le sol qu'elle pouvait être aussi utile ! Tenter de la capter dans l'air était bien moins utile.
- Alors ? demanda le maître des ombres.
- Elle est partie par là… Elle ne doit plus être très loin.
L'Orgueil jeta un coup d'œil aux lumières qui flottaient toujours, mais étaient de moins en moins nombreuses. Cela ne lui plaisait pas tellement. Si l'obscurité devenait complète…
- Forcément… Bon, qu'on en finisse.
Il avait renoncé à tenter de faire bouger Réo. Il n'y avait rien à faire, l'Envieux ne donnait pas le moindre signe de vie. Pride continuait d'avoir cette impression que quelque-chose avait été arraché à l'âme de son partenaire. Mais il ignorait quoi.
Que de questions à poser à Yoru… Et il se ferait une joie d'avoir des réponses.

La randonnée souterraine allait encore se continuer pendant de longue, très longues, minutes. Le couloir continuait tout droit, et débouchait sur une imposante salle circulaire, au diamètre et à la hauteur élevés. La seule sortie était droit devant. Quant à l'éclairage… Il était assuré par des flammes, dansant sur le sol et sur les murs.
Doku eut une grimace lorsqu'elle remarqua que ces flammes brûlaient sur des flaques et tâches de sang. Elles ne diminuaient pas malgré la combustion. L'odeur du sang était légère et ne troublait guère les sens. Pride s'en moquait ainsi éperdument. Il voyait clair, c'était l'essentiel, avec le fait que ses ombres étaient toujours utilisables. Si ces flammes étaient incongrues, elles ne l'étaient pas moins que tout ce qu'il ne cessait de voir à Gensokyo. En plus, c'était classe.
Toujours décontracté et mains dans les poches il s'avança vers l'autre bout de la salle, dépassant Doku qui observait l'endroit. C'était du moins son attention jusqu'à ce que la sortie ne s'effondre. Il n'avait pas vu ce qui en était la cause, cela dit…
Le rire venant du plafond, aussi moqueur qu'irritant, confirma les soupçons qui naissaient à peine. Himitsu no Yoru tomba, déployant ses ailes de chauve-souris. Elle atterrit devant Pride, à vingt bons mètres en fait, qu'elle gratifia d'un sourire mielleux. Elle portait toujours sa robe européenne, presque aussi hors-sujet que la tenue de Pride.
Celui-ci s'était arrêté. Il jeta un rapide coup d'œil à Doku, plusieurs mètres en arrière. Elle avait largement gagnée en nervosité et ne bougeait plus.

- Bonjour, vous deux.
Yoru avait parlé avec décontraction. A croire qu'elle allait les inviter à prendre le thé. Elle en serait d'ailleurs sans doute parfaitement capable. Ses mains étaient jointes devant elle. Pride ne put s'empêcher de trouver son petit sourire insupportable.(♪)
- Quelle bonne surprise. On te cherchait.
L'Orgueil s'était exprimé sans aménité. Il avait cependant du mal à s'empêcher d'afficher un rictus peu recommandable, né des images de torture lui traversant l'esprit. Il touchait au but et le doux plat de la vengeance lui semblait tout près. Avec la vengeance, venaient les réponses à tant de questions et la satisfaction de Pride n'en était que décuplée.
- Et moi, je vous attendais. Comme c'est pratique.
La vampire ricana, ce que l'Orgueil ne put s'empêcher de trouver très surfait. Son ombre s'étendait déjà, malgré qu'il garde ses mains dans les poches et l'air presque nonchalant.
- Voyez-vous ça. J'ai des questions à poser, Yoru, et pas toute la journée.
Elle écarta ses cheveux d'un geste dédaigneux.
- Oh, Pride, Pride... L'Orgueil incarné. Tu es si sûr de toi… Je me demande si tu as libéré cette jeune yôkai de ses questionnements en lui disant toute la vérité sur sa sœur.
- Ne… Ne changez pas de sujet ! tenta timidement la fille concernée.
- Pas la peine de se la jouer fauteuse de troubles. Qu'as-tu fait de la Pierre Philosophale ?
Pour une fois, Pride avait un minimum de patience. Mais lui-même ignorait si ça allait durer. Il doutait de toute façon que Yoru réponde bien gentiment.
- Oh, c'est pour ça que vous êtes là, vous deux ? fit-elle en prenant un air offusqué.
- On ne vient certainement pas pour tes beaux yeux.
La femme aux ailes de chauve-souris écarta la remarqua d'un revers de main.
- Tant d'impolitesse, cela m'ôte toute envie de te confier quoi que ce soit. Je préfère, de loin, parler à Réo. D'ailleurs, comment va-t-il ?
- Aussi mal que toi dans un futur proche si tu continues à faire la maligne.
Le comportement de cette femme était insupportable. Que fallait-il faire pour qu'elle cesse de jouer à la nénette supérieure ? Lui trancher tous les membres un par un ? Pride considérait l'option. Il était clair qu'elle n'allait pas dire quoi que ce soit. Il allait falloir lui faire cracher les infos en même temps que son propre sang.
- Ne sois pas si vilain, Pride. Nous venons à peine de nous rencontrer en chair et en os. Dommage qu'il faille que Réo soit aussi… Végétatif, pour que ce soit le cas. Et te voilà, encore une fois, à tenter de sauver la situation. Quelle bravoure. Je me demande ce qu'il ferait sans toi…

Pride tressaillit. Sous son air hautain de pimbêche au melon démesuré, cette saleté vampirique savait tirer juste. Discrètement, en prenant des détours, avec un bon enrobage de miel et de paroles sucrées… Elle était douée. S'il la laissait faire, Pride ne doutait pas qu'il finirait emmêlé dans ses paroles comme dans les fils d'une toile d'araignée.
- Ça, c'est mon problème.
- Je confirme, c'est ton problème. Pauvre petite ombre… Tu as tout mon respect, tu sais. A ta place, j'aurais déjà laissé tomber. Sauf si la contrepartie est géniale mais j'en doute. Je me trompe ?
L'Orgueil tiqua. Gardienne des Secrets, hein… Elle semblait tout savoir sur lui. Même ce qu'il ne disait, et ne pensait, pas.
- Vu ta réaction, je pense que non. Que dirais-tu…
- Ça suffit. Je ne suis pas venu pour que tu joues à ma psy. Dis-moi plutôt ce que tu sais sur les parents de Sakuya, que ta salive puisse servir à quelque-chose.
Yoru partit d'un rire délicat, les succubes devaient avoir le même tant il était fait pour paraître séduisant, délicat et sentant le piège à des kilomètres.
Sauf que techniquement, les succubes avaient une chance de réussir à attirer quelqu'un. Là, c'était tellement cliché qu'une foule de remarques déplacées menaçait de sortir de la bouche de Pride.
Vraiment, il haïssait cette femme au plus haut point.
- Vous avez suivi mes conseils, tous deux, c'est vrai. J'ose espérer que "Sakuya Izayoi" va toujours aussi bien. Quel dommage, son véritable nom sonne tellement mieux.
- Je me fous de tes préférences. Je ne suis pas ton jouet ou ton oreille attentive.
La réserve de patience était dépassée depuis un moment.
- Pourtant, tu m'écoutes avec attention. Comme c'est ironique.
Pride fit un pas en avant, excédé.
- Tu commences sérieusement à me gaver, miss-je-me-la-joue. Je crois que je vais devoir tirer tout ça au clair à la bonne vieille méthode.
Le sourire de Yoru en disait long.
- Ne sois pas stupide. Sans la Pierre, tu n'es rien. Cela dit, même avec. Tu n'es et ne seras jamais rien de plus… Qu'une ombre.

Un sifflement dans l'air accompagna la pointe d'ombre s'étendant droit vers le visage de Yoru. Elle n'avait pas besoin de cela, toutefois, pour écarter la tête et laisser la pointe s'enfoncer dans la roche.
Pride fulminait. D'un battement d'ailes, Yoru passa au-dessus du tentacule noir qui opérait un déplacement horizontal, avec l'espoir fou de séparer son corps en deux parties.
- J'ai visé juste, on dirait ! Allons, regarder la réalité en face ne fait pas de mal ! lança-t-elle, triomphante.
Elle devait être parvenue à son objectif. Pride en avait conscience. Il faisait exactement ce qu'elle voulait qu'il fasse. Mais peu importait !
L'appendice obscur s'était résorbé et cinq autres partirent en direction de Yoru. Elle les évita sans la moindre difficulté, se mouvant entre eux facilement. C'était rageant. Encore plus lorsqu'elle convoquait une nuée de pointes rouges, semblant de cristal, qui tomba sur l'Orgueil comme une pluie.
L'ombre de Pride changea de forme et se leva en un dôme pour le protéger. Seul l'arrière était exposé, mais c'était Doku qui était là. La yôkai n'osait pas faire quoi que ce soit. Sans trop savoir pourquoi elle était… Terrifiée par cette femme.
Le dôme traversa la salle vers la vampire, qui occupait toujours l'espace aérien. Ce fut une mâchoire se refermant sur elle que Yoru esquiva avec une cabriole, faisant un tonneau au-dessus, sur la droite. Le crissement des dents pointues s'entrechoquant força Doku à se boucher les oreilles.

Dans son ensemble, la masse noire s'étendant autour de l'Orgueil s'était parée de ses célèbres yeux mauves aux pupilles en amande et de ses sourires. Outre l'aspect esthétique inspirant au mieux le doute, au pire l'envie de se terrer dans un coin en boule, Pride jouissant ainsi d'une bien meilleure couverture sensorielle. Il voyait, entendait et parlait à travers ses ombres. Et elles vibraient presque autant que lui sous les assauts de sa propre fureur.
Comment cette peste pouvait-elle se permettre de le juger ?  Elle se prenait pour qui ? Elle était sans doute mêlée au passé désastreux de Sakuya, avait été l'instigatrice d'un incident d'importance, blessé Réo, volé la Pierre Philosophale…
Et maintenant, elle se fichait de lui ?
Même si ses chances étaient ridicules, il allait la remettre à sa place !

L'ombre sous Pride se souleva, mais avec la partie plate vers le haut. Il fut ainsi soulevé dans les airs, violemment. Assez pour que l'éclairage fasse en sorte que son ombre se retrouve cette fois… Sur un mur !
Trois nouvelles lames noires s'étendirent vers Yoru. Cette fois, elle fut prise au dépourvue et une aile fut touchée. Légèrement. Cela n'allait pas l'empêcher de voler et encore moins de conjurer une de ces marées de boules d'énergie rouges dont les habitantes de ce monde étaient si friandes.
Contrairement à la masse populaire, Pride ne savait pas voler. A présente en chute libre, il n'allait pas non plus pouvoir sortir sa seule spellcard crée pour pallier à ce défaut. Fort heureusement, il était proche d'une paroi. Assez pour que son ombre s'étende assez vite pour le rattraper.
La plate-forme artificielle était ridicule, presque comique. Mais Pride n'y resta pas assez longtemps pour que le rire vienne à son adversaire. D'une pression des jambes associée à l'inclinaison de son support, il se catapulta vers le sol.
Soit assez bas pour passer sous tous les projectiles, lesquels percutèrent le mur dans un concert de petites explosions. Des fissures apparurent et de petits rochers tombèrent. Instinctivement, bien qu'éloignée, Doku recula, à cause du bruit et des éclats écarlates illuminant les lieux à répétition.

L'ombre de Pride se souleva en une main pour amortir sa chute. Elle s'étendit ensuite en une flaque noire et ses ornements habituels refirent leur apparition.
L'Orgueil était attentif. Il n'avait pas droit à l'erreur, il le savait. Il était naturellement tolérant à la douleur, mais cela ne changerait pas grand-chose s'il perdait un membre ou que ses os se brisaient.
Ses ombres pouvaient trancher et bloquer la plupart des attaques physiques, mais il ignorait toujours tout de ce qui l'attendait avec la magie. S'il avait compris quelque-chose à Gensokyo, c'était que rien n'y était normal, habituel ou évident !
Et également qu'il avait de bonnes chances de se prendre une raclée. Même si pour son plus grand bonheur, Yoru ne semblait pas spécialement vouloir approcher. Contrairement à Remilia, le corps-à-corps ne semblait pas l'attirer spécialement. Elle était moins rapide aussi, apparemment.
Pride ignorait comment exploiter tout cela. Ses ombres étaient pratiques sur plusieurs points, mais un adversaire volant avait un avantage énorme. L'ombre avait ce problème d'être toujours liée au sol !
- Alors, je te passionne tant que ça, que tu ne cesses de me regarder ? railla la vampire en croisant les bras.
- Je me demandais quand tu allais parler une nouvelle fois. Et rassure-toi, il y a des personnes bien plus passionnantes que toi.
- Je n'en doute pas. Tu ne serais pas aussi malheureux si ce n'était pas le cas. Pauvre petite ombre…
La réplique fit mouche, une nouvelle fois. Au contraire de la lame ombreuse qui pulvérisa la roche plutôt que la chair de Yoru.
La rage pulsait à chaque battement de cœur de Pride, troublant son jugement. Son adversaire passa entre deux tentacules d'ombre, libérant plusieurs chauves-souris noires. Si l'Orgueil s'en protégea, Yoru put s'élever plus haut encore. Bras écartés telle une reine de la nuit, elle sortit sa première spellcard.
- Secret of the Night "Crimson Shade"

Un brouillard rougeâtre émergea, partant du dos et des ailes de la femme. Il prit d'ailleurs la forme des membres de peau tendue, les étendant sur plusieurs mètres de chaque côté. Un flot continu de sphères rouges, brillantes et de tailles variées en sortit.
Pride se mit à reculer, alors que son ombre s'activait pour le protéger. Les lames tranchaient, changeaient de trajectoires, dans un ballet ténébreux, sinistre et endiablé. A chaque impact résonnait un bruit sourd, celui d'une explosion contenue, ou d'autre-chose encore. Quelque-chose disait à Pride qu'il valait mieux éviter d'être touché, à tout prix.
Pas dans son état loin d'être optimal !

La cicatrice laissée par l'extraction de la Pierre Philosophale n'hésita pas à lui faire remarquer. L'Orgueil se cabra sous une douleur aussi brutale que brève. Un orbe toucha son épaule gauche et aussitôt, il sentit le froid se répandre dans la blessure et engourdir le membre. La blessure était heureusement superficielle, malgré le sang qui coulait.
Les ombres se rassemblèrent en une lame courbe plus grosse pour continuer à défendre Pride. Main sur sa blessure, il ne mit pas longtemps à trouver un plan. Il fut d'ailleurs ravi de voir que la spellcard se terminait. Se terminait en beauté puisque les derniers projectiles étaient des orbes faisant presque la moitié de sa propre taille !

Du point de vue de Yoru, ils firent mouche, soulevant poussière et fumée. Leur taille expliquait aisément les secondes qui furent nécessaires au retour d'une visibilité correcte. Elle constata donc qu'hormis quelques taches de sang, Pride n'était plus là.
Elle n'eut néanmoins pas le loisir de dire quoi que ce soit de sarcastique.
- Hidden Terror "Boogeyman Will Take You".

La salle se fit plus sombre, alors que toutes les ombres s'étendaient, insidieusement. Yeux et sourires occupaient la majeure partie de l'espace noir et même Yoru se sentit mal à l'aise. Elle ne savait d'ailleurs pas du tout où se trouvait Pride, l'annonce de la spellcard ayant résonné tout autour d'elle.
Elle s'était ainsi mise à épier le moindre mouvement autour d'elle et elle fit bien. Une main d'ombre jaillit de la noirceur, à se droite, et s'étendit vers elle, sans doute pour la saisir. A noter que contrairement aux autres ombres en deux dimensions, celles-ci étaient totalement réelles, tangibles et étendues dans les trois dimensions possibles. Yoru la laissa passer et en évita une autre, transversale et descendante. Elles étaient bien trop lentes pour la prendre par surprise, alors qu'espérait donc faire l'Orgueil ?
Elle fit exprès de laisser passer une autre main tout près d'elle, effrontément. Cette spellcard était bien…
Dix points de douleur coupèrent court à ses pensées, accompagnés d'un impact violent dans son dos. Avec la discrétion d'une ombre, Pride venait simplement de lui tomber dessus, lâché en hauteur par une main fermée qui l'avait transporté, et avait servi de tremplin.
Les doigts du maître des ombres avaient changés. Allongés qu'ils étaient en des griffes noires, ayant les mêmes caractéristiques que ses ténèbres habituelles. Donc les yeux et les dents. Les armes de trente bons centimètres s'étaient enfoncées dans les ailes du vampire. Celle-ci ne parvenait pas à se redresser et perdait dangereusement de l'altitude. Ce qui empira quand Pride déchiqueta un bout d'aile droite, arrosant les alentours de sang, avant d'enfoncer sa main dans le dos de sa victime. L'impact sur le sol s'ensuivit, avec les craquements horribles des os cassés.

(♪) La spellcard se dissipa alors que Pride se redressait, toujours sur le dos de sa victime. Laquelle… Ricana.
- Bien joué. Je commençais à croire que je n'allais pas pouvoir m'amuser…
Les cheveux de Yoru ne couvraient plus sa nuque, comme le remarqua alors Pride. Ce qu'il y vit le glaça d'effroi…
Alors que des éclairs rouges entouraient son adversaire. Le sang qui avait coulé de ses blessures s'arracha à l'attraction terrestre et une fine ceinture fila vers Pride. Un réflexe salutaire le poussa à se jeter en arrière, évitant de perdre un bras.
Yoru exultait alors qu'elle se relevait. Ses cheveux se remirent en place… Masquant le tatouage d'ouroboros rouge occupant sa nuque.
- Tu as ta réponse, Pride ! Voilà ce que j'ai fait de la Pierre Philosophale et pourquoi je la voulais !
Elle se retourna, pour faire face à l'Orgueil. Lequel était, pour une fois, complètement décontenancé.
- Tu as absorbé la Pierre… Tu y as survécu…
- Et j'ai gagné le pouvoir qui sommeillait en Réo. C'est beau n'est-ce pas ?
Elle accompagna sa phrase de quelques mouvements avec son propre sang en apesanteur. Il lui obéissait à sa simple volonté. Pride le savait. Il L'avait déjà vu faire.
L'Homme en Rouge.
Elle utilisait le pouvoir de l'Homme en Rouge.
Qu'est-ce que tout cela signifiait exactement ?
- Ce pouvoir… Cette possibilité… Tu n'as pas idée de ce que c'est. Pauvre petite ombre, tu n'es pas digne de comprendre ce qui se joue vraiment, avec toi, avec ça, avec tout ce monde !
En revanche, elle avait sans doute pété les plombs. Absorber la Pierre devait avoir ce petit effet, en plus d'associer un Péché Capital à Yoru. L'Orgueil était tout trouvé.
Mais quel était donc le lien avec l'Homme en Rouge ?

Pride avait trop de nouvelles interrogations, mais il ne pouvait y répondre. La menace était plus que sérieuse à présent. Une vampire était déjà un cauchemar, mais une vampire homonculus, augmentée et tirant son pouvoir de la Pierre, c'était une véritable catastrophe !
Une lame d'ombre le protégea d'une balle de sang, littéralement, qui avait fusé dans sa direction dans une détonation. Le projectile fut tranché en deux et les bouts touchèrent le sol, le fracassant à l'occasion. Les tirs habituels semblaient bien gentils en comparaison.
Pride fut ensuite obligé de se déporter sur la gauche, s'épargnant un autre projectile carmin et contre-attaqua avec trois nouveaux appendices ténébreux. Yoru ne tenta pas de les parer, mais fit comme toujours, à savoir les esquiver.
- Tree of Death "Joyless Contemplation"

(♪) De l'obscurité s'étendant derrière le maître des ombres naquirent des branches. Des branches de cerisier, faites entièrement d'ombre. Elles ne semblaient pas faire entièrement partie de la réalité et jaillissaient de l'éther sans la moindre attache physique. Rien ne les empêcha de se parer de fleurs noires, lesquelles se décomposèrent en une nuée de pétales tranchants, propulsés magiquement vers Yoru.
Ils couvraient une si large zone qu'elle n'eut pas l'occasion de s'envoler et les pétales étaient trop petits et serrés pour être esquivés. Elle se protégea avec ses ailes et ses bras. D'innombrables coupures parsemèrent son corps pendant quelques secondes… Avant que les éclairs rouges les plus connus des environs n'entrent en scène.
- C'est moins cool quand c'est pas sur nous, nota Pride histoire de se déstresser un coup.
Il avait une solution. Mais il ignorait totalement comment la mettre en œuvre. Il était bien trop prévisible, il manquait trop de variété !
A l'inverse, Yoru avait maintenant toute une panoplie de possibilités à sa disposition. Le sang qu'elle avait perdu ne tarda d'ailleurs pas à se rassembler en un anneau flottant autour d'elle. Avec sa nouvelle régénération, il se reformait dans son corps.
La parfaite paire de nouveaux pouvoirs. Si nouveaux que Pride espérait qu'elle n'en avait pas une trop grande maîtrise.
En si peu de temps, il y avait peu de chances… Et la présence du feu alimenté par le sang était un bon indice. Elle aurait très bien pu tout éteindre pour le rendre incapable de se battre ! Ou frimer avec.
- Secret of the Night "Red Blessing".

Deux croix chrétiennes se formèrent avec le sang en suspension. Assez petites, elles étaient à droite et à gauche du vampire. Il s'écoula deux secondes puis les croix se décomposèrent en éclats sanguins, difficile de dire à quoi ils ressemblaient mais cela avait une apparence similaire à des gouttes. Tout était en direction de Pride, en un barrage de tirs. Une fois encore, il tenta de se protéger avec ses ombres…
Mais cette fois, cela ne suffit pas. Des gouttes parvinrent à passer entre les différents appendices et brûlèrent le maître des ombres, comme s'il était un démon soumit à de l'eau bénite. Ses ombres elles-mêmes n'y résistaient pas trop longtemps, fondant peu à peu. Pride se jeta sur la droite et roula pour se soustraire aux tirs.
Ceux-ci ne le suivirent pas et l'Orgueil reprit son souffle. La partie gauche de son torse, ainsi que sa jambe droite étaient constellés de petites brûlures.
- Voilà ce qui arrive à ceux qui ne sont pas capables de briller. Tu n'es qu'une ombre sans saveur et sans existence. A vrai dire… Tu n'as pas la moindre importance en ce bas monde.
- La sangsue a un souci ? releva Pride avec un grognement.
- La sangsue a le mérite de savoir ce qu'il se passe. Tu es tellement ancré dans ton ignorance… Si je te disais que ce qui arrive à Reimu Hakurei est intimement lié à la raison pour laquelle je me suis amusée avec les parents de Sakuya ?
Rictus de Pride, serré.
- Alors tu avoues…
- Seul un imbécile aurait douté du contraire !
Elle n'avait pas tort. Mais avoir la certitude du crime plutôt que le soupçonner changeait pas mal de choses.

Le maître des ombres projeta une grande mâchoire vers Yoru pour la cisailler en deux. Elle n'eut qu'à aller vers le haut pour éviter mais la mâchoire se scinda en deux lames partant elles aussi verticalement. Elle pivota et se pencha pour les éviter. Se faisant, elle cala sa main droite grande ouverte face à Pride. Le sang qu'il lui restait et qui gravitait encore autour d'elle se concentra en ce point. Une balle de sang fusa vers son adversaire.
Il se protégea mais fut forcé de rétracter ses ombres. Il se recula… Et remarqua la carte que tenait Yoru.
- Secret of the Night "Wailing Pain"

Quatre fouets de sang se formèrent, sortant des bras de Yoru. D'un geste, elle prit Pride pour cible. Il n'eut que le temps d'en détruire un en levant une ombre en catastrophe que déjà, il sentait les autres lui lacérer la chair. La douleur lui arracha un cri. Il fit encore quelques pas en arrière, se trouvant à présent tout proche de la paroi. Son ombre se leva en une forêt de pointes allant vers le haut, assez pour liquider un autre fouet mais pas pour empêcher les deux autres de repartir à l'assaut.
Les blessures n'étaient pas graves, mais très douloureuses. De plus, à ce rythme, Pride allait se vider de son sang !
Sa résistance naturelle allait néanmoins prouver son utilité. L'Orgueil en avait encore à revendre et d'un mouvement, rassembla ses ombres. Un véritable rideau tranchant s'abattit devant l'adolescent aux cheveux blancs, réduisant les fouets en charpies alors qu'ils s'apprêtaient à lacérer leur proie une nouvelle fois.
Une nouvelle fois, Pride reprit son souffle. Il se forçait à ignorer la douleur, ainsi que son sang s'écoulant par ses multiples plaies.
Il avait encore la force de se battre et comptait bien en terminer !
Ce regard plein de détermination et d'envies meurtrières fit rire Yoru, laquelle s'était approchée au cours de son assaut précédent.
- Tu résistes à ma nouvelle spellcard, bien. Très bien… Mais que comptes-tu faire contre… Ça ?

Elle désigna le haut. Pride, via ses ombres, suivit son regard… Et remarqua que la paroi dans son dos était fissurée. Les fouets n'avaient pas fait que l'attaquer lui !
Il n'eut pas le temps de se déplacer qu'une sphère de sang percutait une fissure, explosant le tout, causant ainsi un terrible éboulement. Yoru elle-même recula d'un bond, pour éviter d'être ensevelie ou de respirer la poussière.
Les alentours tremblèrent et le bruit des impacts rocheux résonna en continu pendant d'interminables secondes. Lorsque ce fut finit, le silence était retombé.

Doku s'était éloignée pendant l'affrontement. Il valait mieux, où elle aurait risqué de se faire découper en rondelles. Cela ne l'avait pas empêchée de suivre au loin, depuis l'entrée, en fait.
Yoru l'effrayait terriblement et, à présent, elle ne doutait pas que ce soit lié à la Pierre Philosophale. Dès qu'elle avait vu les éclairs rouges, elle avait compris.
Elle devait aller avertir Yuugi. C'était le seul moyen pour que Pride reste en vie. Il n'avait aucune chance et ce, depuis le début. Elle devait agir vite !
Elle volait à présent, filant comme l'éclair à travers le couloir traversé plus tôt. Pourvu qu'elle puisse arriver à temps…


Dernière édition par Jealousy le Dim 27 Juil - 19:07, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeDim 27 Juil - 18:18

Seuls les pas de Yoru se faisaient entendre. La lueur des flammes faisait trembloter les ombres. Mais bien peu de choses étaient à voir.
Les éboulis avaient couverts pas mal de terrain. Aucun mouvement ne se dégageait d'eux, mais du sang coulait entre et se déversait sur le sol, après avoir maculé les pierres de sa teinture rouge. Avec les flaques environnantes, on pouvait croire qu'il allait s'enflammer.
Un sourire impertinent et ravi flottait sur les lèvres de Yoru. Patiemment, elle attendait que ça bouge… Et ne fut pas déçue. Plusieurs blocs éclatèrent, brèche forcée dans l'écrasant barrage rocheux. Pride parvint à ramper pour s'en extraire, évitant de peu l'effondrement qui s'en suivit. Il était dans un état déplorable. Ses vêtements déchirés laissaient entrevoir des plaies assez laides et des contusions à foison.
Son corps tout entier le faisait souffrir, ses os avaient été secoués. Il devait se forcer pour qu'aucune plainte ne franchisse la barrière de ses lèvres.
Hors de question d'offrir ce plaisir à Yoru.
- Je dois admettre que tu es têtu, Pride. Ce n'est pas une qualité.
Elle n'eut pas de réponse, ce qui ne la dérangea pas. L'Orgueil était trop occupé à tenter d'esquisser un mouvement sans avoir l'impression de tomber en morceaux.
- Tu as perdu Réo. Sans lui, tu es quoi, mh ? Absolument rien.
Elle s'accroupit près de son adversaire, ne ressentant pas la moindre crainte. Aucune menace n'émanait plus de l'être de noirceur, étendu sur le ventre et seulement à demi conscient sous le coup de ses innombrables blessures. (♪)
- Même les parents de Sakuya comptaient plus que toi. Ils étaient humains. Ils avaient une vie, un bonheur, une enfant et une petite chose très spéciale. Toi ? Tu n'es qu'un chien de garde. Réo te muselle à loisir, te confinant dans ta niche. Pourquoi, Pride, pourquoi t'obstiner ? Personne ne t'attend, tu sais. Personne n'a besoin d'un gardien comme toi. Que ferait Réo s'il n'avait plus besoin de toi ? Il t'enfermerait dans son esprit. Tu le sais aussi bien que moi.
Elle gloussa devant le grognement de protestation de son jouet improvisé.
- Tu ne peux pas me mentir. Je suis la Gardienne des Secrets. Et dans tes secrets, il y a celui-ci. Tu en as assez, Pride. Car tu sais, au plus profond de toi, que j'ai parfaitement raison. Alors, qu'est-ce qui t'empêches d'abandonner ? Il ne te laissera pas vivre. Il ne te laissera pas exister, aimer, être libre. Laisse-toi aller. La mort est peut-être la meilleure chose qui puisse t'arriver. Tu es si fatigué…

Malgré lui, Pride fermait les yeux. Il ne pouvait plus lutter. Elle avait…
Elle avait parfaitement raison. Il l'avait admis il y a bien longtemps. Il ne s'était lié à personne, personne ne l'attendait. Même si ça avait été le cas, à quoi bon ? Il était enfermé dans l'esprit de Réo et n'en sortait qu'en cas de besoin. Autrement, il n'était qu'un spectateur. Railler son homologue pour son incompétence était la seule chose qu'il pouvait faire dans sa vie.
Enfin, vie.
Plutôt une demi-vie. Pour vivre, il devait être libre. Cela n'arrivait que peu. Bien trop peu. Presque jamais, à son ressenti. Dans ces conditions, il n'avait aucune raison de tenter quoi que ce soit de bien, ou de construire une relation durable avec quelqu'un.
Il était condamné à la solitude et l'oubli. C'était cohérent. Il n'était qu'une ombre, n'est-ce pas ? Une ombre protectrice, artificielle, crée par et pour un envieux ignorant, stupide et incapable. Une ombre à l'orgueil faux, au rire trafiqué et dont le cynisme n'était que de façade.
Il n'était pas l'Orgueil. Mais c'était la seule chose à laquelle il pouvait décemment se raccrocher. Un véritable orgueilleux n'aurait pas tous ces problèmes, alors autant tenter d'être comme ça.
Mais même ça, même cette identité factice, donnée par un Diable quelconque… Même ça, Pride savait que c'était du vent.
Il était détestable en tout point de vue. Il ne valait rien. Si son existence misérable devait prendre fin immédiatement… Alors ainsi soit-il.
Il n'en avait rien à faire, de toute façon. Ce n'était pas comme si qui que ce soit croyait en lui de toute façon…
"Après tout c'est comme tu veux. Mais tu ne pourras pas te mentir encore très longtemps. Crois-moi. Qu'il s'agisse de Youmu ou de toi-même. Tu vaux bien plus que ça."
Pride rouvrit les yeux.

C'était Reimu qui avait dit ça. Pourquoi… Pourquoi penser à elle maintenant ? Pourquoi se rappeler de ça ?
Depuis quand prêtait-il attention à ce qu'elle disait ?
La réponse était évidente. Et puis…
- Tu as tort…
Yoru s'était détournée, mais la voix de Pride raviva son attention. Elle fut stupéfaite de voir que l'Orgueil… Se relevait. Difficilement, menaçant de s'écrouler, mais il le faisait.
- Tort ? Moi ? Ne sois pas idiot. Tu n'es qu'une ombre, une goutte de noirceur, qu'aucune lumière, d'aucune sorte, n'atteindra jamais. Les gens brillent par leurs actes, leurs choix, leur âme. Toi… Tu es morne, triste et sombre. C'est là, la triste vérité.
Pride avait les mâchoires serrées et luttait pour rester debout. Comment faisait-il, d'ailleurs ? Il respirait à grandes goulées, méprisant sa peine.
- La vérité…
Il laissa s'écouler quelques secondes.
- La vérité, je la connais déjà…
Il manqua de tomber mais parvint à conserver son équilibre par miracle. Sa tête était basse.
- Et… J'ai une amie… Qui la connait aussi… Et l'a bien comprise…
Il fit un pas en avant, tremblant.
- Une amie… Une rivale… Qui ne renonce pas… Jamais… Même si elle se retrouve dans la merde… Même si pour ça, elle aide un ennemi parce qu'elle pense que c'est juste…
Un rictus étira ses lèvres.
- Une amie qui défend ses convictions… Et accomplit son devoir… Envers et contre tout… Parce qu'elle est ainsi…
"Tu vaux bien plus que ça."
Il releva la tête. Une flamme nouvelle le regard.
- Je connais une sale petite merdeuse idiote qui rayonne tellement qu'elle me tape sur le système ! Alors crois-moi, ombre ou pas, vérité ou non, que ce soit mon destin ou juste un rêve… Je ne ferai pas moins qu'elle !
Yoru ne masqua pas sa surprise alors qu'il activait une nouvelle carte.
- Black Fantasy "Crow Claws" !!!

L'Orgueil utilisa son ombre pour se propulser vers Yoru, palliant ainsi au manque de force de ses jambes. Dans le même temps, il avait écarté ses bras... Chacun étant équipé d'une lame d'ombre.
Partant du milieu des avant-bras, mesurant bien soixante-dix centimètres de long, voir plus, elles étaient largement courbées vers l'arrière, tels des crochets, des faux… Ou des serres. Des yeux occupaient leur centre mais aucune dent n'était visible. Elles étaient larges de quinze centimètres à la base et allaient en s'affinant jusqu'à la pointe. Néanmoins, elles n'étaient pas lisses, mais dentelées, le fil intérieur faisant au moins un crochet inhabituel.

Yoru se décala sur la gauche, en catastrophe. Pride se réceptionna avec une étonnante souplesse et tourna sur lui-même. Les deux lames se joignirent en une, plus longue. La vampire fut touchée au bras droit. D'une pression, elle s'éleva… Et relâcha une série de projectiles sanglants. Des sphères, des pointes… Sans sa régénération, jamais, elle ne pourrait faire cela sans une anémie.
Les ombres de Pride entrèrent une nouvelle fois dans la danse. Il était dans un trop mauvais état, cela dit, pour maintenir sa concentration. Trop de projectiles allaient passer…
Mais il avait les Serres du Corbeau.
Les lames avaient repris leur forme originelle et découpaient sans effort le sang solidifié qu'elles touchaient. Leur courbure vers l'arrière ne semblait pas être le plus pratique au premier abord, mais cela optimisait leur rôle défensif.
- Sinister Moon "Bloody Night"

D'un coup de dents, Yoru ouvrit une nouvelle blessure au niveau de ses poignets. Elle ne se soigna pas immédiatement, mais laissa le sang s'échapper en masse. De quoi avoir le matériel nécessaire à une volée de flèches et de pieux, qui s'écrasèrent vers l'Orgueil.
Lequel se mit en garde… Avant de s'éjecter de là. Propulsé en une courbe harmonieuse par son ombre, qui s'était ramassée comme un ressort.
Une nouvelle fois, Pride s'était mis à tourner sur lui-même, telle la plus sombre et la plus folle des toupies. Dans son sillage, une pluie rouge arrosait le sol, y traçant une fresque macabre.
A l'apogée de son ascension, Pride écarta mes bras, prêt à retomber vers Yoru. Elle remarqua alors que les serres ne partaient plus vers l'arrière… Mais bel et bien à l'avant, tels deux sabres plus noirs que la plus sombre des nuits.
Devenu ange noir exterminateur, Pride tomba droit vers son adversaire. La trajectoire était trop prévisible pour qu'elle ne puisse l'éviter d'un rapide mouvement vers la gauche…
Elle n'avait en revanche pas prévu l'ombre qui s'étendait une nouvelle fois pour réceptionner l'Orgueil et lui permettre de recommencer son assaut. Yoru n'était qu'en train de se retourner, Pride était passé derrière elle. La douleur l'emporta sur tout le reste lorsque les lames tranchèrent sa chair au niveau du ventre.
Il fallait bien plus que ça pour l'abattre et, si elle se crasha sur le sol, cela ne l'empêcha pas de se rétablir aussitôt. Une nouvelle fois, le sang s'arracha à la gravité…
- Red Secret "Guardian of the Night"

Pour venir se coller à ses mains et poignets, formant une armure à l'étonnante solidité. La forme générale des mains était changée pour avoir l'air de celles d'un monstre rouge aux longues griffes. Ou d'un monstrueux vampire couvert de sang, tout simplement.
Pride s'était rattrapé avec une ombre, pour revenir au sol. Il couvrit rapidement la distance le séparant de son ennemie, assénant un coup vertical descendant avec sa lame de droite, laquelle allait vers l'avant. Le poignet gauche de Yoru intercepta le fil d'ombre, le bloquant aussitôt.
Pride enchaîna avec sa lame droite, qui allait vers l'arrière, elle. La Gardienne des Secrets fut obligée de reculer pour utiliser sa main gauche comme bouclier.
Mais d'où l'Orgueil sortait-il cette énergie ?
Il pouvait à peine bouger, il n'y avait même pas une minute !
D'un mouvement souple, elle laissa passer la lame gauche au-dessus d'elle. Sa main droite partit droit vers le ventre de Pride… Sauf que la lame droite revint pour la déporter dans la même direction.
Le poing gauche de l'Orgueil s'écrasa sur sa joue dans le même mouvement, manquant de la faire tomber, emportée qu'elle était dans son élan. Le moment parfait pour que Pride fasse un mouvement de pivot, renvoyant sa lame droite à l'attaque.
Malheureusement pour lui, Yoru eut le temps de croiser ses bras pour s'en protéger. D'une pression des poignets, elle repoussa la lame et… Se jeta sur Pride.
Elle passa sa garde et le percuta avec violence. Son armure de sang disparut, mais ses mains agrippèrent l'Orgueil sans la moindre envie de le lâcher. Ce faisant, il glissa douloureusement sur le dos, traçant une nouvelle ligne sanglante. Les Serres disparurent en même temps.
- On dirait… Que je gagne quand même ! lança-t-elle entre les dents, son visage proche de celui, las, de son adversaire.
- Erreur. Tu t'es fait avoir.
A peine eut-elle le temps de réagir que l'ombre de Pride, mêlée à celle du vampire, se muait en trois pointes qui transpercèrent le ventre de Yoru.

Elle hoqueta et lâcha son ennemi… Juste ce qu'il lui fallait pour que deux autres lames d'ombre jaillissent pour se planter dans ses mains. Ainsi perforées, Yoru fut emportée sur le sol, à trois mètres de Pride.
Des éclairs rouges crépitaient autour d'elle sans discontinuer. Pride cracha quelques gouttes de sang avant de se relever par un miracle qu'il ne saurait qualifier.
- Si tu crois que tu vas me tuer… cracha Yoru, qui se débattait pour se sortir de là.
Ce qu'elle allait parvenir à faire, sans aucun doute.
Pride ne répondit pas… Alors que les tentacules noirs tranchants et en deux dimensions se mettaient à fouiller dans le ventre du vampire qui poussa un hurlement de douleur.
- Tu as peut-être absorbé la Pierre… Mais je sais mieux que toi comment elle fonctionne. Et comment la récupérer.
Yoru se cabra alors qu'elle sentait les ombres toucher au but… Trouver la Pierre Philosophale qu'elles se hâtèrent…
D'absorber.
La douleur qui s'ensuivit fut terrible, pour les deux êtres présents. Mais seul Pride fut parcouru d'un concert d'éclairs rouges, alors qu'il sentait une horrible brûlure sur sa nuque. Mais ce n'était pas tout.
Dans son âme, quelque-chose était de retour. Réo était à nouveau complet, certes… Mais lui aussi n'était plus tout à fait le même.
Ou tout à fait seul.

(♪) Ses pointes se retirèrent du corps de son ennemie, alors que ses blessures disparaissaient. Mais, à sa grande surprise, il remarqua que ses perceptions avaient changées. Il… Ressentait, littéralement, son propre sang. Comme s'il s'agissait d'une partie de son corps.
Une partie qu'il pouvait mouvoir et modeler à sa guise. Exactement comme ce qu'il connaissait déjà avec son ombre. Mais le sentiment, là, était différent. Un peu comme si cette faculté ne lui appartenait pas vraiment.
C'était grisant, en tout cas. Il allait lui falloir un peu de temps pour s'y habituer. Surtout que, malgré sa guérison, il était tout de même sur le point de s'écrouler de fatigue. Il avait des limites, et ces limites étaient franchies depuis un moment.
- Alors… Tu as réussi, finalement…
Yoru avait perdu tout dédain, mais ses paroles étaient acides, à présent.
- Surprise.
Les ombres de Pride s'étaient retirées du ventre du vampire, mais ses mains étaient toujours entravées. L'Orgueil ne se gêna pas pour rejoindre son adversaire défaite et poser son pied gauche là où ses ombres étaient sorties.
- Tu me dois toujours des réponses.
Une douloureuse plainte s'échappa de la bouche de Yoru. Elle fusilla Pride du regard.
- Qu'est-ce que tu veux savoir, exactement ?
- Tout. Pourquoi avoir tué les parents de Sakuya ?
La voix du maître des ombres était d'un calme absolu. Surtout parce qu'il n'avait plus la force de s'énerver ou de faire de l'esbroufe.
- Pour la montre ! La Luna Dial ! Son père l'a fabriquée et je devais la récupérer ! Mais j'ai fait tout ça pour rien. Je n'ai pas pu la trouver et cette salope en a quand même hérité ! A croire que quelqu'un d'autre était sur le coup.
Elle hurla de douleur lorsque sa main droite fut séparée du reste de son corps.
- Ne t'avise plus de parler d'elle comme ça.
Il n'avait pas haussé le ton et continua.
- Pourquoi devais-tu trouver la Luna Dial ?
La femme vampire reprenait son souffle.
- Il… Il la voulait…
- Qui ?
- J'ignore son nom… Mais je peux te dire… Que son œuvre ne sera pas arrêtée. Il est le grand marionnettiste de ce qu'il se passe… Et pas uniquement à Gensokyo. Ta venue, celle de Lucifuge, ce qui est arrivé il y a quinze longues années… Tout est lié.
- Vraiment ? Dans ce cas… Si tu le croises, préviens ce grand Architecte que je compte bien lui botter le cul.
Yoru parut surprise.
- Tu ne vas pas me tuer ?
Les ombres se retiraient de ses mains et Pride lui-même reculait.
- Non. J'ai promis à une prêtresse que je ne tuerais personne à Gensokyo. J'ai pour principe de ne pas mentir, ni de rompre mes promesses.
- Ahahahah. Tu en as d'autres, des comme ça ?
- Oui. Je me suis promis de la battre. Mais surtout, de massacrer quiconque s'en prend à ceux qui me sont chers. Te voilà prévenue.
Et ainsi, il fit volte-face, pour partir comme il était venu. Il laissait un champ de bataille défiguré par la violence du combat et une vampire en bien piteux état.
Mais il s'en moquait. Alors qu'il s'enfonçait dans l'obscurité et qu'il sentait ses dernières forces s'évanouir, Pride s'autorisa un sourire.
- Je l'ai eue.
Il leva son poing droit, bien haut. Cette victoire… C'était la sienne.
Il n'avait pas gagné contre Yoru. Mais contre lui-même. Contre ses doutes. Ses craintes. Sa pseudo nature même.
Il cherchait des réponses à ses questions ? Il avait trouvé la réponse à la plus importante d'entre-elles.
Qui était-il ?
Son sourire s'élargit.
- Je suis moi. Et je suis plus que fier de l'être !
Il s'arrêta un instant, sur cette déclaration, poing toujours levé… Et s'effondra, terrassé.
Jamais il n'avait fermé les yeux avec un tel sourire.

(♪) Yoru toussa, alors qu'elle tenta de se mettre assise. Il l'avait bien amochée… Mais elle avait tout de même observé son ennemi triomphant s'éloigner.
Il avait repris la Pierre… Et gagne Son pouvoir.
Assurément, il lui allait mieux qu'à elle. Il était l'Orgueil. C'était bien normal qu'Il soit plus enclin à lui prêter.
Il. Lui. Il avait de nombreux noms. Restait à savoir pourquoi Il avait choisi cet improbable duo. Cela dit, s'ils étaient les sept péchés capitaux, peut-être que le lien était là.
C'était certain, même. Car quand Yoru avait vu Pride partir, elle L'avait vu aussi…
Le Péché Originel.
Un rire amusé se fit entendre devant elle, accompagné d'un claquement de mains. Etonnée, la vampire leva la tête.
- Félicitations, mon amie !
- Vous…
La pénombre masquait le nouveau venu. Mais on voyait ses mains gantées, une de blanc et l'autre de noir.
- Vous avez joué votre rôle avec brio !
Il était enjoué et parlait vite. Il claqua des mains une nouvelle fois.
- Dois-je comprendre… Que je n'étais qu'un pion pour vous ?
Il éclata de rire en applaudissant frénétiquement.
- Exactement ! Mais je crois que nous pouvons nous entraider. Nous deux voulons changer cette existence sans amour.
Il tendit sa main droite, celle avec un gant blanc.
- Alors, à défaut du Pion… Que diriez-vous plutôt de devenir… Ma Reine ?
Yoru considéra un instant la proposition. Puis se redressa difficilement pour tendre également sa main.
- J'accepte.
Le sourire lui était revenu. L'Echiquier se mettait en place…
Et elle allait pouvoir avoir sa revanche.
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Chapitre 31 : La Voie de la Raison

"Se poser cinq minutes et réfléchir est une action simple, efficace et à la portée de tout le monde. Pourtant, nous nous laissons bien souvent emporter par le flot des évènements et nous réagissons sans penser le moins du monde.
Si nous utilisions nos têtes plus souvent, nous nous épargnerions bien des désagréments !"

Patchouli Knowledge


(♪) - Hey Réo, pourquoi tu t'es énervé ?
Le polymorphe était assis près d'un des rares arbres poussant autour du campement. Il tourna sa tête vers Toph. La jeune fille marchait dans sa direction, nullement gênée par la nuit qui tombait doucement. Elle devait revenir de la ville proche où elle avait arnaqué de braves gens pour ramener un peu de monnaie. Au moins, elle ne martyrisait pas les membres du groupe pour passer le temps.
Vêtue de sa robe rouge sans manches, elle avait les pieds nus mais c'était loin de la déranger. Ses yeux sans éclat étaient posés sur… Et bien rien du tout. Aveugle, elle ne regardait rien, laissant ses yeux trainer sur le sol. Son serre-tête en forme de diadème doré retenait sa chevelure noire, donnant l'illusion de cheveux courts, dont deux mèches lui tombaient sur le visage. Des mitaines rouges étaient passées sur ses mains. Fine et musclée, elle ne faisait pas plus que son âge : douze ans.
Le polymorphe était aussi en rouge. Veste sur un haut brun et pantalon rouge, rien de spécial en soi.
- Ah, Toph… Rien…
- C'est ça. Je crois pas que tu serais là, si c'était le cas. Ni que les autres tireraient une tronche pareille. Je te signale que je sais détecter les mensonges.
- Accessoirement, tu ne peux pas non plus voir que je fais la gueule.
- Donc c'est bien le cas.
Coincé. Elle était trop forte pour lui.
Réo soupira alors que Toph s'asseyait à sa gauche.
- Allez, crache le morceau. Ou je te force à le faire.
- C'est con…
L'Envieux avait baissé la tête.
- Je veux bien te croire sur ça. Mais apparemment, t'as réussi à t'attirer les foudres de tout le monde. Même Katara est énervée ! Enfin, aussi énervée qu'elle puisse l'être. Tu verrais la tête qu'ils tirent tous.
La jeune fille s'était exprimée avec le sourire. Sa tête était tournée droit devant elle.
- Je suppose que…
Réo se stoppa lorsqu'il comprit la phrase.
- Très drôle, Toph.
L'aveugle se mit à rire et frappa l'amnésique notoire à l'épaule.
- Allez accouche ! T'as fait quoi comme conneries encore ?
Soupir. C'était inutile de lutter. Toph était encore plus têtue que les pierres qu'elle maîtrisait. Et frappait plus fort encore.
- Je suis jaloux de Sokka.
Si elle avait pu, Toph l'aurait dévisagé avec de grands yeux étonnés. A la place, elle se redressa vivement, comme si elle avait été piquée par un insecte.
- Jaloux ? De Sokka ? Ah ! AHAHAHAHAHAH !
Elle partit aussitôt dans un fou-rire qui semblait inarrêtable. Le changeur de forme lui jeta un regard désœuvré.
- Je t'avais dit que c'était idiot…
- Uhuh… Non… Je me disais que qu'il t'en aura fallu du temps !
Le polymorphe écarquilla les yeux. Il regardait toujours son interlocutrice mais arborait à présent une expression surprise.
- Quoi ? Mais…
La petite aveugle se pencha en arrière avec un sourire hilare.
- Mais quoi ? Tu ne croyais quand même pas que je n'allais rien remarquer ?
Devant l'absence de réponse de l'Envieux, elle le frappa au bras.
- J'ai bien remarqué que tu te crispais dès que Sokka parlais de ses conquêtes à la noix ! Et encore plus lorsqu'il m'a offert mon bracelet venu de l'espace.

Elle faisait référence à un évènement récent. Une météorite s'était écrasée non loin du groupe. Sokka avait utilisé une partie de celle-ci pour forger l'épée qu'il utilisait actuellement. Mais il avait conservé un bout pour Toph. Celle-ci l'avait modelé en bracelet qui ne le quittait jamais.
- On ne peut rien te cacher, marmonna le métamorphe en se massant le bras.
- Alors n'essaie pas de le faire !
- D'accord, un point pour toi.
Toph eut un nouveau petit rire.
- Je devrais te dire que tu n'as pas à l'envier mais je te comprends. Il est presque organisé, a dirigé une bataille avec succès, quasiment, et si j'ai bien compris, toutes les filles craquent sur lui. Suki va devoir faire gaffe si elle veut le garder, ça va être drôle.
- J'avais remarqué tout ça, je crois.
- J'avais un doute !
Comme toujours, elle se moquait de lui. Réo était habitué. Toph était une adepte de l'amitié vache et châtiait très bien.
- Au final, je commençais à croire que t'allais pas avoir les tripes pour laisser exploser tout ça. Finalement si, tu m'impressionnes, amnésique raté !
- C'est ça. Tu aurais dû rester dans les parages si tu voulais voir ça.
Elle bougea négligemment la tête.
- Bah, tu ne l'aurais pas fait si j'étais là.
- Qu'est-ce que tu insinues ?
Elle ne répondit pas, mais son visage était très parlant. Son sourire qui ne la quittait pas, surtout.
- Ce… C'est faux !
Réo se sentit rougir. Bien sûr que ce qu'elle sous-entendait était vrai. Certes, il était jaloux des conquêtes à répétitions de Sokka. A peine une fille lui parlait-elle que déjà elle avait des cœurs dans les yeux. C'était assez irritant, à la longue. Il n'avait pourtant rien de spécial…
Quoi qu'il en soit, voir que Toph était dans le même cas le mettait dans tous ses états.
- Tu mens, annonça-t-elle simplement.
Décidément…
Quelques secondes s'écoulèrent avant que Toph ne reprenne la parole. Elle avait levé la tête.
- C'est marrant. Je ne m'attendais pas à ce ça tourne comme ça.
- Comment ça ?
- Mes parents me couvaient trop. Je sais qu'ils m'aiment, mais ils m'auraient enfermée dans une chambre pour être sûrs que je n'aie rien. C'est bien pour ça que je suis partie. Et au final… Voilà deux andouilles qui se fâchent encore à cause de moi.

Toph fit alors quelque-chose d'inattendu. Elle se blottit contre lui.
- C'est agréable, lâcha-t-elle avec un soupir d'aise.
Réo en eut presque le souffle coupé. Déjà qu'il avait l'air fin…
- Si… Tu le dis…
C'était fou ce que c'était agréable. En fait… C'était la première fois que ça lui arrivait.
- Je te signale quand même que Sokka en pince pour Suki. Et que c'est réciproque. Donc t'as pas à t'en faire.
Réo se figea.
Etait-ce lui ou ce qu'elle disait avec un double-sens ? Etait-elle en train de…
Il fut arraché à ses pensées par une fulgurante douleur à l'épaule. Toph venait de le frapper tout en se séparant de lui.
- Aïe !
- Ne te méprends pas pour ce que je viens de dire ! s'exclama-t-elle.

Elle se leva et commença à s'éloigner, comme si de rien n'était. Réo la regarda, ne sachant plus trop quoi penser. Mais en y réfléchissant…
Il ne se souvenait pas avoir déjà vu Toph se blottir comme ça sur qui que ce soit. Il sourit.
Il faudrait qu'il aille présenter ses excuses à Sokka et aux autres. Après tout, c'était vrai… Il n'avait aucune raison d'être jaloux.

Le souvenir n'était pas si ancien que ça. C'était sans doute pour cela qu'il était si clair dans l'esprit tourmenté de l'adolescent. Celui-ci se mit à bouger, alors que le souvenir se diluait enfin.
Mais quelque-chose d'autres le remplaça, avant qu'il ne se réveille.

Une comptine. Chantée par Yoru. Quand il l'avait rencontrée…
- ♪ ~A l'Aube de l'histoire,
Début du Purgatoire,
La sorcière fut conduite au bûcher,
Ses cendres éparpillées.
Au Crépuscule des temps,
Quand brûlent les enfants.
Sans larmes ni tristesse,
La Vierge de Fer invita la prêtresse…
De l'eau, partout. Réo était immergé. Dans un lac ? Un océan ? Il ne pouvait le dire. Il ne se noyait pas, mais coulait quand même, entraîné par une force inconnue.
Il ne comprenait pas. Ou, voyant la teinte verdâtre de l'eau, ne comprenait que trop bien.
L'Envieux eut beau tenté de nager, il était incapable de remonter. Ce fut alors… Que deux yeux verts s'ouvrirent devant lui. Deux grands yeux énormes et luminescents. Leur propriétaire était indiscernable. Toute juste le polymorphe eut le loisir de discerner une longue forme… Serpentine ?
Celle-ci le chargea, et ce fut une gueule immense l'avalant qu'il vit.
- ♪ Ses larmes de sang,
Avec son cri de désespoir,
Se mêlèrent à l'Océan,
Et sa Bête de Cauchemar~


Avant d'émerger enfin.

Il était allongé dans un lit, celui occupé précédemment par Pride. Il faisait sombre, comme toujours. Cela allait d'ailleurs être la première chose que Réo allait remarquer lorsque ses yeux allaient péniblement s'ouvrir.
Il se sentait… Reposé. A croire qu'il avait dormi pendant de longues et nombreuses heures.
Enfin, il comprit qu'il n'était pas tout seul, tout d'abord à cause d'une douce respiration troublant le silence des lieux.

Les lumières en dehors de la maison de Yuugi, puisque c'était une nouvelle fois là qu'il se trouvait, lui permirent de distinguer une forme toute proche. Sans grande surprise, il s'agissait de Doku.
Endormie, elle était assise une chaise se trouvant face au futon occupé par l'Envieux. Vu le rythme régulier de sa respiration, elle était profondément endormie.

Le changeur de forme à présent assis regarda autour de lui. Il était bel et bien seul, si on exceptait la dormeuse, bien entendu. Mais que faisait-il là ?
Il se concentra pour tenter de se rappeler. Que s'était-il donc passé ? Il n'allait pas lui falloir beaucoup de temps pour avoir la réponse à sa question. Il crut revoir Yoru lui arracher la Pierre Philosophale du ventre et les dernières paroles de la comptine lui revinrent en tête.
Pourtant, lorsque Réo passa sa main gauche sur son ventre, il ne sentit aucune cicatrice. Cela arrivait pourtant quand on lui arrachait la pierre. Il ferma alors les yeux.
Il ne pouvait pas se rappeler de quoi que ce soit, après ça. Mais en revanche… Il entendait quelque-chose. Ce n'était pas un son réel. Il ne le captait pas avec son oreille, mais avec son âme.
Et ce n'était pas agréable. Il s'agissait de cris. Un concert de cris, de plaintes, provenant de la douleur infinie d'âmes torturées. Les âmes formant la Pierre Philosophale.
Réo était habitué à ce tourment perpétuel mais savait qu'il n'était pas pour rien dans le fait que ses nuits n'étaient jamais aussi reposantes qu'elles le devraient.
Parfois, le silence lui manquait…
Quoi qu'il en soit, cela voulait dire qu'il avait récupéré son caillou rouge. Mais comment ?

(- A ton avis, banane ?), intervint alors Pride.
Réo ne put s'empêcher de sourire en entendant son partenaire spirituel.
- Tu as été la chercher ?
(- Et ouais. Doku m'a conduit à notre vampire voleur. Je lui ai refait le portrait et j'ai repris la pierre. Je l'ai laissée en plan ensuite. Je ne sais pas comment on est arrivé là, cependant. Je suppose que Doku a trouvé un moyen de nous ramener.), exposa l'Orgueil.
- Tu as pu la récupérer ? Tout seul ? Et bien… Un vrai Seigneur des Ombres. Félicitations.
(- Ça me plaît, ça, comme surnom. Je garde, Jealousy. Merci bien.)
Quelque-chose avait changé, dans la voix de l'Orgueil. Réo aurait presque juré qu'il était… Apaisé ? C'était curieux.
Un peu perturbé, le changeur de forme se leva. L'ennui quand on était sous terre était qu'on n'avait absolument aucun moyen de savoir l'heure. Pas même d'avoir une idée du moment de la journée qu'on était.
Réo n'avait pas de montre et il y avait bien longtemps que son IPod, bonjour le placement produit, était déchargé. Tout en quittant la chambre, il n'allait pas réveiller Doku quand même, il caressa son bracelet d'ouroboros.
Un souvenir de son ancienne aventure… Cela avait été intense. Comme un rêve, mais il savait que ça s'était réellement passé.
Qu'est-ce que les autres devenaient, pendant ce temps ? Il n'aimait pas l'admettre, mais l'équipe de l'Avatar lui manquait.

Un peu hésitant, il alla quand même squatter la salle de bains. Lorsqu'il en ressortit, vêtu de son habituelle tenue grise veinée de vert, il sursauta littéralement en voyant Yuugi l'attendre devant la porte.
- Bonjour, Réo, le salua-t-elle simplement.
Le pauvre polymorphe mit sa main droite au niveau de son cœur pris au dépourvu.
- Ah ! Euh… Bonjour, Yuugi.
(- Je t'ai déjà dit que tu étais un soumis, non ?)
- Nous étions inquiètes à ton sujet.
- "Nous" ? releva l'Envieux.
Il était un peu à l'ouest, il fallait dire.
- Doku, Parsee et moi-même. Yamame et Kisume aussi, quand j'ai été les trouver.
- Wow, vous avez toutes été à ma recherche ? s'étonna le polymorphe.
(- T'es une célébrité, mon vieux), ironisa l'Orgueil.
Certes, Réo s'était rapidement intégré au groupe… Mais il n'avait pas été présent bien longtemps ! L'Envieux avait presque l'impression d'avoir été là toute sa vie. C'était… Bizarre.
- Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les yôkais du Monde Souterrain sont plutôt solidaires, énonça l'oni.
- Je vois ça… C'est un genre de crédo ?
(- S'il faut prêter serment, je me casse).
- Plutôt une réaction naturelle. Nous sommes plutôt mal vus par ceux d'en haut. Certains ici sont des rejetés, des parias même. Jusqu'à tout le peuple oni qui s'est exilé ici. Tout cela favorise une certaine forme d'entraide.
Yuugi se rendit certainement compte que le rescapé faisait son possible pour intégrer tout ça mais galérait quand même. Il n'était pas au top de sa santé mentale.
S'il l'était seulement de temps en temps. Elle le rassura alors d'un sourire chaleureux.
- Nous aurons tout le temps de discuter de tout ça plus tard. Repose-toi, tout d'abord. Et prend garde à ceux qui t'entourent. Il y en a une qui s'est fait un sang d'encre…
Réo ne put qu'acquiescer. Pour le coup, il n'avait réussi qu'à inquiéter tout le monde. Adressant un signe de tête à Yuugi, il retourna dans la chambre et attendit, patiemment, que Doku se réveille.

Bien loin de là, c'était une personne très différente qui courait dans la Forêt de la Magie. Un certain Dévoreur aux longs cheveux blonds.
Cette fois, c'était cuit. Il était repéré. Il s'était nourri de fantômes qui traînaient ici et là. Il pensait avoir été discret et était même certain que personne ne l'avait remarqué. Du moins, en théorie.
La pratique démontrait visiblement le contraire. Quelqu'un le pourchassait et il n'avait pas la moindre idée de qui il pouvait s'agir. Surtout la nuit, les gens ne dormaient donc jamais, ici ?!
Malbas ignora le commentaire de Nue, qui sembla lui apparaître à sa droite, allongée en l'air, bras croisés derrière sa nuque et lui indiquant qu'elle ne dormait pas souvent la nuit.
Ou plutôt, il n'avait pas le temps de lui répondre. Quelle galère ! Il ne pouvait pas non plus utiliser sa téléportation bien pratique. Chose qu'il mettait sur le compte de la faim et de son régime actuel exclusivement constitué de fantômes.

Le Dévoreur slalomait entre les arbres et évita une racine traîtresse. Les arbres de la Forêt de la Magie étaient assez espacés pour ne pas gêner et il y régnait une clarté surnaturelle qu'il ne saurait expliquer uniquement par les champignons phosphorescents poussant aux pieds des troncs.
Un regard en arrière lui appris que sa poursuivante, il savait juste que c'était une fille, n'était plus là. Reprenant son souffle, il s'adossa à un chêne.
Et sursauta lorsqu'une voix douce se fit entendre au-dessus de sa tête :
- Tu cours vite, mais tu manques un peu jugeote !
- Bien d'accord ! s'exclama mentalement Nue en levant les bras.
Malbas, lui, avait levé la tête et fixait la jeune femme qui se tenait sur une branche. Elle ne venait pas de Gensokyo, sa tenue le criait. Ses longs cheveux blancs et ses cornes intriguaient également, tout en donnant un petit indice sur sa nature. Le chasseur coincé suivit du regard sa traqueuse du jour lorsqu'elle sauta pour se mettre devant lui. Elle ne semblait pas agressive du tout.
- Dans une forêt, on se déplace par les arbres. Au sol, on ne fait que perdre du temps. Souviens-t'en !

Malbas papillonna des yeux, alors que Sélène se fendait d'un sourire bienveillant.
- Mais… Qui… Qui êtes-vous ?
- Une intermédiaire qui a enfin rempli son rôle dans cette histoire !
Une nouvelle fois, le Dévoreur décidément déboussolé sursauta. Rumplestiltskin venait d'apparaître à sa gauche, comme s'il avait toujours été là.
Le regard de Malbas alla du mage noire à la dragonne, ne savant plus trop ni que dire, ni que penser.
- J'ai demandé à cette demoiselle de vous retrouver. Rassurez-vous, je ne suis pas votre ennemi, très cher !
En parlant, l'être de noirceur avait désigné Sélène et bougé son bras gauche avec entrain.
- Puis-je partir, à présent, Ténébreux ? s'enquit cette dernière avec une certaine déférence.
- Bien entendu ! Votre dette est réglée, annonça l'intéressé en gigotant.
La dragonne s'inclina et s'éloigna, tout en gardant les deux en vue.

(♪) Après quoi, ayant l'attention pleine et entière de Malbas, le Ténébreux se recula et s'inclina.
- Je me nomme Rumplestiltskin. Le Ténébreux. Je vous cherchais, Dévoreur.
- Rumplestiltskin… Comme… Le conte des frères Grimm ?
Ce n'était peut-être pas la meilleure chose à dire mais c'était la première chose à laquelle l'alchimiste pensa.
Le mage noir releva la tête et de remit droit avec une sorte de grimace.
- Comptez donc le nombre de personnages évoqués dans des contes qui sont présents autour de nous. Dois-je vous rappeler qu'au milieu des bambous se trouve une princesse de conte japonais et qu'un vampire anglais a transporté tout son manoir ici ? Je doute de faire tâche en me présentant comme "Rumplestiltskin".
Il avait bougé les doigts en parlant, mimant au passage le déplacement dudit manoir. Il finit en écartant les mains.
- Ce n'est pas… Ce que je voulais dire…
Il ne pouvait pas l'expliquer mais Malbas était pris d'un mauvais pressentiment. Cela n'échappa visiblement pas à son interlocuteur qui se pencha vers lui, mains jointes.
- Je vous sens anxieux ! lâcha-t-il de sa voix haut-perchée.
- … Un peu… Vous aussi… Vous voulez ma tête ?
Le Ténébreux gloussa et rejeta la proposition d'un revers de main.
- Tous ces efforts pour ça ? Bien sûr que non ! J'ai utilisé cette dragonne égarée pour vous retrouver… Car j'ai également fait un petit marché avec une certaine doctoresse désirant vous rencontrer. Croyez-moi, elle n'est pas du genre à taper puis parler ensuite.
- Une doctoresse ?
- Eirin Yagokoro. Vous devriez vous entendre. Malheureusement, elle manquait de temps pour vous chercher elle-même. J'ai toujours trouvé les médecins aussi toqués que leurs patients !
Rumplestiltskin gloussa, fier de sa boutade.
- Vous allez me mener à elle ?
- Une erreur de calendrier fait qu'elle est occupée, actuellement. Une histoire de tétanos qui a mal tourné. Sale affaire, la Faucheuse locale va avoir un peu de travail sous peu. Mais si vous désirez voir votre potentielle alliée, il vous suffit de vous rendre à l'Eientei. Un immense manoir de bois, dans la Forêt de Bambous des Egarés. Présentez-vous, déclinez votre identité et vous aurez enfin quelqu'un ne songeant pas à vous étriper !
C'était alléchant. Très alléchant. Mais… Quelle preuve avait-il que ce n'était pas un piège ?
- Cela me semble… Trop beau…
- Rien n'est jamais trop beau !
Rumplestiltskin leva son index gauche.
- Pour toute chose reçue…
Il leva le droit et augmenta la hauteur de sa voix.
- Il y a un prix à payer !
Il désigna ensuite son interlocuteur.
- Voir Mademoiselle Yagokoro tout de suite serait tout à fait inutile. Vous devez d'abord aller à un petit endroit pour y obtenir une petite aide complémentaire.
- C’est-à-dire ?
Effectivement, il fallait que les choses se compliquent.
- Allez à Voile. Et cherchez-y un grimoire. Le Jardin Secret de la Lune Noire. Ce n'est qu'en commençant ainsi que vous avancerez.
Malbas déglutit.

Ses recherches à Voile n'avaient jamais rien donné… Mais il ne savait pas quoi y chercher. Il avait enfin une piste… Et quelqu'un qui l'attendait.
- Pour cela… Je suppose que vous désirez quelque-chose ? L'Echange Equivalent… Je connais ce principe.
- Bien entendu. Mais rassurez-vous, mes exigences sont modestes !
Le Ténébreux avait mimé le "petit" avec ses doigts. Il pivota ensuite sur lui-même.
- Malbas Elric, car je connais votre nom… J'ai besoin de savoir. Qui est l'imbécile heureux ayant fait le Pacte qui vous a donné naissance ? Quel est son nom ?
- Comment connaissez-vous tout ça ?
Là, le Dévoreur n'en revenait pas. Rumplestiltskin agita sa main droite, comme s'il ne s'agissait que d'un insignifiant détail.
- Je sais cela de votre géniteur. Le Diable. Satan. Nous avons aussi passé un marché et il est encore trop tôt pour en parler. Mais le nom du bénéficiaire de ce Pacte… Il n'a pas voulu me le dire. Alors je m'en remets à vous. Voilà votre prix.
Cela faisait beaucoup d'information à assimiler. Ce type était vraiment très étrange. Etrange, sorti de nulle part… Mais son rôle était clairement important. Pour le moment, Malbas ne pouvait en savoir plus.
Mais il n'allait pas oublier cette rencontre de sitôt. Ni ce marché qu'il allait respecter sans discuter.
Quel étrange prix, tout de même. Il avait l'impression de ne rien payer du tout, pour au final gagner énormément. Du moins en théorie.
La voix désincarnée de Nue lui soufflait que cela n'allait pas être si facile que ça.

Dans les profondeurs de la terre, l'ambiance était plus posée, mais toute aussi propice aux palabres. Yuugi terminait de servir du thé à ses invités, Réo et Doku. Ils étaient autour d'une table ronde, dans un salon aussi modeste que classique. Une lampe à huile éclairait les lieux.
La yôkai serpent s'était réveillée quelques temps auparavant et avait littéralement squatté les bras de l'Envieux sans aucune retenue. Elle avait même pleuré, ce qui laissait encore le polymorphe songeur.
Il s'était retrouvé bien désarmé, sur ce coup.
(- Tu l'aurais vue, elle était toute paniquée. Elle s'est accrochée à toi, Envieux. Ne la laisse pas tomber).
La voix de Pride avait perdu l'air suffisant qu'elle avait lorsque le changeur de forme s'était réveillé. Il avait parlé d'un ton neutre… Presque sage.
L'Envieux ne pouvait que donner raison au Seigneur des Ombres. Pourtant, lui-même avait encore du mal à réaliser que cette jeune demoiselle était aussi attachée à lui. L'explication du coup de foudre lui paraissait bancale et, il fallait dire, le gênait.
(- Imbécile. Une fille qui craque sur toi, ça te gêne ? Me fais pas rire. C'est bien pour ça que t'es un Envieux, non ?  Oh, cela te paraît bizarre ? Il n'y a pas de logique à ce genre de choses.).
La parole de Yuugi ôta à Réo l'occasion de répondre et ce n'était pas pour le déranger.
- Comment te sens-tu, Réo ?
- Mh… Euh… Bien, je suppose. C'est presque comme si rien ne s'était passé.
- C'est rassurant. Je craignais que tu gardes des séquelles, énonça l'oni.
Doku but un peu de son thé.
- Pourquoi avez-vous mis quatre tasses ? s'enquit-elle.
Réo suivit son regard et, effectivement, une quatrième convive était visiblement attendue. Yuugi n'eut pas le temps de répondre que Doku poussa un cri de surprise. Elle regardait la fenêtre, plus à droite. L'Envieux fit de même et se crispa.

Il n'avait pas vraiment prévu de voir Yamame, la tête en bas, se balançant de droite à gauche. Elle était hilare en voyant la tête des autres. Yuugi restait de marbre, pour sa part et alla tranquillement ouvrir la fenêtre.
L'Araignée Souterraine se mit ensuite droite, puis mima un garde-à-vous.
- Yamame de retour des fouilles, au rapport ! s'exclama-t-elle.
- As-tu retrouvé cette Yoru ? s'enquit calmement la maîtresse des lieux.
Retouchant le sol, Yamame hocha négativement la tête.
- Négatif ! Plus aucune trace d'elle ! Pourtant, on a cherché ! Kisume est toute fatiguée, du coup.
- Elle n'a quand même pas pu s'évaporer comme ça ? Pride est certain de l'avoir bien amochée.
L'Orgueil confirma mentalement. Il était déçu.
- Il n'y a aucune trace de sang, odeur, ou n'importe quoi d'autres à suivre. Elle s'est tout bonnement volatilisée. On a cherché aux alentours mais rien, énonça Yamame.
- Vous pensez… Qu'elle pourrait revenir ? s'enquit une Doku peu rassurée.
- Possible… Mais pas avant un moment. Quelles qu'aient été ses intentions, elle a été découverte. Elle va sans doute se terrer et attendre un moment… Si elle réapparaît.
Comme toujours, Yuugi avait parlé de manière réfléchie et posée. Difficile de croire qu'elle était une si grande amie de Suika !
Pride émit l'hypothèse qu'elle se déridait sans doute en d'autres circonstances. Elle savait simplement faire la part des choses.

- L'affaire est donc résolue ? s'enquit Doku.
- Il semblerait que nous soyons tranquilles, ajouta Réo.
Yamame but son thé presque d'une seule traite.
- Oui !
Elle désigna ensuite Réo.
- Et on doit toujours se castagner ! Je veux voir ce que tu sais faire !
Elle avait parlé tout en mimant des coups de poings, ce qui eut le mérite de faire rire Doku.
- Pas trop tout de même, glissa le serpent.
Yamame lui renvoya un sourire radieux.
- Juste ce qu'il faut pour lui faire avaler ses dents et qu'il comprenne que je suis plus forte que lui !
- Dans quelle galère je me suis encore fourré… marmonna le pauvre polymorphe.
- J'ai également entendu dire que tu t'étais entraîné avec Meiling. Il faudra que tu me montres ça, annonça Yuugi sur un petit sourire.
Là, Réo le sentait mal.
- C'est vrai que tu veux aussi me donner quelques leçons…
Il avait déjà mal pour lui-même.
- Oui. J'ai hâte de voir tes progrès. Autant dire que tu vas devoir rester un peu. Du moins si tu es d'accord…
Elle leva un peu la tête.
- Et que Pride l'est aussi.
(- Oh, une qui se souvient de moi. Je suis flatté.), ironisa l'intéressé.
- Ah, euh… Ça me va. Quelques jours, tout du moins. Il faut que je parle de tout ça au gens du Manoir du Démon Ecarlate, ensuite. Les connaissant, je vais être retenu un moment, mais j'ai l'habitude !

(♪) A peine eut-il prononcé ces mots qu'il tressaillit. Un profond malaise avait pris son esprit. Il avait l'impression d'être seul au milieu du noir… Et malgré ces ténèbres, une ombre s'étendait lentement vers lui. Une ombre effrayante, oppressante, garnie de sourires sans joie et d'yeux menaçants, braqués sur lui.
- Oh. Ça te va ? Tu as l'habitude ? Donc tout va bien, je suppose.
La voix de Pride résonnait tout autour de l'Envieux, avec ce petit écho métallique la rendant si identifiable.
Réo avait conscience que rien de ceci n'était vrai. Une nouvelle fois, Pride provoquait cette hallucination. Sauf que cette fois, elle lui semblait plus réelle que jamais.
- Pride, qu'est-ce que tu fais ? demanda le polymorphe devenu nerveux, à juste titre.
- Ce que je fais ? Ce que JE fais ?!
L'éclat de voix fut suivi d'un lourd silence. Une mâchoire d'ombre se leva à la droite de l'Envieux.
- La vraie question est : "Que fais-tu, toi ?".
Réo déglutit, mal à l'aise.
- Pride… Où veux-tu…
Il se tut lorsqu'une mâchoire d'ombre manqua de le décapiter. Il pouvait presque sentir les dents frôler sa peau…
Etait-ce vraiment si irréel que ça ?
- Nous avons déjà eu cette conversation. Ton égoïsme, tout ça. Apparemment, je n'ai pas été assez clair… Laisse-moi y remédier.
Plus loin, devant, Jealousy pouvait jurer voir Pride, sous forme humaine, approcher. Mais la voix qui parlait, à présent, continuait de résonner tout autour de lui. Les ombres avaient disparues.
- Dis-moi. Comment te sentirais-tu si tu ne pouvais que regarder ? Si tu étais condamné à rester enfermer dans ton propre corps ? Si tu ne pouvais sortir qu'avec autorisation, comme un chien qui, une fois dehors, est trimballé en laisse ?
- Mais…
Le Seigneur des Ombre ne lui laissa pas le temps de continuer. Sa voix reprit.
- Je sais ! Tu vas geindre en arguant que c'est ton corps. C'est vrai. Mais je tiens à te rappeler quelque-chose. C'est de TA faute si je suis là. C'est à cause de TOI et de TOI SEUL que j'existe !
Avec violence, Pride posa ses mains sur les bras de l'Envieux, eux-mêmes sur les accoudoirs de la chaise qu'il occupait. La tête de l'Orgueil était basse.
Lorsqu'il se remit à parler, sans même laisser le temps à sa proie de tenter quoi que ce soit, ce fut sa voix humaine qui fut audible.
Une voix qui avait perdu de sa force.
- J'en ai marre. Tu m'entends ? J'en ai assez de cette demi-vie ! Plus qu'assez ! Tu m'as un jour demandé si je t'en voulais ? Oui ! Oui je t'en veux ! Et tu n'imagines même pas à quel point !
Pride avait relevé sa tête, à présent ses yeux étaient plongés dans ceux de Réo.
- Tu m'as foutu dans cette situation ! Et tu continues à me traiter comme un chien alors que tu me dois la vie ! LA VIE ! J'aurais pu me barrer je ne sais combien de fois, rien qu'hier et te laisser végéter ! Je m'en contrefous de la Pierre Philosophale ! Je me contrefous même de Lucifuge et sa clique !
Il finit par attraper Réo par le col, pour l'attirer à lui.
- Je veux vivre ma vie. Je veux être libre. Avoir ma propre vie, mes propres amis, ma propre famille, ma propre histoire !
Ses lèvres s'étirèrent en un rictus quasi douloureux.
- Toi… Tu as tout ça. Et même plus. Tu as tout. Et ce qu'il te manque à présent, tu l'auras sans doute dans peu de temps. Tout est à la portée de ta main. Tu crois encore que tu as à envier ? Que tu peux encore faire ton pauvre petit malheureux ? Sois bien conscient d'une chose. En cet instant… C'est moi qui t'envies. Tu n'imagines pas ce que je donnerais pour pouvoir être à ta place.
Il finit par lâcher Réo. Celui-ci avait le cœur serré et restait crispé. Pride en profita pour porter un dernier assaut verbal.
- Jusqu'ici, il n'y a qu'une personne qui compte vraiment pour moi. Une seule. C'est peu. Presque ridicule. C'est vraiment trop demander de pouvoir la voir plus d'une fois par mois ?

La vision se dissipa, alors que la main de Yamame passait devant les yeux de Réo.
-Youhou, il y a quelqu'un là-dedans ? Ici sous terre !
Le polymorphe inspira tout en ayant un soubresaut.
- Bah enfin ! T'étais en transe ou quoi ?
L'araignée était perplexe, tout comme les autres convives. Mettant sa main droite au niveau de son cœur affolé, Réo les regarda tout à tour.
- Alors ? Que se passe-t-il ? s'enquit Yuugi, curieuse.
Réo terminait de reprendre sa respiration, sous le regard inquiet de Doku.
- Je ne suis… Qu'un sombre crétin. Et Pride m'a remis les idées en place, énonça l'Envieux d'une voix blanche.
Yuugi acquiesça.
- C'est ce qu'il me semblait. Parfois, c'est quelque-chose de nécessaire, même si on doit entendre des choses qui dérangent. Il faut savoir changer ce qui doit l'être, sans pour autant changer ce que nous sommes.
- Je crois… Que je viens de comprendre. Avec beaucoup trop de retard.
Larguées, Yamame et Doku suivaient sans parvenir à raccrocher les wagons. On pouvait sans peine imaginer les points d'interrogations dans leurs esprits et les regards qu'elles se lançaient.
- Si tu peux changer ce qui doit l'être, alors il n'est pas trop tard. La question est : as-tu la volonté de le faire ?
Il ne fallut pas longtemps à Réo pour donner sa réponse.
- Oui. C'est mon devoir de le faire. Ou je continuerai à ne semer que le malheur sur mon passage. Et puis… J'ai une dette énorme sur les épaules. Il serait temps que je commence à la payer…
Yuugi but un peu de son thé et sourit, visiblement satisfaite.
- Alors, combien de temps allez-vous rester, finalement ?
Pride resta muet, mais Réo avait conscience de sa présence. Il écoutait, plus attentivement que jamais.
- Nous repartons demain, annonça-t-il doucement.
Même s'il ne l'aurait sans doute jamais avoué, Pride s'autorisa un sourire.

Yamame, elle, fut beaucoup moins mesurée. Elle frappa la table de ses mains.
- Olalaaaa, ça fait court ! On manque de temps !
Elle semblait presque catastrophée.
- Tu peux bien attendre un peu, lui rétorqua Doku.
- Non ! J'attends depuis la dernière fois, déjà ! J'ai même parié avec Parsee !
- Tu as parié que tu me vaincrais ? s'enquit le polymorphe en haussant un sourcil.
- Ouais. Parsee a dit le contraire.
Réo ne put s'empêcher de trouver cela étonnant.
- Voilà qui devrais te motiver d'autant plus, ajouta Yuugi.
- Possible…
- Réo va gagner ! s'exclama Doku.
- Merci pour le soutien, soupira Yamame.
- Désolée ! ricana la yôkai serpent.
L'Envieux ne put s'empêcher de remarquer qu'elles semblaient bien s'entendre. Cela changeait d'avec… A peu près tout le monde. Cela lui faisait plaisir.
D'autant que ça le rassurait. Car si les contacts de Doku se limitaient à lui, il y avait un véritable problème. Pride avait bien raison…
Si Doku restait accrochée à lui et uniquement à lui, il allait avoir une pile de problèmes.

(♪) Pride…
Il faisait le mort depuis son coup de gueule, mais il était là. Là depuis des mois, à présent. C'était presque dingue de voir à quel point il avait évolué. D'un ennemi, une ombre prédatrice qui menaçait son existence… Il était devenu un allié précieux. Non, plus que ça.
Un ami.
Et lui était resté aveugle à tout cela. A croire qu'il avait des œillères. Il avait pourtant vu le comportement de Pride avec Youmu. Le même Pride qui avait déjà fait part à de son ras-le-bol, qui n'arrêtait pas de râler depuis des semaines.
Et pourtant, lui, Réo, n'avait fait que l'ignorer. Sans cesse.
Pour quelle raison ?
Il avait beau tourner la question dans tous les sens, c'était inexplicable. Il n'était quand même pas si abruti !
Il se repassa alors le discours de Pride… Et compris. Ce n'était pas qu'il n'avait rien vu. Il avait refusé de voir. D'accepter le changement de Pride. D'accepter qu'il devienne indépendant.
Le "pourquoi" fut aisé à deviner. Il avait peur. Non pas que Pride prenne possession de son corps pour toujours. Mais qu'il l'abandonne.
Il avait peur d'être seul. Avec Pride, il avait toujours un soutien, une compagnie, quoi qu'il se passe. S'il disparaissait…
Oui. C'était ça.
Il avait peur de la solitude. Et à cause de ça… Il l'imposait à Pride. Comme un amant jaloux qui enfermait son amour dans une cage pour qu'il n'aille voir personne d'autres. C'était risible. Ridicule. Réo avait beau savoir qu'il était un Envieux… Il ne se rendait compte que maintenant de ce qu'il faisait.
Pride avait raison. Il était égoïste. Il n'avait pensé qu'à lui, même inconsciemment. Aveugle à tout ce qui l'entourait et à tous ceux qui l'entouraient.
Le constat était accablant. Désespérant, même. Il sentait un poids au niveau de son cœur… Mais n'allait pas se donner le luxe de se lamenter. Il était grand temps d'accorder à l'Orgueil sa liberté si durement gagnée.
Mais il n'allait pas s'arrêter de vivre pour autant !
L'un ne devait pas supplanter l'autre. Ils devaient tout simplement trouver un équilibre. Mais du coup, une question se posait.
Si Pride était devenu si indépendant, Réo et lui pouvaient-ils vraiment être séparés ?
C'était une question à laquelle il allait devenir nécessaire de répondre. La pile de choses à faire ne cessait d'augmenter…

(♪) - Qu'est-ce que tu ferais sans moi ? Regarde, elle ne soupçonne rien du tout cette gourde !
Nue ne put s'empêcher de ricaner, alors qu'une servante passait près du Dévoreur sans faire attention. Il venait une nouvelle fois d'utiliser le pouvoir de la yôkai au trident pour changer son apparence, telle une illusion. Pour tout le monde, il était également une domestique. Il avait également utilisé cela pour passer la surveillance de Meiling, qu'il espérait pourtant ne pas voir vu qu'il était midi. N'abandonnait-elle donc jamais son poste ?
- Sais pas, je viens jamais ici. Mais je crois que ça va changer. On peut bien se marrer dans l'coin !
Elle était presque enjouée. Sans doute grâce aux paroles de Rumplestiltskin. Malbas avait encore du mal à assimiler ce qui était arrivé la veille.
Qui donc était ce type ? D'où connaissait-il le Diable en personne ? Et filait-il de l'or avec de la paille en échange d'un premier-né ?
Malbas ne pouvait pas le savoir et progressait ainsi vers Voile. Une chance qu'il avait un bon sens de l'orientation ainsi qu'une bonne mémoire. Malheureusement, il ne pouvait pas maintenir l'illusion pendant trop longtemps. D'autant plus qu'il avait quand même relativement faim.
Il fut ainsi obligé de reprendre son apparence habituelle une fois arrivé dans la bibliothèque souterraine et surnaturellement étendue.
- J'aurais pas la patience de lire tout ça ! Ni de lire un seul de ces bouquins, d'ailleurs, s'exclama la yôkai à priori décédée.
- C'est mon travail, ça.
Le Dévoreur était satisfait de cette compagnie pour le moins ironique. Nue restait la seule à lui parler. Murasa n'avait à aucun moment signalé sa présence. Il n'espérait rien, de toute façon.

Quoi qu'il en soit, l'alchimiste notoire était dans la fosse aux lions. Il devait bien admettre que chercher un seul livre dans tout ceci allait s'avérer compliqué. Et il n'avait pas le luxe de pouvoir abuser de la capacité de Nue pour tromper les gens.
C'était risqué, mais il n'avait pas trop le choix. Ce n'était pas comme s'il avait quelqu'un pour l'aider !
- L'autre pouvait pas te le filer direct, plutôt que t'envoyer là en mode "Coucou, j'ai failli vous tuer mais je viens emprunter un livre ! Voilà, voilà !" ?
Elle n'avait pas tort. Mais Malbas se disait qu'il devait bien y avoir une raison, aussi incongrue et tordue soit-elle. Ce n'était de toute façon pas la priorité, il devait déjà trouver ce fameux grimoire.
Il avait déjà bien de la chance, il n'y avait pas grand monde, dans cet endroit. Quasiment personne, en fait. Cela donnait une ambiance parfaite pour lire. Mais tout lire ? Vu le nombre affolant d'ouvrages, le Dévoreur en avait pour des années ! Ce qui ne le dérangerait qu'à moitié, il fallait dire.
Tant de connaissances au même endroit, son esprit était piqué au vif ! Lui adorait savoir, connaître, comprendre, Voile était pour lui la caverne d'Ali-Baba ou le Monde des Merveilles. L'ennui était, bien entendu, qu'il n'était sans doute pas le bienvenu.
Sachant que si les choses dégénéraient, il ne pouvait pas s'enfuir facilement.

(♪) Perdu dans cette forêt de livres et d'étagères, Malbas n'allait pas voir le temps passer. Il cherchait seulement les grimoires du regard, éliminant le reste, mais il faisait chou blanc.
- Je peux vous aider ? Attendez… Nous connaissons-nous ?
- Evidemment, murmura le Dévoreur à lui-même en se tournant vers la voix, féminine, qui l'avait hélé.
Ce fut Koakuma, qu'il découvrit. Elle tenait un livre à la couverture rouge, en main.
- Je ne crois pas…
Il vit la démone se raidir. Elle l'avait reconnu. Elle savait à quoi il ressemblait. Il se souvint d'ailleurs l'avoir déjà aperçue, lors d'une précédente visite. Il avait alors battu en retraite mais, à présent, c'était impossible !
Il devait agir vite, ou il allait se retrouver dans les ennuis jusqu'au cou. Il ne fallait pas qu'elle donne l'alerte ! Elle se crispait, prête à crier…
Vif comme l'éclair, Malbas attrapa un gant blanc dans son manteau et l'enfila. Il activa ensuite le cercle de transmutation étant dessus, d'un claquement de doigts, alors que Koakuma se préparait à hurler.
La densité de l'oxygène autour de la démone se mit à grimper. Cela ne provoqua non pas une explosion… Mais elle fut prise de vertiges. Sonnée, elle s'écroula, du moins elle allait le faire mais le Dévoreur eut la décence de la rattraper.
- Et maintenant ? Tu fais quoi ?
Nue avait soulevé une bonne question. Malbas pouvait bien abandonner la démone ici et fuir… Mais quelque-chose lui disait que c'était une mauvaise idée.
Sauf que celle qui venait ensuite n'était guère plus saine.
Mais avait-il le choix ?
S'il devait prendre des risques, c'était maintenant.

Le Dévoreur embarqua ainsi l'assistante bibliothécaire et entreprit de s'éloigner de là. C'était sans doute parfaitement inutile, d'ailleurs, puisqu'il n'y avait pas de chemin principal. Mais ce devait avoir un impact psychologique, à moins qu'il ne fasse que se rapprocher de la sortie.
Voile était toujours aussi calme. A croire qu'il n'y avait que Malbas et Koakuma dedans. Cette dernière allait rapidement reprendre ses esprits. Elle était adossée à une étagère, trop grande pour en discerner les volumes les plus hauts. Au réveil, les ailettes surmontant sa tête s'agitèrent. Son visage se para d'une moue contrariée, qui n'était toutefois pas vilaine.
Lorsque ses yeux tombèrent sur Malbas, lequel était accroupi en face d'elle et visiblement gêné, elle manqua de pousser un cri. Cette fois, ce fut la main de l'alchimiste sur sa bouche qui l'en empêcha.
- Chuuuut ! N'aie pas peur ! Je ne te veux aucun mal ! chuchota-t-il assez fort, ce qui était paradoxal.
Bien évidemment, la démone ne le crut pas. Elle s'agita en tentant de hurler, ce qui fut aussi ridicule qu'inutile.
- Arrêtez ! S'il vous plait ! J'ai besoin de votre aide !
- Tu es si crédible…
Nue n'aidait pas. Pour autant, Koakuma finit par se calmer, en se disant qu'elle n'avait pas trop le choix. A moins que ce ne soit autre-chose. Elle avait plissé les yeux, montrant une certaine perplexité. Malbas finit par retirer sa main, doucement.
Koakuma le fixait, toujours adossée à l'étagère.
- Besoin de mon aide ? releva-t-elle avec suspicion et surprise.
Au moins, il avait son attention. Malbas en soupira presque de soulagement.
- Ecoutez… On ne se connaît pas… Mais j'ai vraiment besoin d'aide. Je suis Malbas Elric. Le Dévoreur. Mais je ne veux pas tuer. Je ne veux pas être l'esclave de ma faim.
- Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda la démone sans manifester quoi que ce soit de particulier.
- Rumplestiltskin, un type étrange… M'a dit de venir ici car on pourrait m'aider. Il m'a dit de chercher un livre, le Jardin Secret de la Lune Noire.
Koakuma fit la moue, alors que ses ailettes se recourbaient sur elles-mêmes.
- Je comprends…
Malbas la regarda avec des yeux ronds.
- Vous… Vous me croyez ?
L'assistante prit le temps de réfléchir.
- Je pense que vous devez être sacrément culotté pour venir ici. Il ne peut s'agir que d'orgueil ou de désespoir. Je suis plutôt douée pour savoir quand on me ment, énonça-t-elle doucement.
Elle avait terminé sa phrase en sondant le Dévoreur du regard, guettant sa réaction. Difficile de dire ce qu'elle parvint à discerner, mais elle ne s'alarma pas. Plus encore, l'absence de réaction de Malbas, ou tout du moins de réaction marquée, lui fit arborer un léger rictus de satisfaction.
Elle pour qui il ne se passait jamais rien, elle venait de tomber sur le gros lot. Ses ailettes s'agitèrent, comme pour montrer son excitation. Avant de s'écarter quand la voix de Patchouli se fit entendre. Elle l'avait magiquement augmentée pour couvrir une longue distance, autrement, même en étant proche on peinait parfois à discerner le son de sa voix.
- Koakuma ! Où es le livre que je t'ai demandé ? Il y a un rat dans la bibliothèque ?
Un rat. Elle appelait les intrus de cette manière. Depuis l'incident de la Brume Ecarlate, il n'y en avait pas beaucoup, si on exceptait Marisa, intruse chronique dont la présence était à présent tolérée.
Faute de mieux.

Cette fois, le visage de Malbas se crispa. Il imaginait sans peine que la personne ayant parlé allait se diriger vers eux, et le trouver. A vrai dire, son esprit tournait presque à vide.
Voyant cela, Koakuma… Lui attrapa une main, et le tira derrière elle, alors qu'elle commençait à courir.
Perdu, Malbas ne put que la suivre. Il ne comprenait pas trop ce qu'il se passait et Nue n'était pas plus avancée. La petite démone lui fit passer la porte de Voile et lui fit faire un virage à droite.
Le sous-sol était peu accueillant, sombre et semblable à un labyrinthe construit pour cacher un monstre. Ce qui était parfaitement le cas. Les portes étaient identiques et ne pas se perdre pour un non-initié était impossible. Mais Koakuma savait exactement où elle allait et ce n'était pas éloigné.
Elle ouvrit en grand une porte et la franchit, forçant Malbas à faire de même. Sans même lui expliquer quoi que ce soit, elle se baissa et commença à tracer un étrange symbole sur la porte.
Largué comme jamais, Malbas observa les alentours. Il s'agissait ni plus ni moins d'une chambre. Un lit double, une armoire, seule l'absence de fenêtre la différenciait d celles qu'on trouvait ailleurs dans le manoir. Ou presque. Il y avait plus de choses ici, comme ces étagères garnies de livres variés ou ce bureau caché par des feuilles volantes. Ainsi que quelques peluches, dont un gros ourson brun.

Avec un soupir de satisfaction, Koakuma finit par se redresser. Sur la porte, un étrange œil barré d'un éclair et entouré de trois runes indéchiffrables brillait de rouge.
- C'est une rune d'occultation. Quoi qu'on change ici, personne ne le verra ou le sentira. Pas même Sakuya lorsqu'elle viendra faire les poussières.
La petite démone semblait fière d'elle. Enfin, son enthousiasme retomba lorsqu'elle dû préciser un détail.
- Enfin, miss Patchouli ne sera pas dupe… Mais il faudrait qu'elle soit attentive. Mais du reste… Tu ne risques rien, ici. Ah. Et en fait, c'est ma chambre…
- Elle a pas trouvé mieux ? s'indigna presque Nue dans la tête de l'alchimiste.
Le regard lourd de sens de Malbas fit rougir l'assistante. En conséquence, ses ailettes s'agitèrent un peu.
- Les servantes occupent les autres chambres ! Et on ne peut pas les virer, elles sont incapables de tenir un secret. Quant à une chambre plus éloignée…
Son débit, rapide, de justifications fut coupé par un geste de Malbas, lequel hésitait quant à la conduite à adopter. Mais en voyant la pile électrique démoniaque qui lui faisait face s'interrompre et joindre les mains devant elle, il se permit de sourire.
Elle avait l'air aussi perdue que lui. Elle avait agi à l'instinct, sans vraiment réfléchir.
Et elle était toute mignonne en fait, surtout avec ses mimiques…
- Merci, fit-il simplement, mais tout aussi sincèrement.
Koakuma s'inclina.
- Merci à toi de me faire confiance. Habituellement, personne ne me demande quoi que ce soit. Ce doit être la première fois… Qu'on me demande de l'aide. Et je crois que tu en as bien besoin.
Le tutoiement était venu naturellement. Malbas ne comptait pas s'en plaindre.
- Je suis là pour ça…
L'assistante de Patchouli se mit brièvement sur la pointe des pieds.
- Alors… De quoi as-tu besoin ?
- Le livre que j'ai évoqué…
- Ah, oui. Miss Patchouli l'a depuis des lustres. Je vais essayer de te l'apporter, ainsi que ce que je pourrais trouver sur les… Dévoreurs. A présent… Je file ! Sinon ça va devenir suspect. La porte à gauche mène à une petite salle de bains. Ne sort surtout pas, j'essaie de faire vite !

Elle ouvrit aussitôt la porte et ressortit, presque en catimini. Agissait-elle toujours ainsi ? Malbas l'ignorait. Il s'assit sur le lit, l'air un peu ailleurs.
Il n'avait pas vraiment prévu que les choses tourneraient ainsi, mais cela semblait tout de même bien parti. Tout ça pour un bouquin…
- Ce livre doit vraiment être important, pour autant galérer à l'obtenir, commenta Malbas à haute voix.
- Tu noteras…
Nue donnait l'illusion d'être apparue sur le bureau, assise et ayant les bras croisés et la tête basse. Elle la releva pour finir sa phrase.
- Que Rumplestiltskin t'a dit que tu aurais de l'aide en cherchant ce livre. Jamais en le trouvant.

- C'est… C'est vraiment sans espoir ?
Marisa grimaçait. Elle se trouvait dans un couloir de l'Eientei. Eirin lui faisait face, l'air grave. A leur droite, une chambre était fermée.
- Malheureusement, oui. Il n'y rien que l'on puisse faire. L'infection s'est répandue partout dans son corps. Nous ne pouvons que soulager sa douleur… Et encore. Il n'en a plus que pour quelques jours. Même si nous avions la fleur maintenant, cela ne changerait plus rien.
- Mais vous avez vraiment rien ? Z'êtes une Lunarienne ! Eirin Yagokoro, quoi, merde !
La doctoresse de légende resta de marbre face à la colère de la magicienne ordinaire. Elle avait l'habitude, malheureusement. La situation n'était pas subite, cela faisait un moment que cela trainait. Mais à présent ils y étaient. L'échéance funeste était arrivée à son terme.
- Vous… Vous l'avez dit à Reimu ? s'enquit Marisa d'une voix blanche.
- Oui, il y a quelques heures, déjà.
- Elle doit s'en vouloir à mort… Putain ! Doit y avoir un truc à faire… Un truc magique, n'importe quoi.
- Il vous faudrait un miracle. Mais même mademoiselle Kochiya ne vous serait d'aucun secours dans le cas présent.
- Un miracle… Ça s'est bien déjà produit…
La lunarienne opina.
- Oui. Votre naissance en était un. Mais je ne peux rien vous en dire.
- Hein ? De quoi vous parlez ?
- Secret médical.
- Il m'emmerde votre secret médical ! s'écria la magicienne.
Mais diriger sa colère contre Eirin était inutile. Elle le savait. D'un pas rageur, elle se retourna pour quitter le couloir puis l'Eientei.
Sa naissance ? Un miracle ? Elle ne voyait pas en quoi. Mais son père, lui, devait savoir. Et elle comptait bien le secouer pour qu'il lui dise tout ce qu'il savait.
Absolument tout.

(♪) Malbas, lui, avait le nez fourré dans ses livres. Koakuma n'avait pas ramené celui qu'il avait demandé, mais avait mis la main sur d'autres ouvrages potentiellement intéressants. Une pile s'était déjà formée au pied du lit et le Dévoreur s'attelait à éplucher chaque exemplaire.
La porte s'ouvrit une nouvelle fois sur Koakuma. Elle ne tenait toutefois pas un livre mais un plateau d'argent, sur lequel se trouvait le dîner.
- A table ! fit-elle joyeusement.
Malbas la regarda et prit un air désolé.
- C'est inutile. Je peux manger la nourriture normale, mais cela ne me nourrit pas. A peine cela camoufle-t-il la faim…
Cela n'empêcha pas la démone d'approcher. Elle gonfla ses joues, agitant ses ailettes au passage.
- J'ai failli me faire choper à piquer ça ! Tu ne vas pas me dire que c'était pour rien !
Elle posa le plateau sur le lit. Son air déçu était… Craquant.
- Après tout… Je peux bien m'accorder une pause, lâcha finalement le Dévoreur en posant son livre.
- J'aime mieux ça ! Ma chambre, mon aide, mes règles ! Maintenant, avale !
Malbas eut à peine le temps de tourner la tête qu'une cuillère de riz s'introduisait dans sa bouche, avec une douceur toute relative.
Il eut toutes les peines du monde à ne rien recracher et obéit, sous le regard victorieux de la démonette. Elle venait de faire plier le Dévoreur qui causait tant de soucis.
Fière d'elle, elle s'assit à sa gauche, le laissant manger normalement.
- Alors, ça avance ? s'enquit-elle.
- Non. Pas du tout. Je crois qu'il me faut vraiment ce grimoire…
- Miss Patchouli l'a caché je ne sais où. Et lui demander comme ça, d'un coup, serait définitivement suspect. Mais ça viendra !
- Je l'espère. C'est très bon, en tout cas.
Koakuma ricana.
- C'est Sakuya qui cuisine. Elle est très douée. Mais si tu la croises, c'est toi qui finira en tranches, sois en certain. Ton attaque a marqué les esprits.
Malbas déglutit.
- Je ne m'en souviens qu'à peine… Je sais juste que j'étais… Sous une forme animale et affamée. Je ne contrôlais plus rien. C'est là que j'ai fini par tuer Nue, ce qui m'a fait redevenir normal. Je crois… Que c'est là que j'ai réalisé ce que j'étais. Un monstre.
- Tu as peur que cela recommence ?
Le Dévoreur opina, tristement.
- Si ça peut te rassurer… Lorsque tu as attaqué, j'ai senti quelque-chose. Comme une présence… Démoniaque, alors que tu étais là. Je sais que c'était en même temps, tu n'étais pas très discret. Mais… Là… Je ne sens rien du tout. Peut-être que quelque-chose a changé, en toi, finalement.
- Je ne sais pas. J'ai tué Murasa, mais je n'étais pas sous forme sauvage. J'étais comme tu me vois, affamé. J'ai encore faim, Koakuma. Je pourrais perdre le contrôle…
Il fut coupé lorsque la démonette lui attrapa un bras.
- Commence par avoir confiance en toi. Si tu veux contrôler ton pouvoir, c'est la première étape. Tu dois croire que tu le peux. Ne pas en douter. Miss Patchouli disait ça à Réo et ça a plutôt bien marché. Tu dois pouvoir faire la même chose. Moi, j'ai confiance en toi, Malbas. Tu ne dois pas avoir fait tout ce chemin pour rien.
- Koakuma… Tu ne devrais pas…
Elle lui prit la main. Il sursauta aussitôt. Les dernières fois qu'il avait touché la peau de quelqu'un, il l'avait dévoré. Et là, il sentait cette envie. Irrésistible.
- Lâche-moi, Koakuma ! Je…
Elle approcha sa tête de la sienne, le regardant droit dans les yeux… Et en resserrant sa prise.
- Tu ne le feras pas.
La bouche circulaire s'ouvrait.
- Je ne veux pas…
- Tu es le seul à pouvoir en décider.
Il avait faim. Si faim. Il pouvait régler ça, maintenant…
- Non… Koakuma…
Elle lui sourit.
- J'ai confiance en toi, Malbas.
Il ne put s'empêcher de crier.

Les heures avaient passées. Il faisait nuit, maintenant. Le manoir était silencieux, même si tout le monde ne dormait pas.
Au sous-sol, Malbas était assis au bord d'un lit. Il regardait sa main gauche ouverte, sans vraiment la voir. Derrière lui, une forme était présente, allongée et immobile.
- Confiance…
Il ferma la main et les yeux.
- Merci, Koakuma…

Il regarda la forme allongée sur le lit. Koakuma était là, sur le côté, sous les draps et couvertures. Il ne savait trop que faire. Que dire. Alors il se coucha, simplement.
A côté de lui, une démone à qui personne ne prêtait attention ouvrit un œil et se mit à sourire.
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Chapitre 32 : Quand le masque tombe

"Quoi que l'on cache au fond de nous, cela a toujours tendance à remonter, un jour ou l'autre. Notre désespoir, nos rêves, nos secrets… Cacher les choses ne sert finalement pas beaucoup. Nous devons être nous-mêmes et l'assumer."
Hata no Kokoro


(♪) - Tu as le droit de pleurer, tu sais…
Il était rare que la voix de Marisa soit dépourvue de force ou de malice. Voir même que tout cela fasse place à une certaine douceur, mêlée à une peine toute aussi grande. Cela témoignait de la gravité des évènements et, en ce jour, on ne pouvait faire pire.
Le temple était sombre, comme le visage de Reimu, assise en face de la magicienne ordinaire. Toute trace de gaieté avait déserté ses traits, pour ne faire place qu'à une détresse infinie. Pour autant, aucune larme ne s'était encore montrée.
On aurait pu croire que la prêtresse gardait ses larmes devant son amie, mais cette dernière la connaissait trop bien. Elle savait pertinemment que Reimu faisait tout pour ne pas lâcher. S'abandonner au chagrin. Que la dernière chose qu'il voie soit son visage baigné de larmes.
Pourquoi cela devait-il finir ainsi ?
Reimu avait perdu ses parents, s'était retrouvée seule avec une tortue est un robot… Et, maintenant qu'elle était amoureuse, elle devait le perdre aussi ?
- Après tout ce que Luke a traversé… Il doit mourir maintenant ?
Reimu avait parlé lentement, sans vraiment s'adresser à Marisa. Celle-ci sentit son cœur se serrer, plus qu'il ne l'était déjà.
- Je… Pense pas que…
Elle se tut. Pour une fois, elle ne savait pas quoi dire. Après tout, elle se posait les mêmes questions. Tout ceci n'avait rien de juste, de logique. Elles savaient depuis longtemps pour la maladie et pensaient être prêtes quand elle emporterait leur ami.
Elles ne l'étaient pas.
Reimu s'était démenée comme une diablesse pour tenter de trouver un remède. Peine perdue. A tel point que toutes avaient oublié ce qu'elle avait cherché, exactement.
De toute manière, le résultat était là. Sans appel.
- Il faut croire que lignée Hakurei est belle et bien maudite, releva la miko avec un certain cynisme.
- Dis pas n'importe quoi. C'est des conneries.
- Il faut se rendre à l'évidence. Ma mère a été assassinée. Mon père a été retrouvé à moitié dévoré par je ne sais quel yôkai. Je n'ai jamais connu mes grands-parents, ni qui que ce soit d'autres de la famille. C'est comme ça. Dès qu'on s'approche trop des Hakurei, on y passe.
- Je te signale que je suis encore là, Reimu. Et ce, depuis un sacré bail.
La sorcière tendit sa main droite, pour atteindre son amie à l'épaule. Doucement, elle l'attira à elle, pour la prendre dans ses bras.
Reimu ne résista pas et se blottit contre Marisa. Elle en avait besoin. Un besoin fou. Elle se sentait sombrer, dans un abîme sans fond de désespoir et de tristesse.
Elle avait fait une promesse, à Luke. Elle n'était plus certaine de pouvoir la tenir. Cette constatation lui fit l'effet d'un électrochoc, ou d'un coup de massue.
Ce n'était plus la peine de résister. Elle pouvait se laisser aller.
Ainsi, les premières larmes commencèrent à couler…

(♪) Autant dire que, dans l'Ancienne Cité, et plus exactement chez Yuugi, l'ambiance était toute autre. Réo reprenait une coupe de saké, avec un enthousiasme rarement vu. Il n'était que moyennement partagé par Yamame, laquelle boudait dans un coin. Ou du moins, elle faisait mine de le faire.
- Tu me dois 200 yens, lui fit remarquer Parsee.
La princesse du pont ne réagit pas lorsque l'araignée lui lança un regard noir, se contentant de tendre sa main droite pour réclamer son dû.
- Plus jamais j'parie, grinça la yôkai à la robe brune en fouillant dans ses poches.
- Tu dis ça à chaque fois, remarqua celle qui avait les oreilles pointues.
Posée sur une chaise puisqu'elle ne quittait pas son seau, Kisume regardait les deux sans mot dire. Elle n'avait bu qu'une coupe de saké mais elle sentait déjà sa tête lui tourner.
- Je t'avais dit que t'allais perdre !
Doku les avaient rejoint, la mine enjouée. Difficile de dire si cela venait de l'alcool qu'elle avait ingéré sans attendre le fameux "modération" devant les rejoindre, ou plutôt de la victoire de Réo, célébrée ici. Parsee avait sa petite idée sur la question mais se gardait bien d'en faire part à l'assemblée.
- Gnagnagnagnagna, c'est bon, je l'aurai la prochaine fois, se défendit la perdante du jour.
- Fais pas la tête, tiens !
Le serpent tendit une coupe à l'araignée. Celle-ci lui fit les yeux ronds, mais décida de la prendre pour la vider d'une traite.
- Uh… Tu essaies de m'acheter ? lança Yamame, qui commençait à avoir la bouche pâteuse.
- Pas du tout !
- Mouais… La prochaine fois… C'est toi que j'affronte ! Ouaip ! Je te défie, Doku !
La yôkai aux cheveux verts ne devait pas s'y attendre. Un petit rictus apparut cependant sur ses lèvres.
- J'accepte ! Mais… Pas tout de suite.
L'air de rien, elle sentait aussi son équilibre se fragiliser.
Parsee les laissa, après avoir eu son argent, pour se réinstaller à la table où se trouvaient toujours Yuugi et Réo.
- Elles ont l'air de bien s'entendre, remarqua le changeur de forme.
- On dirait, ouais. Elle pourra te lâcher un peu, remarqua la jalouse avec sarcasme.
(- Shot fired), remarqua Pride avec un ricanement moqueur.
Il allait mieux, depuis la veille et attendait patiemment le départ. Enfin, la définition de la patience qui s'accordait le mieux à lui. Elle devait pas mal diverger de celle qu'avait la plupart des gens, mais c'était là un détail qui n'avait qu'une importance mineure pour l'Orgueil.
Il savait de toute façon que son homologue physique n'allait pas s'éterniser, surtout avec de plus en plus d'alcool dans son sang. Il lui laissait encore du temps, de toute façon.
Pour le moment.

Réo roula des yeux sous le commentaire.
- Tant qu'elle est contente… Et puis cela lui fait du bien.
- Pas jaloux ? s'enquit la plus concernée par ces mots.
- Non. Pas du tout. Doku n'est qu'une amie et elle a bien le droit de faire ce qu'elle veut avec qui elle veut.
- Pfff, t'es pas drôle, soupira Parsee rejetant sa tête en arrière.
- Tu es dure, je t'ai fait gagner de l'argent, remarqua le polymorphe.
- Un point pour toi.
- C'est un bon début. Pourquoi avoir parié sur moi, en fait ?
Parsee avait croisé les bras et haussa un sourcil, avant de sourire.
- Parce que je voyais mal Yamame vaincre un serpent géant colérique.
Réo se sentit rougir. La pique était bien placée. Un point pour elle.
- Je te zutte ! hurla Yamame depuis sa retraite à vingt mètres.
(- Apply cold water to burned area), ricana le Seigneur des Ombres dans son esprit.
- Je ne m'en suis pas servi ! Je ne comptais pas le faire de toute façon, se défendit le polymorphe.
- Ah oui. Ce n'était pas volontaire, contre moi. J'oubliais.
Elle rebut un peu de saké, ignorant le regard meurtrier de Réo. A moins qu'au contraire, elle ne s'en délecte.
- Pas la peine d'insister encore dessus, fit le persécuté à voix basse.
- Tu as dit quelque-chose ? releva la princesse du pont.
- T'occupe !
- Tu as peur de ce que je dirais ? fit-elle d'un air malicieux.
- Moi ? Peur de toi ? Tu rêves ! fit mine de s'offusquer le changeur de forme.
Parsee reposa sa coupe et plongea ses yeux dans ceux de son interlocuteur.
- C'est vrai que tu as ta forme de serpent, grinça-t-elle avec un sourire narquois.
- Mais… Mais c'est pas vrai !
Réo se pencha vers son adversaire verbale, comme s'il voulait l'attraper par le col. Il était bien entendu trop loin.
- C'est difficile de te tirer les vers du nez sans que tu t'énerves, remarqua-t-elle sans se départir de son calme.
- Je vais pas rester tranquille juste pour tes beaux yeux verts !
Il allait en rajouter mais il se retrouva avec une coupe de saké en bouche, introduise avec la délicatesse d'une oni. Sauf que la seule oni du lieu était bras croisés, à les regarder presque avec bienveillance.
- Allez, bois un verre, tu seras moins grincheux.
Les yeux de Réo virent rouge, alors qu'il manquait de s'étrangler en avalant de travers. Il se rejeta en arrière, si fort que sa chaise se renversa.
- Hé, Yamame, j'ai réussi et sans danmaku ! s'écria une Parsee triomphante.
- Je ! … Je te… Euh… Te… T'enterre ! VOILA ! s'écria l'araignée qui n'arrivait plus à avoir une pensée cohérente et une parole sensée.
Doku lui donna raison, mais il y avait de bonnes chances que son cerveau venait d'assimiler l'information relative à une phrase datant d'une ou deux minutes, à présent.
Parsee regarda du côté de Réo, lequel avait fini de cracher ses organes vitaux.
- T'es en forme, aujourd'hui, remarqua-t-il.
- C'est possible, fit doucement la concernée.
- Sans même dire que tu es jalouse !
Parsee plissa les yeux.
- Il faut croire que je ne trouve rien à vouloir chez les autres, aujourd'hui.
- Il y a des moments comme ça où elle est calme. Il faut en profiter, c'est rare !
La princesse du pont lança un regard assassin à Yuugi, qui venait gentiment de l'enfoncer. Bien qu'étant celle qui avait le plus bu, l'oni restait aussi fraîche qu'au début.
C'était déprimant.
- Vous voyez que vous pouvez vous entendre, fit-elle en se resservant une coupe de saké, sous les regards médusés des deux envieux.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, rétorqua la yôkai aux oreilles pointues.
-Moi non plus. L'alcool te fait délirer, argua le changeur de forme.
- Et vu la quantité que tu ingurgites sans arrêt, continua Parsee.
- Il fallait bien que ça arrive.
Le duo s'arrêta en remarquant l'expression de Yuugi, laquelle se retenait à grand-peine d'éclater de rire.
Elle fut accompagnée par un soupir amusé du Seigneur des Ombres :
(- J'ai un peu la même expression. Bande de glands).
- Et bien quoi ?
La jalouse notoire commençait à s'impatienter. Par réflexe, elle porta son pouce droit à sa bouche pour commencer à le ronger méthodiquement.
- Je ne vais rien dire où tu vas t'énerver, lui répondit l'oni avant d'avaler le contenu de sa coupe à nouveau pleine.
- Rah, t'es chiante !
Réo jeta un coup d'œil en périphérie. Yamame et Doku s'étaient endormies, l'une étalée en travers de l'autre, ce qui devait être le comble de l'inconfort. Kisume s'accrochait au bord de son seau et seuls ses doigts étaient visibles. Elle devait être moyennement bien, là-dedans.
- Va falloir que je retourne au pont, de toute façon. A toute.
Sans s'embarrasser de plus de détails, la jeune femme entreprit de quitter l'endroit. C'était sans compter sur Réo qui la suivit.
- Je t'accompagne ! Je vais y aller aussi, Pride va s'impatienter, sinon.
La yôkai aux yeux verts haussa un sourcil et désigna Doku.
- Et elle ?
- Je compte laisser les commandes à Pride, ensuite. Du coup, c'est moyennement utile pour elle de venir. Et puis…
Il eut un genre de blocage. Et puis quoi, en fait ?
- Ne t'en fais pas, je m'occupe d'elle. Et des autres, le rassura alors Yuugi.
- Ah, merci…
- Pas de quoi. A plus tard, vous deux. Ne vous entretuez pas pendant que j'ai le dos tourné ou j'en prends un pour taper sur l'autre. Tout le reste est permis.
- De quoi ?
- Tout… N'importe quoi ! Viens, elle sait plus ce qu'elle dit.
Serrant les poings, une Parsee devenue rouge sortit de la maison d'un pas rageur. Réo la suivit, devant essuyer les quolibets d'un Pride qui adorait ce qu'il venait d'entendre. Le tout sous le regard bienveillant de la maîtresse des lieux.

(♪) - Hey, attends-moi !
La princesse du pont avait marché vite, obligeant le polymorphe à courir pour la rejoindre. Les quelques dizaines de mètres parcourus avaient presque suffi à faire passer son envie de meurtre passagère et ce fut avec un calme relatif qu'elle se tourna vers son poursuivant.
Visiblement, elle avait encore envie d'en faire son punching-ball verbal.
- Oh, tu es encore capable de marcher malgré tout ce que tu as bu ? Impressionnant.
- Comme tu es encore capable de sortir des vacheries, répondit le jeune humain.
- Oh, tu n'aimes pas les taquineries ? J'aurais parié le contraire.
Seul son ricanement quasi diablotin répondit au grognement de l'Envieux, bien au courant qu'elle le faisait tourner en bourrique.
Sans le regarder Parsee recueillit une des boules de lumière flottant dans l'Ancienne Cité. Son sourire taquin s'effaça lentement. La rue qu'ils avaient empruntée n'était pas déserte mais large et peu peuplée, donnant une ambiance tranquille.
- Yuugi a raison, tu sais. Ma jalousie ne m'a pas rattrapée, pour le moment. J'en profite pour agir… Un peu comme les autres, tant que je le peux encore.
La sphère éclairait son visage plus que tout le reste. Les mains en coupe, elle était immobile et Réo sentait un voile de mélancolie s'abattre sur ses épaules, se dégageant de la yôkai aux cheveux blonds, dont il ne pouvait pas détourner les yeux.
- Je me disais bien que tu n'agissais pas comme lors de nos précédentes rencontres. Je connais ça. Quand la jalousie nous prend… On devient presque une autre personne.
- On devient quelque-chose qui ne peut plaire à personne. Je m'étonne que Yuugi et les autres veuillent encore de moi.
- Elles ont simplement compris ce que tu cachais sous ta carapace.
- Ma carapace ?
Sans vraiment faire attention, Réo s'était approché de Parsee, pour lui faire face. Elle regardait toujours la lumière qu'elle avait au creux de ses mains.
- Celle de la jalouse qui hait tout le monde et qui est incapable de rester lorsque les autres sont joyeux. Je sais ce que c'est, Parsee. Au final, tout ce que tu veux, c'est être comme eux. Ressentir la même chose, être heureuse, ne plus être seule. Mais tu as l'habitude de l'inverse. J'ignore ton histoire, mais il faut que tu y croies.
- A quoi ?
Elle frissonna lorsqu'il prit ses mains, doucement. Lui aussi, d'ailleurs. Il n'avait pas prévu son geste et le contact avec la peau froide et douce de la princesse du pont le fit se sentir… Bizarre. Mais il fit de son mieux pour le cacher.
- Que tu le mérites et que c'est parfaitement possible. Que ta jalousie… Peut être vaincue.
Parsee eut un rictus.
- Plus facile à dire qu'à faire.
D'un pas en arrière, elle se dégagea, laissant les mains de l'Envieux retomber. Celui-ci eut du mal à qualifier le sentiment qui le traversa.
- Je vais finir par être jalouse de ton optimisme, fit-elle en lâchant la lumière et en se remettant en marche.
- Ah. Je te reconnais enfin ! s'exclama le polymorphe en allant à sa suite.
- Silence !
Elle accéléra le pas, coupant court à toute tentative d'enfoncer le clou. Le trajet jusqu'au pont se fit donc dans le silence le plus absolu.

L'édifice de bois était inchangé. L'eau qu'il enjambait brillait d'un éclat bleuté, étranger dans cet univers noir. Les tâches de lumières vertes piquetaient les ténèbres comme autant de feu-follets trompeurs. Les parapets du pont étaient rouges, illuminés par l'armée de lanterne se dressant à intervalles régulier au-dessus d'eux.
La mélancolie de cette passerelle entre la surface et le Monde Souterrain correspondait tant à sa princesse, qu'on pouvait croire être entré dans son esprit.
- D'ailleurs, je ne t'ai jamais demandé… Qu'est-ce que tu dois faire exactement ? Trier les visiteurs sur le volet et ne faire passer que ceux qui parviennent à te battre ?
- Tiens, tu parles ?
L'expression de Réo mêlant lassitude et désespoir parvint à faire ricaner la jalouse. Elle s'accouda à un parapet avant de reprendre la parole.
- Mon rôle est plus d'empêcher de sortir que d'entrer. Bien sûr, j'éloigne les nuisibles. Mais je dois aussi empêcher les esprits maléfiques vivant ici d'atteindre la surface. C'est la mission qui incombe au yôkais souterrains.
Le néophyte concernant Gensokyo prit un air de pure incompréhension, tirant un soupir à la princesse du pont.
- On ne t'a jamais rien expliqué, à toi, n'est-ce pas ? Dans le Monde Souterrain se trouvent les ruines de l'Ancien Enfer. L'Enfer était là, mais il a été déménagé pour je ne sais quelles raisons. Toujours est-il que ça a laissé énormément d'esprits maléfiques, vengeurs, tout ça. Les yôkais de la surfacent haïssent les yôkais souterrains et vice-versa. Alors il y a bien longtemps, nous sommes parvenus à un accord. Les yôkais d'au-dessus ne viennent pas ici et en échange, nous empêchons les esprits maléfiques de sortir. Tu te doutes bien, il y a quand même des gens qui veulent descendre, mais comme tu l'as dit, je filtre un peu.
Elle baissa la tête et se rongea l'ongle du pouce droit.
- Quand je peux…
Conscient qu'il valait mieux attirer l'esprit de Parsee sur un autre sujet au plus vite, Réo reprit la parole.
- Yuugi m'a dit que les yôkais souterrains étaient solidaires. C'est pour ça ?
- Entre-autres. L'exil des onis sous terre y est pour beaucoup. Ils sont très… Amicaux, à leur manière. Et à rester confinés dans le noir, on finit par se rapprocher à peu près. Pour le meilleur et pour le pire. On accepte les défauts des autres, des gens comme moi qu'aucune personne ne saurait apprécier.
On y était. La jalousie la reprenait. Réo la vit s'asseoir sur le parapet pour ronger son ongle de manière plus marquée.
- Les autres ont de vraies qualités… Regarde-moi… Je ne peux même pas rester ailleurs pendant trop longtemps. Je suis toujours obligée de revenir à ce fichu pont, après quelques heures. Je pose plus de problèmes qu'autre-chose. Ils doivent vraiment me trouver… Pathétique…
(- J'ai déjà entendu ce genre de conneries. Ça te parle, non ? Un Envieux pourra dire ce qu'il veut, au final, il ne fait que se haïr lui-même, plus que n'importe quoi d'autres. C'est un immense complexe d'infériorité.), intervint Pride d'une voix neutre.

Réo savait très bien de quoi il parlait. Il n'avait pas besoin d'un cours ce qu'il ressentait depuis tant de temps. Un temps qui devait être bien court par rapport à celui passé par Parsee dans cet état. Qu'est-ce qui avait bien pu la rendre ainsi ?
Bien sûr, il devait y avoir une part de naturel. Mais il doutait que cela puisse aller aussi loin sans intervention extérieure.
- Je ne pense pas, Parsee. Tu es précieuse, pour eux, voilà tout. Dans le cas contraire, ils t'auraient abandonnée depuis longtemps, solidarité souterraine ou non.
La jalouse ne répondit pas, abîmant méthodiquement son ongle.
- Tu ne les connais pas… Tu viens seulement d'arriver… Même si on dirait que tu es là depuis des années…Tu as seulement été accepté si… Vite…
- C'est vrai. Mais quelle importance ? Tu es là aussi.
Elle avait détourné le regard.
- Tu ne peux pas comprendre. Tu…
Elle sursauta alors que Réo l'avait attrapée par les épaules.
- Parsee. Tu as vu le Serpent. Tu as vu ma propre envie, ma propre jalousie. Je suis comme toi. Exactement comme toi. Je ne sais pas ce que tu as traversé, on se connaît à peine… Mais je suis sûr que je peux comprendre. Te comprendre. Laisse-moi juste une chance.
Elle semblait prête à pleurer. Un petit moment de silence passa, avant qu'elle ne renifle et laisse son pouce tranquille.
- Tu as dit vouloir m'aider, une fois…
- Et je le veux toujours.
- Pourquoi ? Tu l'as dit toi-même, on ne se connaît pas depuis longtemps.
- Parce que je suis sûr que tu vaux plus que ce que tu essaies de me faire croire. J'insiste et signe, Parsee.
Cette fois, elle laissa un mince sourire étirer ses lèvres et poussa la polymorphe.
- Très bien. On va voir si tu peux me côtoyer sans me détester et inversement. Mais tu n'as pas intérêt à me faire attendre. Je déteste les paroles en l'air et Yuugi aussi.
- Je te promets que j'essaierai de faire vite, dans la mesure du possible. Mais à présent, c'est au tour de Pride… Alors… A plus tard !
- C'est ça, va-t'en.
Et elle le regarda partir, sans doute alors qu'il parlait à son homologue spirituel. Elle garda la tête tournée jusqu'à se retrouver à nouveau seule.
Elle connaissait cela tellement bien.
- M'aider, hein ? se dit-elle à haute voix.

Elle ne savait pas vraiment quoi en penser. Mais si Réo voulait tenter d'être ami avec elle… Ce serait parfaitement idiot de le repousser. C'était un Envieux, lui aussi. Elle l'avait vu et constaté, douloureusement même.
De plus, Yuugi lui faisait confiance et tout le monde l'appréciait. Un gentil bonhomme tombant d'elle ne savait où et qui paraissait presque trop parfait. Si on exceptait la double personnalité, l'Envie et cette Pierre Philosophale dont elle avait tant entendu parler.
Vu comme ça, il paraissait déjà moins parfait. Et c'était tant mieux, il s'accordait bien plus avec les autres habitants de ce monde souterrain.
Alors quoi ? Pourquoi ne pas lui laisser une chance, lui qui pouvait, peut-être, la comprendre ?
La jalouse remit l'ongle de son pouce gauche entre ses dents.
- Parce que t'es un Humain et les Humains ne tiennent jamais leurs promesses. Voilà pourquoi.
Seul le silence lui répondit.

Il devait être midi. Marisa pinça les lèvres, alors qu'elle atterrissait au milieu de la place du Village Humain, juste à côté de la statue du Dieu Dragon. Elle n'avait jamais réussi à reproduire le sort qui permettait à l'édifice de prédire le temps grâce à ses yeux changeant de couleur. Et en cette journée, elle avait bien d'autres préoccupations.
Elle avait passé toute la matinée chez Reimu, tentant de la consoler. Difficile à faire et elle savait que ce n'était que le début. Elle devait à tout prix trouver un moyen de le sauver.
Et pour cela, elle allait devoir se confronter à son père. Lui parler n'était pas un problème, mais elle n'aimait que moyennement l'idée de devoir lui rentrer dedans. Elle était certaine qu'il savait quelque-chose. Quelque-chose qu'il lui avait caché depuis des années.
Un miracle. Sa naissance serait un miracle. Elle ne saisissait pas, ou plutôt craignait de saisir. Mais une question lui titilla alors l'esprit. Y en avait-il eu d'autres ? Si oui, quand, où, qui ?
Ne souhaitant pas perdre son idée, la magicienne ordinaire changea de destination. Elle se rendit à une petite maison, assez simplette et sans prétention, dont elle ouvrit la porte coulissante sans même frapper.
- Akyuu, j'ai b'soin d'toi immédiatement !

(♪) La pauvre personne concernée sursauta, mettant de l'encre n'importe où, alors qu'elle écrivait sur un rouleau de papier, installée qu'elle était en seiza près d'une table basse verte.
Hieda no Akyuu semblait proche des vingt ans, physiquement, mais comme elle gardait une apparence enfantine, surtout au niveau du visage, c'était une estimation presque hasardeuse. Elle avait une chevelure mauve coupée au niveau de la nuque, avec une fleur rouge la décorant. Elle portait un kimono vert aux manches jaunes arborant des motifs floraux. Le bas de l'habit traditionnel était toute fois rouge.
Elle regarda Marisa, avec tant de colère que d'incompréhension.
- Vous… Vous pourriez être plus…
Elle fut coupée par son invitée surprise qui entra sans se gêner. Elle ne faisait pas attention à la décoration somme toute traditionnelle des lieux, si on exceptait le meuble brun supportant un phonographe et l'étagère remplie de livres. Les différents tomes d'une seule et même collection contenant la mémoire de Gensokyo depuis des générations.
- Pas l'temps ! J'ai des questions et t'es la seule à pouvoir me répondre !
L'auteur des Chroniques de Gensokyo fit la moue. Elle n'aimait pas être dérangée ainsi et encore moins que son travail en soit ainsi entaché, littéralement.
- Je t'écoute, fit-elle en reposant son pinceau.
- On m'a dit que ma naissance était un miracle. C'est vrai ?
- Ma foi… Cela remonte à mon ancêtre, Hieda no Aya. A ses dernières années, même. Une chance que je partage la mémoire de mes précédentes incarnations, n'est-ce pas ?
- Ouais.
Marisa s'était beaucoup intéressée à Akyuu, pendant ses recherches acharnées sur l'immortalité. La jeune fille était un cas particulier. En effet, elle était la dernière-née d'une lignée de femmes héritant de la mémoire de leurs ancêtres. En réalité, il s'agissait d'un cycle de réincarnation très particulier, initié des siècles auparavant par Hieda no Aichi, à moins que ce ne soit Hieda no Are. Chaque jeune fille avait une espérance de vie très courte, trente ans environ, mais son enfant, toujours unique et toujours une fille, héritait de ses souvenirs.
Du moins ceux concernant les Chroniques de Gensokyo, véritable encyclopédie de la contrée en question. Akyuu admettait volontiers que les autres souvenirs de ses incarnations les plus anciennes étaient plus que flous.
- Je n'ai pas de détails sur votre cas en particulier, admit l'écrivaine.
L'expression de Marisa, plantée devant elle, les bras croisés, la poussa à continuer.
- Mais il y a effectivement eu des miracles… C'était il y a dix-huit ou dix-neuf ans. Plusieurs personnes auraient réussi à voir leurs souhaits les plus chers se réaliser. Des choses impossibles. Nous n'avons jamais su ce qui était arrivé et cela s'est stoppé aussi brutalement que cela a commencé. Toutefois…
Sa mine se fit plus sombre.
- Oui ?
Marisa écoutait avec la plus grande attention.
- Toutes ces personnes sont mortes. On les aurait retrouvées, pâles comme la mort, avec des blessures évoquant des griffures ou des morsures, lesquelles n'étaient pas forcément graves en elles-mêmes.
- Et on ne sait pas ce que c'est ?
- Non et quoi que ce fût, cela n'a plus jamais refait surface depuis.
L'esprit de Marisa était en ébullition. Sa mère faisait-elle partie de ces victimes ? Si oui, quelle était la créature responsable de tout ceci ?
Quelque-chose lui disait que son père savait. Et depuis tout ce temps, il gardait le silence.
- Très bien. Merci, Akyuu.
- Mais pourquoi un tel intérêt pour cela ?
- C'est personnel.
Marisa ne laissa pas à son interlocutrice l'occasion de continuer que déjà, elle quittait la pièce et donc la maison.
Voilà qui était inhabituel de sa part. Qu'est-ce qui pouvait bien la rendre si taciturne ? C'était là un mystère qui ne plaisait guère à Akyuu.

Cela ne plaisait également que peu à la sorcière qui marchait à pas rapides vers la maison, et donc la boutique, de son père.
Celle-ci était ouverte. Son propriétaire était au comptoir, achevant de réparer le coucou d'une horloge. Il eut du mal à masquer sa surprise lorsque sa fille entra, et sa perplexité lorsqu'elle retourna la pancarte accrochée à la porte, de sorte à indiquer "fermé".
Il avait toujours les traits tirés, les yeux fatigués et sa barbe rasée à la hâte sans aucun souci esthétique. Ses cheveux mi-longs avaient la même couleur que ceux de sa fille et son kimono était d'un beige délavé.
- Bonjour, Marisa. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? s'enquit-il avec une pointe d'appréhension.
- Faut qu'on parle, papa.
L'appréhension ne fit que croître, surtout avec le ton employé, entre la colère, la sévérité et un petit quelque-chose en plus.
- Je t'écoute. Tu veux un thé, peut-être ?
- Nan. J'ai des questions à te poser et t'as pas intérêt à te défiler.
Ce n'était plus de l'appréhension mais presque un début de panique qui se lisait dans les yeux de l'homme.  A croire qu'il savait déjà ce que sa fille allait dire par la suite.
- Comment maman est-elle morte, exactement ?
- Je… Je te l'ai déjà dit… Peu après ta naissance, elle a fait une mauvaise rencontre dans la Forêt de la Magie et a finie dévorée...
- Ouais. Elle aurait réussi à tomber sur le seul yôkai de tout Gensokyo qui ne respecte pas la règle de ne pas manger les humains du Village. Et ce, juste après ma naissance. Je ne suis plus une petite fille, tu peux me dire la vérité.
- Tu sais bien que les yôkais ne se gênent pas pour contourner les règles… Allons, Marisa, pourquoi veux-tu ressasser cela.
Il s'était mis à trembler et le regard qui Marisa lui lança aurait sans doute fait reculer un Archidémon. D'ailleurs, lui recula.
- Ecoute. Tu sais, mon partenaire que j'ai hébergé. Même que tu te faisais des idées à son sujet. Luke. Il est en train de mourir. Eirin ne peut rien faire. J'ai… Besoin d'un miracle, papa. On m'a dit que ma naissance en était un.
- Marisa… Ce genre de choses…
- Ça me concerne. J'ai le DROIT de savoir ! Et ce genre de trucs est arrivé à plusieurs reprises. Et devine quoi ? Tous les concernés sont MORTS ! Alors je vais te dire ce que je pense. Je pense que maman fait partie des concernés et que tu sais très bien ce dont il s'agit. Que c'est même pour ça que tu peux plus voir la forêt en peinture. Alors pour tout l'amour du Dieu Dragon, PARLE !
La jeune femme avait abattu ses mains sur le comptoir avec force, pour appuyer son ordre. Son père regarda un peu partout, affolé. Mais il n'avait plus le choix. Marisa ne quitterait pas cet endroit avant de tout savoir.
Il poussa un soupir, qui sembla le faire vieillir de plusieurs années.
- Très bien, Marisa, très bien. Je vais tout te dire. Mais asseyons-nous, si tu veux bien.

(♪) Elle opina du chef et ils montèrent à l'étage, pour s'installer à la table qui avait vu leur dernière discussion. Pas de thé à l'horizon, ni d'objet caché dans un drap. Seulement la photo de la mère de Marisa, posée sur ladite table de bois, face à celui qui avait des révélations à faire
- Ta mère ne pouvait pas avoir d'enfants. On ne pouvait rien y faire. Au début, ce n'était pas un problème, mais le temps passant… Ça la travaillait, de plus en plus. Nous avions même été voir le docteur Eirin Yagokoro. Si elle-même ne pouvait rien faire, c'était bel et bien sans espoir. Pour ma part, je m'étais résigné. Je ne te dis pas que c'était facile, non. Mais j'aimais ta mère… Et je ne voulais pas que notre couple en pâtisse. Et le temps a fini par passer sans que le sujet nous hante. Mais… Ta mère a entendu parler de "miracles" qui avaient lieu. Quelqu'un venait de gagner une énorme somme d'argent d'un seul coup, un autre devenait capable d'affronter de dangereux yôkais sans difficultés… Cela a intrigué ta mère. Elle était comme toi. Aventureuse, intrépide… Et toute aussi intéressée par la magie. Une vraie sorcière. Alors elle a enquêté.
- Et elle a trouvé ce que c'était, alors ?
En approuvant, le maître des lieux continua son récit.
- Oui… Il s'agissait d'un démon. J'ignore comment, mais ta mère a réussi à entrer en contact avec lui. Et… Il a signé un pacte. Son âme à sa mort, en échange de la possibilité d'avoir un enfant.
Marisa blêmit.
- Tu veux dire… Que maman s'est sacrifiée pour… Que je puisse exister ?
- Voilà pourquoi je n'ai jamais voulu t'en parler. Je ne veux surtout pas que tu te sentes… Coupable.
- Coupable de quoi ? … Attends… C'est aussi ce démon qui l'a tuée ?
Son père grimaça.
- Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas. Mais comme tous ceux ayant fait un pacte sont morts peu après… Je suppose qu'il n'a pas attendu avant d'aller récolter les âmes qui lui étaient dues…
Marisa avala sa salive. C'était glauque.
- Que sais-tu de lui exactement ?
Le pauvre homme tremblotait. Cette histoire le bouleversait encore aujourd'hui.
- Je ne sais rien. Enfin presque. Seulement… Son nom.
- Je t'écoute. Cela peut toujours m'être utile…
Le propriétaire de la boutique fronça les sourcils.
- Utile pour quoi faire ?
- Cela dépendra de ce que je peux en tirer. Maintenant, dis-le-moi.
En d'autres circonstances, le père de la magicienne aurait hésité. Il aurait demandé plus d'explications, de détails. Mais il était las. Et surtout, il ne pensait pas avoir le droit de refuser. Plus maintenant. C'était trop tard.
- Samaël. Il s'appelait Samaël.
- Samaël…
Marisa avait répété le nom, lentement, comme pour le fixer dans sa mémoire.
- Il faudra que j'aille à Voile… Patchy aura peut-être des infos.
- Marisa… Tu comptes demander de l'aide à ce démon ? Je te l'ai dit… C'est une mauvaise idée.
Nulle trace de colère n'était présente dans la voix de celui à qui il ne restait plus que la fille. Seulement de la peur.
- Je sais 'pa. Mais je dois essayer. Je dois bien ça à Reimu. Et à Luke aussi, d'ailleurs.
- Je sais que tous deux comptent pour toi… Mais…
- Pas de mais ! C'est moi qui ai recueilli Luke. Moi qui lui aie appris à vivre à Gensokyo. Même moi qui les ait empêché de s'étriper à vue. Et au final ils sont devenus dingues l'un de l'autre, héhé. C'est… A moi de les sauver. Je dois tout tenter.
- Mais qui te sauvera, Marisa ?
A la grande surprise de son père, la magicienne lui fit un grand sourire.
- J'n'ai jamais eu besoin qu'on vienne me sauver, daze !



(♪) Loin de là, Patchouli était elle-même à la recherche d'un livre. Rien d'habituel, si ce n'était sa déconcentration chronique dû aux allers-retours incessants de son assistante. Elle était étrange, depuis la veille. Elle se baladait un peu partout dans la bibliothèque, à croire qu'elle cherchait quelque-chose. Mais ce n'était pas tout. La magicienne devait avouer que Koakuma semblait plus enjouée, également.
Que lui arrivait-il donc ?
Elle avait toujours une certaine joie de vivre, c'était vrai. Mais qu'est-ce qui pouvait bien, subitement, augmenter cela ?
La bibliothécaire n'arrivait pas à mettre le doigt sur la réponse. D'autant qu'elle n'avait pas le souvenir que qui que ce soit ait été invité. Ni qu'un intrus ait été repéré. Marisa n'était pas passée depuis un moment, d'ailleurs. Et il valait mieux que Réo ne tarde pas trop, Flandre commençait à s'impatienter.
Quel étrange cas que cet humain, tout de même. Patchouli avait passé du temps pour tenter de le comprendre, mais pour l'instant, elle n'y était pas véritablement parvenue. Qu'est-ce que cet étrange sceau faisait à l'intérieur de lui ? Qu'était-il supposé contenir ? Celui qui l'avait posé là s'était indubitablement donné du mal.
Patchouli regarda une nouvelle fois Koakuma déambuler dans les couloirs artificiels de Voile.
La magicienne laissa tomber sa recherche pour s'engager discrètement à la suite de son assistante. Elle aurait très bien pu lui demander directement, mais elle savait que la finesse n'était pas foncièrement le maître mot de la démonette. Elle allait se trahir toute seule, il suffisait d'être patiente.
Effectivement, elle cherchait quelque-chose. Un livre, visiblement, et sur un sujet particulier. Elle avait commencé une pile d'ouvrages, trouvés çà et là dans la bibliothèque. Discrètement, Patchouli attira magiquement le premier à elle, l'entourant d'un fin halo de lumière bleutée. Elle lut le titre et le parcourut rapidement.
Un livre traitant de la force vitale ? Voilà qui était curieux.
Suspicieuse, la magicienne reposa le livre sur la pile. Qu'est-ce que Koakuma était en train de trafiquer dans son coin ?  
Sa curiosité était piquée au vif. Elle ne cessa donc pas d'observer son assistante, laquelle ramassa sa pile pour prendre la direction de la sortie. Sans un bruit, en lévitant, Patchouli la suivit.
Elle faillit se faire repérer lorsque Koakuma regarda autour d'elle avant de passer la porte de Voile. Avait-elle donc quelque-chose à cacher ?
Consciente de l'impossibilité de la suivre plus loin sans qu'elle ne la voie, la bibliothécaire laissa partir la démonette.
Elle avait un nouveau mystère à résoudre…

- Voilà les bouquins dont je t'ai parlés !
Guillerette, Koakuma posa ses quelques ouvrages sur son lit. Malbas leva la tête de celui qu'il étudiait déjà.
- Ah, merci Koa !
Ledit lit était couvert de livres ouverts et de feuilles de notes. Un vrai bazar qui fit se tordre les lèvres à l'assistante démoniaque dont les ailettes se replièrent sur elles-mêmes.
- Tu ferais bien de ranger un peu. Tu es comme miss Patchouli, c'est un incroyable !
- C'est… Toujours ainsi quand je travaille. Désolé, s'excusa le Dévoreur.
- Pas étonnant que tu ne trouves rien !
Elle ricana, ce n'était pas bien méchant, et commença à rassembler les feuilles, les lisant quelque peu en même temps. Cela ne dérangeait en rien l'alchimiste en herbe.
- Tes cercles de transmutations… Tu comptes les utiliser sur toi-même ?
La voix inquiète de Koakuma, laquelle détaillait divers croquis, attira le regard du Dévoreur.
- Oui. Enfin, je compte n'en utiliser qu'un. Faire de l'alchimie sur soi-même, c'est extrêmement dangereux et douloureux dans le même temps. On se détruit pour se recomposer différemment…
- Et tu crois pouvoir te reconstruire de sorte à changer les besoins de ton corps ? Cela me semble bien bancal…
- C'est la seule solution que je vois actuellement. Ne t'inquiète pas, je ne compte pas me jeter tête baissée dans une tentative irréfléchie.
- Je préfère ça.
- Toujours aucune trace du grimoire que je cherchais ?
Koakuma hocha négativement la tête.
- Aucune ! Miss Patchouli le cache vraiment bien. J'ai beau chercher…
- Evite de te faire repérer, surtout. Tu risques vraiment gros…
- Merci monsieur le tueur mais j'étais déjà au courant ! lui signala-t-elle en lui tirant la langue.
Malbas peinait à garder son sérieux. Elle débordait d'énergie et ne cessait d'agir… Pour détendre l'atmosphère ? Le faire sourire ?
L'alchimiste devait bien admettre que Koakuma le déroutait. Elle aurait pu être simple d'esprit et c'était même ce que son comportement prêtait à croire. Mais il n'en était rien. On ne devenait pas l'assistante d'une personne comme Patchouli Knowledge en étant stupide.
Et Koakuma ne cessait de le prouver avec ses commentaires et remarques sur les recherches de Malbas.
- Je ne t'ai jamais demandé… Comment es-tu arrivée ici ? Je n'ai pas vu d'autres démons à Gensokyo, jusque là.
- Oh ! Et bien…
La concernée s'assit sur le lit, face à Malbas. Il y avait de la place maintenant. Elle avait posé son index gauche sur ses propres lèvres, signe qu'elle réfléchissait. Non pas à l'histoire elle-même mais à la façon de la raconter.
- Je ne suis pas d'ici. J'ai été invoquée par miss Patchouli, comme familier. Au début, c'était compliqué… J'obéissais vraiment car le sort d'invocation m'y contraignait. Mais avec le temps, j'ai appris à aimer mon travail et apprécier miss Patchouli. Je dois dire que Makai ne me manque même plus depuis très longtemps.
- Makai ? Qu'est-ce ?
- Un autre monde, proche de Gensokyo. Il est a été créé et est dirigé par la déesse Shinki. C'est un endroit… Peu agréable, honnêtement. Les habitants ne sont pas mieux. Ce sont des démons et des yôkais à la fois forts et agressifs. Au final, je suis plutôt chanceuse d'être atterrie ici.
- C'est une chance. Si ta vie te plaît ici… Je pense que c'est le principal.
- Ma foi…
Les ailettes de la démone s'agitèrent un peu avant de s'abaisser, trahissant la tristesse, relative, de ce qu'elle pensait et allait transformer en paroles.
- Tout n'est pas parfait non plus. J'ai parfois l'impression de ne servir que de décor. On ne prête attention à moi que pour me demander où se trouve miss Patchouli. J'ai franchement le sentiment de ne pas compter, par moment. A croire que je reste une étrangère. Puis aussi… Comme miss Patchouli ne sort presque jamais de la bibliothèque, je fais de même. Je ne vois pas souvent l'extérieur du manoir. C'est un peu… Comment dire… Monotone.
Elle avait pincé les lèvres et baissé les yeux. Elle n'était pas vraiment à l'aise en évoquant cette partie là de son quotidien. Il y avait d'ailleurs fort à parier qu'elle ne l'avait que très peu fait auparavant, si elle l'avait déjà fait.
- Pour la dernière partie… Peut-être pourrais-tu t'arranger avec cette Patchoui ? A moins qu'elle ne soit si tyrannique ?
- Non, non. Mais… Je n'ose pas. Je n'ai rien dit pendant des années, ce serait étrange que tout d'un coup… Enfin… Non ?
Elle avait relevé son regard vers son interlocuteur, un peu perdue.
- Tu as bien le droit d'avoir des revendications. Tu as peur d'être réexpédiée à Makai ou chassée du manoir, c'est ça ?
Koakuma acquiesça.
- Je comprends… Je serais bien incapable de te dire si c'est justifié ou non. Mais si tu es là depuis aussi longtemps, je doute qu'on te chasse pour une simple demande. Aie confiance en toi, Koakuma. Tu es plus qu'une simple assistante. Je dois dire que pour moi, tu ne fais pas du tout partie du décor !
Les joues de la démonette s'empourprèrent alors que ses ailettes se repliaient sur elles-mêmes. Elle n'avait clairement pas l'habitude de ce genre de discours.
- Merci, Malbas !
Maladroitement, elle se releva.
- Je… Je dois y aller, maintenant, ou ce sera suspect !
Et elle sortit en courant. N'était-ce donc pas la deuxième fois qu'elle agissait de la sorte ?
- Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? se demanda le Dévoreur à haute voix.
Il était bien gentil avec Koakuma. Elle était craquante, certes… Mais elle l'aidait tout de même beaucoup ! Et puis, l'air de rien, elle aussi avait un goût prononcé pour la lecture et la connaissance.
- On appelle ça avoir des amis ! C'est super, tu vas voir. On se sent moins seul, d'un coup !
La voix, railleuse, de Nue s'était faite entendre alors qu'elle était apparue, allongée sur le dos en travers du lit, mains derrière la tête.
- Je te crois, Nue… Mais je n'ai pas le temps pour ce genre de choses.
- N'importe quoi ! Ça ne coûte rien, même pas du temps ! Tu vois bien que tu es content, avec Koakuma ! Bon, tu la connais que depuis hier, c'est vrai… Mais c'est un début. Tu vois bien qu'elle s'en fiche que tu sois un Dévoreur !
C'était même plus que ça. Elle voulait sincèrement l'aider et lui redonnait confiance. Pour quelqu'un à qui personne ne prêtait attention… Il ne mentait pas en disant qu'elle était importante pour lui !

Alors que Malbas se remettait à l'ouvrage, un sourire nouveau aux lèvres, une servante très spéciale marchait dans le couloir. Pour elle, le temps s'était arrêté. Littéralement.
Seule chose en mouvement dans cette quatrième dimension figée, Sakuya avançait sans hésitation.
Peu le savaient, mais Patchouli avait depuis longtemps installé tout un réseau magique permettant de faire savoir aux servantes où elles étaient appelées. Bien entendu, c'était surtout à destination de Sakuya.
C'était pour cela qu'un simple appel de Remilia lui permettait d'apparaître en un instant près d'elle. Du moins, un instant pour le commun des mortels. Pour Sakuya, cela prenait tout de même du temps.
Au final, sa vie était bien plus longue que celle des autres. Ses journées étaient plus longues, ses nuits aussi. En une minute pour les autres, elle pouvait avoir dormi autant que nécessaire, avant de travailler autant qu'en un cycle solaire entier.
C'était ça. Elle était hors du temps. En marge du monde et de ses habitants. Etait-ce pour cela que se lier aux autres lui était si difficile ?
Peut-être. C'était sans doute pour la même raison qu'elle se sentait autant chez elle, ici. Entourée de vampires figés, eux aussi, dans le temps et d'une magicienne qui en avait à profusion devant elle.
C'était cette dernière qui avait appelé Sakuya. Et celle-ci était allée la voir, comme toujours. Non pas pour lui rapporter du thé, non, mais des réponses. Ainsi, la domestique en chef avait quitté Voile et se dirigeait droit vers la chambre de Koakuma, qu'elle avait croisé l'espace d'un instant si court que la démone ne l'avait pas vue.
Elle n'en avait, effectivement, pas eu le temps.

C'était toujours dans un univers aussi figé qu'aux teintes toutes nuancées de noir, de gris et de blanc, que Sakuya ouvrit la porte.
Elle remarqua aussitôt le symbole sur la porte, seule trace de rouge, donc de couleur, dans son monde. Dans celui des autres, le symbole aurait été invisible.
C'était là la seule chose sortant de l'ordinaire, dans cette chambre où tout semblait rangé et en ordre, comme d'habitude.
Mais si tout était "comme d'habitude", pourquoi cette magie ? Il n'en fallut pas plus pour que Sakuya s'empare d'un de ses couteaux et ne fasse une entaille dans le panneau de bois, rayant la rune rouge.
Elle referma ensuite la porte et laissa le temps reprendre son cours. Le décor changea devant elle, révélant les livres, les feuilles et surtout, Malbas.
Un rictus de mauvais augure se dessina sur le visage de la lanceuse de couteaux qui figea le temps une nouvelle fois, alors que le Dévoreur levait la tête, croyant avoir aperçu quelqu'un à la périphérie de sa vision.
Le chat venait de trouver le rat.

Malbas fronça les sourcils, surpris. Avait-il des hallucinations, maintenant ? Ce serait une nouvelle inquiétante.
Il n'eut pas le temps de se pencher sur la question qu'une violente douleur l'assaillit au niveau du coude droit. Avant même qu'il ne réagisse, son coude gauche émit une douleur similaire. Puis ce fut au tour de ses mains, suivies par son dos, pulsant à partir de quatre points autour de sa colonne vertébrale.
Sa bouche s'ouvrait sur un cri de douleur, mais un violent impact à la tempe droite coupa court à cette action.
Percé de huit couteaux identiques, Malbas s'effondra sur le lit, inconscient et se vidant de son sang.

Ce fut un seau d'eau glacée qui le tira de son presque sommeil. Le Dévoreur sursauta, avant de lâcher une plainte. La souffrance était telle qu'il ne parvenait même plus à bouger ses membres.
Seule sa tête était encore utilisable. Il fallut un petit temps à Malbas pour comprendre qu'il était à genoux, bras attachés dans son dos par des chaînes, ce qui expliquait qu'il ne pouvait de toute façon pas les bouger.
- Alors c'est toi le Dévoreur qui a failli me tuer, hein ?
La voix de Remilia était amusée, triomphante. Celle d'une gamine qui avait reçu son cadeau.
- Je… Je suis désolé…
- "Désolé" ?
Remilia partit dans un fou-rire tonitruant. Puis elle ferma son poing gauche pour l'envoyer droit vers l'estomac de son prisonnier. Le souffle coupé, il se baissa, jusqu'à toucher le sol avec son front, avant de se mettre à tousser. Il sentait qu'il allait vomir…
- Tu n'es pas désolé, t'as peur pour ta vie !
Il sentit le pied droit du vampire contre sa tête, le plaquant au sol avec force. Elle en avait, d'ailleurs… Si elle pressait trop, elle pouvait très bien lui faire éclater le crâne !
- Qu'est-ce que tu faisais dans mon manoir ? Tu croyais franchement qu'on n'allait pas te trouver ?
La position de Malbas l'empêchait de répondre. De toute façon, il n'aurait pas su quoi dire et il avait encore l'impression qu'il allait recracher il ne savait trop quoi.
- Pas de bol, Sakuya t'as repéré. Faudra m'expliquer pourquoi tu étais dans sa chambre, d'ailleurs.
Une nouvelle plainte se fit entendre, mais elle était féminine. Soudain en proie à une profonde angoisse, le Dévoreur trouva la force de relever la tête, pour voir Remilia trainer Koakuma par une des ailes de son crâne.
Si le vampire semblait calme, quelqu'un de bien renseigné sur sa personne et particulièrement attentif pouvait lire la rage incontrôlée qui animait son regard et ses gestes. Elle lâcha la démonette, la laissant déséquilibrée.
- Pourquoi tu l'aidais ? Hein ?!
- Ah ! Pardonnez-moi, maîtresse ! Mais…
Une violente gifle empêcha Koakuma de se justifier et l'envoya au sol.
- Mais quoi ? Il a ravagé le manoir ! MON manoir ! Et tu veux encore l'aider ?
Paniquée et ayant une main posée sur sa joue rougie, Koakuma recula, toujours au sol. Ses yeux allaient et venaient, passant de Remilia à Malbas. La pauvresse tremblait. Elle était sur le point de pleurer, complètement dépassée par ce qui se jouait.
- Tu veux quoi, qu'il nous dévore toutes ? Vas-y, dis-le !
- Je… Non… Je…
Incapable de formuler une phrase cohérente, Koakuma vit la maîtresse des lieux approcher d'elle. Avec horreur, elle toucha le mur, se trouvant à présent à quelques mètres sur la droite de Malbas. Mais elle ne pouvait plus reculer.
- Tu mérites une bonne leçon. Je crois que tu vas partager le destin de ton nouveau meilleur ami !
Koakuma ferma les yeux alors que Remilia armait son bras droit.
- Remilia ! Arrête !

Surprise, le vampire stoppa son geste. Patchouli venait d'entrer dans la pièce, un salon à la moquette rouge. La bibliothécaire flottait dans les airs.
- Je ne me souviens pas t'avoir donné la permission de maltraiter ainsi mon assistante.
Subitement penaude, Remilia croisa les bras.
- Elle mérite au moins ça, bougonna-t-elle.
- C'est à moi d'en juger. Sakuya m'a expliqué les faits. Maintenant que nous avons le Dévoreur, il faut savoir ce que nous en faisons.
Malbas grimaçait. Il était incapable de faire quoi que ce soit, mis à part regarder et écouter. Si elles décidaient d'en finir avec lui, il ne pourrait rien y faire.
- Je propose de l'exterminer. Définitivement.
Remilia avait été claire et elle fixait son ennemi avec hargne.
- Ce serait le plus sage… Mais peut-être que nous devrions l'amener à Reimu. Elle prendra la décision qui s'impose.
- Et s'il s'enfuit ? Non, il en finir maintenant ! Imagine qu'il se change encore en monstre !
Remilia fit craquer ses doigts.
- Je ne veux prendre aucun risque.
Patchouli roula des yeux.
- C'est ta décision. Si tu penses que c'est la bonne, je ne t'en empêcherai pas. Mais je désapprouve.
Malbas frissonna.
Finalement, allait-il trouver sa fin ici ? Alors qu'il était si proche du but et que quelqu'un l'aidait ? C'était… Injuste.
Et Koakuma, quel avenir lui réservaient-elles ? C'était de sa faute si elle était mêlée à ça.

Alors que Remilia faisait un pas vers Malbas, lequel faisait des excuses silencieuses à Koakuma, une violente lumière enveloppa la pièce. Le démon écarlate eut un cri de surprise, tandis que Patchouli se protégeait les yeux avec son bras droit.
Malbas ferma ses paupières… Mais il sentit, à sa grande surprise, qu'on l'attrapait au niveau du dos, en évitant ses blessures. Juste après, une fenêtre du salon explosa puis le Dévoreur se sentit emporter, dans les airs.
Il ne comprenait pas ce qu'il se passait et il lui sembla entendre Remilia hurler quelque-chose, mais le son s'éloignait.
Peu à peu, sa vue lui revint, ainsi que ses perceptions de l'environnement. Quelle ne fut pas sa surprise de voir le visage de Koakuma tout proche du sien. Un bref regard lui appris qu'elle le tenait par les épaules et les jambes. Elle semblait bien en peine, d'ailleurs.
Ils volaient à présent au-dessus du Lac Brumeux, s'éloignant rapidement du manoir.
Mal en point, Malbas ne trouva pas la force de parler, se contentant d'un glapissement de souffrance.
- Tiens le coup, murmura la démonette.
Sa voix révélait un énorme stress. Qu'est-ce qu'elle venait tout juste de faire ? Lui sauver la vie, sans doute… Mais surtout, se mettre dans les ennuis jusqu'au cou !
Tout ça pour lui ?
Une pointe de douleur plus aigüe fit grimacer le Dévoreur. La suite du trajet se déroula dans le silence le plus complet.

Lorsque la berge du lac fut atteinte, Koakuma ralentit et se posa, déposant également Malbas au sol, délicatement. La pauvre assistante n'en pouvait plus.
Cela ne l'empêcha pas d'allonger Malbas sur le côté.
- Ne bouge pas. Je vais te retirer ces couteaux.
D'un geste mal assuré, la démone attrapa le manche d'une des armes restées dans le dos de Malbas. La peur de faire plus de mal que de bien la faisait trembler, ainsi que le tumulte des émotions s'entrechoquant dans son esprit.
Elle venait de faire voler ses repères en éclats et avait bien du mal à recoller les morceaux. Mais il y avait urgence, aussi elle remit ça à plus tard.
Un nouveau cri du Dévoreur déchira le silence alors que Koakuma retirait une première lame de son corps. Aussitôt, la régénération du Dévoreur se mit en marche et sutura la plaie.
Sans aller trop vite afin de laisser à Malbas le temps de récupérer son souffle entre ses interventions, Koakuma s'attela à retirer chacune des armes de Sakuya de la chair de l'alchimiste.
Cela laissa ce dernier épuisé et haletant. Ses blessures avaient beau disparaître, il les sentait encore. Une douleur fantôme contre laquelle il ne pouvait rien faire, si ce n'était attendre. Heureusement, il était naturellement endurant et résistant à la douleur.
Il pouvait à nouveau bouger, en revanche, bien que difficilement. Il se mit en position assise, de sorte à faire face à Koakuma, laquelle avait fait de même. Le sang du Dévoreur maculait le sol et les manches de l'assistante démoniaque.
Celle-ci tremblait encore. Ses ailettes étaient basses, signe de son angoisse.
- Merci… Koakuma… Sans toi, j'étais fichu.
L'intéressée acquiesça, sans rien dire.
- Tu devrais y retourner… Tu devrais pouvoir t'arranger…
- Non.
La réponse, courte, avait été formulée d'une voix aussi blanche que précipitée.
- Koakuma… Nous sommes dans le scénario que tu craignais… Si tu ne retentes pas ta chance…
- C'est trop tard. Je t'ai ouvertement aidé. Remilia ne voudra jamais que je revienne. Tu as vu comment elle était ?
Malbas grimaça. Le démon écarlate était furieux, oui. Mais Patchouli avait pris la défense de sa subordonnée. Quelque-chose lui disait que tout n'était pas perdu pour Koakuma.
La pauvre était bouleversée.
- J'ai vu… Ne… Ne t'inquiète pas. Je te promets que tout va s'arranger.
Facile à dire alors qu'il était la cause du malheur de la démone. Celle-ci ne lui en tenait visiblement pas rigueur puisqu'elle hocha positivement la tête avant de se pencher pour se blottir contre lui.
Loin d'être habitué à ce genre d'effusions, Malbas eut un temps d'arrêt. Finalement, il prit conscience de ce qu'il devait faire et passa ses bras autour de la démonette toujours en état de choc.
- Je… Je ne pouvais pas les laisser faire ça… C'était injuste… Et cruel.
- Et je ne peux que t'en remercier, Koakuma. Tu es vraiment quelqu'un de bien. Tu n'as pas à t'en vouloir. Tu as simplement fait… Ce que tu pensais juste.
Elle ne répondit pas. Mais nul doute que ces simples mots lui faisaient du bien.
- Si tu ne veux pas retourner au manoir, tu peux venir chez moi. Enfin… Dans la maison que j'occupe. Elle est dans la Forêt Yôkai. C'est une petite maison de bois, elle appartenait à une magicienne, Seishi Kodoku.
- D'accord… Merci… C'est gentil…
- Tu m'as sauvé la vie, après tout. Je te dois bien ça.
Koakuma voulut dire quelque-chose, mais elle se ravisa. Un frisson parcouru son corps alors qu'elle se dégageait subitement et se relevait.
- Koakuma ? Que se passe-t-il ?
Malbas était inquiet, à présent, d'autant qu'il ne pourrait pas se battre s'il le fallait.
- La sensation que j'ai eue lorsque tu as attaqué le manoir… Je la ressens à nouveau. Mais elle ne vient pas de toi !
Elle s'était tournée vers les premiers arbres de la Forêt de la Magie qui s'étendaient un peu plus loin.
- Mais… Comment…
- Vas-t-en Malbas ! Je… Je sens qu'ils viennent pour toi ! Il y en a deux !
- Deux ? Deux quoi ? De quoi tu parles ?
La démone avait fermé les poings. Elle était encore plus nerveuse qu'avant.
- Je ne sais pas… Mais c'est mauvais. Fais ce que je te dis, je te rejoindrai chez toi !
En temps normal, le Dévoreur aurait protesté. Mais en cet instant, il n'en avait pas la force.
- Sois prudente…
Il s'envola sur ces mots. Vu sa vitesse, si on le poursuivait, cela allait être du gâteau de le rattraper. D'ailleurs, pourquoi aucune habitante du manoir ne les avait suivis ?
La réflexion de Koakuma fut stoppée lorsque deux formes sortirent de la forêt. Deux êtres vêtus de noir. Aucune partie de leur corps n'était visible et un masque blanc couvrait leur visage.
Le premier nouveau venu, le plus grand, avait un motif en forme de couronne, noirâtre, sur le front, au-dessus des trous pour les yeux. Seule aspérité du masque.
L'autre avait deux masques rouges, symétriques, partant chacune d'une joue pour remonter vers les yeux. Il semblait s'agir d'une femme mais Koakuma ne pouvait pas l'affirmer avec certitude.
Koakuma n'avait jamais vu de chose pareille.
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Jealousy
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L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Empty
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Kraïsen, Damné de son état, regarda le ciel, en direction de Malbas. Il ignora superbement le croassement corbin qui retentit au-dessus du trio nouvellement formé, produit pas un corbeau aux gestes bien rigides et aux yeux recouverts d'une cataracte blanchâtre.
D'un geste, le Damné invoqua une créature ailée, semblable à une gargouille d'un mètre cinquante. La créature de pierre à l'affreuse gueule démoniaque garnie de crocs et de dents déploya ses ailes et s'élança en direction du Dévoreur. (♪)
Sauf qu'un projectile rougeâtre la percuta aussitôt, l'envoyant à terre. Koakuma, que l'invocateur avait complètement ignoré, se dressait dans les cieux, faisant barrage.
- Vous… Vous ne l'aurez pas, qui que vous soyez !
Les deux Damnés se regardèrent. Sans un mot, Inya se mit en garde.

La gargouille, tombée au sol, poussa une plainte avant de repartir, cette fois vers la démone.
Bien que peu habituée au combat, Koakuma eut le réflexe de s'écarter. Ses deux grandes ailes écartées lui donnaient une certaine prestance, il fallait dire. Les griffes rocailleuses de son adversaire la manquèrent. Aussitôt, l'assistante bibliothécaire écarta les bras pour libérer un nuage d'orbes mauves de la taille de pastèques.
Les projectiles filaient en ligne droite, les rendant aisément évitables pour le monstre de pierre. Malheureusement pour lui, Koakuma avait joint ses mains et murmuré une incantation.
Un pentacle rouge inversé se ferma au niveau desdites mains, suivi par un fin rayon carmin. Largement suffisant pour percuter la gargouille. Non pas au niveau d'un point "vital", mais simplement au niveau d'une aile. Laquelle se fissura et perdit quelques morceaux.
Incapable de continuer à voler, le monstre de pierre tomba au sol, se brisant en morceaux.
Koakuma n'eut pas le temps de savourer sa petite victoire que plusieurs pointes de métal gris de quinze bons centimètres filaient vers elle, depuis sa droite. Avec un cri de surprise, elle usa d'un sort de protection, créant un cercle magique mauve qui arrêta les projectiles dans un son rappelant du verre.
Inya approchait. Elle était visiblement capable de voler, ses vêtements s'étant pour l'occasion ornés d'arabesques rouges.

Voyant le problème, Koakuma plongea. Déjà qu'elle était moyenne en combat, elle se savait nullissime au corps à corps.
Elle slaloma de justesse entre les pointes que lui adressait Inya, qui la poursuivait inlassablement. Du coin de l'œil, la démonette remarqua aussi la nouvelle créature de Kraïsen.
Un genre de serpent de trois bons mètres de long. Il avait des bois de cerf et volait. Il avait deux bras, chacun pourvu d'une main composée de trois doigts. Sa tête odieuse aurait pu être celle d'un humain si elle n'était pas verte, que sa gueule n'était pas si proéminente et garnie de crochets et qu'il n'avait pas des poils longs et noirs, caricature de cheveux.
Des flammes vertes se formèrent au niveau de ses paumes et il arrosa la démone avec deux gerbes de celles-ci.
Koakuma repartit vers le ciel pour ne pas se faire brûler. Elle adressa une nouvelle pluie d'orbes mauves, plus gros et en plus grand nombre, à Inya. Mais la damnée était agile et les esquivait sans grande difficulté. Plus à droite, le serpent démontrait qu'il pouvait voler aussi, moins gracieusement.
Il envoyait des boules de feu vert en direction de la démonette. La cadence était moindre que n'importe quel danmaku habituel, mais c'était suffisant pour gêner ses déplacements.
Inya en profita pour envoyer de nouvelles pointes, sortant de ses bras. Koakuma utilisa un nouveau sort de protection pour les bloquer avant qu'elles ne touchent sa peau.
Elle fit quelques mouvements de ses bras tout en partant en arrière, laissant Inya prendre sa place en ratant un assaut au contact.
Elle ne parviendrait pas à gérer tant d'adversaires en même temps ! Elle devait se focaliser sur l'invocateur. La démonette tendit son bras gauche vers Inya, l'aveuglant d'un violent flash lumineux. Cela lui laissa le temps de se décaler sur la gauche et plonger vers le sol, pour aller vers la forêt tout en esquivant le bombardement de sphères enflammées verdâtres que le serpent lui adressait.
Elle atteignit rapidement les premiers arbres et s'en servit comme couverture. Comme elle l'espérait, les flammes commencèrent peu à peu à s'étendre.
Une nouvelle incantation plus tard et un cercle magique orangé apparaissait devant la démone. Tel un aspirateur, il appela à lui le feu vert qui s'attelait à dévorer ce qu'il pouvait. Il en résulta la formation d'un orbe ignescent d'un mètre de diamètre, couleur émeraude. D'un mouvement de main, Koakuma l'envoya droit vers la créature invoquée.

Dans un sifflement méprisant et désagréable, elle glissa dans les airs afin de passer à la gauche du projectile. Une belle esquive, si on faisait l'impasse sur les sphères mauves qui suivaient.
Pris au dépourvu, le serpent fut touché à la tête. L'impact était loin d'être grave, mais il le fit reculer tout de même. Encore une fois, Koakuma gagnait du temps.
C'était son principal objectif. La victoire n'était là qu'un luxe accessoire dont elle n'avait pas nécessairement besoin. Le principal était que Malbas puisse mettre le plus de distance possible entre lui et ces choses.
Qu'étaient-elles ? Quelque-chose de démoniaque, Koakuma en était certaine. Mais cela n'avait rien à avoir avec ce qu'elle connaissait, pas même de Makai. Elle n'avait donc aucune idée de ce que ces êtres voulaient à Malbas.
Mais comme leur présence coïncidait avec l'incident du manoir, cela ne pouvait n'être rien de bon !

Il ne fallut pas longtemps au serpent, un démon peut-être lui aussi, pour se remettre en position. Mais l'assistante bibliothécaire avait eu le temps de préparer un nouveau sortilège.
Un cercle magique rouge se forma ainsi sur la terre meuble, sur la trajectoire de la créature reptilienne aux flammes vertes. Inconsciente du danger, le monstre continuait sa route, générant de nouvelles sphères verdâtres avec une malice certaine. Seulement lorsque son corps fin se plaça au-dessus du cercle, un rayon de lumière rouge en jaillit. C'en fut, cette fois, trop pour la créature qui disparut.
Koakuma n'avait même pas eu le loisir d'admirer sa performance qu'elle devait repartir vers les hauteurs afin de ne pas se faire trouer la peau. Littéralement.
Inya était de retour dans la partie, au grand désespoir de la démonette. Elle avait de réelles difficultés et sentait la fatigue monter.
Le statut quo n'allait pas continuer à s'éterniser, d'autant que l'autre allait invoquer une nouvelle créature dans peu de temps !
Elle n'avait pas le choix. Elle allait devoir utiliser de vieux souvenirs de Makai, même si ce n'était pas du joli.
Koakuma n'aimait pas se replonger là-dedans… Mais en ce jour, elle pouvait faire une exception. Elle en avait déjà fait pas mal, autant y aller jusqu'au bout !
Forte de cette résolution, une carte noirâtre apparut dans sa main droite, coincée entre son index et son majeur.
- Dark Desire "Bloody Feast"

Une brume rougeâtre s'amassa autour de la démone qui écarta les bras. Prudemment, Inya recula, se mettant à une distance respectable.
Bien lui en prit, car un pentacle écarlate se forma plusieurs mètres au-dessus de la démone, avant d'exploser en une pluie de pointes d'énergie rouge. Leur taille oscillait entre une dizaine et une soixantaine de centimètres de longs.
Désormais forcée de slalomer entre les projectiles pour préserver son intégrité physique, Inya s'éloignait de plus en plus de son adversaire. Laquelle observait attentivement ses opposants.
Pour son plus grand bonheur, Inya et Kraïsen s'étaient mis complètement à l'opposé. La valseuse à gauche et l'invocateur à droite, Koakuma voyait là une opportunité à ne pas rater, d'autant qu'aucun nouveau monstre n'était à remarquer.
Alors que la pluie prenait fin, la démonette se plaça parallèlement à la surface du sol. Elle saisit une nouvelle carte et visualisa sa cible.
Kraïsen reculait en se protégeant de ses bras levés. Il entrait peu à peu dans la Forêt de la Magie et il n'y avait rien entre lui et Koakuma.
Un mince sourire étira les lèvres de la démone et elle fusa vers lui, ailes tendues et vers l'arrière, comme si elle plongeait en piquée.
Le Damné la vit arriver et se décala rapidement sur la gauche, comptant profiter des arbres pour s'en servir de protection.

Mais si Koakuma n'était pas excellente en combat, elle savait réfléchir. Elle avait prévu le coup et, alors qu'elle pénétrait dans le bois, le pouce terminant son aile droite, en tout point similaire à une aile de chauve-souris, accrocha une épaisse branche. La démone plia son aile pour se hisser, ce qui devint "se propulser en l'air" à cause de son élan.
Elle se libéra ainsi une ligne de tir dégagée entre les arbres et arma sa carte magique.
- Host of Makai "Scream of Damnation"

Un pentacle inversé se forma une nouvelle fois. Rouge et au niveau de sa poitrine, il fut rapidement consumé par les cinq rayons épais de la même couleur qui filèrent vers le Damné. Le tout était accompagné d'un long et lancinant hurlement de douleur.
Moins agile qu'Inya, l'invocateur fut touché à l'épaule gauche et se retrouva dos à un arbre.
Une occasion en or. Mais Koakuma n'était pas dupe. Son autre adversaire ne devait pas être bien loin.
Son instinct était fiable puisque Inya refit son apparition. Ses pointes manquèrent Koakuma de peu, frôlant son aile gauche. Un peu perturbée et montrant des signes de fatigues, la démonette se recula et contourna un arbre.
Ce n'était pas bon. Il fallait qu'elle s'enfuie…
Une liane verte se referma autour de son mollet gauche et stoppa sa course, la faisant s'écraser au sol. En tournant la tête, elle vit la nouvelle invocation de Kraïsen, un tigre de bois, d'ébène vu la couleur, aux yeux rouges et dont le dos était équipé de quatre lianes, visiblement extensibles.
Un frisson parcouru la démone alors qu'Inya approchait en courant, bras bardés de pointes métalliques.

Manque de chance pour elle, un rayon d'énergie bleuté la percuta de plein fouet. Il fut suivi par une volée de flèches verdâtres qui s'écrasèrent autour de Koakuma, la libérant du tigre.
- Hey Koa, qu'est-ce tu fiches ici ? Enfin tu tombes bien, j'aurai des questions à t'poser quand on aura réglé ça.
Débarquée tel un cyclone, Marisa était à califourchon sur son balai et se tenait à droite de la démone. Elle regardait les deux Damnés d'un œil inquisiteur.
- J'ai déjà vu des trucs comme ça, se murmura-t-elle.
Cela remontait un peu. Mais elle avait affronté un de ces Damnés avec Reimu. Elle avait dû forcer pour avoir quelques informations et franchement, elle ignorait à peu près tout ce qui les concernait.
Ce n'était pas comme si ça l'intéressait.
Elle avait autre-chose en tête et pas de temps à perdre !

(♪) Il n'y eut donc pas le moindre entracte, pas la moindre transition entre l'arrivée de la magicienne ordinaire et la bouteille qu'elle lança en direction du tigre. Celui-ci approchait à pas lents, faisant preuve d'une certaine prudence. Remarquant le projectile inhabituel, il darda ses appendices verts dans sa direction.
Une liane brisa la bouteille d'un seul revers, provoquant aussitôt une explosion bleutée. D'un geste de la main gauche, Marisa conjura trois longs traits d'énergie bleutés. Ceux-là, le tigre ne les vit que trop tard, l'obligeant à battre en retraite, des marques de brûlure sur son corps.
Inya vint à la rescousse, courant rapidement et Marisa fut obligée d'obliquer vers la gauche pour éviter des pointes métalliques qui se fichèrent dans l'écorce d'un arbre.
- J'ai vu des lanceuses de couteaux faire mieux que ça, daze !
Voyant que la Damnée la suivait en volant, le corps à nouveau recouvert d'arabesques rouges, Marisa augmenta son altitude. Elle n'oubliait toutefois pas Kraïsen puisqu'une pluie de flèches vertes lui était destinée, ainsi qu'à son tigre.
La sorcière ne regarda pas le résultat, trop occupée à laisser les projectiles métalliques d'Inya ne fendre que l'air. La Damnée était rapide, il fallait l'admettre, et toute aussi acharnée.
- Fais en sorte qu'le masqué bouge pas, Koa ! hurla Marisa à la concernée tout en empêchant son chapeau de s'envoler lors d'un looping.
La démonette leva la tête, surprise.
Elle fut étonnée de remarquer le ballet aérien des deux adversaires. Marisa bombardait à présent Inya de projectiles divers et colorés mais de petite taille. La Damnée se coulait entre eux avec légèreté, bras le long du corps. Elle les bougeait parfois en les recouvrant de pointes pour envoyer celles-ci vers Marisa.
C'était presque une danse.

Consciente qu'il valait mieux respecter les consignes de Marisa, Koakuma se releva et envoya ses fameux orbes mauves du côté de Kraïsen et son tigre. Elle était de toute façon trop épuisée pour faire autre chose.
En haut, Marisa se penchait sur la gauche pour raser la cime d'un arbre avant de tourner sur elle-même puis d'effectuer un demi-tour brutal. Dans le même temps, sa main droite lâcha le manche de son balai pour se tendre, ouverte, devant elle.
Inya vit ses cinq pointes de métal sombre exploser sous la violence du laser bleu que la magicienne ordinaire lui réservait. Avec agilité, la Damnée pivota sur elle-même tout en ripostant. Quelle ne fut pas sa surprise de remarquer que Marisa n'était plus dans son champ de vision et que ses projectiles filaient sans véritable cible. Et elle fut encore plus surprise lorsque la sorcière la percuta violemment depuis le ciel, enfonçant l'embout de son balai au niveau de ses omoplates.
Déstabilisée, Inya perdit de l'altitude à grande vitesse. Elle se rattrapa à peu près, évitant le crash, et repartit de plus belle. Elle n'était nullement gênée par le coup que la sorcière venait de lui asséner et comptait bien lui rendre la pareille.
C'était sans compter sur la rapidité de l'ouragan blond et noir. Chevauchant toujours son balai, Marisa accéléra subitement afin de laisser une Inya venant juste de la rejoindre sur place.
Malgré sa vitesse élevée, la kleptomane reconnue savait se diriger sans problème. Un regard en arrière lui appris qu'elle était poursuivie, aussi elle fila droit vers des branches. En baissant la tête, elle parvint à passer, tout en laissant une nouvelle petite jarre derrière elle.
Inya ne s'y attendait pas et l'explosion qui s'ensuivit la laissa sur place. Marisa en avait profité pour faire un demi-tour et foncer une nouvelle fois sur son adversaire, qu'elle gratifia d'un presque élégant coup de pied.

Cette fois, Inya fut incapable d'empêcher le crash et percuta le sol alors que Kraïsen était à son niveau, plus à sa droite.
Le Damné reculait. Il était encore sous le feu nourri de Koakuma, qui avait eu raison du tigre.
- Parfait !

De son perchoir, Marisa jubilait, alors qu'elle avait placé ses adversaires exactement à l'endroit qu'elle souhaitait.
- Star Sign "Dragon Meteor" !
Elle avait brandit une spellcard. Celle-ci se dématérialisa, alors que la magicienne ordinaire volait vers la voûte céleste. Lorsqu'elle s'arrêta, ce fut pour se mettre debout sur son balai, l'incliner vers le sol et braquer le monde terrestre de son mini-hakkero.
Le rayon arc-en-ciel qui en jaillit fondit sur les deux Damnés, limités dans leurs mouvements par Koakuma.
L'impact sembla causer un minuscule séisme, ainsi qu'un cratère digne d'une chute de météore.
Fière d'elle, la magicienne ordinaire souffla sur son arme favorite, la remit dans une poche dissimulée de sa robe et redescendit vers le plancher des vaches. Elle mit également pieds à terre et s'avança vers le cratère. Koakuma était lessivée et s'était assise sur le sol.
Au point d'impact, Kraïsen ne bougeait plus. En revanche, Inya se relevait en titubant. A la grande surprise de Marisa, il semblait que la Damnée avait perdu son masque. Avec un rictus, la magicienne le repéra et ne perdit pas de temps pour le prendre en main. (♪)

- C'est joli. Je crois que je vais le garder, daze.
Se prenant au jeu, Marisa mit le masque sur son visage. Puis elle se figea. Elle venait de remarquer que la Damnée marchait dans sa direction. Mais ce n'était pas tout.
Non.
Ce que Marisa voyait, elle ne pouvait pas y croire. Doucement, elle retira le masque, alors que la silhouette vêtue de noir s'arrêtait à un mètre d'elle.
- C'est pas vrai…
Durant toute sa vie, avait vu des tas de choses. La plupart étaient complètement folles, parfois même inimaginables. Mais ce qui se dressait à présent devant ses yeux ébahis défiait sa raison.
Paradoxalement, c'était également comme si la dernière pièce d'un puzzle démesuré se mettait enfin en place.
- Maman ?

Le simple fait de prononcer ce mot, d'admettre ce qu'elle voyait, Marisa sentit que son cœur se serrait. Non. Il lui faisait presque mal.
Devant elle, un visage qu'elle n'avait jusque là jamais vu autrement qu'en photo restait sans émotion. Un visage translucide, comme s'il n'était pas vraiment là. De même, sa peau pâle était tachetée de brun, comme si ce mirage allait effectivement disparaître d'un instant à l'autre.
Ses yeux entièrement noirs achevaient le tableau, donnant à ce fantôme du passé un air tout à fait inhumain. Mais ce n'était pas le cas de ses cheveux. Sa capuche était tombée, laissant libre sa chevelure rousse lui arrivant aux épaules. Les voir flotter au vent renforçait l'aspect spectral de la Damnée.
Damnée.
Ce mot tournait en boucle dans l'esprit de la magicienne ordinaire. Les paroles de son père lui revenaient en mémoire.
Ainsi, voilà ce que sa mère était devenue. Une âme servile, un pantin sans volonté, exécutant des ordres aveuglément. Une coquille vide. Alors c'était ça ?
C'était le destin que sa mère devait avoir ? Sa punition pour avoir sacrifié sa vie afin de permettre sa naissance ? Elle s'était condamnée à une éternité de soumission et de souffrance, pour quelqu'un… Qui n'existait pas encore ?
Marisa fit un pas vers sa mère. Puis un autre.
- Hey… Salut… Maman…
Inya ne bougea pas. Pas plus qu'elle ne dit quelque-chose. Elle était comme absente.
- Tu sais, papa n'arrête pas de me parler de toi. Il m'a tout raconté. Que t'étais aussi une magicienne, que t'avais cassé les pieds à plein de yôkais… Quand j'étais gamine, ça me fascinais, tu sais. Du coup j'ai fait pareil.
Marisa avançait toujours. La Damnée bougea un peu la tête, plissant les yeux.
- Tu lui manques, tu sais. Et moi… J'aurais aimé te connaître.
La magicienne était à un mètre de la Damnée lorsqu'elle s'arrêta. En se mordant la lèvre inférieure, elle sentait ses yeux s'embuer, elle tendit le masque vers celle qui avait vendu son âme pour elle.
- Je suis fière d'être ta fille. Et… Malgré tout… Je t'aime, maman.

La voix de Marisa se brisa à la fin de sa phrase. Elle avait du mal à retenir ses larmes et se força à sourire. Un sourire immense, rayonnant, qu'elle avait toujours voulu donner sa mère. Inya s'avança, pour prendre son masque. Du moins, c'était l'idée de départ.
D'un mouvement, elle balaya le bras tendu, s'avança et prit sa fille dans ses bras.
Surprise, Marisa laissa le masque retomber au sol. Serré contre la Damnée, elle…
Son sourire disparut, comme son visage, qu'elle enfouit contre le ventre de sa mère. Les yeux de celle-ci se fermèrent, alors qu'elle enlevait le chapeau de sa fille pour passer sa main gauche dans ses cheveux.
Dans une autre vie, elle lui aurait murmuré des paroles rassurantes. Elle l'aurait serrée ainsi, des heures durant, pour ne jamais la lâcher.
Mais elle ne pouvait pas.
Elle ne pouvait plus.
La mère damnée n'eut assez de force que pour baisser sa tête et murmurer quelque-chose à l'oreille de Marisa. Trois petits mots. Mais pour n'importe quel enfant, et Marisa avait l'impression d'être redevenue une petite fille, cela signifiait tout.

Comme si le rêve prenait fin, Inya lâcha sa fille et recula. Son visage, qui s'était éclairé d'une lueur de vie, redevint morne. Sous les yeux de sa fille, elle ramassa son masque et le remit sur son visage.
Etait-ce pour cacher ses propres pleurs ?
Marisa l'ignorait, mais les siens, elle ne les masquait pas. Elle mourrait d'envie de tout faire pour retenir sa mère… Mais elle savait que c'était impossible.
Inya recula, avant de finalement tourner le dos et s'éloigner, rejoignant ainsi Kraïsen, qui l'attendait plus loin.

Remettant son chapeau sur sa tête, Marisa essuya ses yeux. Koakuma s'était avancée vers elle, ne sachant trop ni que dire, ni que faire.
- Koa…
La magicienne ordinaire se tourna vers elle. Ses yeux étaient certes tristes, mais également emplis d'une détermination sans faille.
- Comment on invoque un démon ?

Le soleil se couchait.
Koakuma était épuisée, alors qu'elle arrivait dans la Forêt Yôkai. Elle avait passé du temps avec Marisa, afin de tout préparer.
Mais elle se demandait, avait-elle fait le bon choix ? Tout cela ne lui disait rien de bon… Mais elle aurait été bien en peine de refuser.
Suivant les indications du Dévoreur, elle arriva devant la maison de bois qu'il occupait. La démonette toqua mais, devant l'absence de réponse, ouvrit de son propre chef.
Quelle ne fut pas sa surprise de voir Malbas endormi sur un fauteuil, près de la bibliothèque.
Au moins, elle avait réussi. Son nouvel ami était sain et sauf. Mais à présent, que faire?
Koakuma regarda dehors. Elle imaginait sans peine ce que Marisa était en train de faire. Et elle se reposa la question.
Etait-ce vraiment une bonne chose ?

La magicienne ordinaire était dans la Forêt de la Magie. Dans un coin tranquille, qu'elle savait peu fréquenté. Une petite clairière, en fait.
Suivant les instructions de Koakuma, la magicienne avait allumé des bougies et tracé un cercle au sol. Un cercle gravé de runes étranges et d'un pentacle tourné vers le sud. Mais également, six lettres inscrites autour. Des lettres dans une langue qu'elle ne connaissait pas.
Debout devant le cercle, Marisa regarda autour d'elle avant de se mettre à hurler.
- Samaël ! Je suis Marisa Kirisame et je t'invoque dès à présent, devant moi !
Il ne se passa rien.
Surprise et déçue, la magicienne recommença. Puis une voix qu'elle ne connaissait pas se fit entendre, plus à sa droite.
- C'est inutile.

(♪) Lucifuge approchait de la magicienne, mains jointes. Elles étaient ainsi invisibles, masquées par ses manches trop larges.
- Quoi ? Comment ça, inutile ? Et qui t'es ?
Marisa s'était tournée vers lui, méfiante.
- Je suis Lucifuge Rofocale. Premier Ministre de l'Enfer. Samaël était mon prédécesseur. Malheureusement, il est mort depuis de longues années. C'est pourquoi je réponds à votre appel, à sa place. Dites-moi, que puis-je faire pour vous ?
Marisa eut du mal à ne pas laisser paraître sa déception. Elle aurait adoré voir celui qui avait pris l'âme de sa mère en face. Tant pis.
Elle allait devoir faire avec.
- Beaucoup de choses. J'ai deux demandes. J'aimerais que vous soigniez quelqu'un. Il se nomme Luke Yakumo et il va mourir. Vous pouvez le faire ?
- A condition d'y mettre le prix, bien entendu. Quelle est votre deuxième demande ?
Marisa prit une grande inspiration. Ce n'était pas prévu, à l'origine. Et elle sentait que ça allait lui coûter énormément. Mais elle ne pouvait pas laisser les choses comme ça.
Fixant Lucifuge, elle se lança.
- Je veux que vous libériez l'âme de ma mère.
Comme souvent à ce stade des négociations, le Premier Ministre se mit à sourire.
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Jealousy
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Chapitre 33 : Un air de 26 Avril

"Ce sont parfois les plus nobles des intentions qui causent les plus grands désastres."
Satori Komeiji


(♪) Il faisait froid. C'était la constatation que Pride se faisait, alors qu'il se frottait les bras. L'hiver n'était plus très loin. L'Orgueil ne pouvait s'empêcher de se demander à quoi Gensokyo allait ressembler, emprisonné dans une gangue de glace et de neige. Pour le coup, les cerisiers de l'Hakugyokurou allaient faire de drôles de têtes. Déjà en ce moment, ils n'étaient pas particulièrement joyeux.
Du coup, Youmu travaillait d'arrache-pied pour les garder dans un état présentable et ramasser la peuplade de feuilles mortes qui occupait les jardins. C'était sans fin.
Pride lui aurait bien volontiers donné un coup de main, mais ses connaissances en jardinerie étaient à peu près égales à celles qu'il avait en médecine. Proche du néant. Et puis Youmu avait une sacrée tendance à refuser car c'était son devoir, et tout ce qui s'en suivait. Pourtant, la dernière fois, elle avait accepté sans rechigner…
Il fallait quand même admettre que la dernière fois, il n'y avait pas grand-chose à faire non plus.
Le Seigneur des Ombres haussa les épaules et se remit à l'ouvrage. Certes, Youmu s'occupait du jardinage mais il était hors de question qu'il reste là à ne rien faire, ou même aille ailleurs. Ce faisant, il préparait le déjeuner et s'aidait pour cela de plusieurs bras d'ombre. Comme quoi, les hommes aussi pouvaient être multitâches, avec la motivation nécessaire.
L'Orgueil avait d'ailleurs presque terminé lorsqu'un soupir de résignation se fit entendre à l'entrée de la cuisine.

La porte était derrière lui, tandis que les sushis qu'il avait confectionnés étaient disposés sur un plateau, sur la table qui était un peu à droite. A ce moment, Pride était occupé à éplucher des oranges.
- Tu ne m'avais pas dit que tu t'occuperais du déjeuner… remarqua Youmu en approchant un peu plus.
- Je savais que tu allais râler, sinon.
Le cuisinier improvisé ne s'était pas encore retourné. Il avait un rictus mêlant triomphe et sarcasme. L'escrimeuse se pencha pour examiner son travail, avec un air sérieux, quasi professionnel.
- Tu as déjà fait à manger pour nous trois. Mais tu sais que, normalement, c'est à moi de le faire. Cela a l'air bon, en tout cas…
La jeune femme regarda de ses yeux bleus une main d'ombre, fine et au bout d'un bras rachitique, déposer plusieurs quartiers d'orange sur une assiette.
- Merci, Youmu. Entre deux discussions avec Sakuya, je lui avais demandé deux ou trois conseils.
- Nous allons voir s'ils ont payé.
L'escrimeuse approcha sa main droite d'un morceau d'orange, mais une petite main d'ombre lui barra la route, faisant même un "non" de l'index.
- Pas touche !
Cette fois, l'Orgueil se retourna. Rien que pour voir de ses propres yeux la tête que lui fit la jardinière. On pouvait traduire son regard par un "sérieusement ?".
- Je vois que monsieur s'implique, lui lança-t-elle.
- Je fais comme toi ! D'ailleurs, t'as avancé ?
Elle fit la moue.
- Un peu… Mais j'en ai encore pour un moment.
- Et donc, que dirais-tu d'un peu d'aide ? s'enquit Pride d'un ton qui se voulait innocent.
Même s'il n'avait pas la moindre idée de comment on pouvait faire cela.
Youmu roula des yeux.
- Ça va, ça va, oui, je veux bien. Je vais commencer à me demander comment je faisais avant que tu ne débarques…
- Excellente question ! J'en sais rien. De toute façon, ça n'a pas l'air de gêner ta patronne que je te file un coup de main, donc autant en profiter.
- Je sais bien. C'est surtout moi que ça gêne…
- Parce que c'est ton devoir, blablabla, que je suis un invité, tout ça, tout ça. Mais ça me fait plaisir de t'aider, et tu le sais très bien.
Elle eut un sourire.
- C'est vrai. C'est simplement… Que cela fait tant d'années que les choses sont de cette façon. J'ai un peu de mal à me faire à l'idée que ça puisse changer.
- Il va falloir t'y faire car ce n'est qu'un début !
Elle plissa les yeux.
- A quoi penses-tu ?
- Uhuh, c'est un secret !
Bien que suspicieuse, la jardinière laissa passer.
- Je vais faire ma ronde. A tout à l'heure !
- C'est ça ! Fais gaffe, paraît qu'il y a des fantômes dans les environs…
Le regard courroucé de la jeune femme fit ricaner l'Orgueil qui se remit à l'ouvrage. Il ne fallait pas non plus croire qu'il se ramollissait…

Bien plus bas, sous la terre, une yôkai serpent laissait sa tête s'abattre sur la table devant laquelle elle était assise.
- Mal à la têêêêêête, se plaignait-elle.
Elle n'était pas seule dans ce cas puis que Yamame, qui se tenait à sa droite, était dans le même état.
- Pareil pour moi, Doku. Alalalah… Et Yuugi qu'a rien…
Il fallait dire que les deux filles occupées à décuver étaient chez l'oni, laquelle se portait à merveille. Après leur réveil, un couple d'heures plus tôt, elles avaient connu les joies de la gueule de bois et étaient incapables de faire quoi que ce soit depuis.
- Du coup… Réo est parti ? s'enquit Doku après un petit temps de silence.
- Oui. Pride avait un truc à faire. Je crois.
Elle regarda Yamame, presque avec tristesse.
- Du coup Réo ne fait rien, c'est ça ?
Haussement d'épaules de la part de l'araignée.
- Il attend son tour. Lui apprendra à me faire perdre mon pari.
Doku soupira.
- Tu veux qu'il te remarque, hein ? lui lança Yamame avec un regard espiègle.
- Mais il me voit très bien !
L'innocence de la réponse laissa la yôkai souterraine pantoise.
- Non… Mais je veux dire… Tu vois…
Les grands yeux ronds qu'ouvrait la yôkai achevèrent de convaincre Yamame qu'elle ne voyait rien du tout.
- Alors… Euh… Tu veux lui plaire, quoi !
Cette fois, l'idée atteint le cerveau de Doku. Elle y alloua même quelques pensées, levant la tête.
- C'est… Pas faux. Je lui dois beaucoup, alors…
Yamame balaya l'air de sa main droite, plusieurs fois.
- Tatatatata, on s'en fiche de ça ! C'est pas l'important !
- Comment ça ?
L'araignée se tapota la joue, comme pour réfléchir.
- La gratitude, c'est bien… Mais faut l'apprécier pour ce qu'il est !
- Je le fais !
- Vraiment ? Tu en es sûre ?
La yôkai de la surface approuva vivement.
- Je veux tout faire avec lui ! Ne jamais le quitter !
La yôkai souterraine, elle, ricana.
- C'est trop mignon ! Mais ça va être compliqué. Ton champion bouge pas mal et il a plein d'amies… Enfin, je crois.
- Il en a, c'est vrai. Certaines sont plus envahissantes que d'autres… Peste de vampire…
- Va falloir que tu te surpasses pour éclipser les autres !
- Je sais pas comment faiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiire !!!
Sur ces mots, Doku remit son visage contre la table. Avec l'alcool qui embrumait encore son cerveau endolori, elle n'avait pas la moindre chance d'arriver à avoir une idée correcte.
Si Yamame était plus lucide, elle n'avait pour l'instant pas d'idée concrète à soumettre au serpent.
- T'en fais pas… On va trouver !
Elle n'avait pas tellement réfléchi avant de dire ça. Comme d'habitude, diraient les mauvaises langues. Mais Yamame devait avouer qu'elle aimait bien Doku. Leurs caractères étaient similaires. De plus, son innocence et son air perdu étaient adorables. Il fallait vraiment tout lui apprendre !
Un peu comme avec Kisume, l'araignée souterraine se sentait presque… Responsable. Pas autant qu'avec la petite fille dans son seau, tout de même, mais cela lui paraissait être un devoir d'éclairer la lanterne de Doku. Ainsi que de l'aider dans sa quête. Il n'y avait pas vraiment de raison logique à cela, en fin de compte, mais Yamame ne s'arrêtait pas à ce genre de détails.
Elle faisait comme elle le voulait et cela suffisait !

Ce fut alors que le serpent eut une idée. Une idée incongrue mais qui plut à Yamame. Réo avait une maison, en surface. Il devait bien y avoir des choses à fignoler… Et elles pouvaient bien le faire durant son absence.
Ce fut pour cette raison que Yamame quitta l'Ancienne Cité pour aller à la surface, chose qu'elle ne se souvenait pas avoir fait depuis… De longues années !
En voyant la maison, dans la Forêt de la Magie alors qu'il devait être près de midi, Yamame siffla.
- C'est grand !
Sa nouvelle amie ne put qu'approuver. L'araignée souterraine réitéra son commentaire pendant la visite, à l'étage.
- C'est grand ! En plus, il y a assez de chambres pour tout le monde ! Bon d'accord, Suika en a réservé une mais si on dort pas tous à un dans une chambre…
Prise d'un doute, Doku compta sur ses doigts.
- Euh, oui, effectivement… Mais qui dormirait avec qui ?
Un sourire hilare illumina le visage, naturellement jovial, de Yamame. Elle en profita pour donner une tape dans le dos de Doku.
- Je sais pas, mais toi, tu seras avec ton Réo !
L'utilisation du "ton" fit aussitôt rougir la pauvre yôkai aux cheveux verts.
Elle fut sauvée de l'embarras par un appel provenant du rez-de-chaussée. Elles n'étaient plus deux, Kisume étant restée chez Yuugi. La pauvre occupante de seau décuvait encore.

Surprises, les deux nouvelles amies descendirent les escaliers au pas de course. Quelle ne fut pas leur stupeur de voir Suika se tenir près de la porte d'entrée, faisant un peu descendre le volume de saké infini de sa gourde.
- Bah qu'est-ce que vous faites là ? fut sa question quand sa bouche fut libre.
- On va un peu s'occuper de cette baraque ! répondit Yamame en se désignant tout en ployant son autre bras comme pour faire ressortir ses muscles.
- Ah. Je pensais que Réo était là, en fait, souligna l'oni.
- Pride devait aller quelque-part, je crois, indiqua Doku.
La petite cornue haussa les épaules.
- Voulez de l'aide ? s'enquit-elle d'un ton peu sobre.
Pour la forme, Yamame fit mine d'inspecter les lieux du regard, puis de demander l'avis de Doku de la même façon.
- Mes compétences d'architecte devraient être fort utiles mais j'aurai bien besoin de bras. Bienvenue à bord, Suika ! s'exclama l'araignée.
Il fallait dire qu'en vérité, la plupart des excursions en surface de Yamame étaient causées par des chantiers qu'elle dirigeait plus ou moins. On avait tendance à l'oublier, mais les araignées souterraines étaient douées en architecture, comme en témoignaient les structures complexes qu'elles réalisaient avec leurs toiles.
Même si dans ce cas-ci, il était surtout question de meubler les lieux. Cela n'allait pas empêcher l'énergique trio féminin de se mettre à l'ouvrage.

Assise sur un fauteuil, Koakuma refermait, pour sa part, le livre qu'elle venait de finir. Elle posa un regard distrait mais peu discret sur Malbas. Le Dévoreur était réveillé depuis plusieurs heures, maintenant, mais il n'avait pas prononcé plus de dix phrases.
Il était plongé dans ses pensées et elles ne semblaient pas particulièrement réjouissantes.
Si elle appréciait le silence, la démone commençait à trouver le temps long. Elle n'y tint plus.
- A quoi penses-tu, Malbas ? lui demanda-t-elle.
Il tourna la tête vers elle.
- Pardon ?
Soupir de l'assistante bibliothécaire, laquelle laissa ses ailettes retomber.
- Tu fais la tête ! lui signala-t-elle.
- Ah…
Voyant le peu de réaction de son interlocuteur, elle entreprit de s'approcher… Pour lui attraper les épaules avant de le secouer.
- Mais tu vas te réveiller, oui ! Qu'est-ce qui t'arrive, à la fin ?
Le pauvre alchimiste ne put que se laisser faire, malgré ses supplications pour qu'elle s'arrête. Une fois redevenu immobile, il leva les mains en signe de reddition.
- D'accord… Je me rends…
Prenant un air satisfait, Koakuma se rassit en face de lui.
- Alors parle !
Malbas se frotta les mains, histoire d'avoir quelques secondes supplémentaires pour trouver ses mots.
- C'est simplement… C'est à cause d'hier. Je me rends compte que j'ai encore perdu des âmes.
- Oh. Je comprends. Mais c'est peut-être mieux pour elles, non ?
Le Dévoreur pinça les lèvres.
- Je… Ne sais pas. J'ignore totalement ce qu'il advient des âmes lorsqu'elles sont consommées. Je ne me suis jamais vraiment penché sur la question… Elles disparaissent, oui, mais où vont-elles exactement ? Là où elles étaient censées aller ou bien… Leur destination est-elle encore une fois modifiée ? Au final, c'est comme si je les tuais deux fois…
- Car tu t'imagines pouvoir les ramener si elles restent en toi ?
- C'est ce que j'aimerais pouvoir faire…
- Génial, et tu te nourris comment ?
Silence.
- D'accord. Et si nous y allions doucement, Malbas ? Déjà, combien d'âmes te reste-t-il ?
Le Dévoreur s'autorisa un petit temps de réflexion.
- Une dizaine. Nue et Murasa sont encore là…
Koakuma opina du chef.
- D'accord. Tu vas devoir faire encore plus attention, du coup.
- C'est vrai.
Elle avait raison. Plus que raison. En cas de combat contre un ennemi décidé à l'abattre, Malbas doutait de ses possibilités de survivre. Même si ce qu'il craignait plus encore était de perdre Nue et Murasa pour de bon.
Il ne le disait pas à Koakuma, mais il voyait encore Nue. La yôkai lui avait parlé pendant qu'il "réfléchissait". Elle était préoccupée, elle aussi… Mais pas uniquement du fait du manque d'âmes et de la famine grandissante.
Etonnamment, elle s'inquiétait pour Koakuma. Elle avait beau ne pas la connaître, son action la surprenait et la touchait. Même si quand Malbas le lui avait fait remarquer, elle avait mimé l'action de lui en mettre une.
Ce qu'elle devait rêver de faire de toute façon. C'était sa priorité numéro une si elle revenait de là où elle était actuellement coincée.

(♪) Malheureusement, ce n'était pas possible en l'état. Mais Malbas reporta son attention sur Koakuma. Elle semblait plutôt bien encaisser ce qu'il s'était passé, mais cela pouvait n'être qu'une apparence.
- Et toi… Comment te sens-tu ? s'enquit le Dévoreur.
A son tour, la jeune femme prit le temps de réfléchir.
- Si on excepte que je suis hors de chez moi, sans aucune idée de si je dois y retourner ou même si je peux ? Alors dans ce cas, je vais parfaitement bien.
La gêne qu'elle lut sur le visage de Malbas la fit éclater de rire. Le voir ainsi, tout piteux, était amusant.
- Je suis désolé, Koakuma…
Elle l'arrêta d'un geste.
- C'est bon, Malbas. Ce qui est fait est fait, je suppose. Et puis je me suis bien mise dans cette galère de mon propre chef aussi.
Difficile de dire si elle regrettait. Le Dévoreur ne comptait de toute façon pas le lui demander, du moins pas en cet instant. C'était trop tôt. Les choses s'étaient précipitées d'une telle façon…
Lui-même avait encore du mal à réaliser ce qu'ils avaient vécu.
- Et ces êtres qui sont venus ? Ceux que tu as combattus…
- J'ignore ce qu'ils étaient. Mais ils étaient assurément soumis à une influence démoniaque. C'était de la même nature que lorsque tu as attaqué le manoir. Je l'ai senti dans tout mon être, comme quelque-chose de familier.
- Je comprends… Et ils venaient pour moi, tu crois ?
La démone approuva.
- Oui. J'en suis certaine. Je ne saurais pas te l'expliquer logiquement. C'est comme une impression. Non… C'est plus qu'une impression, une certitude.
- D'accord. Donc ces choses ont un lien avec moi. Ou plutôt, la chose qui les envoyée. Il faudrait la trouver… Quoi que ce soit. L'idéal serait de pouvoir "tracer" cette influence. Tu crois que c'est possible ?
Koakuma adopta une expression songeuse, posant ses doigts sur ses lèvres.
- Ce doit être possible, mais il nous faudrait l'une de ces créatures masquées.
- Et moi ? Il reste peut-être quelque-chose d'exploitable, même si tu ne le ressens pas.
La jeune femme regarda Malbas, le scrutant avec attention.
- C'est possible. Mais dans ce cas, je devrais sonder au plus profond de ton être.
- C'est dangereux ?
La démone agita un peu la tête, indécise.
- Oui… Enfin, un peu. Cela risque surtout d'être désagréable. Mademoiselle Knowledge pourrait utiliser une version de ce sort qui la fait aller dans ton esprit, mais je ne sais pas le faire toute seule. Et puis, la dernière fois, sur Réo, cela s'est mal fini…

Malbas se leva presque d'un bond.
- Réo ! Tu l'as vu !
Surprise, Koakuma se mit au fond de son siège tout en levant les bras vers Malbas, comme pour l'arrêter. C'était superflu mais le réflexe fit tiquer l'alchimiste. Il se remit bien sur son fauteuil, fixant son interlocutrice.
Quelques secondes passèrent. La jeune femme baissa ses bras en regardant sur sa gauche. Mais l'espace d'un instant, Malbas était certain qu'elle avait eu peur.
- Excuse-moi, Koakuma. Je ne voulais pas…
Elle hocha doucement la tête alors que ses ailettes se repliaient sur elles-mêmes.
- Ce n'est pas grave… C'est juste… Ça m'a rappelé Remilia.
Elle inspira profondément.
- Mais pour te répondre, oui, j'ai effectivement vu Réo. A de nombreuses reprises. Et mademoiselle Knowledge a fouillé dans son esprit. Elle aurait vu un étrange sceau ainsi qu'un homme en rouge qui l'a attaquée.
- Je n'ai aucune idée de ce que tout cela signifie, remarqua le Dévoreur.
- Moi non plus. Mais cette méthode est donc efficace…
- Nous n'avons pas Patchouli sous la main. Il va falloir que tu utilises l'autre méthode… Du moins, si tu es d'accord, évidemment.
Les ailettes de Koakuma se déplièrent pour revenir à leur place habituelle.
- Je l'ai proposé. Bien sûr que je suis d'accord ! Mais comme je disais, il peut y avoir des effets indésirables. Rien de bien méchant, normalement.
Malbas haussa un sourcil.
- Normalement ? releva-t-il.
- La magie a sa part d'aléatoire. Parfois, des choses arrivent sans qu'on les pense possibles ! énonça Koakuma avec un enthousiasme certain.
- Rassurant, marmonna le Dévoreur.
La magie pure n'était pas son domaine de prédilection, quoi qu'on en dise. D'un naturel logique, l'idée que quelque-chose d'aléatoire puisse lui arriver ne le mettait pas foncièrement en confiance. Toutefois il n'avait pas trop le choix. De plus, lorsque son regard croisa celui de Koakuma, il comprit que c'était le moment ou jamais de lui faire confiance.
Ses repères étaient, au mieux, brouillés. Elle avait besoin de se raccrocher à quelque-chose. Et lui était la seule ancre disponible actuellement. D'autant qu'elle avait tout perdu par sa faute. Ne subsistait à présent qu'une seule véritable solution : s'épauler l'un l'autre.
- Bon… Je te fais confiance, Koakuma, finit-il par dire.

Entendre ces mots refit sourire la démonette. Le Dévoreur put à nouveau voir ses ailettes s'agiter, ce qui contribua à le rassurer. Pour le coup, aucune explication logique n'était disponible.
Il ne voulait pas en chercher non plus, de toute façon. Suivant les indications de Koakuma, celui qui était devenu presque un patient se leva. Il alla vers la chambre et s'allongea sur le lit. Chose qu'il trouvait un poil suspecte.
S'étant mis dans le sens inverse à l'habituelle, Malbas avait la tête pointée non pas vers le mur se trouvant derrière le lit, mais la partie vide de la chambre. Koakuma put ainsi se placer là.
Doucement, elle plaça ses mains autour de la tête du Dévoreur. Il frissonna lorsque les doigts de la démone se posèrent sur ses tempes.
- Détends-toi, lui ordonna-t-elle simplement.
Malbas avait les yeux fermé. Il acquiesça et essaya de faire ce qu'on lui avait demandé. Plus facile à dire qu'à faire. Koakuma s'en rendit compte et commença alors à lui masser la tête, remontant un peu ses doigts.
La surprise devint d'abord panique, alors que le jeune homme se demandait ce qu'elle faisait.
- Puisque tu n'arrives pas à le faire tout seul, je t'aide. Au manoir, Meiling fait de très bons massages. Elle maîtrise l'énergie intérieur, le chi et a une étonnante connaissance du corps, au niveau des canaux énergétiques, les méridiens, qui s'y trouvent. Elle m'a appris quelques petites choses. En massant, je stimule les méridiens. Ton chi s'écoule ainsi mieux et cela ne peut que t'aider à te détendre.
Malbas n'écoutait qu'à moitié. Il avait déjà étudié, un petit peu, la question du chi. Cette énergie vitale qui liait les êtres au reste du monde. Les maîtrises élémentaires y étaient très liées. Mine de rien, c'était un sujet que le Dévoreur aurait bien aimé étudier en profondeur.

Presque imperceptiblement, bercé par la voix de Koakuma qui continuait de parler, Malbas se détendait. Il laissait ses pensées s'envoler là où elles le voulaient. Il sentait toujours les doigts de la démonette entre ses cheveux, toujours à lui masser le crâne. Mais la gêne qu'il avait d'abord éprouvé avait à présent disparue. La sensation était toute nouvelle et elle était très agréable.
En vérité, Malbas ne pensait déjà plus à ce que Koakuma devait faire ensuite. Il se sentait juste bien et, chose rare, n'avait aucune envie de connaître le pourquoi du comment. En revanche, il voulait tout savoir de sa nouvelle alliée. Un intérêt clair et net, un désir d'en apprendre plus sur elle et qu'elle lui apprenne. Il aimait sa compagnie et pressentait qu'il ne s'agissait qu'un début.
Cette ouverture d'esprit, associée à sa détente, acheva la préparation. Sans crier gare, Koakuma fit redescendre ses doigts vers les tempes du Dévoreur. Là, elle marmonna une incantation qu'il ne comprit pas, fermant les yeux.
Le contact doux des doigts de la démone sur ses tempes était agréable, pour le moins. Mais sa peau n'était plus la seule chose que Malbas sentait. De légers picotements à ces endroits avaient pointés le bout de leur nez. Puis ce fut le tour d'une sensation de chaleur, de plus en plus forte, sans pour autant aller jusqu'à la brûlure.
Koakuma affichait un air de profonde concentration. Elle n'esquissait pas un mouvement.

Cela allait durer une dizaine de minutes. La chaleur augmentait progressivement et Malbas la sentait progresser dans tout son corps. Puis finalement, le contact se rompit, lentement. Le jeune homme resta encore quelques instants immobile puis rouvrit les yeux avant de s'asseoir.
- Alors, qu'est-ce que ça donne ? s'enquit-il en se tournant vers Koakuma.
Elle avait un air perplexe, main droite au niveau du menton.
- J'ai dû aller assez loin… Effectivement, il y a encore une "empreinte" démoniaque à l'intérieur de toi. Mais c'est au fond, comme… Caché.
- Comme une commande que l'on pourrait activer à distance ? Ou bien un reste de ce que j'étais ?
- Justement, je suis incapable de le dire précisément. De plus, c'est beaucoup trop enfoui et faible pour être exploitable avec un sort de localisation. Du moins à mon niveau.
Cette nouvelle fit grimacer Malbas.
- Je n'aime pas ça, Koakuma. J'ai vraiment l'impression de n'être qu'un pantin.
- Je ne pense pas que ce soit aussi simple. Ces types masqués te cherchaient pour une bonne raison. Ce "signal" est justement peut-être trop faible pour fonctionner encore.
Malbas se gratta le sommet du crâne.
- Peut-être. Nous manquons cruellement d'informations. Tu crois pouvoir en savoir plus ?
- Possible, en refaisant des tentatives comme celle-ci. Je suis désolée, mais il va falloir modérer ton impatience. Enchaîner tout de suite serait dangereux.
- Très bien… Si tu le dis, je te crois.
Elle sourit.
- Nous avons enfin une piste, Malbas ! Reste confiant. Ce n'est qu'un début.
Devant en avoir assez de rester debout, elle s'assit à côté du Dévoreur, à sa droite.
- Et tu as tort. Tu n'es pas une marionnette. Tu te bats contre ta propre nature. Afin de réparer une partie de ce que tu as fait. Si ce que j'ai découvert peut effectivement affecter tes actions et décisions… Alors tout ce que tu as fait est encore moins ta faute.

Le jeune homme ne répondit pas. Il ne savait pas. Ses objectifs ne changeaient pas et cette nouvelle venait renforcer la théorie selon laquelle il n'avait pas toujours été lui-même. Mais théoriser et voir la chose, ou une preuve de celle-ci, étaient deux choses différentes.
Et à présent, n'était-il encore qu'en train d'exécuter la volonté d'un démon ou d'une quelconque entité ? Où s'arrêtait son libre arbitre ?
Evidemment, il restait possible que cette "trace" soit sans effet ou n'en ai plus. Mais il ne pouvait pas écarter l'hypothèse du contrôle et pas uniquement car, au fond, elle l'arrangeait. Rien de mieux que la bonne excuse du contrôle mental pour se décharger de la culpabilité. Pour dire que ce "n'était pas sa faute".
Une chose que Malbas trouvait grotesque. Cela pouvait ne pas être entièrement sa faute mais il restait celui qui avait tué. Un meurtrier en restait un, quel que soit son motif. Et aucune excuse ou raison, aussi tordue soit-elle ne pouvait changer cela.
Le regard dans le vague, Malbas ne vit pas que Koakuma le fixait. Elle avait remarqué son trouble. Doucement, elle se pencha et déposa un baiser sur la joue du jeune homme.
Surpris, il la regarda.
- Peu importe, Malbas. Moi, je suis contente de te connaître, pantin ou pas. Et je promets de rester à t'aider !
Pris au dépourvu, le Dévoreur ne fit que cligner stupidement des yeux. Puis son expression s'apaisa.
- Combien de fois faudra-t-il que je te remercie ? fit-il simplement.
Avec un petit rire et des mouvements de ses ailettes, Koakuma se laissa retomber dans le lit.
- Autant que tu voudras !
Il la suivit des yeux.
- Il y en a pour un moment, alors…
Elle perturba avec un clin d'œil.
- Il n'y a pas que les mots pour remercier quelqu'un, tu sais. C'est comme pour prouver sa loyauté, son affection ou n'importe quoi. Les actes sont pas mauvais non plus !
- Tiens donc. Et qu'est-ce que tu as en tête, alors ?
Elle plongea ses yeux dans ceux du Dévoreur.
- J'en ai plusieurs… Mais pour l'instant, on va rester simples. Très simples…
Elle fit durer le suspense encore quelques instants avant de lâcher finalement :
- Tu n'as vraiment rien à manger dans cette maison, par hasard ?
Ne s'y attendant pas vraiment, Malbas se mit à rire. Force était de constater que non. Les Yôkais Magiciens n'éprouvaient pas le besoin de manger, ni de vieillir ou de dormir, d'ailleurs et lui-même n'avait aucune utilité à consommer de la nourriture normale. Cette maison n'avait sans doute jamais vu de nourriture normale depuis sa construction.
Le Dévoreur allait donc devoir en chercher. Mais en voyant Koakuma, il se prit à se demander ce qu'elle pourrait bien exiger la prochaine fois. Une chose était sûre, elle avait de la suite dans les idées !
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Jealousy
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeLun 31 Aoû - 20:51

Dans l'Hakugyokurou, Pride était occupé à laver la vaisselle, se remémorant fièrement les quelques mots de félicitations que Youmu lui avait offert. L'idée même de cuisiner ne lui aurait jamais effleuré l'esprit auparavant mais visiblement, il ne se débrouillait pas trop mal.
Bien entendu Yuyuko y était aussi allée de son petit commentaire. Elle avait apprécié mais l'Orgueil se doutait qu'elle appréciait tout ce qui était comestible, de toute façon. Ce n'était pas non plus comme si son avis l'intéressait particulièrement.
Réo ne s'était pas fendu d'un commentaire. Il se faisait discret quand Pride était aux commandes, en ce moment. Le Seigneur des Ombres n'allait pas s'en plaindre.
Le bruit d'une explosion lointaine lui fit lever la tête. Dans le calme plat du Royaume des Morts, cela détonait.
Y avait-il un combat qu'il avait loupé ?
Comme il en avait terminé, Pride quitta la pièce. Il se dirigea vers le jardin, pour jeter un coup d'œil, mais Youmu n'y était pas. Cela devait donc être du côté de l'entrée.
Il devait avoir vu juste car, au hasard des couloirs, le jeune homme aux cheveux blancs vit une silhouette noire au chapeau pointu approcher, tête basse.
- Salut, Marisa. C'est toi qui as causé ce bordel ?
Elle leva la tête et Pride sentit un frisson lui parcourir l'échine. Qu'est-ce qui n'allait pas avec elle, au juste ?
Où était donc passée la Marisa pleine d'entrain et d'énergie qu'il connaissait ? Car avec sa peau pâle, ses yeux malades et son expression crispée, elle avait plutôt l'air d'être un fantôme.
- Salut. Je viens voir Yuyuko. C'est… Très urgent.
- Elle est à l'étage. Tu es sûre que tout va bien ?
La magicienne ne répondit pas et continua son chemin, dépassant Pride. Elle se stoppa néanmoins après quelques mètres, pour se retourner, comme si elle se rappelait subitement quelque-chose.
- Ah. J'y ai peut-être été un peu fort sur Youmu. C'était ça, le bruit. Désolée. C'est urgent.
Ses lèvres se tordirent, comme si elle avait vu... Difficile d'imaginer ce qui pourrait la faire réagir ainsi. Mais elle s'empressa de laisser Pride seul.
- Mais qu'est-ce que je viens juste de voir ? lâcha un Seigneur des Ombres abasourdi.
Quelque-chose de mauvais se tramait. Marisa Kirisame dans un état pareil, cela ne pouvait être qu'un mauvais signe.
Mais il ne la connaissait pas assez pour l'interpréter, aussi alla-t-il à l'entrée. A glissement de la porte et au croassement sinistre d'un corbeau succéda la légère plainte d'une Youmu blessée.

(♪) Assise au milieu de l'allée, la pauvre escrimeuse avait dû goûter à un rayon peu subtil dont Marisa avait le secret. L'état des environs, oscillants entre brûlés et carbonisés, en attestait.
- Je te laisse deux minutes et c'est la tuile !
La demie-fantôme lança un regard indiquant clairement que "ce n'est ni drôle, ni le moment" à Pride. Lequel n'en tint évidemment pas compte et marcha dans sa direction, l'aidant ensuite à se mettre bien debout. C'était surtout son côté gauche qui avait été touché, notamment. Rien de bien grave, cela dit.
Youmu le remercia, mais elle était morose.
- Tu fais la tête parce qu'elle t'a roulé dessus pour la deux cent trente-septième fois ?
- Ce n'est pas la peine d'en rajouter ! J'ai encore échoué.
Pas de doute, elle faisait la tête. Ce qui n'était, une fois encore, pas habituel. Toutefois, l'Orgueil pouvait tout à fait comprendre son ressentiment. Youmu était si sérieuse et impliquée…
Alors qu'il aurait normalement redoublé de sarcasmes, Pride choisit cette fois de se taire. Youmu et lui rentrèrent dans l'enceinte du manoir et rejoignirent une petite pièce servant d'infirmerie.
Elle était visiblement peu utilisée mais l'escrimeuse indiqua à l'Orgueil où trouver ce qu'il fallait.
- Tu peux me laisser. Je peux m'en charger moi-même, ce ne serait pas la première fois, commenta sèchement la demie-fantôme.
- Peut-être. Mais je ne vais pas te laisser te soigner toute seule comme si tu étais isolée au milieu de nulle part !
Elle ne répondit pas. Dans un silence absolu, Pride commença à nettoyer les blessures de l'escrimeuse. Certes il y avait son bras gauche, mais la jambe droite était aussi touchée, plus légèrement.
Rien de tout cela ne nécessitait que Youmu se déshabille et cela arrangeait bien l'Orgueil. Non pas qu'il la trouvait laide, bien au contraire, mais cela aurait tout de suite été plus…
Il secoua la tête, chassant ses pensées. Youmu le remarqua et si elle s'abstint de tout commentaire, l'ombre d'un sourire étira ses lèvres.
Elle ne dit rien lorsque Pride pansa et banda sa blessure à la jambe. Puis, alors qu'il s'occupait du bras, elle n'y tint plus.
- J'ignorais que tu savais t'occuper des blessures.
- J'ai vu pas mal de blessés quand j'étais… Ailleurs. Enfin, Jealousy, Réo, les a vus et a vu comment on s'en occupait. Contrairement à lui, j'ai retenu. C'est sans doute pas parfait mais c'est mieux que rien.
Il avait parlé tout en continuant son œuvre, enroulant un bandage autour de la blessure pansée.
- C'est vrai.
- En plus, tu ne fais plus la gueule.
Youmu leva les yeux au ciel.
- Je ne faisais pas la "gueule".
Il ricana.
- Bien sûr que si. Tu as raté ce qu'on t'a demandé de faire donc ça t'a gavé.
- D'accord… C'est vrai.
Pride changea de cible, s'occupant à présent d'une entaille au poignet droit qu'il n'avait pas remarquée auparavant.
- Tu culpabilises, j'en suis sûr.
Elle ne prit même pas la peine de réfléchir avant de répondre.
- Oui. Un peu. Si une tâche m'est confiée… Je déteste échouer.
- C'est normal. Mais je pense qu'il est inutile de culpabiliser pour quelque-chose pour lequel on n'y peut rien.  
- C'est un genre de règle ?
Elle grimaça lorsque Pride nettoya la plaie. C'était assez profond, sans doute à cause d'un éclat projeté par une explosion.
- Désolé. Et moui, non, pas vraiment. Je n'ai pas vraiment de règles gravées dans le marbre. Tu me connais, j'aime faire ce que je veux, énonça-t-il.
Il la regarda avec des yeux malicieux avant d'ajouter :
- Contrairement à toi.
Youmu lui fit les gros yeux.
- Je sais parfaitement m'amuser, contrairement à ce que tu sous-entends !
- Possible, mais tu ne te laisses pas du tout aller. Devoir, devoir, oui, certes. Mais si tu ne vis pas à côté, et bien… Personne ne le fera à ta place.
Elle ferma les paupières, un court instant. Sa vision revint du côté de son poignet. Pride appliquait son bandage. C'était assez amusant. Si ses paroles étaient peu douces, ses gestes en revanche n'avaient jamais été aussi… Mesurés ?
Enfin, pas tout à fait "jamais". Mais il y mettait du cœur.
- Si nos règles sont si différentes… Pourquoi ne pas en inventer de nouvelles, pour nous deux ? proposa l'escrimeuse, l'air de rien.
Pride, qui avait terminé, la regarda quelques instants, sous la surprise. Puis il eut un rictus.
- Là, c'est mieux !
La jardinière fit quelques mouvements de son poignet alors que l'Orgueil rangeait tout ce qu'il fallait dans des armoires.
- Je commence. "Ne jamais faire entièrement confiance à un inconnu".
Le Seigneur des Ombres fit un mouvement de la tête.
- Ajoute "Surtout s'il est étrange ou en sait trop" et c'est parfait. Mais cela n'a pas sa place en tant que règle numéro une.
Elle acquiesça. C'était au tour de Pride. Il n'eut pas longtemps à réfléchir.
- "Toujours accepter de l'aide ou en chercher quand on en a besoin".
- Dois-je y voir un message caché ?
Pride haussa les épaules, malgré le ton soi-disant menaçant de la demie-fantôme. Il aimait bien quand elle prenait cet air sévère, sourcils froncés et l'expression presque mécontente. Mais elle se forçait, cela crevait les yeux.
- Je ne pense pas non plus que cela aille, finit-elle par dire.
- Oh ! Mais c'est important quand même !
Elle le regarda d'un air navré.
- J'ai compris le message, Pride ! Mais il serait bon que tu fasses de même.
L'Orgueil leva les mains.
- Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler !
- Bien sûr que si. Avec Yoru, par exemple, fit-elle avec un regard accusateur.
- Hé, je t'ai raconté ça hier soir pour avoir des félicitations !
- Si tu cherches à avoir des félicitations, tu ne mérites aucune considération ! lui lança-t-elle.
Pride croisa les bras.
- C'est une règle, ça ?
Youmu sourit, d'un air espiègle. Et ça, Pride adorait.
- Cela pourrait bien en être une ! Mais te connaissant, tu ne la respecterais jamais.
Elle se permit un petit rire lorsque le Seigneur des Ombres grommela quelque-chose.
- Je plaisante ! Ne te vexe pas.
- Trop tard. Sors-la donc, la première règle, marmonna-t-il, feignant de bouder.
Youmu se remit droite, sur son siège. Puis elle regarda Pride, droit dans les yeux. Elle avait changé d'expression. Le mince sourire étirant ses lèvres était… Presque serein.
- Ne jamais se mentir entre nous, énonça-t-elle simplement.
Pride s'accorda un délai de réflexion. Mais rien que son visage laissait présager de la suite.
- Cela me va. Bien joué. Il faudrait trouver de quoi les écrire, ces règles…

L'escrimeuse approuva l'idée. Le duo sortit de la pièce et retourna dans le salon. Là, Youmu trouva de quoi écrire. Elle s'occupa elle-même d'écrire ces fameuses règles, trouvées d'un commun accord.
- On peut en faire une sur Reimu ?
- Non.
La réponse, sans appel laissa un Pride, assit à la gauche de Youmu, déçu.
- Il faudra que tu me dises ce que tu as trouvé dans les souterrains, d'ailleurs. Je sais que tu as vaincu Yoru seul, mais tu as quelque-chose de différent. Non, je ne parle pas de ta mèche.
- Ah, ça… Disons que j'ai trouvé la réponse à une question que je me posais depuis longtemps. Une question très importante. Enfin on a tous dû se la poser à un moment ou un autre…
- Je suis curieuse de l'entendre, fit-elle en mettant un petit papier dans un coffret de bois.
Cela devait être le dixième, pour autant de règles.
- "Qui suis-je ?'. C'est une question qui m'a toujours… Dérangé, annonça-t-il.
En d'autres occasions, il aurait sans doute pris un air plus mélancolique. Mais ce n'était pas le cas, cette fois. Il était tranquille.
- Je comprends. Tu as raison, je me la suis posée également. Surtout ces derniers temps, avoua la demie-fantôme.
Pride la considéra avec perplexité.
- Ah bon ?
Elle opina.
- Oui. Je suis à moitié fantôme, je te rappelle. Ce faisant… Je suis à moitié morte. C'est plus difficile à gérer que cela en a l'air, comme le fait d'avoir deux corps.
Comme pour lui donner raison, Myon approcha de Pride.
- Je veux bien te croire… Ta situation est tout de même particulière.
- Oui. Apparemment, c'est de famille. Mon prédécesseur, Youki Konpaku, était également un demi-fantôme.
La jeune fille devint songeuse.
- Il m'a tout appris. Enfin presque… Ma formation au sabre n'était pas terminée quand il est parti.
- Ah… Je suis désolé…
Youmu le regarda avec surprise pendant deux secondes.
- Ah, non ! Il n'est pas mort ! Du moins, je crois. Il est simplement parti d'ici, pour une raison que j'ignore encore. J'étais jeune, à l'époque.
Pride s'était figé.
- Donc… Il t'a laissé tomber… Comme ça, du jour au lendemain, sans aucune explication ?
- Oui… Je me suis souvent demandée si j'avais fait une erreur ou je ne sais quoi… J'aimerais bien savoir ce qu'il est devenu. Le passage de flambeau a été assez brusque, je dois dire…
Pride ricana.
- Je veux bien te croire…
Une certaine nervosité était discernable, dans sa voix.
- Tu as l'air énervé, nota même Youmu.
L'Orgueil ne répondit pas. Il attrapa un papier et écrivit dessus, sans doute pour ajouter une règle.
- Au fait, tu n'as pas trouvé Marisa bizarre ? s'enquit-il, l'air de rien.
Le changement de sujet désarçonna l'escrimeuse. Elle chercha ses mots quelques secondes.
- Euh… Oui. Elle l'était vraiment. Je… Ne l'ai jamais vue ainsi.
- Moi non plus, mais tu la connais mieux que moi. Tu sais pourquoi elle voulait voir Yuyuko ? réagit Pride sans quitter le papier des yeux.
- Non, mais c'était urgent. C'est… Véritablement étrange.
L'Orgueil ne pouvait pas dire le contraire. Il se mit en arrière, permettant à Youmu de pouvoir enfin lorgner sur le papier, ce qu'elle essayait en vain de faire depuis le début.
- Je vais voir si elle est encore là, déclara-t-il en se levant.
- Je viens ! le prévint Youmu, avec un sourire.
Elle avait lu le papier. "Règle numéro 2 : Ne jamais abandonner ses proches. Aucune raison n'est valable". C'était là quelque-chose qu'elle approuvait…

Dans la Forêt Yôkai, Malbas marchait, l'air plus joyeux que d'habitude. Il était à la recherche de Mystia. Il avait déjà vu la yôkai chanteuse. Il avait même prit le temps de discuter avec elle, un tout petit peu.
L'effet de ses chansons sur lui, l'apaisant tout comme sa faim, le fascinait. Sa théorie était que le pouvoir de la jeune fille, semer la confusion, fonctionnait différemment sur lui pour une raison.
Mais ce n'était pas pour ça qu'il voulait la trouver. Non, il voulait lui acheter des lamproies. Koakuma aurait très bien pu y aller également mais le Dévoreur avait insisté pour y aller. Un peu de galanterie refaisant surface, sans doute.
Dans son esprit, le jeune homme entendait Nue rire à pleins poumons, se moquant allègrement de lui. Chose qui ne l'agaçait pas. C'était plutôt amusant et même lui trouvait que la situation pouvait prêter à rire. Qui aurait cru que l'aide d'une assistante que tout le monde ignorait pourrait lui être si précieuse !
Il avait de l'estime pour Koakuma. Une chose qui…

Malbas se figea. Coupé court dans ses pensées, il cessa tout mouvement. Il avait ressenti quelque-chose, dans tout son corps. De l'énergie. Une quantité astronomique d'énergie.
Sentir l'énergie était un don qu'il avait naturellement, mais il devait l'utiliser de manière consciente. De plus, cela ne touchait que l'énergie vitale. Un radar, en somme. Pourtant, là, il ne s'agissait pas d'énergie vitale et cela venait à lui sans qu'il le demande. Il frémit.
Cela augmentait, sans cesse. Il n'eut aucun mal à en discerner la source. Cela provenait de la Montagne Yôkai… Et plus précisément, de ses entrailles. Alors qu'il aurait pu aller voir ailleurs, Malbas se dirigea vers la source de cette prodigieuse concentration énergétique.

Plus Malbas progressait, plus il sentait que cela empirait. Des animaux étaient en train de fuir, dans la direction opposée, par dizaines. Cela avait le mérite de simplifier la tâche au Dévoreur qui n'avait qu'à aller là d'où ils venaient.
Il n'allait pas falloir longtemps avant qu'il ne remarque un bâtiment de pierre blanche, relativement discret. Il était situé à la base de la montagne, près d'un court d'eau.
Un son distant vrillait ses oreilles. Cela provenait de l'intérieur du bâtiment !
Sans hésiter, il accéléra le pas pour aller à l'intérieur. Il croisa une fille aux cheveux bleus dès lors qu'il passa la porte.
Elle était également vêtue de bleu, un genre de robe, ainsi qu'une casquette verte. Malbas ne se souvenait pas l'avoir déjà vue. Il n'avait, d'ailleurs, pas revêtu d'apparence particulière, tant il était absorbé, hypnotisé presque, par ce qui se tramait.
L'air paniqué de la jeune fille indiquait toutefois qu'elle n'allait pas y prêter attention.
- Evacuez ! Evacuez, ça va exploser ! TOUTE LA MONTAGNE VA PETER !!! hurlait-elle à qui voulait l'entendre.
L'annonce agit sur Malbas comme un coup de massue, ou d'ancre.
- Qu'est-ce que c'est que ce chambard ? commenta une Nue abasourdie.
- Qu'est-ce qui se passe ? s'enquit le Dévoreur.
Voyant que l'autre prenait ses jambes à son cou, il la rattrapa, sans peine et saisit son bras pour la stopper.
- Hé ! Expliquez !
- Tu lâches pas une bombe pareille sans prévenir, Nitori ou pas, bécasse ! hurlait Nue, apparue près de la kappa.
Derrière elle, en fait, mais seul Malbas la voyait et l'entendait.
- Elle est incontrôlable ! Le réacteur va exploser et emporter tout ce qu'il peut ! Les radiations vont rendre la zone invivable ! Gensokyo va y passer et on ne peut plus l'arrêter, si on descend, la chaleur nous tuera ! C'est fini ! Utsuho va tous nous tuer ! Les commandes ne marchent plus, on ne peut même plus l'inonder ! Tout risque de s'effondrer ! Elle…
Malbas la lâcha. Nitori était tellement paniquée qu'elle déblatérait tout ce qu'elle pouvait sans même réfléchir. Il était inutile d'essayer d'en savoir plus… Et de toute façon, le Dévoreur avait compris l'essentiel.
- Ah les cons, j'avais entendu parler de ça ! Une yôkai fait de la fusion nucléaire et y'a eu des magouilles pour s'en servir de source d'énergie… Evidemment que ça va tourner mal !
Il n'avait pas besoin d'en entendre plus. Au pas de course, il s'enfonça dans le complexe. Le tumulte des gens hurlant des instructions ou tentant de s'enfuir couvrait l'alarme. Malbas ne savait plus trop où donner de la tête. Heureusement, un plan du bâtiment était affiché sur un mur.
Un plan d'évacuation, à vrai dire. Mais il allait suffire pour que Malbas aille dans la salle qui l'intéressait. Il était d'ailleurs surpris de voir qu'elle n'était pas fermée. L'endroit était majoritairement vide. Mais une porte blindée était visible. Enfin, blindée, Malbas ne faisait que le supposer. Elle était grise et un panneau de contrôle à sa droite permettait de l'ouvrir.

Il était surprenant de voir ce genre de technologie à Gensokyo. En vérité, les kappas étaient les kappas en étaient détenteurs et leur savoir était jalousement gardé. Malbas n'avait pas le temps pour ce genre de considérations.
Il ignora le panneau de contrôle et joignit ses deux mains. Ainsi, en les posant sur la porte de métal, il put transmuter un passage, qu'il referma aussitôt derrière lui.

(♪♪) Un abîme de noirceur l'attendait. Un puit sans fond, baigné d'une chaleur abominable. Rapidement, il utilisa le pouvoir volé à la fée Cirno pour rafraîchir l'air autour de lui.
Puis il descendit dans le trou qui était devant lui. Un trou parfaitement vertical. Des lampes rouges brillaient au rythme de l'alarme, que Malbas entendait à présent. Une horrible sirène qui lui donnait envie de s'arracher les tympans.
Dans cette obscurité, Malbas s'éclairait de flammes dansant au bout de ses doigts. Il le sentait, la chaleur ne cessait d'augmenter. A tel point qu'il commençait à douter que son petit tour pour rafraîchir allait suffire.
- Je ne sais pas ce qui nous attend exactement en bas. Mais on a de bonnes chances d'y passer. Gensokyo tout entier a une bonne chance d'y passer.
Nue avait parlé sans montrer la moindre malice. Elle était sérieuse, preuve de la gravité de la situation.
- Mon état exige que je sois prudent de toute façon… Cette fois, aucune aide providentielle n'est à espérer.
Nue acquiesça mentalement. Cela s'annonçait tendu. D'autant plus qu'il y avait le problème des radiations. Malbas n'avait aucune parade à cela. Si ses capacités de Dévoreur ne pouvaient rien pour lui, alors il était en train de faire un aller simple.
Dire qu'il voulait simplement acheter de quoi manger pour Koakuma…

Au bout d'un moment, difficile de déterminer le temps que la descente avait pris, l'alchimiste vit une lumière orangée et mouvante, en bas. Passant outre une fine, mais dense, fumée noire ascendante, il ne tarda pas à arriver au bout du tunnel, pour ne découvrir… Que l'enfer.
Quoi qu'il y ait eu autrefois ici, cela avait en grande partie fondu. C'était une mer de roche et de métal en fusion qui s'ouvrait devant Malbas. D'irréductibles îlots étaient visibles, constitués généralement de roche.
C'était au niveau de l'un d'eux, plutôt large et trente mètres plus loin, que la responsable de tout ceci se trouvait.

Sa jupe verte et blanche volait à cause des courants d'air chaud. Elle avait une chemise blanche brûlée. Au-dessus de sa poitrine, un œil vertical était visible. Grand ouvert, il brillait d'une lueur orangée. Plusieurs lueurs flamboyantes partaient de là, s'étendant comme les sinistres signes d'une affliction mortelle.
Ses cheveux noirs étaient longs, lui arrivant jusqu'au bas du dos. Les reliquats carbonisés de ce qui était un nœud vert étaient emmêlées au reste de sa chevelure. Dans des claquements impérieux, sa cape blanche et noircie, réduite à une déchirure béante, volait avec ses deux grandes ailes noires.
Ses bras écartés laissaient entrevoir les ruines métalliques d'un long objet brun finissant de se décrocher du bras gauche. Concernant ses jambes, son pied droit était coulé dans du béton, littéralement, alors que deux sphères lumineuses tournoyaient autour de son autre cheville.
- C'est elle… Utsuho Reiuji. Le corbeau de l'enfer qui fait de la fusion nucléaire, indiqua Nue.
La concernée regarda le Dévoreur. Ses yeux bruns brillaient. Elle n'attendit pas un instant de plus et tendit son bras gauche vers Malbas.

Il n'évita un rayon d'énergie doré que de justesse, mû par un réflexe salutaire. Si ce truc l'avait touché…
Le Dévoreur, ne pouvant plus se mouvoir qu'en volant, alla sur la gauche. Il vit du coin de l'œil une bulle de matière en fusion se former et éclater, projetant des gouttes surchauffées tout autour.
Du regard, Malbas cherchait un cercle métallique ou quoi que ce soit qui pouvait servir de valve. Si les commandes ne marchaient plus, la chaleur et la radioactivité devaient avoir dépassé les seuils prévus pour affecter ainsi l'équipement, il pouvait au moins l'ouvrir de force.
Seulement les fumées causées par la fonte des lieux obstruaient pas mal sa vision. Ce n'était pas tout car une volée de sphères lumineuses fila vers Malbas.
Il reprit de l'altitude pour les laisser passer en-dessous de lui. Un regard vers Utsuho lui fit remarque le rictus cruel qu'elle arborait. En revanche, les extensions orangés, elles faisaient penser à des brûlures, partant de son troisième œil lui avaient tout l'air d'être plus étendues.
Quelque-chose lui échappait. Malbas changea sa trajectoire et fit un grand mouvement de son bras droit. Une bourrasque en naquit, chassant la fumée. Son objectif n'était pas en vue.
Il plongea une fois encore, échappant à une volée continue de sphères de la taille d'une orange. Mais rien n'était gagné, puisqu'elles se ramassèrent sur elles-mêmes avant d'exploser comme autant de bombes miniatures.
Le souffle perturba Malbas. Il perdit de l'altitude et approcha dangereusement de la lave. Trop dangereusement, en réalité. S'il ne la toucha pas, la chaleur dégagée suffit à brûler sa peau au travers de ses vêtements.
Son visage se tordit de douleur alors qu'il remontait… Mais il n'avait pas entendu l'incantation d'Utsuho.
- Explosion Sign "Mega Flare".

Seule la lumière, aveuglante, se dirigeant vers lui permit au Dévoreur de voir, quasiment trop tard, l'énorme sphère de trois mètres de diamètre approchant de lui.
Il n'avait aucune chance de l'éviter et dû se résoudre à tendre ses deux mains vers elle.
- Glacial Dream "Frozen Soul"

Ses paumes se garnirent chacune d'une bouche circulaire garnie de petites dents effilées. A peine étaient-elles apparues que la tourmente d'énergie nucléaire, tempérée par sa nature de spellcard, les percutait. Le choc fit reculer Malbas, emporté qu'il était par la taille de la chose. Cela n'allait durer qu'un temps, cependant. La sphère brillante commença peu à peu à s'éteindre, pour se solidifier en devenant un énorme morceau de glace. Privé de toute énergie, tant cinétique que thermique, le projectile tomba lourdement dans le manteau liquide et brûlant servant de sol.
- Impressionnant, pour un mortel…
La voix d'Utsuho était étrange. Etrange car… Masculine et vibrante. En utilisant sa spellcard, Malbas avait également ressenti l'énergie vitale aux alentours. Or celle du corbeau infernal était double. Comme si une autre présence était dans son corps.
L'utilisation de cette technique avait également rafraîchi les alentours, sans pour autant refroidir la mer ardente baignant les lieux. La chaleur était toutefois plus supportable.
Reprenant ses esprits, Malbas se posa sur l'une des plates-formes n'étant pas encore fondue. Il n'allait pas y rester plus d'une poignée de secondes, pour ne pas laisser ses bottes et ses pieds se faire brûler.
Cela suffit pour qu'il prenne appui afin de repartir d'un bond, se propulsant au travers de la fumée. Une bonne idée puisque son appui précédent explosa littéralement. Une nouvelle légion de projectiles se déplaçait dans sa direction, à haute vitesse.
Investi, presque dopé, par la chaleur qu'il venait de dévorer, Malbas parvint à générer un bouclier de glace pour passer outre ce barrage de tirs. Il tournoya sur lui-même en se décalant sur la droite pour en éviter d'autres, ainsi qu'un geyser opportun de matière fondue.
- Je pige pas trop ce qui se passe mais c'est la merde ! Balance-lui tout ce que t'as !
Malbas n'était clairement pas très inspiré par ce plan. Il ne pouvait pas rester sans réagir, cependant, et conjura une vingtaine de longue pointes de glace. Elles filèrent vers Utsuho.
Celle-ci se déplaça enfin, laissant entrevoir l'étrange motif intérieur de sa cape. Une succession d'yeux verticaux, brillants tels des soleils miniatures.

La tentative de riposte du Dévoreur fut balayée par un rayon d'énergie, lequel vaporisa littéralement la glace. Une succession d'autres lignes d'énergie coupèrent la route de Malbas.
Une route de toute façon aléatoire, puisqu'il n'avait aucune idée d'où aller.
- Je sais ce que tu veux faire. Noyer cet endroit. M'ensevelir sous une telle quantité d'eau que je me noierai. Malheureusement pour toi, c'est peine perdue. J'ai été dévoré et utilisé comme un esclave par une déesse capricieuse et égocentrique ainsi qu'une écervelée. Aujourd'hui, c'est terminé.
Malbas grimaça. Il ne voulait pas taper la discute. Il n'en avait aucunement le temps.
- Tout faire exploser vous emportera aussi, remarqua-t-il avec sérieux.
- Bien sûr que non. Je suis Yatagarasu, un Dieu !
- Un complexe de dieu. Super.
La remarque, blasée, de Nue laissa Malbas de marbre. Il avait à présent la certitude indéracinable que toute tentative de négociation était vouée à l'échec. Il ne comprenait pas le pourquoi du comment mais ce n'était pas le plus important.
Noyer l'endroit restait la meilleure solution. D'autant que l'eau, au contact de cette lave allait rapidement se changer en vapeur. La voûte, déjà fragilisée, ne supporterait jamais ce nouveau choc.
Si noyer le réacteur ne suffirait pas, il allait l'ensevelir sous des milliers de tonnes de gravats.

Mais où se trouvait cette eau ?
Malbas l'ignorait et il manqua de peu de perdre son bras droit. La chaleur produite par l'orbe qui l'avait manqué le brûla superficiellement. Le Dévoreur vira vers la gauche, brutalement.
- Geothermal "Nuclear Blaze Geyser".

Un mouvement descendant des bras plus tard et une multitude de geysers d'énergie percèrent le tapis brûlant, vers Malbas.
Un peu paniqué, l'alchimiste s'attela à passer entre eux. La tâche n'était pas aisée, mais loin d'être insurmontable. Cela n'empêcha pas un rai de lui brûler le dos. Malbas poursuivit son déplacement, atteignant la paroi. Celle-ci était relativement épargnée et le jeune homme commença à la longer. Un grand mouvement d'air lui libéra la vue sur une bonne centaine de mètres.
- Earth Sign "Tempest from Ba Sing Se"

Il tourna sur lui-même, projetant une multitude de rochers dans la direction, approximative, de son adversaire. L'orchestre de détonations qui s'ensuivit annonçait le résultat, mais cela permettait à Malbas de gagner du temps.
Il parcourut la salle souterraine, crispé et dégoulinant de sueur. L'énergie continuait de s'amasser, malgré les attaques de Yatagarasu. Le temps pressait !
Malbas fut contraint d'aller sur la droite pour éviter un nouveau geyser, de liquide incandescent cette fois. Malgré l'utilisation constante du pouvoir de Cirno, le jeune homme commençait à avoir la tête qui lui tournait.
- Tu n'y arriveras pas tout seul ! lui signala Nue.
Elle avait raison.
L'environnement était bien trop hostile pour que Malbas puisse s'en sortir sans aide. Son ennemi, seul, était une calamité. Et comme si cela ne suffisait pas, un son peu agréable approchait.
Groggy par les fumées, le Dévoreur n'aperçut que trop tard le corbeau à trois pattes brillant d'énergie dorée et faisait sa taille qui ne tarda pas à le percuter de plein fouet.
Cette fois, rien ne put endiguer les effets de l'assaut et ce fut un Malbas brûlé fortement qui percuta la paroi avec une violence inouïe, coincée entre elle et Utsuho.
Des fissures apparurent, accompagnées de craquements aussi lugubres qu'inaudibles à cause du vacarme ambiant.
Le corbeau infernal et possédé se recula par la suite. Malbas se laissa choir et ne dû sa survie qu'à la présence d'un morceau de pierre solide survivant à la fonte de la plupart du reste.
Accablé par la chaleur et la douleur, le Dévoreur avait bien envie de fermer les yeux et de ne plus les ouvrir. Fort heureusement, les appels de Nue l'empêchaient de sombrer dans l'inconscience. Elle allait être aidée par un courant d'air frais. Une humidité salutaire l'accompagnait.
Malbas ouvrit un œil et entreprit de se relever. Quelque-chose qui n'allait pas être évident, tout son corps hurlait de douleur. Encore une autre comme ça et c'était terminé.
Un regard rapide aux alentours ne permit pas au Dévoreur de trouver ce qu'il cherchait. Mais ce qu'il sentait derrière lui était plutôt de bon augure.
- Tu penses que c'est là ? s'enquit Nue.
Elle était apparue à droite de Malbas. Elle était inquiète, pour le moins.
Il opina, sous le regard d'Utsuho. Elle s'était à nouveau concentrée et brillait à présent. C'était léger mais assez alarmant.
- Je ne sais pas si je pourrais lui tenir tête, nota la yôkai décédée.
- Il faut détruire cette roche… L'eau doit être derrière !
Nue grimaça.
- Je n'ai pas la puissance de feu nécessaire pour cela…
- Mais moi, si.
La voix avait résonné dans la tête de Malbas. De la même manière que celle de Nue mais sans être accompagnée de la moindre apparition.
Une voix qui fit sourire Nue.
La voix de Murasa.
- Hey, enfin te voilà ! Tu comptes nous aider ? s'enquit une yôkai vêtue de noir enjouée.
- Je t'aide toi et Gensokyo. Pas lui.
Murasa avait parlé, avec froideur. Malbas se crispa mais il avait bien plus important en tête.
- Alors je la retiens.
D'une poche intérieure, l'alchimiste prit une carte de tarot.
- The Magician Arcana "Starvation Rebirth"!

Ainsi, une silhouette claire apparut derrière Malbas. Un spectre grisâtre, dont les contours incertains, semblables à de l'eau, prenaient la forme d'une yôkai. Une yôkai vêtue d'une tenue de marin et tenant une ancre par-dessus son épaule gauche.
- Finissons-en, lança-t-elle avant d'attaquer la paroi à grands coups d'ancre.
La réaction d'Utsuho ne se fit pas attendre. Un nouvel enfer de tirs nucléaires se matérialisa pour harceler le duo nouvellement formé.
Malbas opta une fois encore pour un bouclier de glace, se plaçant de manière à protéger Murasa. Cette protection n'allait résister longtemps mais assez pour que le Dévoreur tende la main droite.
Un fin rayon transparent, rappelant de l'air surchauffé, fila vers les projectiles et explosa, en supprimant quelques-uns. L'agacement commençait à être visible sur le visage d'Utsuho.
- "Subterrean Sun".

L'annonce, froide, fut suivie d'une brusque montée de la température. Une sphère démesurée monta vers le haut, devant le corbeau infernal. Un soleil miniature, brûlant, aveuglant, qui allait relâcher une pluie de petits soleils miniatures. Plus que ça, Malbas se sentait attiré par la chose !
Il se servit une fois encore de sa Combustion pour supprimer un projectile, passa sous un autre et manqua d'être touché à sa droite.
Il allait falloir trouver une solution, et vite. Derrière, Murasa était également bloquée à la défensive, incapable de poursuivre son œuvre.
Malbas devait agir vite où elle disparaîtrait avant d'avoir terminé ou du moins, endommagé suffisamment la roche. Heureusement, ce qu'elle évitait allait s'écraser sur la paroi et compensait cette perte de temps.
L'alchimiste savait ce qu'il lui restait à faire. Si ce soleil souterrain pouvait l'attirer alors soit. Il cessa de résister pour aller vers cet astre incongru. Mais son plan ne consistait pas à aller dedans.
Rassemblant toutes ses forces, il plongea. Il frôla presque la surface de l'étoile miniature, ce qui lui arracha un cri de douleur, tout en approchait de la lave. Il y avait là un minuscule espace séparant les deux dangers.
Malbas accéléra, brûlé à présent des deux côtés. C'était le moment ou jamais. Il eut rapidement Utsuho en visuel et tendit une main vers elle.
- Alchemy Sign "Salamander's Ignition".

Des éclairs bleus crépitèrent autour du corbeau infernal et divin. L'intéressée fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il se tramait. La chaleur des lieux fit le reste.
L'oxygène et l'hydrogène à présent réarrangés s'enflammèrent aussitôt autour de la femme, provoquant une explosion. Modérée, il était vrai, mais ce qu'il fallait pour que le soleil et ses enfants disparaissent.
Malbas ne tarda pas et reprit de l'altitude sur un cri tant de victoire que de douleur. Sa vision commençait à devenir trouble. Il n'en pouvait plus.
- Presque ! De l'eau tombe ! annonça Murasa, en arrière.

Malbas se recula, soulagé. Avec de la chance, ils allaient s'en sortir…
Mais son espoir tourna court. Utsuho brillait à présent d'une lumière si forte que le Dévoreur sentit ses yeux brûler.
- Puisque c'est ainsi… Tu seras le premier à goûter au feu nucléaire, persifla Yatagarasu.
Malbas sentit Murasa disparaître et revenir dans son corps alors que le dieu réunissait ses forces. Puis écarta les bras. Un rayon titanesque se dirigea vers le Dévoreur. Sa régénération lui permit de voir la chose arriver. Il croisa les bras et hurla alors que le feu nucléaire commençait à le brûler.
- Curse of a Devourer "Eternal Hunger"…

(♪) Il avait presque chuchoté son incantation. Les bouches circulaires réapparurent sur ses paumes. Il commençait à dévorer l'énergie démentielle de cette décharge… Mais même pour lui, c'était trop.
Il put tendre ses bras et stopper la chose. Mais même en la dévorant, cela ne finissait pas. Il allait échouer ici.
Pourtant, il ne comptait pas abandonner. Mobilisant jusqu'à ses ultimes forces, il entreprit d'approcher d'Utsuho, petit à petit. Il sentait ses os et sa chair crier et avait l'impression de fondre. Des résidus d'énergie frappaient çà et là, tout autour et derrière.
- Lâche pas Malbas ! Lâche pas ou on y passe tous !
Nue était de retour et cette fois, elle se trouvait derrière lui. Il aurait juré sentir son poids derrière lui, le poussant pour l'empêcher d'être emporté ou de lâcher prise. Ce n'était certainement pas réel et pourtant, cela l'aidait.
Surtout lorsque deux autres mains s'ajoutèrent.
- Ne meurs pas tout de suite… Si tu veux te racheter, ce n'est pas maintenant que tu dois disparaître !
Avec colère, Murasa s'était exprimée. Malbas pouvait sans peine se l'imaginer, à côté de son amie.
C'était vrai.
Trop de gens dépendaient de lui, en cet instant précis, décisif. Il ignorait ce qu'il se passerait par la suite. Allait-il seulement survivre, en réalité ?
… Peu importait.
Sa vie contre celle de tout le monde. C'était là un moyen de se racheter. Jamais cela ne pourrait rembourser toutes celles qu'il avait prises et celles, plus nombreuses encore, qu'il avait brisées.
Mais s'il devait mourir en faisant la première véritable bonne action de sa vie, celle qui comptait vraiment… Alors qu'il en soit ainsi.
En hurlant, Malbas força encore sur le rayon. Et encore. Toujours plus. Il volait, mais il avait l'impression de marcher. Un pas après l'autre, il rejoignait Utsuho.
Tant et si bien que ses mains se refermèrent sur ses poignets.
Le déluge d'énergie cessa aussitôt. L'accumulation commença à décroître, faiblir, alors que l'énergie vitale d'Utsuho était peu à peu absorbée par le Dévoreur.
Il n'avait pas pensé faire cela. Mais c'était la seule solution. Lui demandant pardon, il ferma les yeux…
Et n'entendit pas la roche céder derrière lui, suivie par une énorme quantité d'eau. Un raz-de-marée prodigieux et providentiel qui percuta de plein fouet les deux adversaires, de quoi non seulement briser leurs os mais aussi les séparer.
Aucun d'eux n'esquissa un mouvement alors que l'eau percutait la lave, libérant une intense vapeur.
Toute la Montagne Yôkai et ses alentours entendirent l'explosion souterraine.

- C'est un vrai miracle. Je ne l'explique pas. Il est… En parfaite santé. A croire que sa maladie n'a jamais existée.
Marisa se permit un léger sourire. Voir Eirin aussi surprise était rare et elle se devait de s'en délecter.
- Oui… Un vrai miracle…
- Qu'avez-vous donc fait ? s'enquit la doctoresse.
La magicienne ordinaire haussa les épaules. Elle ne tarda pas à sortir de l'Eientei pour rentrer à la Forêt de la Magie.
Elle se posa près de chez elle. Un croassement corbin attira son attention pendant une seconde. Puis, alors qu'elle s'avançait, un nouveau bruit se fit entendre. Un aboiement. Il était puissant et résonnait par-delà ses simples oreilles. Jusqu'aux tréfonds de son âme.

(♪) Un nouveau sourire étira ses lèvres. Un sourire triste.
- Déjà, murmura-t-elle alors qu'un deuxième aboiement retentissait.
Elle avait abandonné toute volonté. Elle savait ce qui l'attendait. C'était inévitable. Les grognements autour d'elle lui apprirent qu'elle était cernée.
A quoi bon ? Elle n'avait aucune envie de se défendre. Un marché était un marché.
Elle tourna sur elle-même, voyant des silhouettes noires et canines, bien qu'énormes, approcher lentement d'elle. De véritables molosses.
Sans cesser de sourire, elle retira son chapeau.
- Désolée, Reimu… Je n'avais pas vraiment le choix… Essaie de tenir le coup, s'il te plaît. Et… Pardon.
Elle ferma les yeux, sereinement.
Troisième aboiement. Le dernier.
Les chiens se ruèrent sur elle. Si vite que même les yeux ouverts, elle ne les aurait pas vus. Elle poussa un cri de douleur.
Puis un autre.
Puis se tut.
Au sol, un chapeau ensanglanté était tombé à terre. Le silence était retombé sur la Forêt de la Magie.
Un silence que seul le corbeau, rigide et aux yeux aveuglés par un voile blanchâtre, posé sur le toit de la maison, brisa.
Un croassement lugubre. Comme le chant d'une cloche sonnant la fin d'une belle journée.

Pour annoncer la venue d'un bien triste et sombre nouveau jour.
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Jealousy
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeJeu 31 Déc - 22:25

Chapitre 34 : Dernière Chance
 
"De même, c'est parfois en voulant arranger les choses que nous ne faisons que les empirer."
Satori Komeiji
 
 
(♪) La nuit était claire. Claire et silencieuse. L'aube ne pointerait pas le bout de son nez avant quelques heures. A cette heure, une bonne partie de Gensokyo dormait. Mais pas tout.
L'Eientei était bouillonnant d'activité. Ce détail mettait la clinique en marge du reste mais une autre personne était encore plus en marge. Cela ne changeait pas de l'habituel, elle était hors du temps depuis des siècles. Immobile sous la lueur des étoiles et de la Lune, Kaguya Houraisan regardait l'astre qu'elle habitait jadis.
 
Un livre imposant était entre ses mains. A son ordre, la lapine aux courts cheveux violacés se tenant derrière elle s'inclina. Elle s'éloigna rapidement, de l'Eientei et de Gensokyo même.
Même au fond d'elle-même, la princesse déchue n'avait aucune envie de la suivre.
Elle s'en retourna ainsi à l'intérieur de la bâtisse. Quelques minutes de marche lui suffirent pour atteindre le bureau d'Eirin.
La doctoresse affichait une fatigue évidente, penchée sur le meuble de bois d'ores et déjà couvert de feuilles et matériel divers.
- Kanako est partie ? s'enquit la princesse immortelle.
- Oui. La perte de son réacteur lui pose plus de soucis que l'état de santé des personnes qui s'y trouvaient…
Aucun étonnement dans sa voix, mais uniquement une pointe d'agacement. Kaguya n'allait pas y prêter plus attention que cela.
- Au moins, elle va tout de même redoubler d'ardeur pour comprendre comment tout ceci est arrivé. Et de notre côté, qu'avons-nous ? s'enquit cette dernière.
Eirin ramena à elle un papier.
- L'effondrement a blessé deux kappas restés en arrière. Leurs vies ne sont pas en danger. Il y en a d'autres, quatre, qui montrent des signes de choc psychologique. Mais le plus inquiétant provient des deux personnes ramenées par Kanako. Elle était bien la seule à pouvoir descendre dans cet enfer.
- J'imagine que l'une d'entre elles doit être la fameuse Utsuho Reiuji ? D'ailleurs, ces deux personnes ne sont-elles pas contaminées ? J'aimerais éviter de perdre mes lapins de manière prématurée…
- Première surprise. Ni l'un, ni l'autre, ne sont dangereux à ce niveau-ci. Pour l'une, il s'agit bien de mademoiselle Reiuji, c'est explicable. Je suis plus étonnée concernant l'autre… Quoi qu'il en soit, ils sont tous deux dans un état… Inquiétant. Ils montrent de sérieuses brûlures et mademoiselle Reiuji souffre de deux côtes cassées. J'imagine que son anatomie particulière a protégé ses jambes. J'ose espérer que sa nature de yôkai lui permettra de se remettre vite.
- Mais cette deuxième personne, de qui s'agit-il ?
Eirin hésita un instant.
- Selon toute vraisemblance, du Dévoreur qui rôde depuis plusieurs semaines. Cela expliquerait le fait qu'il ait survécu à tout ceci.
- Quelle étonnante coïncidence.
Sous le regard un tant soit peu surpris de la doctoresse, Kaguya tendit le livre qu'elle tenait.
- Voici le rapport complet que tu voulais. Il a mis le temps à arriver.
Eirin le prit dans ses mains, soulagée.
- Le voilà enfin… L'attaque du Dévoreur de 1906, en années terrestres. Je ne l'espérais plus. Mais je crains justement qu'il ne nous soit plus très utile.
Cette annonce remplit le visage si délicat de la princesse lunaire de surprise.
- Pourquoi penses-tu cela ?
La question était quasiment innocente. Cela aurait sans doute fait sourire Eirin si les circonstances n'étaient pas ce qu'elles étaient.
- Le Dévoreur a été blessé et il reste blessé. Sa fameuse guérison accélérée ne s'est pas mise en marche. Cela ne peut suggérer qu'une seule chose et cela ne me plaît guère. Il n'y a plus aucune âme en lui.
 
La doctoresse s'était rembrunie. Elle avait demandé à ce que cet ouvrage soit retrouvé il y avait de cela des semaines. Ne l'avoir que maintenant, alors que c'était visiblement trop tard… Etait une véritable tragédie. Une de plus.
Elle ne croyait d'ailleurs pas si bien penser car Reisen déboula dans le bureau. La pauvre était visiblement choquée, ce qui n'augurait absolument rien de bon.
- Il… Il faut que vous veniez… Tout de suite ! C'est… Marisa !
La lapine ne pouvait pas en dire plus, trop occupée à reprendre son souffle et à réfréner son intense envie de s'effondrer en sanglots.
Eirin se releva aussitôt.
Cette nuit n'avait-elle donc pas de fin ?
 
(♪) Cette forêt n'avait-elle donc pas de fin ?
Pride se tenait au milieu d'une véritable mer de feuilles vertes et de troncs. Le ciel était masqué par la canopée. Tous ces arbres, fins et immenses, se ressemblaient tous. Pride avait l'impression d'errer là-dedans depuis des jours. Surtout que c'était d'un silence… Certains l'auraient trouvé angoissant, oppressant. Pride le trouvait simplement d'un ennui mortel.
- C'est bon, je sais que je rêve ! Ça n'arrive déjà pas souvent, autant que ce soit autre chose que cet emmerdement !
Malheureusement pour lui, rien n'allait lui répondre. Il restait seul. Cette constatation lui fit plisser les yeux. Son subconscient voulait-il lui faire passer un message ?
Pourquoi donc ? Son problème principal était réglé. Il avait enfin fait la paix avec lui-même et pouvait d'ores et déjà se focaliser sur l'essentiel. A savoir avancer dans sa propre existence et voir où il allait arriver.
C'était amusant, une fois encore, de voir à quel point il avait changé. L'ombre discrète dans un coin de la tête d'un envieux dérangé avait fait du chemin. Cliniquement, ce devait être une catastrophe totale.
 
Un contact chaud se fit sentir sur la tête du Seigneur des Ombres, accompagné par l'écho lointain d'un hurlement déchirant. Curieux, il passa sa main au point d'impact. Un nouveau contact se fit sentir, suivi par un autre et ainsi de suite. De la pluie ?
Pride porta ses mains au niveau de ses yeux. Le liquide rouge collé dessus lui indiquait qu'il ne s'agissait pas d'une simple pluie.
Malgré la pertinence relative de la chose, l'Orgueil leva la tête. Une pluie de sang ? Voilà qui avait le mérite d'être, presque, original. Les gouttes écarlates tombaient doucement, on était loin de la tempête. De plus, fort heureusement, les arbres jouaient leur rôle de parapluies.
 
Cela évitait à un Pride strié de rouge d'être complètement englué dans ses vêtements. Il ne comptait pas rester là et continuait son chemin, même s'il n'avait pas la moindre d'idée de l'endroit vers lequel il se dirigeait. Cela ne devait de toute façon pas avoir d'importance.
Sans qu'il ne sache vraiment pourquoi, il parvint à sortir de cette prison de bois. Il ne pleuvait plus mais le ciel était tout de même rouge, comme la terre et l'herbe. Des morceaux de pierre étaient également visibles. Leur taille avait de quoi impressionner. Fracassés et éparpillés, Pride ne pouvait s'empêcher de remarquer les cratères les entourant.
Tombés du ciel ?
L'Orgueil fronça les sourcils. De quoi pouvait-il bien s'agir ? Des météorites ? Non, les formes ne correspondaient pas. Il s'agissait visiblement de débris, de quelque-chose d'énorme.
Ce fut en remarquant une serrure que Pride comprit. Il s'agissait des débris de la porte menant au Royaume des Morts. Le Seigneur des Ombres grinça des dents. Cela lui faisait un coup, tout de même.
Un frisson le parcourut subitement. Il commençait à se douter de ce qu'il allait trouver plus tard. Il accéléra le pas. Autant en finir au plus vite.
 
L'environnement autour de lui se tordit soudain. Il se flouta, tourna pour finalement être remplacé par des ruines. De la pierre, du bois, difficile de dire s'il s'agissait là d'un village ou d'une ville.
Quoi que ce fût, ce n'était plus qu'un souvenir enfoui sous le sang et les cendres. L'odeur des cadavres emplissait l'air avec autant d'efficacité que les particules grises, dont Pride se protégeait en mettant son bras droit devant son visage.
Où diable était-il donc ? (♪)
Des corps étaient visibles ici et là, émergeant des débris. Des corps déchiquetés et éparpillés aux quatre vents, ce qui expliquait la teinte rouge qu'avait prise la scène. Cela n'avait en revanche aucune logique par rapport au ciel qui restait rouge. Mais depuis quand les rêves étaient-ils logiques ?
Il baissa la tête lorsqu'un os craqua sous ses pieds. Partout le sang et la mort. C'était donc ça que l'Envieux voyait si souvent en rêve ? C'était la deuxième fois que Pride faisait ce genre de cauchemar. Pourtant, il aurait juré que cette fois-ci était plus prenante. Plus réelle.
L'odeur entêtante du sang commençait à lui monter à la tête. Une douleur de plus en plus intense pulsait de ses tempes. Ce n'étaient ni les premiers cadavres qu'il voyait, ni la première scène de destruction massive. Bien qu'à une bien moindre mesure, il avait déjà été le créateur de ce genre de choses. Cela ne lui avait toujours fait que ni chaud ni froid.
Pourtant, les choses étaient différentes à présent. Le Seigneur des Ombres lui-même n'était pas à l'aise, loin s'en fallait. Une nouvelle brise se fit sentir. Fraîche, elle aurait dû le rafraîchir et peut-être même améliorer son état.
Il n'en fut rien.
Le vent avait la température des corps glacés et caressait l'Orgueil avait autant de délicatesse que la Mort en personne. Il frissonnait, grelottait presque. Le mugissement aérien n'en était pas un, mutilé, déformé qu'il était pour charrier des cris d'angoisse et de douleur.
Il n'y avait déjà plus âme qui vive mais, pourtant, Pride entendait encore leurs derniers hurlements dans ses oreilles. Et au cœur de cette chorale macabre, une comptine qu'il connaissait déjà.
 
♪ ~A l'Aube de l'histoire,
Début du Purgatoire,
La sorcière fut conduite au bûcher,
Ses cendres éparpillées.
Au Crépuscule des temps,
Quand brûlent les enfants.
Sans larmes ni tristesse,
La Vierge de Fer invita la prêtresse.
Ses larmes de sang,
Avec son cri de désespoir,
Se mêlèrent à l'Océan,
Et sa Bête de Cauchemar.~ ♪
 
La comptine de Yoru. Encore une fois, elle résonnait. Mais cette fois, ce n'était pas le vampire qui la chantait. A vrai dire, la voix que l'Orgueil entendait était non-identifiable. Les mots s'entrelaçaient dans son esprit, tissant la toile d'une indicible angoisse.
Quelque-chose clochait. Cela ne pouvait pas être un simple cauchemar. Cela se répétait trop souvent, c'était trop intense. Mais Pride n'arrivait pas à l'interpréter.
Il chancela, fit quelques pas hésitants. Puis, au cœur de cette tourmente, il le vit.
 
(♪) Il lui faisait face. Sa cape rouge était enroulée autour de lui, ballotée par ce vent sépulcral aux mille chœurs hurlant à l'unisson. Chef d'orchestre de ce requiem, il dominait ce parterre écarlate de sa propre teinte carmin et de sa silhouette droite et impériale. Son armure était aussi rouge que sa cape, éclaboussée par des litres de liquide vital et encore chaud. Aucune partie de son corps n'était visible par-delà cette cuirasse fine, mis à part ce sourire. Ce sourire triomphant, sous une visière dépourvue d'ouverture.
Ce sourire qui s'élargit lorsque Pride remarqua la tête que l'Homme en Rouge détenait dans sa main droite. Il la lança aux pieds du Seigneur des Ombres dont les yeux s'écarquillèrent.
Cette tête. C'était celle de… Réo ?
Il regarda l'être de cauchemar. Celui-ci tendit son bras droit, index tendu, droit vers Pride. Si c'était possible, son sourire s'élargit une fois encore.
- Ksh~
Pride hurla de douleur alors qu'une volée de fils sanglants lui lacérait le corps.
 
Son cri n'existait pas qu'en songe. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il fut le premier surpris d'entendre sa voix.
Il le fut encore plus de sentir la douleur fusant de son ventre. Il s'assit sur son futon, ayant envoyé valser ses couvertures. Il respirait fort et rapidement, ayant porté sa main droite à son ventre. Il se crispa en sentant le sang qui s'en écoulait.
 - Pride ! Calme-toi !
Le jeune homme aux cheveux blancs leva la tête. Youmu l'avait rejoint catastrophe. Il remarqua alors que son ombre s'était étendue et métamorphosée d'elle-même, formant une kyrielle de bras griffus s'étant plantés dans le sol tout autour de lui.
Youmu avait enjambé tout ça pour s'agenouiller près de l'Orgueil.
- Calme-toi… Comment, que s'est-il passé ?
Un peu perdu, Pride ne répondit pas. Il ne protesta même pas lorsqu'elle écarta sa main pour inspecter sa blessure. Il portait une chemise de nuit blanche qui, mit à part le sang la maculant, était intacte. Ses plaies étaient en revanche bien réelles et profondes. Elles rappelaient les stigmates d'un fouet, bien que la chose fût plus sanglante encore.
- C'est profond… Tu ne t'es quand même pas infligé ça tout seul ? s'inquiéta Youmu.
- Je n'en sais rien ! Aïe !
- Désolée !
 
(♪) La demie-fantôme retira ses mains. Des éclairs rouges crépitèrent autour du Seigneur des Ombres. Lentement, sans se presser. De la même manière, les plaies se refermèrent. Le processus d'habitude si rapide allait cette fois prendre de longues minutes. Tout du long, Youmu et Pride furent silencieux. Ce dernier rétracta ses ombres, rendant une forme normale à la flaque de noirceur le suivant partout.
Le sang qui avait coulé disparu également, ne laissant comme témoins de la scène que les griffures provoquées par les ombres dans le sol.
- Pride... Tu vas bien ? s'enquit finalement l'escrimeuse, rompant le silence.
Il était rare que le masque de froideur et de confiance de l'Orgueil se brise. Son expression inquiète était, de fait, plus surprenante et mémorable encore que pour n'importe qui d'autre.
Qu'est-ce qu'il s'était passé, bon sang ? Le terme de "cauchemar" était bien minimaliste pour décrire ce qu'il venait de vivre. Même d'après Réo, ce n'était pas aussi violent ! Les cauchemars avaient certes gagnés en intensité mais là, cela battait tous les records.
- Pour le coup, non, Youmu… Que… Qu'est-ce que tu fiches là, en fait ?
Le visage de la jardinière s'empourpra.
- J'ai entendu des bruits étranges venant de ta chambre… Des crissements… Puis tu as hurlé. J'ai pensé que… Enfin…
Elle baissa la tête. Pride ne put s'empêcher d'esquisser un sourire.
- Merci Youmu. Ça me fait plaisir.
A ces mots, son visage s'éclaira. Sans que l'inquiétude ne disparaisse, cependant.
- Que s'est-il passé ?
Pride roula des yeux. Il était à présent parfaitement assis et changea de position pour être en tailleur. Youmu l'imita, se mettant juste devant lui.
- J'ai fait un cauchemar. Mais… Bizarre. C'était prenant, horrifique et quand le type que j'ai vu dedans m'a blessé, je me suis réveillé. Mais la blessure était encore là, comme tu as pu t'en apercevoir.
- Un "type" ? releva la demie-fantôme avec perplexité.
- Oui. On ne voit pas son visage. Il est planqué dans une armure et une cape couvertes de sang et manipule ce dernier. L'Envieux l'appelle "Homme en Rouge" car il n'a pas d'imagination.
(- Si tu savais comme je t'emmerde…), répondit l'intéressé qui marquait ainsi sa présence éthérée.
- Contrôler le sang… C'est ce que Yoru faisait, non ? Et maintenant, tu peux le faire aussi. On a passé un moment à travailler sur le sujet hier, remarqua l'escrimeuse.
- C'est vrai. Mais autant je visualise pourquoi j'ai pu pique ça à Yoru, en reprenant la pierre, autant je ne vois pas pourquoi elle a gagné ça. Ou du moins, si ça a un lien avec notre pote l'ensanglanté.
- La vraie question, nota-t-elle, est plus liée à ta blessure. Cela aurait pu être bien plus grave. Et si tu n'avais plus ta pierre ? Tu serais en train de mourir !
- Je sais, Youmu… Mais ce genre de problèmes est rare, heureusement. Ce n'est que la deuxième fois que ça m'arrive.
- Peu importe, Pride. C'est dangereux, il faut que tu fasses quelque-chose à propos de cela, que ce soit pour toi ou Réo. Si cela empire…
Elle voulut continuer mais elle se stoppa. Comme si elle se rendait compte de ce qu'elle s'apprêtait à dire. Pride s'en aperçut et fut pris d'un étrange frisson, qui l'empressa de prendre la parole.
- D'accord, Youmu. J'essaierai… Je ne sais pas trop quoi mais tu vois l'idée. Tu n'auras plus à t'inquiéter, promis.
Elle opina.
- Très bien. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit… Enfin, je te l'ai déjà dit.
- Oui, je pense l'avoir compris ! Et la réciproque est vraie, tu le sais bien. Règle numéro cinq !
- C'est vrai. Et à ce propos, je vais encore avoir besoin de toi, ce matin, pour le jardin. Du moins si tu t'en sens capable.
- Accorde-moi le temps de me préparer et d'avaler un truc et on y va. Je pense que Réo redescendra vers Gensokyo cette après-midi. Sinon il va faire la gueule.
- Ma foi, organisez-vous comme vous le voulez, répondit-elle.
Pride était certain qu'il avait décelé une pointe de déception dans sa voix. A lui de faire en sorte de la limiter.
 
(♪) - Que s'est-il passé ?
Reisen frissonna. Jamais, ô grand jamais, elle n'avait vu Reimu ainsi. Son regard était porteur d'une telle menace, brûlait d'une telle flamme de colère froide que la lapine aurait préféré se trouver n'importe où sauf dans cette chambre.
La prêtresse avait parlé sans la moindre émotion et, mis à part ses yeux, ne manifestait aucun trouble. Cela la rendait d'autant plus effrayante.
Eirin, penchée sur le corps occupant le lit s'en rendit compte et congédia son élève. Pour son propre bien, cela ne faisait aucun doute.
- Nul ne le sait. La yôkai me l'ayant rapporté à mentionné avoir été alertée par des aboiements violents. Quand elle est arrivée sur les lieux, elle l'a trouvée ainsi, énonça Eirin en faisant face à la miko qui avait croisé les bras.
- Cette yôkai, qui est-elle ? s'enquit Reimu.
- Doku Ryu. Sa demeure est dans la Forêt de la Magie, d'où le fait qu'elle ait entendu une partie de ce qui est arrivé. Non, inutile de demander, je lui ai demandé de rentrer chez elle. Elle a été choquée.
- J'irai la voir moi aussi. Je veux entendre sa version de mes oreilles.
La Lunarienne ne releva pas ce qui aurait pu passer pour une remise en cause de ses compétences en matière d'interrogatoires. Elle se retourna vers le corps de Marisa.
Pâle, les yeux fermés, la magicienne ordinaire s'était figée. Une marque de morsure était visible au niveau de son épaule gauche. Le drap passé par-dessus son corps empêchait de voir plus bas mais Eirin avait relevé une morsure à la hanche droite et des griffures impressionnantes au torse.
- Cela ressemble fort à une attaque de chien. Un énorme chien.
- Vous voulez rire ? Un "énorme chien" aurait tué Marisa ? releva Reimu.
Une fois encore, Eirin ne releva pas.
- Un chien, ou plusieurs en fait. Mais quel que soit leur nature ou leur nombre, le ou les responsables n'ont pas été vus par notre témoin. Celle-ci n'a d'ailleurs pas relevé d'odeur particulière, mis à part des traces de soufre. Il s'agit d'une yôkai serpent, elle sait de quoi elle parle.
- C'est ridicule.
- Toutefois, aucune blessure n'est mortelle. Marisa n'a été atteinte à aucun organe vital et ne s'est pas non plus vidée de son sang. De plus…
Sans difficulté, la doctoresse bougea le bras gauche de la magicienne ordinaire.
- Son corps ne montre aucun signe de rigidité cadavérique, malgré les heures qui se sont écoulées. Pourtant, son cœur ne bat plus et son cerveau n'a pas d'activité.
- Où voulez-vous en venir ? s'enquit la miko, qui faisait déjà preuve d'un tout autre sentiment.
- Ce qui a attaqué mademoiselle Kirisame est assurément magique. Je suis incapable de définir son état de manière rationnelle. A vrai dire, je suis pratiquement certaine qu'elle n'est pas véritablement morte. Du moins, pas encore.
- Comment… Pouvez-vous en être aussi sûre ?
- Il y a plusieurs fois eu des cas où on ne pouvait pas détecter les signaux vitaux. Pourtant, les patients n'étaient pas morts, l'activité de leur corps était simplement… Ralentie au point d'être indétectable. Généralement, c'est à cause d'un venin. Il ne s'agit pas de cela ici mais c'est étrangement semblable.
- Je n'ai pas le temps pour une nouvelle enquête… Le Dévoreur court toujours dans la nature. Il y a aussi cet incident au réacteur nucléaire de la Montagne Yôkai. Cela a créé un tel chamboulement que des esprits vengeurs s'échappent du monde souterrain en masse. Et puis…
Elle ne continua pas. Mais il y avait bien autre-chose. Lucifuge et ses Damnés. Elle était certaine qu'ils étaient encore à ses trousses, bien qu'elle ne les ait pas vus depuis quelques semaines.
Une vague de désespoir s'abattit sur les épaules de la prêtresse. Tout s'enchaînait sans interruption. A présent, l'équilibre même de Gensokyo était menacé si les yôkais du monde souterrain se révélaient incapable d'empêcher les esprits des profondeurs d'accéder à la surface.
Une menace globale qui tombait au pire moment. Reimu ne pouvait pas laisser tomber Marisa, c'était impossible. S'il y avait la moindre petite chance de la sauver…
- Le Dévoreur est ici même. Je compte d'ailleurs faire appel à son expertise pour statuer sur l'état de Marisa dès que son état le permettra.
- Je vous demande pardon ?
Reimu ne savait déjà plus à quoi s'attendre mais là, c'était fort.
- Malbas Elric est intimement lié à tout ceci, j'en suis certaine. De plus, ses capacités de Dévoreur le rendent très sensible aux questions de vie et de mort. Enfin, son état ne lui permet pas de s'enfuir et je ne risque rien venant de lui.
La logique était imparable. Mais ne répondait pas à l'interrogation principale de la prêtresse.
- Mais comment est-il arrivé ici ?
- C'est justement en lien avec une autre de vos craintes. Malbas Elric était présent lors de l'incident du réacteur. Il est intervenu après le début de celui-ci, nuls doutes à ce sujet. Il a été blessé, puis a été conduit ici par madame Kanako Yasaka. Les kappas cherchent les origines de l'incident et j'ose croire que cela ne leur prendra pas beaucoup de temps.
Reimu écouta, sans rien dire. Elle commençait à se rendre pleinement compte d'à quel point la situation avait échappé à tout contrôle.
- Enfin, concernant cette fuite d'esprits maléfiques, il n'y a rien que vous puissiez faire à l'instant. Laissez donc les yôkais du monde souterrain les contenir tant qu'ils le peuvent.
La miko prit le temps de réfléchir. Elle avait peur de perdre trop de temps. Elle ne pouvait pas laisser Gensokyo au profit de quelqu'un, surtout pour… Pour quoi en fait ? Eirin n'avait que de simples doutes…
- Je vais rester… J'agirai en fonction de ce qui ressortira de tout ceci.
Eirin acquiesça.
- Très bien. Voilà qui me semble raisonnable. Je vous prierais de rester ici le temps que j'aille le chercher. Je souhaite m'entretenir seule à seule avec lui. Et puis… Vous aurez ainsi un petit temps, seule avec votre amie.
Reimu ne répondit pas. Elle s'effaça pour laisser passer la Lunarienne.
 
(♪) Le silence retomba sur la chambre. Un silence lourd, oppressant. L'obscurité du lieu, seule la lampe au plafond éclairait, n'aidait pas. Les murs bleus et froids n'aidaient pas plus.
Les yeux de la prêtresse avaient perdu leur flamme. Sa rage venait subitement de s'éteindre ou plutôt de s'endormir. A sa place, elle ne sentait qu'un vide. Un vide énorme.
Colossal.
Depuis combien de temps connaissait-elle Marisa ? Dix ans ? Plus encore ? Depuis son enfance, depuis qu'elle avait commencé à résoudre les incidents.
D'abord une ennemie, en tant qu'apprentie de Mima, cet esprit vengeur qui hantait le Sanctuaire Hakurei depuis tellement longtemps. Une ennemie récurrente qui, lorsqu'elle quitta sa maîtresse, devint une rivale.
Puis une amie.
Sa plus grande amie.
 
Elle l'avait tirée de sa solitude. Ses affrontements à répétition avaient rythmé son quotidien. Elle lui avait apporté une épaule réconfortante, une épaule attentive, un cœur incomparable et un sourire inoubliable. Et quand c'était elle qui avait eu besoin de tout ça, Reimu lui avait rendu la pareille.
A présent, elle ne pouvait plus imaginer son quotidien sans Marisa. Sans ses irruptions tonitruantes, ses séjours inopinés au Sanctuaire, ses larcins imprévisibles et ses expressions uniques.
Sans elle, tout simplement. Qui elle était, elle lui devait. Et pas uniquement cela. Sa relation avec Luke et…
Le fil des pensées de Reimu se bloqua.
Il était aux portes de la mort deux jours auparavant. Il était subitement guéri, un véritable miracle. Mais, le soir même, le réacteur de Kanako était le théâtre d'un incident d'une gravité extrême et Marisa était retrouvée dans cet état.
Reimu savait que Gensokyo était le lieu où l'improbable était roi. Mais cet enchaînement d'évènements pouvait être n'importe quoi mais certainement pas une coïncidence.
- Marisa… Mais qu'est-ce que tu as fait ?
Sa voix n'avait été que murmure. Un intense sentiment de culpabilité vint combler le vide.
Reimu avait toujours de bonnes intuitions. En cet instant, elle le savait. Marisa s'était sacrifiée pour qu'elle puisse être heureuse. C'était elle tout craché, à agir au mépris des risques et du danger, ainsi que de l'avis des autres.
Les larmes perlèrent enfin au coin de ses yeux. Elle n'avait plus besoin d'attendre Eirin, Malbas ou n'importe qui d'autres.
Elle allait ramener Marisa. Et si elle ne le pouvait pas, alors ce qui l'avait prise ne ferait plus jamais de mal à qui ou quoi que ce fût.
 
Malbas ouvrit les yeux, lentement. D'un coup d'œil, il reconnut ses environs directs, une chambre d'hôpital. Tout à fait banale, en vérité.
Les liens de cuir entravant ses poignets l'étaient moins, en revanche.
- Au moins, je suis en vie et Gensokyo existe encore, il semblerait. Et vous donc ?
Malbas savait qu'il pouvait s'adresser à Nue, ou Murasa, mentalement, mais le faire à haute voix restait plus instinctif.
Mais ni l'une, ni l'autre ne répondirent. Une pointe de douleur lui prouva l'existence d'une brûlure du troisième degré à son flanc droit. Ses jambes protestèrent à leur tour, indiquant qu'elles aussi avaient été abîmées.
Cela faisait bien longtemps que Malbas ne s'était pas retrouvé dans un état pareil. Du moins, pas plus de quelques minutes. Cette réalisation lui donna un immense coup au cœur.
- Nue ? Murasa ?
Il ferma les yeux. Aucune voix ne lui répondit. Il se concentra alors sur lui-même. Habituellement, il pouvait entendre ces voix, celles de ses victimes, pigées à l'intérieur même de son être. Tout du moins, il pouvait sentir leur présence.
Mais cette fois, il ne sentit rien. Il était bel et bien seul.
Il avait échoué.
 
Il tourna la tête vers la porte lorsque celle-ci s'ouvrit. Eirin entra en poussant un chariot garni de diverses choses que le Dévoreur ne pouvait voir du fait de sa position allongée.
- Vous êtes réveillé, voilà qui est une très bonne chose. Je suis le docteur Eirin Yagokoro. Bonjour, monsieur Malbas Elric.
L'intéressé regardait la Lunarienne d'un regard vide.
- Bonjour…
Il la regarda noter des choses, examiner ses blessures, noter encore. Lui qui souhaitait tant la rencontrer il y avait si peu de temps, il n'avait à présent plus envie de rien.
Il avait échoué.
Nue et Murasa avaient disparu. Il ne pouvait plus rien y faire.
- Est-ce l'absence de vos compagnonnes spirituelles qui vous met dans cet état psychologique ?
Le Dévoreur haussa mollement un sourcil, de surprise.
- Comment savez-vous ?
- Simple déduction. Vos blessures indiquent l'absence de… Victimes en vous. Que vous vous soyez attaché à plusieurs d'entre-elles se voit simplement à votre visage. Je suis désolée.
Elle avait tiré une chaise et s'était assise juste à côté. Elle ne le craignait pas le moins du monde et elle le prouva en le détachant.
- Non… C'est moi qui suis désolé. Tout est de ma faute, fit-il en se massant les poignets.
- J'aurais aimé que nous nous rencontrions plus tôt. Je peux vous aider.
Le Dévoreur eut un rictus désabusé.
- Si vous voulez m'aider, achevez-moi.
- Voilà qui est hors de question.
Il la vit griffonner quelque-chose en plus.
- Que s'est-il passé, dans ce réacteur ?
Malbas ferma les yeux une fois encore. Il n'avait aucune envie de résister ou cacher la moindre information. De toute façon, Eirin pouvait lui demander n'importe quoi, il répondrait. Qu'avait-il de plus à perdre ?
- Le dieu Yatagarasu a repris le contrôle sur cette Utsuho. Je n'ai pas tout saisi mais il y avait une vengeance à la clé. Il ne devait plus être très sain d'esprit puisqu'il comptait tout faire exploser.
- Ce qui n'a pas eu lieu. Est-ce grâce à vous ? s'enquit la doctoresse.
Sa voix était agréable, aimable. De quoi donner envie de parler.
- Non. C'est grâce à Murasa. C'est elle qui a pu détruire la cloison et permettre à l'eau de s'écouler.
- Pourtant elle était considérée comme "morte". Comment a-t-elle pu intervenir ?
Bien qu'il ne dise rien à ce sujet, Malbas ne put s'empêcher de penser que c'était bien joué. Eirin ne montrait absolument aucun signe de surprise. Elle menait la conversation avec maestria, pour aller au sujet qu'elle souhaitait véritablement aborder.
- Je dispose d'une spellcard pour le moins étrange. Elle me permet de faire appel à une des personnes à l'intérieur de moi, temporairement. J'ai pu le faire pour Nue Houjuu et Murasa Minamitsu. Je n'ai toujours pas la moindre idée de comment j'ai fait pour l'avoir. Elle était juste… Là.
- Intéressant et intriguant…
- Cette carte est une carte de tarot. A part ça…
La doctoresse acquiesça.
- J'en prends bonne note. J'ai également quelques réponses à vous apporter. Voyez-vous, j'ai eu le loisir d'étudier votre cas et celui des Dévoreurs en général. D'où je viens, un Dévoreur a également fait parler de lui il y a environ un siècle.
 
La Lunarienne se leva et atteignit le chariot. Malbas n'avait pas pu le voir mais un livre imposant y était posé. Eirin le prit et l'ouvrit.
- Un Dévoreur dites-vous ? Je peine à le croire. Je pensais être unique…
- Vous n'avez sans doute pas tout à fait tort. C'est la seule et unique activité de Dévoreur recensée depuis des millénaires. Je ne peux l'affirmer à coup sûr mais votre espèce semble soit éteinte, soit proche de l'être. Veuillez m'excuser mais votre nature ne vous rend pas fondamentalement… Discret. Quoi qu'il en soit, j'ai ici le rapport complet, relatif à cet incident et à toutes les informations que nous avons pu rassembler sur celui l'ayant causé.
- Oh… Quelque-chose que j'aurais aimé avoir, remarqua amèrement Malbas.
- Vous m'en voyez navrée. Toute cette histoire aurait pu prendre une tournure bien différente si… Non, ne nous égarons pas en conjectures.
Elle parlait tout en cherchant dans le livre. Malbas la regarda faire, attendant son récit. La joie qu'il aurait dû ressentir en cet instant, il allait enfin en apprendre plus sur lui-même, était tout simplement absente.
- Il a été avéré que les Dévoreurs se nourrissent d'énergie vitale. Se faisant, ils absorbent également l'âme de leur victime, qui reste emprisonnée et sert de source d'énergie auxiliaire. L'âme n'est ainsi pas envoyée vers l'une des destinations possibles après la mort. Cette étape ne se fait, théoriquement, qu'après l'utilisation et donc la disparition de cette dernière. Jusque-là, vous me suivez, n'est-ce pas ?
- Oui… J'en ai la preuve en ce moment même.
- Vous m'en voyez navrée. Mais là où je voulais en venir est qu'il est possible d'inverser le processus.
Malbas tiqua.
- Comment cela ?
- Et bien dans ce cas précis, le Dévoreur avait péri en ramenant sa dernière victime, dont il possédait encore l'âme. Il a transféré sa propre énergie vitale en plus de l'âme en question, faisant profiter de son pouvoir de guérison à cette personne. Elle est restée dans le coma pendant plusieurs mois mais elle a fini par rouvrir les yeux. Lui, en revanche, avait fini comme toutes ses victimes avant lui, le corps desséché. Cela avait fait grand bruit quant au respect de la vie et de la mort.
- Cette carte de tarot me permettrait donc de faire temporairement cela ? Ce serait… Une utilisation détournée de ce pouvoir inversé que vous venez de décrire ?
Eirin approuva.
- Tout à fait. Nul doute que cela peut aussi être utilisé sans aller jusqu'au bout du processus. De quoi soigner quelqu'un qui n'est pas pour autant entièrement vidé de son flux vital.
 
Malbas lâcha un profond soupir. Il n'aurait jamais imaginé pouvoir faire cela mais à présent, c'était trop tard. Nue et Murasa n'étaient définitivement plus, guérison ou non. Il se prit à se demander s'il aurait osé tenter la chose pour ramener Nue. Mais quid de Murasa ? Et inversement ?
Au fond, cela ne réglait rien du tout.
- J'imagine que vous n'avez aucun moyen d'atténuer ma faim ?
- Pas vraiment, malheureusement. Etant donné que vous avez dévoré Murasa, vous savez que n'importe quelle créature, même si elle n'est pas "vivante" au sens propre du terme, peut vous servir. Après tout, il s'agissait d'un fantôme maritime.
Voilà un détail auquel Malbas n'avait pas véritablement réfléchi. Mais c'était logique, après tout il arrivait à se nourrir des fantômes qui traînaient çà et là à Gensokyo.
- Il faut croire qu'il n'y a pas de solution miracle, finit-il par dire.
Evidemment, ce n'était pas totalement vrai. Il y avait une solution. Il la connaissait depuis le début. Il devait dévorer Réo.
Pourtant, cette option qui avait été son moteur pendant bien longtemps n'était plus du tout si attirante. Que devenait-il, d'ailleurs ?
- Il n'y en a jamais. A moins de la rechercher nous-même.
Malbas releva la tête vers la doctoresse. Elle semblait déterminée.
- Voulez-vous dire que vous êtes prête à m'aider à ce sujet ?
- Pourquoi donc serai-je en train de vous raconter tout cela si ce n'était pas le cas ? lui répondit-elle sur le ton de la plaisanterie.
Le Dévoreur se sentit un peu penaud.
- Mh… Bonne remarque… Merci… Mais je ne comprends pas pourquoi vous êtes prête à le faire. A vrai dire, vous êtes la deuxième personne à le faire aussi… Spontanément.
- C'est dans ma nature. Et puis vous savez, personne à Gensokyo n'est vraiment mauvais, malgré tous les conflits et incidents qui y ont eu lieu. Si c'est le cas, ces personnes sont très rares. Dans tous les cas, les personnes innocentes sont encore plus rares, ici. Je ne vous juge pas par rapport à ce que vous avez fait. Après tout, vous n'avez agi que pour survivre vous-même.
- Vous en êtes bien certaine…
Eirin lui sourit. C'était un beau sourire, empli de gentillesse.
- Si ce n'était pas le cas, encore une fois, vous ne seriez pas aussi affecté par la disparition de mesdemoiselles Houjuu et Minamitsu. De même, vous ne seriez pas resté là à m'écouter alors que vos mains sont libres.
- Je ne peux pas vous donner tort… Vous êtes douée.
- Je vous remercie. A présent, j'ai une question. Pouvez-vous, à l'aide de vos sens de Dévoreur, certifier la mort ou la vie d'une personne ?
L'intéressé réfléchit à peine.
- Oui, en un sens. Je peux ressentir l'énergie vitale présente autour de moi.
- Très bien. J'aurais besoin que vous utilisiez cette capacité pour élucider un cas épineux. Etes-vous d'accord ?
Il n'hésita pas.
- Oui. Si vous m'aidez, je me dois de vous rendre le service.
Eirin sourit d'un air entendu. Enfin les choses commençaient, un peu, à s'améliorer.
 
Ils discutèrent encore un peu avant qu'Eirin ne mène le Dévoreur à la pièce où se trouvaient Reimu et Marisa. Entretemps, Malbas pu apprendre que l'incident du réacteur n'avait pas fait de victimes.
Utsuho était encore inconsciente mais elle était dans un état stable. Comme l'avait imaginé Eirin, la yôkai commençait d'ores et déjà à se soigner.
Cela soulagea Malbas, lequel ne pouvait guère appréhender ce que l'exode des esprits du monde souterrain pouvait faire. Rien de bon, sans doute, mais cela sortait de son domaine de compétences.
Avant d'entrer, ils marquèrent une pause. Eirin toqua et attendit avant d'ouvrir. Un geste réfléchi qui donna le temps à Reimu de sécher ses larmes et de se tenir à peu près droite, pour accueillir le duo.
Elle s'efforça de rester neutre lorsque Malbas entra dans la pièce.
- Reimu Hakurei, voici Malbas Elric. Le fameux Dévoreur. Malbas Elric, Reimu Hakurei…
- Je suis… Satisfaite d'enfin pouvoir vous voir, nota la miko.
Elle ne pouvait pas décemment dire "heureuse".
- Mh… Navré d'avoir causé tant de trouble…
- A présent, je me porte garante de lui. Il ne posera plus de problème.
Eirin avait beau s'exprimer avec gentillesse, le sous-entendu fit frissonner l'alchimiste.
- Je l'espère et compte sur vous, docteur Yagokoro. A présent…
Elle s'écarta.
 
Malbas s'avança, à la demande d'Eirin. Il fut quelque peu surpris de voir Marisa. Il ne l'avait vue qu'une fois, quand elle avait sauvé Alice Margatroid de ses griffes. Cela avait été bref mais il s'en souvenait très bien.
Il avait bien changé, depuis. Mais qu'est-ce qui avait bien pu lui arriver ?
Il tendit sa main droite qu'il plaça au-dessus d'elle. Une bouche circulaire s'ouvrit sur sa paume.
- Alors ? s'enquit simplement Reimu.
- Je comprends pourquoi vous m'avez fait venir. C'est véritablement étrange. Je ressens des traces de vie. Mais elles sont très faibles. Je dirais même qu'elles semblent… Lointaines. Je suis désolé mais je ne peux pas en dire plus.
Reimu se crispa. Il y avait donc une chance…
- Que voulez-vous dire pas "lointaines" ? demanda Eirin.
- Ce que je repère est comme un écho, diminué par un long voyage. C'est la première fois que je ressens cela.
La doctoresse regarda Reimu.
- Cela vous dit-il quelque-chose ?
La prêtresse hocha négativement la tête.
- Non, pas du tout.
- Si je peux me permettre… Je pense connaître quelqu'un pouvant nous aider à tirer cela au clair. Je peux aller la chercher si vous voulez, intervint Malbas.
- Je vous accompagne, décréta Eirin aussitôt.
Le Dévoreur ne comptait pas s'y opposer.
- Je vais aller voir Alice, elle doit savoir ce que Marisa trafiquait dernièrement. C'est sur mon chemin pour aller voir cette Doku, donc cela ne me ralentira pas. Je reviendrai ensuite ici.
Reimu avait annoncé son programme avec fermeté. D'un regard, elle indiqua à Eirin qu'elle lui faisait confiance pour veiller sur le Dévoreur, mais qu'elle n'hésiterait pas à intervenir en cas de manquement. Silencieusement, la Lunarienne acquiesça.
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeJeu 31 Déc - 22:26

La véritable question concernant Alice était de savoir si elle était chez elle ou non. Fort heureusement pour la prêtresse Hakurei, elle avait encore de la chance à ce niveau. La magicienne lui ouvrit rapidement.
Elle était inquiète à cause de l'incident du réacteur mais ignorait tout des aboiements et de ce qui était arrivé à Marisa. Cela arrangeait bien la miko.
- Que faisiez-vous, dernièrement ?
Alice, qui se déplaçait normalement à présent, but un peu de son thé.
- Nous étudions les travaux de Seishi Kodoku sur la golémancie. Je ne sais pas trop pourquoi mais cela a tout d'un coup intéressé Marisa. Nous devions nous rendre dans son ancienne maison, qui n'est pas loin, mais nous n'avons jamais eu le temps. Je passerai lui demander tout à l'heure, tant que j'y pense.
Reimu se mordit la lèvre inférieure.
- Elle… Ne pourra pas.
La marionnettiste ne cacha pas sa surprise.
- Pourquoi ça ?
Reimu hésita. Elle n'avait pas envie de lui mentir…
- Elle est à l'Eientei. Elle a un peu trop poussé lors de son dernier combat. Tu la connais, c'est bien son genre. Mais si tu veux on peut aller à la maison de cette Seishi Kodoku. Elle sera contente quand même !
Un demi-mensonge. Reimu n'était pas fière d'elle, loin de là. Bien sûr, passer par la maison dont parlait Alice risquait de lui faire perdre du temps, mais elle lui devait bien ça.
Alice accepta et les deux partirent aussitôt. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'elles découvrirent que la maison était rénovée et qu'on vint leur ouvrir.
Encore plus lorsque celle qui était à la porte se présenta comme Doku Ryu. Elles entrèrent et Reimu laissa Alice s'aventurer dans la demeure tandis qu'elle restait avec la yôkai serpent.
Les deux jeunes femmes s'étaient assises autour de la table du salon. Doku était nerveuse et trifouillait ses cheveux verts. Il n'y avait même pas de thé à proposer. Les deux étaient face à face.
- Que s'est-il passé ? demanda finalement Reimu en s'efforçant d'avoir une voix calme et presque douce.
- Je… J'étais sortie pour me trouver à manger. Je me suis éloignée d'ici. C'est là que j'ai entendu les aboiements. Je n'en avais jamais entendu de tels. J'ai hésité… Puis j'ai été voir, car j'avais peur que quelqu'un soit en danger… Apparemment j'avais raison.
Elle baissa la tête.
- Si seulement j'y avais été plus tôt… Je serais peut-être arrivée à temps, murmura-t-elle.
- Ou tu aurais fini de la même façon, Doku. Ne te torture pas avec ça, cela ne changera rien. Tu n'as vraiment rien vu de ces créatures ?
La jeune femme vêtue de rouge et de blanc faisait preuve de toute la diplomatie dont elle était capable. Elle était maîtresse d'elle-même et cette constatation la rassurait.
- Rien du tout. Mis à part cette odeur de soufre, c'est comme si… Ils étaient apparus d'un coup, avant de se volatiliser. J'ai été vérifier ce matin mais… Il n'y a aucune piste à suivre, pas une odeur de chien, loup ou quoi que ce soit.
- Je vois…
La miko réfléchissait. Elle ne se souvenait pas avoir déjà rencontré une créature agissant de la sorte.
 
Sa réflexion fut coupée par une vibration. Elle parcourut les murs et le plancher, faisant vibrer le bois de la maison. Enfin, un grincement y succéda, montant depuis le couloir.
La pauvre Doku sursauta et jeta un regard paniqué à Reimu. Celle-ci lui fit signe de rester là et alla voir. Elle toussa et écarta la poussière qui occupait les lieux avec son bras gauche.
La toux d'Alice lui indiqua qu'elle n'était pas seule.
- Mais… Qu'est-ce que tu fais ? demanda Reimu quand elle arriva à son niveau.
- Nous les magiciens adorons les passages secrets. Seishi en avait bien un quelque-part. Je l'ai trouvé !
- Tu aurais pu m'en parler avant ! J'ai cru que… Ah, j'espère que cela en vaut la peine !
Alice lui sourit, indiquant par là-même le peu de cas qu'elle faisait des protestations de la prêtresse. Elle savait qu'elle ne lui avait pas tout dit au sujet de Marisa, c'était certain.
- Il vaudrait mieux prévenir Doku, grinça Reimu qui fit machine arrière.
- D'accord, d'accord.
Alice était pressée d'emprunter le passage qui s'était découvert. Sombre, on voyait des marches descendantes. Elle attendit bien sagement le retour de Reimu et Doku. Celle-ci faisait de grands yeux.
- Réo ne va pas aimer ça…
- Pardon ?
Doku regarda la prêtresse qui avait réagi.
- Cette maison est à lui. C'est lui qui a bricolé tout ça, avec de l'aide évidemment.
- Passionnant mais peu intéressant, décréta la marionnettiste décidément plus sarcastique qu'à l'accoutumée.
Reimu lui lança un regard noir. Alice l'ignora et commença à descendre. Une poupée Shangai volait, tenant une petite lumière bleue dans ses petites mains.
L'escalier était relativement court. Il était en bois, comme toute la maison. Il y avait encore de la poussière, cela faisait longtemps que personne n'était passé par ici.
Une fois en bas, ils purent voir une table de travail, des étagères et autres bibliothèques. Plusieurs formes métalliques rappelant des armures étaient également disposées contre les murs.
 
Alice ajouta une nouvelle marionnette afin d'éclairer plus encore. Reimu regardait tout ceci avec attention.
- Si Seishi est partie, qu'espères-tu retrouver ici ? Elle a dû tout emporter, non ?
- Bien sûr que non. Comme tu peux le voir, elle a laissé ses golems. Pour des raisons pratiques, tout emporter est très compliqué et ne pas le faire permet de garder cet endroit comme point de repli possible.
Doku ne dit rien. Elle ne connaissait rien sur le sujet.
- Quant au passage, seul un magicien peut le trouver. Tu sais que nous sommes bien peu à Gensokyo.
Tout en parlant, la magicienne s'était approchée d'une bibliothèque. Elle en retira les toiles d'araignées qui l'occupaient et en sortit un livre. Il n'était pas seul. En réalité, d'autres livres étaient présents. Ils étaient cependant tous identiques, à la couverture brune unie. Pour la forme, Alice ouvrit celui qu'elle avait, ne révélant que des pages blanches.
Une incantation plus tard et ce qui était écrit à l'encre noire apparut.
- Et seul un magicien qui sait y faire peut trouver les notes d'un autre.
- Superbe, commenta une miko peu motivée par la chose.
Alice fit la moue.
- Reimu, sais-tu ce qu'est la golémancie ? s'enquit-elle finalement.
L'intéressée haussa les épaules.
- L'art de créer des golems j'imagine ? Comme tes marionnettes mais un peu différent.
La marionnettiste sourit.
- C'est très différent. Mes petites créations n'ont aucune volonté propre, je les contrôle grâce à mes fils. Les golems, eux, ne sont contrôlés par aucun fil. En réalité, on peut faire en sorte qu'ils soient obéissants grâce à un objet particulier, un parchemin dans la bouche par exemple… Mais aussi qu'ils n'obéissent qu'à leur créateur. Il y aurait même une façon de procéder si extrême qu'on transfèrerait la conscience même d'une personne dans un corps de métal ou de pierre.
Reimu écarquilla les yeux.
- C'est possible ?
La magicienne approuva énergiquement.
- Oui. Cela ne dure pas éternellement et c'est très compliqué, mais c'est possible. Tout l'art de la golémancie repose sur le transfert d'âme, qu'il s'agisse d'une partie de celle du pratiquant ou celle des autres. Cela n'a pas toujours donné des résultats très reluisants, tu l'imagines. Mais cela peut servir…
- Tu penses… Qu'on pourrait sauver quelqu'un comme ça ?
- Du moins lui donner un peu de temps supplémentaire. A ladite personne et aux autres pour trouver un moyen de véritablement la sauver. Mais dans ce cas, il faut savoir faire le processus inverse. Tout cela n'est pas sans risques.
Reimu hocha la tête. Elle commençait à comprendre pourquoi Marisa s'était subitement intéressée au sujet. Prévoyait-elle vraiment de l'utiliser ?
 
Sa réflexion fut une fois encore coupée. Pas de grands bruits mais simplement des pas à l'étage au-dessus, donc au rez-de-chaussée.
Elle se tourna vers Doku, laquelle exprima sa méconnaissance de la chose. Elle n'attendait personne en particulier.
- Yamame et Suika sont parties voir ce qu'il se passait dans le monde souterrain, argua-t-elle.
Le léger suspense ne dura pas longtemps puisque la voix bien connue d'un Envieux leur parvint depuis l'entrée du passage secret.
- Hey, j'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi j'ai une cave, tout d'un coup !
La mention de "cave" pour désigner le lieu eut le don d'agacer Alice. Doku s'en moquait éperdument et fonça vers les escaliers.
- Te revoilà, Réo ! Je m'impatientais !                                              
Le polymorphe n'eut d'autres choix que de se faire traîner jusqu'en bas. Il fut surpris de voir la présence d'Alice et Reimu, n'ayant d'ailleurs jamais rencontré la première. Il en profita pour faire les présentations et notamment indiquer que cette maison était à lui, désormais.
Devant l'inquiétude d'Alice, il ajouta qu'il ne connaissait strictement rien en magie et ne s'y intéressait pas, d'autant plus qu'il ignorait l'existence de cette pièce somme toute bien pratique.
Toutefois il n'avait pas d'utilité à avoir tous ces livres. L'idée lui vint alors de les vendre. Au point où il en était…
- Quoi qu'il en soit, cette magie peut nous servir, finit par déclarer la prêtresse après une explication d'Alice sur le comment du pourquoi de leur présence ici.
- Je l'ai déjà vue à l'œuvre. Malbas Elric, le Dévoreur, avait créé un golem une fois. D'ailleurs, des nouvelles de lui ? demanda le polymorphe.
- Oui. Il est à l'Eientei. Ou du moins y était, il est accompagné d'Eirin Yagokoro pour aller chercher quelqu'un.
- Euh…
Réo pencha la tête sur la droite.
- J'ai raté combien d'épisodes, là ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Reimu soupira. Alice croisa les bras. Dire qu'elle voulait l'épargner… Reimu en aurait crié de frustration.
Plus le choix, il allait falloir raconter. Tout raconter.
 
La Forêt Yôkai était calme. Etrangère à l'agitation qui régnait pourtant un peu partout, ses arbres restaient imperturbables, bloquant avec opiniâtreté les rayons du soleil. Une atmosphère que connaissait bien Malbas.
Il marchait en compagnie d'Eirin. Les deux conversaient depuis le début. Si d'abord, la doctoresse avait voulu en savoir plus sur Malbas, leur conversation avait rapidement pris un tournant quasiment philosophique.
- Je pense que les conséquences des actes sont moins importantes que leur source. Tout tu moins, de la volonté sous-jacente qui a motivé l'exécution de l'acte en question. C'est l'une des raisons pour lesquelles je vous viens en aide, expliquait la Lunarienne.
- Je vous en suis très reconnaissant. Je partage votre point de vue sur les actes et leurs conséquences, mais il faut dire que cela m'arrange, pour mon cas. Cela ne m'empêche pas de me sentir coupable pour tout ce que j'ai fait.
- Au fond, cela vous rend très humain, nota la doctoresse.
- Une humanité à laquelle je ne suis pas très habitué, je l'avoue. Avant, je ne valais pas mieux qu'une bête sauvage. Ou un monstre, c'est selon.
- L'important est que vous vous efforcez de ne plus être ainsi. Vous ne devez en aucun cas relâcher vos efforts ou votre bête reviendra de nouveau, peut-être sans espoir de faire machine arrière.
Malbas acquiesça. Au fond, il savait qu'elle avait raison. Une raison de plus pour tenter d'aider Marisa Kirisame.
Sa quête de rédemption n'était pas prête de s'achever.
 
Ils arrivèrent en vue de la maison occupée par le Dévoreur. Elle non plus ne changeait pas. Koakuma devait se faire un sang d'encre…
Malbas prit le temps de toquer avant d'ouvrir. Ce qu'il vit le figea de stupeur. Koakuma était bel et bien là, assise à la table, une tasse entre les mains. Mais elle n'était pas seule.
En face d'elle se trouvait Patchouli Knowledge. La magicienne avait tourné la tête vers l'entrée et sourit doucement.
- Enfin, vous revoilà, Malbas Elric, fit-elle.
L'alchimiste notoire ne sut trop que faire tout de suite. Il cligna des yeux et regarda Koakuma. La démonette lui sourit et le salua avec joie, bien qu'avec un peu plus de réserve qu'à l'accoutumée. Cela s'expliquait aisément par la présence de la jeune femme aux cheveux mauves.
- Bonjour à vous deux, finit par dire Malbas en entrant, laissant la place à Eirin.
Celle-ci salua à son tour les deux autres femmes, n'affichant pas d'expression particulière.
- Vous vous demandez pourquoi je suis ici n'est-ce pas ? s'enquit Patchouli alors que Malbas prenait place sur un fauteuil.
- Je l'avoue, oui. Nous étions venu chercher Koakuma pour une… Affaire d'importance. Tomber sur vous ici est très étonnant. D'autant que vous ne semblez pas…
Il hésita. Patchouli finir donc sa phrase à sa place.
- Belliqueuse ? Véhémente ? Vous avez raison, je ne le suis pas. Je suis même rassurée de voir que Koakuma va bien et je vous en remercie.
- C'est… Tout naturel.
Sans trop savoir pourquoi, Malbas s'était senti rougir.
- A présent, je vais me permettre de vous expliquer comment je suis arrivée ici. Je me doute que vous brûlez de poser la question. La réponse est, en définitive, extrêmement simple. Koakuma est liée à moi. Je n'ai eu aucun mal à lancer un sortilège de localisation pour trouver où elle était.
Ce fut au tour de la démonette de rougir, bien plus que Malbas, lorsque Patchouli tourna la tête vers elle.
- Si je n'étais pas animée de bonnes intentions, cela aurait pu mal se passer. Voilà une grossière erreur, tu aurais mieux fait de camoufler la maison à ce genre de détection, Koakuma.
La démonette ne sut trop que répondre et se contenta de s'agiter sur son siège.
- Mais vous auriez pu faire cela plus tôt, ne put s'empêcher de remarquer Malbas.
- Voilà qui est exact. Mais il me fallait auparavant modérer les ardeurs de Remy. C'était elle qui nourrissait de sombres desseins vous concernant.
- Donc j'en déduis que vous ne cherchez pas la vengeance ou quelque-chose d'approchant ?
- Bien sûr que non. D'autant plus si cela concerne mon assistante. J'étais curieuse de savoir pourquoi elle vous avait aidé. Je dois dire que la réponse m'a surprise.
Malbas regarda Koakuma, interrogatif.
- Je… Je t'en ai déjà parlé… J'en ai assez de rester à Voile.
- Quelque-chose dont je ne m'étais pas aperçue. C'est pourquoi je n'ai pas d'objections à ce que Koakuma ne revienne pas tout de suite à la bibliothèque. J'espère tout de même que tu ne me laisseras pas derrière.
La jeune démone hocha prestement la tête négativement.
- Bien sûr que non !
Patchouli s'autorisa un sourire.
- Parfait. A présent, j'aimerai savoir ce qu'il se passe, je vous prie.
Eirin opina du chef. Elle se lança ainsi dans le récit de ce qui était arrivé, notamment à Marisa, détaillant son état.
Koakuma était livide et Patchouli ne gardait qu'à grand peine son calme. Devant l'insistance de cette dernière, tous retournèrent à l'Eientei.
 
En voyant Marisa, Koakuma faillit défaillir. Elle savait ce qu'il en était mais savoir et voir étaient loin d'être des synonymes.
- Si cela ne te dérange pas, Koakuma, j'aimerais faire la vérification moi-même. Il… S'agit de Marisa tout de même.
- O… Oui. Allez-y…
La bibliothécaire se mit aussitôt à l'ouvrage. Avec l'accord d'Eirin qui restait proche, elle traça un cercle magique au sol. Le lit fut déplacé pour être au-dessus de la forme étrange. Sans manifester la moindre émotion, Patchouli plaça une main sur le front de Marisa et l'autre au niveau de son cœur.
Puis elle ferma les yeux.
Elle resta immobile ainsi plusieurs minutes. Puis elle rouvrit les yeux, l'air contrariée.
- Qu'en est-il ? s'enquit Eirin.
- Le fait est que son âme… A été volée, déclara Patchouli.
Tous la regardèrent avec surprise.
- Son corps est plongé dans une sorte de stase, ce qui ralentit sa dégénérescence. Cette propriété ne durera pas longtemps et je crains que l'âme de Marisa ne tienne pas plus longtemps. J'ai senti son absence ici mais également sa résonance lointaine. Elle est retenue je ne sais où et s'affaiblit chaque minute un peu plus. Quoi que nous fassions, elle sera perdue dans une poignée d'heures, c'est certain.
Sa voix était plus basse encore que d'habitude et elle parlait tout aussi vite. Seuls ses yeux trahissaient la panique qui l'envahissait peu à peu.
- Mais savez-vous où elle se trouve ? finit par demander Malbas.
Patchouli répondit par la négative, véritablement désolée.
- Cela, je ne peux le dire.
Un lourd silence tomba sur la salle. Patchouli regarda ses comparses et finit par s'arrêter sur Malbas.
- Mademoiselle Yagokoro, vous avez évoqué une odeur de soufre, rapportée par votre témoin.
- C'est exact, confirma l'intéressée.
- Voilà qui peut faire penser à des démons. Or, Koakuma, tu as évoqué… Quelque-chose de démoniaque chez notre ami. Il se peut qu'un lien existe.
- Vous voulez dire que…
Malbas fut coupé.
- Non, je ne vous soupçonne pas. Mais j'aimerais que vous passiez le même examen que Marisa. Et j'aimerais que ce soit toi, Koakuma qui le fasse.
La concernée papillonna des yeux et se désigna du doigt.
- Moi ? Mais…
- Je risque d'être influencée par celui de Marisa. De plus, tu as déjà effectué la version plus légère de cet examen sur Malbas. Enfin, il est temps que je te laisse plus de responsabilités et d'autonomie. Tu en es capable, j'en suis certaine.
Un peu intimidée, Koakuma finit par se reprendre.
- Très bien… Je vais le faire, fit-elle en tentant de paraître sûre d'elle.
Malbas lui offrit un sourire rassurant.
- J'ai confiance en toi, Koakuma. Dis-moi simplement ce que je dois faire.
- Il faudrait que tu t'allonges à la place du lit de Marisa et que tu enlèves ton haut. Mes doigts doivent te toucher la peau…
Elle tortillait ses doigts, gênée. A son grand soulagement, Malbas accepta, bien qu'il fût également un peu surpris. Il n'était plus à ça près.
Koakuma appliqua ses doigts au niveau du cœur et du front du Dévoreur lorsque celui-ci fut en place. Elle murmura une incantation, fermant ses yeux.
A son tour, elle resta sans bouger, pendant plusieurs minutes. Quand elle les rouvrit, elle murmura ce qu'elle avait trouvé.
- L'Enfer.
 
Reimu prit une grande inspiration. Le soleil n'allait plus tarder à se coucher. Elle se trouvait dans la Forêt de la Magie. Elle était retournée à l'Eientei, accompagnée de Réo et Alice.
Là on lui avait tout dit.
Elle leva la tête et hurla à pleins poumons.
- LUCIFUGE !
Les flammes lui répondirent, avant que le Premier Ministre n'apparaisse devant elle.
(♪) - Enfin nos chemins se croisent à nouveau. Bonjour, Reimu Hakurei, lâcha-t-il avec une courbette outrancière.
- Je sais que c'est vous qui avez Marisa.
- Moi ?
Le démon ricana.
- Voilà qui est bien simplifié, mademoiselle. Beaucoup trop simplifié, en fait.
- Ne vous moquez pas de moi ! Je sais que Marisa voulait faire appel à un démon ! Vous l'avez…
- Je n'ai rien fait d'autres que d'appliquer les termes de notre accord.
Le sang de Reimu se glaça dans ses veines.
- Votre accord ?
- Oui. Voyez que vous ignorez tout. Nous avons conclu un accord et à présent, son âme brûle au cœur des Neuf Cercles de l'Enfer.
Reimu déglutit.
- Je sais ce que vous allez dire. Vous voulez que je vous la ramène.
Il prit un air désolé.
- Mais c'est malheureusement impossible. Un Pacte de Sang peut beaucoup de choses.
Guérir une blessure fatale, donner de quoi faire un enfant, tromper la mort elle-même, mais le prix est élevé. Et une âme en Enfer ne peut en sortir sur demande… Sauf en payant le prix.
- Alors je détruirai ce contrat !
Lucifuge eut cette fois un franc rire.
- Fort bien ! Mais dans ce cas, vous devrez aussi dire adieu à celui qui a été guéri ! Ce serait dommage, n'est-ce pas ?
Reimu se mordit la lèvre inférieure.
- Nous sommes d'accord, dirait-on. L'annulation d'un contrat réduit les bénéfices des deux parties à la nullité. Pas d'âme, pas de gain. Mais, nous pouvons trouver un arrangement. Votre âme contre celle de Marisa Kirisame. Rendue sans séquelle et sans délai. Qu'en dites-vous ?
Reimu était sur le point d'exploser. Mais elle ne devait pas le faire. Surtout pas.
- Je… Non !
Elle tremblait de tout son cœur. Elle était coincée. Totalement coincée.
- Vous êtes sûre ? Quel dommage. Enfin, c'est vous qui voyez. Réfléchissez-y… Mais vite. Malgré leur pouvoir, les Pactes de Sang ont leurs limites. Dans quelques heures, l'âme de votre amie sera… Et bien, irrécupérable. Si j'étais vous, je ne traînerais pas.
Reimu voulut répondre, exprimer son désaccord, son rejet de la situation et de l'offre…
Mais Lucifuge n'était plus là.
 
Vidée de ses forces, la prêtresse tomba à genoux.
Que faire ?
Le piège s'était refermé sur elle. Elle n'avait pas d'options, pas de recours. Elle était coincée. Elle ne pouvait accepter l'offre, mais elle ne pouvait pas non plus abandonner Marisa.
Tous ses choix étaient mauvais. Tous. Elle avait échoué. Et Marisa allait en subir les conséquences, peut-être pour l'éternité entière.
Elle qui avait été si généreuse durant sa vie, elle allait finir comme le pire criminel qu'aurait pu condamner le yama.
Reimu releva la tête. Shikieiki Yamaxanadu. Elle devait pouvoir y faire quelque-chose. La prêtresse se releva en catastrophe et, sans trop savoir pourquoi, l'appela de la même manière que Lucifuge.
C'était stupide. Mais pour aussi étonnant que cela puisse paraître, elle lui répondit.
- Je suis ici, Reimu Hakurei.
La concernée se tourna vers la droite. L'espace semblait se tordre alors que Shikieiki Yamaxanadu marchait vers Reimu. Le juge des morts semblait venir de très loin… Mais couvrait la distance en quelques pas. C'était un très étrange spectacle.
- Shikieiki. Merci de me répondre.
- Nous avons beaucoup à dire et très peu de temps. Je vais vous expliquer ce qu'il en est sur le chemin. Nous devons retourner à l'Eientei au plus vite.
 
La présence du yama surprit tout le monde. Surtout Malbas, que Shikieiki salua avec satisfaction.
- Vous commencez à emprunter la bonne voie, commenta-t-elle.
A son injonction, tous se réunirent dans la chambre de Marisa. Les visages étaient graves.
- Comme vous le savez tous, l'âme de Marisa est retenue en Enfer. Les propriétés des Pactes de Sang font que je n'ai pas eu mon mot à dire sur le sujet. Ce n'est d'ailleurs pas la seule.
Malbas et Koakuma acquiescèrent de concert. Cette dernière était arrivée au même résultat.
- Les victimes de Malbas Elric ont également été envoyées là-bas, bien que j'en ignore la raison. Je n'ai pas pu les juger et Komachi ne les a pas transportées jusqu'à moi.
Komachi, la passeuse. Son rôle était de faire traverser la rivière Sanzu aux défunts de Gensokyo. Là, ils arrivaient devant Shikieiki qui décidait de leur sort.
- J'ai longuement conversé avec Reimu Hakurei et elle a eu une idée que je qualifierai de téméraire, voir inconsciente. Néanmoins, en ces circonstances exceptionnelles, je me vois contrainte d'accepter. Je ne peux laisser les machinations d'êtres démoniaques influer sur le destin des âmes, d'une manière qui n'est pas prévue.
- Vous voulez dire que vous allez les récupérer ? demanda Koakuma.
Shikieiki réfuta.
- Non. Ce n'est pas mon rôle. Mais c'est le vôtre.
- Comment cela ? s'enquit Eirin.
- Vous irez vous-même chercher les âmes en Enfer. Ou du moins, vous essaierez. J'ignore si cela est seulement possible ou ce qu'il faudrait accomplir pour réussir.
Reimu continua.
- Mais… Nous devons essayer. Komachi nous emmènera en Enfer. Nous devrons aviser sur place. Et quand je dis "nous"… Nous partirons à trois. J'aimerais que ce soient Réo et Malbas qui m'accompagnent.
Les deux acceptèrent, masquant leur réserve. Si Malbas était motivé, il se demandait dans quoi il s'embarquait. Mais en un sens, il allait devoir faire face à ses créateurs. C'était une perspective des plus inattendues. Il ne pouvait pas laisser échapper cette occasion d'en apprendre plus sur lui-même.
Réo, lui, frissonnait d'angoisse. Au contraire des autres, il savait très bien ce qui risquait de les attendre. De même, il savait qu'il risquait de finir comme Marisa, bien que lui serait alors définitivement mort. Ni stase, ni sursis, ni chance.
Rien. Ce serait la fin.
Sa fin.
 
Leurs préparatifs furent interrompus par l'arrivée subite de Nitori Kawashiro. Elle brandissait un petit appareil, ressemblant fort à une caméra.
- J'ai les enregistrements de l'incident ! Il faut que vous voyiez ça !
Ce qu'ils firent. Ce qu'ils virent ne put guère permettre à la plupart des spectateurs de se faire une idée.
Excepté Reimu.
Elle fut la seule dont la peau avait viré au blanc et dont les yeux brillaient tant de colère que d'angoisse.
Cela n'allait pas l'empêcher d'embarquer avec les autres, une heure plus tard. Elle avait peur.
Ils n'étaient sûrs de rien. La réussite lui paraissait chimérique. Ramener Nue, Murasa, Marisa était-il seulement possible ? Et même s'ils parvenaient à les ramener…
Seraient-elles toujours les mêmes ?
 
(♪) - Donc nous y sommes…
La Voyageur était assis à une table. Une auberge, visiblement. Trois cartes étaient disposées devant lui. La première représentait l'Arcane Sans Nom, qui avait le numéro treize. La deuxième était le numéro sept : la Roue de la Fortune. Elle était à l'endroit.
- Votre action va tout changer… Jusqu'au destin du monde. Mais je me demande…
Le Voyageur retourna la dernière carte. Ses traits se crispèrent.
- Même si vous vous en sortez… Serez-vous toujours les mêmes ? Surtout n'oubliez pas… Tout acte a ses conséquences. Pour toute chose reçue… Il y a un prix à payer.
L'homme vêtu de blanc s'appuya au dossier de sa chaise. Ses yeux restaient arrimés à la dernière carte.
Le quinzième arcane. Le Diable.
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L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeDim 10 Avr - 23:10

Chapitre 35 : Vous qui entrez…
 
"Il n'est pas nécessaire de se rendre au cœur de l'Enfer pour pouvoir voir de nos yeux les plus vicieux des démons. Parfois, un simple regard dans le miroir suffit."
Shikieiki Yamaxanadu
 
 
(♪) Le soleil se couchait sur Gensokyo. Ses rayons teintaient l'eau de la rivière Sanzu d'orange et de rouge. Les flots, d'habitude si tristes, d'un bleu pâle s'approchant bien trop du gris, se mariaient ainsi parfaitement à la chevelure de Komachi.
La passeuse avait des cheveux rouges, mi-longs, qu'elle coiffait en deux couettes retenues chacune par deux perles pourpres.
Elle portait une robe blanche et bleue ainsi qu'une ceinture brunâtre. Ses yeux cramoisis sondaient la rivière du regard alors qu'elle dirigeait sa barque avec ce qui aurait pu passer pour une longue perche. Ce n'en était pas une. Il s'agissait en réalité de son arme, une longue faux dont la lame avait l'étrange particularité d'être ondulée à la fin.
La shinigami se trouvait à l'arrière de l'embarcation. Reimu, Malbas et Réo étaient devant elle. La prêtresse faisait face au Dévoreur, avec le changeur de forme.
Un silence assourdissant régnait, malgré les nombreuses tentatives de Komachi de démarrer une conversation. Elle était totalement étrangère aux troubles de Gensokyo et encore plus à ceux de ses habitants.
- Je ne pensais pas qu'un jour on me demanderait de transporter des vivants, nota-t-elle dans un nouvel espoir de décongeler l'ambiance.
- Les temps changent, marmonna mollement Reimu.
Elle avait tellement en tête. Ses pensées ne cessaient d'aller et venir sur tous les sujets, toutes les catastrophes, qui occupaient son esprit. Elle se remémora, une fois encore, ce que Nitori avait montré.
 
Utsuho se tenait au beau milieu du réacteur. Elle était joyeuse et faisait quelques mouvements de son bras gauche, enfermée dans la barre de contrôle qui rappelait presque un canon. La troisième jambe comme certains surnommaient la chose.
A la demande d'une voix parlant via un micro et résonnant dans la salle, Utsuho tendit son bras. Une vive lumière se forma au bout. Tout se déroulait à merveille.
Puis subitement, une épaisse fumée noire était tombée depuis le haut. Une fumée qui n'avait rien de naturelle et qui avait enveloppé Utsuho avant de s'infiltrer dans son corps par sa bouche.
Le corbeau de l'enfer avait été pris de convulsions violentes. Un râle atroce était monté de sa gorge alors qu'elle se mettait à émettre de la lumière de tout son corps. Elle finit par se prendre la tête dans les mains et se mit à hurler. La fumée noire s'extirpa de son hôte et tournoya, engloutissant son bras gauche. Dans des craquements sinistres, les clignotements d'Utsuho prirent de l'ampleur. L'air ondulait autour d'elle et finalement, la fumée remonta, restant toutefois à proximité.
Elle laissa la barre de commandes fissurée. Un nouveau sursaut de lumière et elle éclata en morceaux. Utsuho hurlait mais sa voix était double, une voix masculine parlait avec elle.
L'image se coupait ensuite.
 
Reimu avait beaucoup réfléchi à cela. Elle avait tenté de trouver une autre explication, mais elle savait que c'était vain. Cette fumée noire, elle l'avait déjà vue lorsqu'elle possédait Suika. Cette fumée noire était celle d'un Damné.
Le seul souvenir de cet être était malsain. Reimu ne pouvait l'expliquer mais elle ne pouvait se défaire du trouble qu'elle avait ressenti lorsqu'elle lui avait fait face et qu'il avait murmuré son nom.
Qu'il puisse provoquer un tel incident était tout bonnement effrayant. Elle n'osait qu'à peine imaginer ce qui les attendait, dans ces Neuf Cercles. Comment pourraient-ils libérer les trois âmes captives ?
Tout ceci ne ressemblait que trop à une chimère.
Elle remarqua que Réo n'était pas non plus à l'aise. Malbas, lui, était également nerveux. Les deux se regardaient en chiens de faïence, se surveillant mutuellement avec une défiance affichée. Regards qui bougeaient cependant pour s'attarder plus que de raison sur Komachi, à intervalles irréguliers. Intérieurement, Reimu soupira.
Elle aurait pu demander à d'autres de l'accompagner. Pourtant, son choix s'était porté sur eux deux. Les raisons étaient simples.
Malbas était celui qui avait envoyé Murasa et Nue là-bas. Son lien avec tout ceci le rendait idéal. Réo, lui, était lié à Malbas d'une manière ou d'une autre. Ils étaient arrivés en même temps.
Cette histoire ne les avait peut-être pas comme sources seules, mais ils en étaient des moteurs incontournables. Mais surtout, Reimu savait que ces deux-là pouvaient se débrouiller et livrer bataille. Car il allait falloir lutter, c'était une certitude.
Une lutte qui, elle le savait, serait tant physique que mentale.
- Nous approchons. Il est rare que je conduise des âmes là-bas. La dernière fois date d'il y a… Je ne sais plus trop. Entre dix et vingt ans, je crois. Je suis nulle avec les dates.
La déclaration de Komachi fit cette fois plus réagir Reimu.
- Que dis-tu ? Qui as-tu emmené là-bas ?
La passeuse haussa les épaules.
- J'ai oublié, depuis le temps !
Reimu grinça des dents. L'attitude de Komachi était parfois insupportable. La prêtresse reporta son attention sur l'eau.
- C'est… Normal, ça ? finit par demander Réo en désignant ce qui les attendait.
- Oui. Le passage vers les Neuf Cercles de l'Enfer, réservé aux shinigamis. Nous arriverons au premier, Limbo. Je n'ai jamais été aux huit autres. Luxure, Gourmandise, Avarice, Colère, Hérésie, Violence, Fraude et Trahison. Je me demande à quoi ils ressemblent. Enfin accrochez-vous ! indiqua la passeuse.
 
Tous se cramponnèrent alors que le passage en question était visible. Il s'agissait d'un véritable tourbillon. L'eau y prenait une teinte noirâtre et semblait s'épaissir. Pire encore, Malbas était certain d'apercevoir des formes humanoïdes et décharnées dans l'eau. Des plaintes éthérées et éloignées accompagnaient les flots. La barque prenait peu à peu de la vitesse. Komachi affichait une expression d'intense concentration, continuant de guider l'embarcation de bois avec sa perche.
- Doucement… Doucement, faisait-elle.
La barque tourna sur elle-même, effectuant un léger virage sur la gauche. Cela lui permit d'emprunter le tourbillon. La vitesse augmentait exponentiellement et arracha un cri d'angoisse aux passagers. Des cris qui bientôt se turent alors que l'eau poisseuse les avalait, sans laisser la moindre trace.
 
Pour eux, se fut une sensation horrible. L'eau ne les toucha pas mais ils sentirent une étreinte glaciale s'emparer de leurs corps et de leur âme. Une souillure abjecte qui eut tôt fait de créer un terrible mais fugace sentiment de panique.
Ils émergèrent d'une porte de pierre, bâtie au beau milieu d'une petite étendue d'eau. Livide, Reimu la regarda en reprenant sa respiration. La structure était grise et rouge. Des statues la composaient, tordues et emmêlées dans d'innombrables postures. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que le rouge provenait du sang qui s'écoulait de leurs yeux et de leur bouche.
Droit devant eux se trouvait ce qui ressemblait à un port. Plusieurs bateaux de diverses tailles avaient déjà accostés. Des silhouettes étaient visibles sur les quais. Sans marquer d'hésitation, ni aucune forme de crainte, Komachi dirigea la barque vers un embarcadère libre.
- Je commence à croire qu'on a fait une énorme connerie, murmura Réo.
- Plus le choix, commenta sèchement Reimu.
Malbas ne dit rien, silencieux qu'il était depuis le début du voyage. Il tâchait de faire profil bas. Mais la sueur froide coulant le long de son dos en disait long.
- Comme prévu, je vous attends là. Pour une fois, je ne vais pas me faire engueuler. Prenez votre temps !
Reimu roula des yeux. Komachi n'était pas au courant de tout ce qui se passait, visiblement. Elle se demandait si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle.
 
(♪) Le petit groupe finit par mettre pied à terre. Le sol était en pierre lisse, sombre. A leur droite mouillait un voilier, un trois-mâts. Ses voiles étaient faites de lumière turquoise, ondoyant doucement selon un vent impossible à sentir. La figure de proue était absente, remplacée par un squelette accroché au mât de beaupré par les bras et les jambes.
Le bois du navire était sombre et aucun mouvement n'était discernable à bord. Malbas cherchait en vain le nom du bâtiment, moyen comme un autre de chasser la vue de la porte de pierre et de sang aperçue plus tôt.
Réo, lui, regardait autour, curieux. Manque de chance, il ne pouvait pas encore voir grand-chose. Tout juste apercevait-il d'autres entrées dans la roche. D'autres rivières s'écoulaient jusqu'ici. Leur eau n'était d'ailleurs pas toujours de la même couleur, allant parfois jusqu'à un bleu très clair.
Il reposa ses yeux sur les des autres membres du trio, puis sur Komachi, qui s'était allongée dans l'embarcation dont elle avait la charge.
(- Youmu est mieux), lâcha Pride, comme pour détendre l'atmosphère.
Ou simplement exprimer son point de vue sur le sujet.
Réo ne répondit pas et toussa. L'odeur de soufre qui émanait des lieux se mêlait à celle de l'eau et une autre, plus désagréable encore. C'était loin d'être idéal, cela brûlait presque le nez et la gorge. Sur un ordre de Reimu, ils se mirent en marche.
 
Les lieux étaient éclairés par des torches et des braseros. Plus loin, ils virent une gare où un train absurdement long s'arrêtait. Noir et à vapeur, ses portes s'ouvrirent pour laisser une marée de personnes en sortir.
Leur démarche était lente, leur expression penaude. Pourtant, ils finirent par tous converger vers le même endroit. La distance empêchait de voir si quelqu'un les y avait incités ou contraint.
- Je propose de les suivre, lança le Dévoreur.
- Bonne idée Sherlock. On y va. Toi d'abord, grinça le changeforme.
Le premier ne releva et passa devant, permettant à Reimu et Réo de l'avoir à l'œil.
Du fait de cette surveillance constante, Malbas ne se sentait clairement pas à l'aise. Loin de lui l'idée de la contester, bien entendu. Il craignait en revanche que cette tension, presque palpable, ne soit un frein à leur entreprise. Le temps jouait contre eux.
Reimu leva la tête, intriguée par un écho lointain. Son ouïe de l'avait pas trahie.
Le ciel n'en était pas un. Il s'agissait d'un plafond de pierre, en cône. Deux énormes portes volantes s'y trouvaient. Elles étaient grisâtres et leurs détails étaient impossibles à voir depuis le sol. En revanche, le flot continu d'âmes qui rentrait à l'intérieur était clairement visible, créant un ballet spectral bleu et vert d'une beauté macabre.
Beau, glacial mais étonnant. Si les âmes étaient conduites ici pour séjourner dans les Cercles, pourquoi celles-ci partaient ? Où allaient-elles comme ça, quelles étaient ces deux destination si distinctes l'une de l'autre ?
 
La miko n'avait aucun moyen de le savoir et cessa bien vite son observation. Cela n'allait pas l'aider à retrouver Marisa et les autres.
- Au fait Reimu… Merci de m'avoir demandé de venir. C'est pas la destination idéale mais si ça peut me permettre d'aider, lâcha l'Envieux.
Elle le regarda avec un petit sourire.
- C'est le moment de saisir ta deuxième chance, lui glissa-t-elle.
Il opina.
- Mais tu ne m'as pas fait venir juste pour ça, n'est-ce pas ?
- Non, en effet. Tu es lié à tout ça, comme Malbas. Mon intuition me trompe rarement, sans vouloir me vanter. Que tu viennes, avec Malbas, m'est apparu comme… Une évidence.
- Dans tous les cas, vous nous avez à l'œil en même temps, ajouta l'alchimiste d'une voix neutre.
- C'est exact. J'espère qu'en mon absence, Sanae fera ce qu'il faut pour que Gensokyo tienne la route.
- Qui est-ce, s'enquit l'Envieux.
- Sanae Kochiya est la prêtresse du Sanctuaire Moriya, qui est à la Montagne Yôkai. Elle aime essayer de me copier et résoudre les incidents, pour accroître la foi de son temple. Elle a bondi sur l'occasion…
(- Elle doit avoir plus de followers qu'elle. Faut dire, côté Hakurei, on est entre 0 et 2), railla l'Orgueil.
- Rivalité religieuse… Moi qui pensais que c'était tranquille à Gensokyo, de ce côté-là, grinça Réo.
- Nous sommes quatre sur le coup. Avec Sanae et moi-même, il faut ajouter Byakuren Hijiri, qui gère le Temple Myouren et Toyosatomimi no Miko et son Pavillon des Songes.
- C'est… Je ne vais jamais retenir tout ça, remarqua l'Envieux en grimaçant.
(- Et la lauréate du nom à coucher dehors de cette année est…)
- Tu n'es pas obligé d'essayer.
Réo ne pouvait que lui donner raison. Toutes ces histoires de religions ne l'intéressaient pas de toute façon. Ce qui était assez amusant venant de quelqu'un ayant signé un pacte avec le Diable.
Silencieux, Malbas ne put s'empêcher de sourire un peu. Personne n'avait oublié où ils étaient ni ce qu'ils venaient y faire. Mais parler ainsi aidait tout le monde à faire retomber la pression. C'était d'autant plus nécessaire après le silence du trajet et avec l'ambiance des lieux.
 
Le trio joignit ainsi la marche des autres âmes perdues en ces lieux. La progression était lente et l'atmosphère de plus en plus lourde. Le décor restait sinistre, fait de tours sombres, petites et rares d'où s'échappaient des hurlements déments et de bâtiments compacts, rappelant des prisons. Le tout était en périphérie de l'endroit, donnant une forme circulaire à l'ensemble.
Si d'un côté se trouvait l'eau et le port, les bâtiments étaient ensuite. Puis venait le fond de cette antichambre cauchemardesque, l'endroit vers lequel toutes les âmes égarées se rendaient. Des âmes toutes hagardes, le regard vide, avançant telles des machines. Si on ignorait où on était, on aurait pu imaginer que ces gens étaient de chair et d'os, malgré une pâleur surnaturelle. Mais certains arboraient des plaies impressionnantes et d'autres blessures graves qu'un être vivant n'auraient pu supporter.
Tous se rassemblaient en une file silencieuse, attendant sans rien. Infiltrés dans cette file, les trois visiteurs n'osaient plus rien dire. Non pas par peur mais à cause d'un sentiment plus profond, qui les prenait aux tripes.
En un sens, tous trois ne pouvaient s'empêcher de penser qu'ils avaient peut-être là un avant-goût de ce qui les attendrait après leur mort. Dans le cas de Réo, c'était même une certitude.
C'était cela qui commençait à le faire trembler. Ce qui n'allait pas s'arranger avec l'attente. Une attente longue. Si longue. A croire qu'elle était sans fin. Etait-ce là le premier tourment infligé aux âmes damnées ? Tous trois n'étaient pas loin de le penser.
 
Le silence général fut subitement brisé par un rire tonitruant. Reimu, Réo et Malbas échangèrent un regard circonspect, comparable à celui de ceux qui venaient de se réveiller.
- Je me disais bien qu'on en aurait ! Désolé les gars, les soixante-douze vierges ne sont pas ici ! On est en rupture de stock ! Ne faites donc pas cette tête, vous aviez vraiment cru que c'était la salle d'attente pour aller au paradis ? Raté. Fallait pas se faire sauter, et même pas de manière amusante. Septième cercle : Violence !
La voix masculine débordait de moquerie et de cruauté. Elle fut remplacée par des hurlements de souffrance qui achevèrent de réveiller trois vivants.
- On y est, murmura Reimu.
Malbas opina du chef, sans répondre. Il jeta un coup d'œil au polymorphe dont le stress était évident. C'était mal engagé.
La file avança, plus rapidement qu'auparavant. L'homme ayant parlé précédemment réitéra, hilare et ce à chaque nouvelle personne passant devant lui. Ce ne fut que lorsqu'il ne resta plus qu'une femme devant eux que le trio put voir ce dont il s'agissait.
C'était un démon, à n'en pas douter. Son apparence était humaine, pourtant au premier coup d'œil, sa nature était percée à jour.
Son visage était émacié, sa peau littéralement collée à son crâne. Son sourire était cruel, dévoilant ses dents anormalement pointues. Ses yeux, vifs, allaient et venaient, dardant leurs pupilles rouges vers l'assemblée en contrebas. Son âge était difficilement devinable, ce qui était accentué par sa barbichette taillée en pointe.
Deux cornes de petite taille pointaient de son front, ne mesurant pas plus de sept centimètres. Elles étaient brunes, plus claires que les cheveux noirs du démon. Lequel portait un ensemble noir, relativement ample, comprenant une cape à la face intérieure blanche, fermée par une broche représentant un œil, et, de ce qu'on pouvait voir, une chemise à neuf boutons d'or. Ses mains gantées de soie rouge allaient et venaient sur le bureau surélevé derrière lequel il se trouvait.
Un bureau encombré par un grand livre aux pages jaunies, parcouru sans arrêt et dans tous les sens. A ses côtés se trouvait une statuette représentant un chacal allongé, ainsi qu'un bocal de verre.
Reimu tiqua en voyant son contenu. Des yeux humains.
 
Lorsque le démon en attrapa un négligemment pour le mettre dans sa bouche, comme s'il s'agissait d'une friandise, elle sentit une nausée légère l'envahir.
- Alors comme cha, on trompe chon mari en s'envoyant en l'air avec son meilleur pote. Pendant des semaines. Pas jojo tout ça, chérie.
Il avait parlé en mâchant et en lisant son livre. Il avala et leva les yeux, souriant une fois encore.
- C'est con que tout le monde y passe dans un bête accident de voiture. Même le petit. Vous ne pouviez pas faire attention en roulant, là, à minuit, filant telle une flèche pour revenir à temps chez vous après une partie de jambes en l'air ? Enfin, rassurez-vous, de ce que je lis là, vous allez bien vous amuser. Pour vous, ce sera le deuxième cercle : Luxure !
Il claqua des doigts. Devant la pauvre femme, un trou se forma dans le sol. Un trou d'où sortirent trois immondes tentacules violacées qui s'enroulèrent autour de ses chevilles.
- Ah, au fait…
Son sourire s'agrandit plus encore. Il prit un œil et le tendit à la future suppliciée.
- Merci beaucoup pour votre conduite lamentable. Votre marmot est délicieux.
Il lui fit un clin d'œil outrancier, se régalant autant des cris que sa phrase suscita que de l'organe oculaire qu'il enfourna. Impitoyablement, la femme fut tractée par les appendices visqueux et disparut dans les profondeurs de l'Enfer.
(- Je ne sais pas trop qui insulter, là), lâcha un Pride dubitatif.
- Il y en a qui s'amusent, marmonna Réo.
C'était leur tour. Tous trois s'avancèrent en même temps. Le démon eut un mouvement de recul, faisant la moue.
- Hé. Vous n'êtes ni morts, ni mourants. Par les larmes de Lucifer, qu'est-ce que vous foutez ici ?
Reimu s'avança un peu plus. Elle tentait de juguler ses tremblements aux origines diverses et de parler d'une voix forte et assurée.
- Nous venons récupérer trois âmes enfermées ici.
Le démon ferma un œil. Puis l'autre, avant de pencher sa tête vers la droite. Il éclata alors de rire.
Voyant que les nouveaux venus ne réagissaient pas, il s'arrêta.
- Ah, attendez, vous êtes sérieux ? Laissez-moi rire encore plus fort !
Et reparti.
Cela eut le mérite de faire sortir Reimu de ses gonds. Elle lui hurla, littéralement, de s'arrêter. Prudents, Malbas et Réo reculèrent d'un pas.
Le démon, lui, essuyait une larme ayant coulé de son œil droit, nullement impressionné.
- Du calme la Mère Noël. Non mais sérieusement… Vous vous ramenez comme ça, là… Vous êtes qui, au juste ?
- Je suis Reimu Hakurei. Je viens de Gensokyo. Mes deux compagnons sont Réo Ryu et Malbas Elric.
Le démon se massa le menton, pensif.
- Hakurei… Gensokyo… Ah, d'accord, ça fait sens. Vous venez pour Marisa Kirisame, Nue Houjuu et Murasa Minamitsu, j'imagine ? Bordel, déjà que Shiki n'envoie jamais personne en Enfer, là qu'on en a, si on vient nous les piquer…
Il reprit son sourire.
- Mais au fait, je manque à tous mes devoirs ! Je suis Méphistophélès, le Juge des Ames en ces lieux. Bienvenue à Limbo, le premier des Neuf Cercles de l'Enfer. Ne prenez pas ces airs déçus, ce n'est que l'apéritif par rapport aux huit autres.
- Grand bien vous fasses. Le temps presse… commença Reimu.
- Oui, oui, sinon il n'y a plus rien à sauver, blablablabla. Du calme maman Noël, t'as le temps. Ce dernier ne veut plus dire grand-chose, ici.
(- Je sais pas si je dois haïr ce type ou l'adorer. Meilleur surnom de l'univers. Rouge et blanche… Pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt ?), intervint l'Orgueil.
Réo frémit lorsque le regard de Méphisto s'arrêta sur lui. Pile en cet instant. Ce pouvait-il qu'il ait également entendu Pride ? Cela paraissait gros.
- Peu importe, je ne compte pas perdre de temps à discuter ici alors qu'elles souffrent inutilement ! poursuivit la prêtresse.
- Inutilement ? Oh, pitié. Dans dix secondes, tu vas prétendre qu'elles n'ont rien à faire là. Vous, les Humains, toujours à vous plaindre, toujours à croire que les lois de la vie et de la mort ne sont pas pour vous, que vous êtes au-dessus de tout, que tout vous est dû. Hey, quand on termine ici, c'est qu'on le mérite.
- Leurs âmes ont été volées !
Méphisto haussa les épaules.
- Pas mon problème, chérie. Quand on est là, on y reste. C'est comme ça. Je ne sais pas le comment du pourquoi mais toujours est-il que les trois nénettes sont arrivées ici et que j'ai trouvé une place à chacune sans aucun problème. Même sans "vol", elles auraient sans doute terminé ici de toute façon ! Et puis, inutile d'essayer de m'apitoyer. Mes services se paient. Si tu veux, nous pouvons nous trouver un coin tranquille et…
- Quoi ? Mais vous êtes…
- Un démon, oui. Et bien quoi, c'est une monnaie comme une autre. Vous êtes mignonne, autant en profiter !
 
Reimu fulminait. Poings serrés, elle ne se retenait qu'à grand peine de frapper le démon. Lequel s'amusait avec elle comme un chat avec une souris.
- Ecoutez, je ne vous demande pas votre aide. Seulement d'ouvrir la porte et nous irons. Nous irons les chercher, que vous soyez d'accord ou non, quitte à faire face à tous vos cercles et à toutes leurs horreurs !
Un lourd silence suivit cette déclaration. Méphisto posa ses coudes sur le bureau et sa tête sur ses mains, se penchant vers Reimu. Son sourire n'avait jamais été si grand.
- Tenu.
Reimu plissa les yeux. Aussi, le juge infernal reprit.
- Je prends le pari. Vous descendez, les trouvez et les ramenez ici. Si vous réussissez cela, vous pourrez partir avec les demoiselles en détresse et faire ce que vous voulez avec, où vous voudrez. En revanche, si vous vous faites arrêter… Je peux vous garantir que votre âme restera ici jusqu'à la fin des temps.
Il fit un clin d'œil à Reimu.
- Je prendrai grand soin de vous. Promis.
La miko se crispa. Le regard torve de Méphisto lui glaçait le sang, tout en lui donnant une irrésistible envie de le noyer d'amulettes purificatrices.
Cela n'échappait pas au démon, lequel rouvrit son livre.
- Mais je suis joueur. Permettez-moi donc de vous indiquer où j'ai condamné vos amies. Le jeu se doit d'être difficile, non impossible.
- Trop aimable, ne put s'empêcher de grincer Reimu.
Méphisto fit mine de n'avoir rien entendu et parcourut les pages. Du peu qui était visible, Malbas était certain que l'encre utilisée était rouge.
- Alors, en premier lieu, Murasa Minamitsu… Ah, oui, la voilà. Un fantôme marin, noyant les gens… Elle n'a pas été dure à placer. Septième cercle : Violence ! Il serait temps de la laisser morte, vous savez.
Personne ne releva la remarque.
- Concernant l'autre… Nue Houjuu… Une nue, sans rire, ses parents n'avaient aucune inspiration ! Enfin, en tant que nue, facile à placer aussi. Huitième cercle : Fraude ! Voilà qui lui apprendra à trafiquer son apparence.
- S'il suffit de ça, marmonna le changeur de formes.
Méphisto lui jeta un coup d'œil ironique.
- Oh, non. C'est créer la discorde avec qui réserve une place. Entre autres choses. Mais vous verrez bien quand l'heure viendra. A voici la troisième. Marisa Kirisame.
Reimu se sentit frémir. Quels tourments la magicienne était-elle en train de subir ?
- Alors elle, heureusement qu'elle a signé un pacte. Autrement, elle ne serait jamais venue ici. Quel dommage cela aurait été. J'aurais adoré la condamner à la luxure, j'aurais pu… Bah. Quel gâchis. Je n'ai eu d'autre choix que de l'envoyer au sixième cercle, celui de l'hérésie.
Il referma le livre pour regarder à nouveau les trois sauveteurs improvisés.
- Voilà, vous avez le minimum vital. Organisez-vous comme vous l'entendez, peu m'importe. J'ai hâte de vous voir échouer. La seule fois où une âme est remontée, c'était pour passer de roi à comte et devenir le premier suceur de sang. Oh… C'était glorieux. Je vous raconterai une prochaine fois.
- Je n'espère pas, lâcha Reimu du tac au tac.
Elle ne regardait même plus le démon, tant il la mettait hors d'elle. Fort heureusement elle parvenait encore à se contenir.
- Mh… Merci quand même, finit Réo, comme pour être certain de ne pas attirer l'antipathie du juge démoniaque.
L'ouverture précédemment vue sur le sol était réapparue, sous l'ordre de Méphisto. Aucun tentacule n'était sorti cette fois. A la place se trouvait un escalier en colimaçon, descendant dans l'obscurité.
Il n'y avait aucun éclairage. Malbas créa ainsi une boule de feu au creux de sa main droite et commença à descendre.
- Bon voyage ! lança Méphistophélès en agitant sa main, alors que Reimu et Réo rejoignaient le Dévoreur.
Il reprit ensuite son travail, alors que l'ouverture se refermait.
 
La flamme de Malbas était la seule lumière. Le groupe progressait doucement, prudemment, une main sur la paroi. Celle-ci était chaude et humide, désagréable au toucher.
L'air avait la même teneur et se faisait de plus en plus lourd.
- Mais quel espèce de…
Reimu n'avait pu empêcher ces paroles de franchir ses lèvres. Elle se retint d'achever sa phrase, non pas par politesse mais parce qu'elle bouillonnait tellement de rage qu'elle allait se mettre à hurler.
- Doucement Reimu, garde tes forces. Ce trouduc voulait juste te faire rager.
- Il a réussi, grommela-t-elle entre ses dents.
- Il ne sera sans doute pas le dernier, nota Malbas.
Le Dévoreur cheminait toujours en tête et ne s'était pas retourné. Ce fut dans le silence qu'ils arrivèrent en bas, devant une entrée marquée par une arche.
 
Il y avait de la lumière. Une lumière jaune, malade, qui dispensait Malbas d'éclairer.
Un mugissement violent était audible. Avec stupeur, le groupe découvrit qu'une lande dévastée les attendait. Un paysage morne, gris, quasi lunaire.
Malgré leur localisation, supposément sous terre, un ciel était visible. La lumière jaune venait de lui, de manière aussi uniforme que désagréable.
Des formes fines s'élevaient. D'étranges colonnes, distantes, fines et agitées par un vent violent. Elles étaient là comment autant d'arbres posés aléatoirement par une divinité capricieuse et cruelle.
Du moins pour la plupart car il apparaissait vite qu'un autre détachement de ces colonnes étaient disposées le long d'un chemin. Elles l'encadraient et se penchaient, étant parfois à quelques millimètres l'une de l'autre, formant une arche sordide.
- Nous y voilà donc. L'Enfer, remarqua Réo.
- Le second cercle, uniquement. Lequel était-ce déjà ? s'enquit Reimu, redevenue concentrée.
- La Luxure.
Malbas avait répondu en continuant d'avancer, éteignant sa flamme. Réo ne put s'empêcher de grimacer.
Cela n'annonçait rien de bon…
 
(♪) Alors qu'ils s'engageaient sur le chemin, ils découvrirent que le vent charriait un chœur de plaintes et cris de douleur. Cet orchestre était rendu encore plus insupportable par la chaleur accablante du lieu.
A peine avaient-ils parcouru cent mètres que le trio était déjà en nage. Chaque pas était difficile : le sol était collant bien que constitué de pierre. Plus ils avançaient, plus les cris leurs semblaient proches et surtout, partout.
L'idée de voler leur avait traversait l'esprit. Mais en altitude, la chaleur était encore plus violente. Ils en étaient réduits à marcher.
Il leur fallut une demi-heure pour pouvoir approcher une colonne et le sentier associé rapidement. Cependant, leur attention fut vite attirée par une crevasse et les mouvements qui étaient visibles à l'intérieur.
Reimu pâlit en voyant qu'il s'agissait de silhouettes humaines, à moitié capturées dans la roche. Leur visage s'en extirpait ainsi que les bras, ou au moins l'un d'eux. Elles étaient situées d'une paroi à l'autre et tentaient vainement de se rejoindre.
Un liquide épais et clair suintait des parois, limitant un peu plus les mouvements des prisonniers ou s'infiltrant où il le pouvait. En détaillant l'état de certains, qui ne bougeaient plus et se contentaient de sangloter, Malbas remarqua que le liquide durcissait. Ce faisant il s'assombrissait…
Et formait le sol sur lequel ils marchaient.
 
Cette horrible constatation leur permit d'observer les irrégularités du terrain. Soudainement, le sol collant leur parut plus mou et malléable et chaque pas était à présent accompagné d'un gémissement étouffé.
- C'est malsain à souhait, commenta Réo.
Personne ne lui répondit. Un malaise s'était installé. Et il n'allait pas s'arranger.
Ils arrivaient en vue du sentier, ainsi que des colonnes. Lesquelles étaient en réalité constituées d'humains. Des deux sexes, défigurés et nus, ils étaient grossièrement entremêlés, formant une structure grotesque.
Le vent les faisait se balancer de droite à gauche, vers la colonne quasi identique qui leur faisait face. Les suppliciés tendaient leur seul bras valide vers les membres de l'autre colonne, dans l'espoir vain de les attraper.
Si parfois seule une demi-dizaine de centimètres les séparait, à aucun moment ils n'y arrivaient.
Les plaintes ne cessaient pas. Une souffrance constante, aussi physique que mentale.
Etait-ce là des âmes sœurs, séparées par leurs excès et ne pouvant à présent plus jamais se rejoindre ?
Cette pensée fit frissonner Reimu.
Ce n'était pas son genre, mais elle s'imagina un instant vivre cela. Cela lui serait insupportable. Elle accéléra le pas, talonnée par Malbas et Réo. La distance à parcourir rendait cela futile, les cris les hanteraient pendant un long moment encore.
 
Cette inquiétante monotonie allait être brisée lorsque les plaintes redoublèrent. Graduellement, leur volume augmentait. Cela provenait de derrière le groupe. Ils n'en comprirent la raison qu'en se retournant.
Ils crurent d'abord qu'il s'agissait d'un nuage de sable. Un véritable mur, plutôt. Non, une muraille, obstruant l'horizon et approchant à très grande vitesse. L'absence de sable aux alentours rendait la chose incongrue.
Ils échangèrent tout d'abord un regard surpris. Puis ils se mirent à courir, sans avoir besoin de se le dire. L'instinct parlait de lui-même.
Le mugissement du vent se rapprochait tout de même. Un mugissement fait, en réalité, d'une nouvelle chorale de hurlements. Inquiet, Réo se retourna, ralentissant légèrement.
Ses yeux s'écarquillèrent de terreur lorsqu'il remarqua deux choses. La première était que cette tempête était en fait un amas de visages hurlants, d'âmes tourmentées, ballotées par le vent.
La seconde était qu'il n'avait plus qu'une petite centaine de mètres d'avance.
- Merde, on ne la sèmera jamais ! hurla-t-il.
- Malbas, fais quelque-chose !
Le Dévoreur se stoppa à l'injonction de la prêtresse. Pas vraiment sûr de lui, il joignit ses mains et les posa au sol.
Sans que rien ne se passe.
- Je ne peux pas transmuter ce truc ! hurla l'alchimiste, pour couvrir le vacarme approchant.
Il ne s'agissait pas d'un matériau que Malbas comprenait, ni ne connaissait. De fait, cela rendait le principe de la transmutation caduque. Sans le premier des trois principes, Compréhension, Destruction, Reconstruction, le reste était inutilisable.
Réo lâcha un juron. Il mit ses bras devant lui, protection dérisoire alors qu'il faisait face à cet ennemi insaisissable.
Il ne fallut qu'une poignée de secondes avant que le nuage n'engloutisse les trois compagnons. Ils furent aussitôt assaillis par la chaleur. Les âmes fouettaient leurs corps, véritable ballet de fumée grise et verte, causant de légères brûlures et autres vertiges.
 
Désorientée, Reimu posa un genou à terre. Elle avait du mal à respirer et cherchait du regard ses deux alliés. En vain. Sa vision était obstruée par le cortège funèbre composant le nuage.
La prêtresse voulut essayer de se relever, mais une main jaillit du sol pour lui agripper le mollet. Surprise, la miko perdit l'équilibre, se rattrapant avec ses mains. D'autres bras apparurent pour se saisir d'elle. Elle sentit le contact froid d'une chair torturée contre ses cuisses.
Elle frémit et sentit son cœur se soulever. D'un mouvement brusque, elle dégagea son bras droit de l'étreinte l'emprisonnant. Elle se saisit d'une poignée d'amulettes qu'elle envoya sur le sol, provoquant de multiples légères explosions. Simplement de quoi repousser l'assaut, malgré le craquement qu'elle entendit.
La jeune femme se releva. Le vent qu'elle sentait au niveau de son bras gauche et de ses jambes lui fit comprendre que ledit craquement avait été celui de ses vêtements.
Toujours au cœur de la tourmente, Reimu décida de s'envoler. Elle allait aussitôt se rendre compte de la difficulté à garder une trajectoire correcte à cause de cette tempête.
Mais elle préférait encore lutter contre le vent que rester au sol. Ainsi, elle fut ballotée dans les airs, meurtrie par les âmes subissant, en fait, le même sort qu'elle.
Puis le nuage passa et les âmes les dépassèrent, continuant leur éternel chemin dans le Cercle de la Luxure.
 
Epuisée, Reimu se posa. Elle était en nage, constellée de rougeurs et légers hématomes. Sa manche gauche avait été déchirée en partie, exposant une partie de son bras. Sa jupe était également endommagée, ne révélant heureusement qu'une petite partie de ses cuisses, sur les côtés.
Reimu ne doutait pas un seul instant que cela aurait pu être bien pire. Elle ne comptait pas savoir, en revanche, ce qui se serait passé si ces apparitions avaient pu aller plus loin.
Regardant autour d'elle, elle fut guidée par des éclairs rouges pour retrouver les deux hommes l'accompagnant. Elle en profita pour essuyer son front trempé. Elle avait un mauvais pressentiment.
- Ce n'est que le début, marmonna-t-elle.
La Luxure.
Reimu n'avait jamais réfléchi à cette… Façon d'être. En vérité, le sujet de la sexualité ne l'intéressait guère. De toute façon, elle n'avait pas rencontré beaucoup d'hommes à Gensokyo. Quant aux filles, elle n'y voyait que des amies, certainement pas des… Partenaires pour ce genre de choses.
La miko fit la moue. Elle était dévouée à son dieu de toute façon. Les relations sexuelles étaient proscrites, sauf peut-être pour avoir une descendance qui prendrait sa relève. L'inverse n'aurait de toute façon aucun sens.
De fait, l'atmosphère du cercle lui était insupportable.
 
Reimu retrouva rapidement Réo et Malbas. Le premier avait été blessé et se régénérait en grimaçant.
- J'ai été traîné sur le sol sur une bonne centaine de mètres. Ça pique, répondit-il à la question silencieuse.
- Qu'est-il arrivé à… commença le Dévoreur.
- Rien d'important, le coupa une Reimu plus gênée qu'elle n'aurait dû l'être.
Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle était ainsi et elle s'était même souvent trouvée dans un bien piètre état.
Elle ne parvenait donc pas à comprendre la raison de ce trouble nouveau. Heureusement pour elle, Malbas se détourna.
- Je vois quelque-chose, au loin, fit-il.
- On dirait que cette tempête aura au moins eu le mérite de nous approcher de quelque-chose. J'espère juste que c'est le bon chemin, répondit la jeune humaine.
- Moi aussi. Ce que je crains, cela dit, c'est qu'elle ait fait cela à dessein, renchérit le Dévoreur.
Réo haussa les épaules.
- Si on psychote sur absolument tout, on ne va pas s'en sortir. Allons donc voir… En tâchant d'éviter ce que ce fichu endroit peut nous envoyer à la tronche.
Les deux autres approuvèrent. Nerveux, ils se mirent en marche.
 
Pas un seul mot n'allait être prononcé, jusqu'à ce qu'ils ne voient l'imposante structure, au bout du chemin délimité par les pylônes humains. Un palais sombre et tortueux, fait de pierre grise.
Des tapisseries mauves étaient ballotées par le vent, toujours impitoyable. De grandes fenêtres étaient visibles sur les façades de la structure aux hautes tours tortueuses, tordues, s'élevant de manière impossible vers le ciel.
Des statues ornaient les murs. Gargouilles humaines au visage figé dans un cri silencieux, s'agrippant aux parois et autres parapets.
Quel que soit le propriétaire de ces lieux, Reimu n'avait aucune envie de le rencontrer.
 
Elle ouvrit la porte de bois, ignorant autant que possible les statues féminines aguicheuses, aux positions suggestives et formes avantageuses, qui l'entouraient. Malbas tiqua en les voyant. Non pas par ce qu'elles représentaient, mais par le sang dont elles étaient maculées, tant au niveau des jambes que du visage.
Il ne voulait pas savoir comment c'était arrivé là, ni pourquoi son regard s'attardait dessus plus que de raison. Fort heureusement, Réo le sortit de son admiration en le poussant sans ménagement vers l'entrée.
La porte se referma derrière le groupe, l'enfermant dans un hall humide, à l'odeur âcre. La chaleur était étouffante, comme lors d'une nuit d'été où la température refusait de baisser. Chaque brasero éclairant l'endroit était tenu par une statue similaire à celles gardant l'entrée.
- Charmant, vraiment. Est-ce que quelqu'un sait vraiment pourquoi nous sommes venus jusqu'ici, en fait ? Je commence à croire que le vent s'est fichu de nous, remarqua Réo, sarcastique.
Il masquait ainsi le stress qui secouait son être.
- Mon intuition me dit que nous sommes sur la bonne voie, indiqua Reimu.
- C'est de toute façon la seule piste, ajouta Malbas.
Le polymorphe croisa les bras.
- Très bien, très bien. Dans ce cas, en toute logique, on doit chercher un moyen de descendre, non ?
La prêtresse acquiesça.
- Oui. On peut déjà oublier les tours.
Prononcer cela lui tira un fugace sourire de soulagement. Il disparut bien vite, lorsqu'un gémissement lointain, mais venant d'entre les murs les entourant, se fit entendre.
Un gémissement dont la nature les fit frémir car, de plaisir ou de douleur, nul ne pouvait en être parfaitement sûr. Cela les motiva à avancer, coupant court à ce qui aurait pu être une pause nécessaire.
Le couloir qui les attendait était relativement large. Plusieurs alcôves et portes le parsemaient. Lesdites alcôves étaient masquées par un rideau pourpre. Les portes, de bois, se ressemblaient toutes.
A peine le trio s'engagea-t-il à l'intérieur qu'un nouveau gémissement se fit entendre. Cela provenait cette fois de la droite, d'une des pièces fermées.
Ils accélérèrent le pas, remarquant cependant les murmures s'échappant des alcôves. Y avait-il tant d'activité que ça, tout autour ?
 
Malbas posa le dos de sa main gauche sur son front. Il commençait à se sentir bizarre. Avec la chaleur suffocante des lieux, il avait l'impression qu'il allait défaillir.
- Eh un escalier ! s'exclama Réo.
Le Dévoreur sursauta et regarda tout autour. Ils avaient visiblement quitté le couloir et avaient avancé pour atteindre un corridor étroit, terminé par des marches s'enfonçant dans le sol.
L'alchimiste cligna des yeux. Il n'avait aucune idée de ce qui s'était passé entre les murmures du couloir et ce moment précis.
Réo dû remarquer son trouble puisqu'il le fixa.
- Tu fais une drôle de tête. Que t'arrive-t-il ?
Malbas ne répondit pas tout de suite, ce qui attira l'attention de Reimu.
- Rien, je… J'ai eu une absence.
- Pas le moment de dormir, lâcha le changeur de forme.
Malbas opina du chef. Comme pour se rattraper, il emprunta en premier l'escalier. Nul besoin d'éclairage, d'autres braseros soutenus par des statues s'en chargeaient très bien.
Ils débouchèrent sur un nouveau couloir. Les murs étaient cette fois de briques brunes et l'éclairage se faisait à la torche.
En son for intérieur, Réo fut satisfait de ne pas être sujet à la claustrophobie. La largeur du couloir était bien inférieure à ce qu'il y avait plus haut.
Il faisait toujours aussi chaud.
Ils s'engagèrent dans le couloir mais tombèrent sur une intersection.
- Nous risquons vraiment de nous perdre, lâcha Malbas.
- Raison de plus pour rester groupés, lui répondit Reimu.
Réo s'approcha du coin droit du mur. Son index gauche s'allongea en une griffe noire et il traça une croix sur une brique.
- Ça peut servir, lâcha-t-il.
- Bonne idée. Où va-t-on, sinon ? s'enquit le Dévoreur.
- Je dirais à droite, tenta Reimu.
Personne ne s'y opposa.
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeDim 10 Avr - 23:10

(♪) Les portes se faisaient plus rares dans ce sous-sol. Mais rapidement, les gémissements et autres exclamations se firent entendre, venant de chacune de ces portes. Cette cacophonie mettait le groupe très mal à l'aise.
Surtout Reimu.
Elle se stoppa soudain. A droite, un cri c'était fait entendre.
- Ce… C'était la voix de Marisa ! hurla-t-elle en s'engageant dans un virage.
En courant, elle rejoignit la porte correspondante. Les autres suivirent.
- Attends ! Tu es sûre ? Je ne crois pas avoir entendu ça, rétorquait le polymorphe.
Reimu ne l'écoutait pas. Elle entendait son amie appeler à l'aide. Elle entendait ses gémissements et les grognements, presque animaux, d'autres personnes. Des hommes visiblement.
Son esprit lui imposait des images insoutenables. Des images qui lui donnaient envie de hurler de colère.
Sans se rendre compte que Malbas et Réo avaient cessé de la suivre, la prêtresse défonça la porte d'un coup de pied.
Elle entra sans tarder. La pièce était spacieuse, éclairée par les statues tenant des braseros. Des chaînes pendaient au mur, y reliant hommes et femmes confondus. Une association de chair nue presque grotesque eu vue de leur proximité.
Leurs gémissements déchiraient l'air. Reimu se retourna. Elle avait envie de vomir.
La voix de Marisa s'était tue. La raison était simple : elle n'était pas ici. Cela n'avait été… Qu'une hallucination.
Pataude, la prêtresse sortit de là. Elle fut forcée de se tenir au mur avec sa main libre.
- Bon sang… Bon sang ! grinça-t-elle.
Elle se mit dos au mur et ferma les yeux.
Ce n'était pas réel. Rien de ce qu'elle avait imaginé ne l'était. Marisa n'était pas ici. Elle… Ne subissait pas ça.
Reimu se laissa glisser au sol, se prenant la tête dans les mains. Les gémissements continuaient, derrière elle.
Et la voix de Marisa venait d'y revenir.
 
Malbas reculait. Alors qu'il suivait Reimu, une porte s'était soudain ouverte. Une main l'avait attrapé à la volée pour l'attirer à l'intérieur, avant que la porte ne se referme.
Le Dévoreur était ainsi à l'intérieur. Face à lui se trouvait Koakuma.
Ladite salle était éclairée par des chandelles. Un lit double se trouvait en arrière, défait.
- Tu ne sembles pas très content de me voir…
Koakuma souriait. Elle était vêtue d'une robe noire, fine et épousant parfaitement ses formes. Lesquelles mettaient le Dévoreur mal à l'aise.
- Tu… Tu ne peux pas être là !
Le doigt de la démonette sur sa bouche fit taire l'alchimiste. Il était rouge pivoine et tremblait de tout son corps.
- Chut, tu ne sais pas ce que tu dis.
Sa voix était aussi agréable qu'une caresse. Ce qu'elle faisait, d'ailleurs, baladant sa main sur le ventre du Dévoreur. Elle s'approcha encore plus. Il pouvait sentir sa respiration sur son cou, qu'elle embrassa.
- Détends-toi, lui glissa-t-elle dans un souffle.
Malbas émit une sorte de couinement désespéré. Il perdait totalement ses moyens. A tel point que lorsque les lèvres de la séduisante jeune femme se baladèrent sur sa joue droite, il sentit ses jambes se changer en coton.
Qu'à cela ne tienne, la démone accompagna sa chute, passant au-dessus de lui.
- Tu vas voir… Tu vas adorer cela.
Elle passa sa langue sur ses lèvres et se coucha sur l'alchimiste, tétanisé. Il bégaya quelque-chose, mais la démone l'embrassa sensuellement, coupant court à ses paroles. Il sentit alors ses doigts se glisser sous son haut. La démone se recula ensuite et ricana. Elle exposa ses atouts avec insolence et attrapa la main du Dévoreur, pour la poser sur sa poitrine.
- Peut-être souhaites-tu retirer cette affreuse soie qui te gâche la vue ? ironisa-t-elle.
Koakuma sourit devant le silence hébété de son partenaire, hypnotisé. Elle se baissa, l'embrassa une fois encore et entreprit de guider ses mains sur sa poitrine, pour qu'il l'extraie de sa robe.
L'exclamation qu'elle lâcha fut sensuelle. Mais elle n'était pas de plaisir.
 
Malbas cligna des yeux revenant enfin à lui. Il sursauta et retira sa main de la poitrine, presque dénudée, de Koakuma. Laquelle glapit, percée de cinq fines lances noires, allant jusqu'à l'entrée de la salle.
- Koa ! s'exclama-t-il.
- Ce n'est pas elle, bougre d'âne !
Le Dévoreur tourna la tête. Réo se tenait dans l'encadrement de la porte. Il rétracta la Lance Ultime et se précipita à l'intérieur. Koakuma poussa enfin un cri de douleur et se releva, seulement pour que sa tête ne quitte ses épaules, tranchée par un revers rapide du bras droit du changeforme, devenu une lame grisâtre.
Malbas détourna le regard. Secourable, Réo lui tendit une main.
- Tu t'es bien amusé ? lui fit-il.
Le Dévoreur ne répondit pas alors qu'il se relevait.
- Je… J'ai perdu mes moyens… bafouilla-t-il.
- Ouais, ouais, dis plutôt que tu voulais bien tirer ton coup. Mais, sérieusement, c'est Koakuma, pour toi ?
Malbas effleura ses lèvres. Il fut soudain prit d'un frisson. Cela avait été son premier baisé…
Il regarda le cadavre.
- … Oui. Pourquoi cette question ?
- Pour moi, c'est Yuugi. On ne voit pas la même chose, visiblement.
(- J'attends toujours mon remerciement. Pas comme si je t'avais hurlé que ce que tu voyais tout à l'heure n'était pas l'oni plantureuse mais une démone random, presque aussi plantureuse), intervint Pride.
- Heureusement, ces illusions n'affectent pas Pride. Merci à lui pour son éclairage…
(- Un plaisir. J'ai autre-chose à faire que me mater du porno en réalité augmentée), renchérit l'Ombre avec un ricanement.
- Retrouvons Reimu, déclara Malbas.
- Bonne idée. Attends… T'as une tête bizarre. Tu vas t'en remettre ? J'suis arrivé à temps, hein ?
Le Dévoreur sortit de la salle.
- Presque, marmonna-t-il.
 
Retrouver la prêtresse ne prit qu'une minute. Elle s'était levée et avait commencé à les rejoindre. Son expression n'était pas meilleure que celle de Malbas.
- Vous aussi ? s'enquit-elle à demi-mots.
- Oui. Je suppose. N'en parlons pas, décréta Malbas.
Reimu opina en silence. Elle ne voulait certainement pas leur dire qu'à présent, c'était la voix de Sanae qu'elle entendait. Ainsi que celle de Rinnosuke.
- Ne restons pas là.
A peine Réo eut-il terminé sa phrase qu'un sifflement cingla l'air. Il n'évita que de justesse une sorte de fouet, terminé par une pointe noire. Le changeur de forme fit volte-face.
Il vit une femme au décolleté ravageur, à la peau rouge et aux longs cheveux noirs. Si longs, en fait, qu'ils volaient autour d'elle comme autant de tentacules.
- Voilà autre-chose.
Reimu avait parlé avec une certaine rage. Elle attrapa un groupe de sceaux qu'elle envoya vers la succube. Celle-ci vit alors ses doigts s'allonger comme autant de longues griffes noires. Elle s'en servit pour trancher les sceaux, avant que ses cheveux ne fondent sur le groupe.
Reimu se décala pour les éviter. Vu le trou qu'ils firent dans un mur en s'enfonçant profondément dedans, il valait mieux éviter de se faire toucher.
- J'ai comme un air de déjà-vu ! remarqua la miko.
Réo en était abasourdi. Pourquoi cette succube utilisait-elle la Lance Ultime, ou tout du moins quelque-chose d'équivalent ?
Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Son pouvoir lié à la Luxure était utilisé dans ce même cercle.
Il fut sorti de ses pensées par un nouvel assaut de la voluptueuse démone. Le changeforme bondit pour éviter les lames adverses. Malbas tendit sa main droite. Un rayon transparent en jaillit et percuta la succube, qui explosa littéralement.
Reimu tiqua à cette vue. Elle n'était guère habituée ni à tuer, ni à voir quelqu'un mourir. Encore moins à voir exploser les gens.
- Cela se corse, mais bien joué… nota le polymorphe.
Il n'en revenait toujours pas.
- On dirait que tes capacités ne viennent pas que de ton manga, remarqua Malbas.
- De quoi parlez-vous ? s'enquit Reimu.
Les deux hommes se regardèrent. Reimu ignorait tout du passif de Réo, surtout concernant son pacte avec le diable. Mieux valait que cela reste ainsi.
- Rien d'important. Tu as une idée du chemin à emprunter ? demanda l'humain concerné.
- Pas le moindre.
- Alors cherchons.
Et ils cherchèrent.
 
Ils ne croisèrent pas d'autre adversaire. Difficile de savoir si c'était volontaire ou non. Le groupe progressa rapidement, aidés en cela par leur désir collectif de sortir d'ici.
Un nouvel escalier se présenta à eux. Ils l'empruntèrent au pas de course.
Réo grimaça. Avec tout cela, il commençait à fatiguer. Il ne devait certainement pas être le seul dans ce cas. Un regard et les traits tirés de Reimu confirmèrent son impression.
L'odeur âcre qu'ils sentaient depuis qu'ils avaient investis ce repaire se fit plus forte. La chaleur n'augmenta pas mais l'atmosphère devint encore plus lourde. Cette fois, Malbas tituba littéralement.
Ils venaient de mettre pied dans une salle circulaire, éclairée par une lumière jaune malade rappelant le ciel à l'extérieur du cercle. Mais cette fois, nulle brique sur les murs. Nulle pierre également.
Tout était devenu organique. Les murs semblaient fait de chair et de peau, ou d'une masse indescriptible. Ils ondulaient, se contractaient, se détendaient au rythme de gémissements étouffés.
Une nouvelle fois, Reimu sentit la nausée l'envahir.
- J'ose espérer… Que nous atteignons la dernière partie, parvint à articuler un Malbas peu énergique.
Reimu opina du chef, incapable de parler. Ils s'enfoncèrent dans le couloir qui leur faisait face. Leurs pieds s'enfonçaient dans le sol, lequel susurrait des exclamations de plaisir. La progression était lente.
Malbas était en tête. Son esprit était embrumé par la chaleur et l'ambiance du lieu. Les cris, geignements et plaintes jaillissaient de partout, le noyant dans un maelström de voix et de corps en mouvement.
Il fit de son mieux pour éviter trois statues, deux hommes à genoux entourant une femme à quatre pattes. Il espérait qu'il s'agissait de statues.
Les gémissements étouffés qu'il entendait le poussaient à penser le contraire.
 
Réo ne savait plus où donner de la tête. Il ferma brièvement les yeux, puis les rouvrit aussitôt. L'espace d'un instant, il s'était trouvé face à Komachi, allongée dans sa barque, lui enjoignant de la rejoindre.
La respiration du polymorphe se fut plus saccadée. Il ne se sentait pas bien. Il avait si chaud…
Il s'épongea le front pour la vingtième fois. Son regard s'attarda sur Reimu, qui était toute proche. Il n'avait jamais vraiment fait attention, mais elle était plutôt jolie, en fait. Elle avait un petit quelque-chose…
Sa respiration s'accéléra. La prêtresse avait tourné la tête vers lui. Elle ne disait rien. Elle était dans le même état que lui, il pouvait s'en rendre compte sans problème. Son visage luisait de sueur, ses vêtements déchirés étaient trempés.
A cette constatation, Réo sentit son cœur et son souffle s'accélérer encore. Il n'avait pas encore remarqué que sa main droite caressait la hanche de la prêtresse.
Elle n'avait pas remarqué non plus que sa propre main touchait la poitrine du changeforme.
Non, ni l'un ni l'autre n'avaient compris qu'ils avaient ralenti la cadence et se rapprochaient. Beaucoup. Trop.
Devant, Malbas s'arrêta, faisant une grimace de dégoût.
- Je n'ose même pas imaginer ce que c'est. Que faisons-nous ?
Il se retourna. Seulement pour voir les deux autres membres du groupe approcher d'un mur, lequel se déformait à leur contact. Ils semblaient lentement s'enfoncer dedans, alors que leurs caresses respectives se faisaient plus pressantes.
Plus intimes aussi.
- ARRÊTEZ !
Le hurlement de Malbas fut suivi d'un grand geste de ses bras. Il envoya une gerbe de flamme sur le mur, près des deux compagnons. Le mur se contorsionna et un gémissement s'en échappa.
La chaleur des flammes sembla réveiller les deux jeunes gens. Ecarquillant les yeux, Reimu se jeta en arrière, mettant le plus de distance possible entre Réo et elle.
La jeune femme respirait par la bouche, de manière saccadée.
- Que… Que…
- Reimu ! Je… Je ne sais pas… Pardon ! s'écria Réo, dans le même état.
Les deux s'échangèrent un regard. Horrifiés.
Que ce serait-il passé si Malbas ne les avait pas interrompus ? Auraient-ils…
Le sol se déroba soudain sous la prêtresse. Elle tomba dans un cri. Un cri qui fut suivi d'autres.
- Ah ! Aidez-moi !
Encore perturbé, Réo fut doublé par Malbas. Le trou s'était refermé mais la Combustion le rouvrit aussitôt, provoquant une nouvelle réaction excitée de ce souterrain de chair.
 
Plus bas, Reimu était aux prises avec des tentacules noirâtres, similaires à ceux qui avaient emporté la femme plus tôt.
Ils lui avaient bloqué les mains et les jambes. Incapable de se défendre elle les sentir avec horreur s'infiltrer sous ses vêtements. Elle se cabra, hurla. Ils étaient là, sur son ventre, ses cuisses et approchaient de…
Oui ils approchaient. Elle sentit soudain son esprit s'émietter.
- Arrêtez !
Rien ni faisait. Les appendices lubriques continuaient leur petit bonhomme de chemin. Yeux fermés, Reimu continuait de se débattre. L'inévitable allait arriver. Elle ne pourrait rien y faire. Elle entendait et sentait ses vêtements se déchirer.
Puis, alors qu'elle hurlait à nouveau, quelque-chose se brisa, définitivement.
 
La prêtresse retomba au sol. Par réflexe, elle se débattit encore. Pourtant, plus rien ne la retenait.
Gelés, les tentacules s'étaient brisés en morceaux suite à l'impact violent d'un Dévoreur avec eux. Il lâcha une exclamation désabusée en voyant l'état de Reimu. Ses manches étaient en lambeaux et cette fois, sa jupe était clairement trop révélatrice. Son haut, quant à lui, laissait bien trop voir les bandes enserrant sa poitrine.
- Reimu, c'est bon ! Tu es tirée d'affaire.
La miko rouvrit les yeux. Elle considéra un instant Malbas, lequel leva aussitôt les mains, pour la rassurer. Reimu eut un soubresaut. Subitement prise d'un spasme, elle se retourna…
Pour commencer à vomir.
Malbas ne dit rien et se recula. Réo, qui était encore au-dessus, le rejoignit.
- Merde. Ils n'ont pas…
- Non. Mais c'était juste.
Réo souffla.
- Putain… Cet endroit va nous rendre dingues.
- Je pense que c'est tout l'objectif. Mh… Que faisons-nous ? Tu la connais mieux que moi.
Le polymorphe fit la moue.
- Avec ce qui a bien failli se passer tout à l'heure, je n'ose même plus approcher…
Il avait d'ailleurs tourné la tête de sorte à ne voir que Malbas et non Reimu. S'il avait été attiré auparavant, qu'est-ce que cela allait être maintenant ?
- Ah… Oui…
Malbas roula des yeux. Il comprenait la réaction de Réo. Mais il s'inquiétait. Ils devaient déjà se méfier de tout en ce lieu maudit.
Comment pourraient-ils avancer s'ils devaient se méfier d'eux-mêmes ?
- Tu ne peux quand même pas… La laisser comme ça. Prends juste ça.
Tout en parlant, Malbas retira son manteau rouge. Il l'avait conservé malgré la chaleur, conscient que le retirer n'aurait rien changé de toute façon.
Réo fit un signe de la tête et prit le manteau. Il approcha ensuite prudemment de Reimu, évitant de la fixer.
La pauvre avait terminé de rendre le contenu de son estomac. Elle tremblait.
- Reimu… On ne peut pas rester là. Tiens…
Avec d'infinies précautions, le polymorphe s'accroupit, mettant le manteau autour des épaules de la jeune femme. Ce ne fut que là qu'il remarqua quelle pleurait.
Réo sentit son cœur se serrer. En cet instant, toute tentation disparut de son esprit.
- C'est bon Reimu. Tu es tirée d'affaire…
Sans qu'il puisse réagir, elle se blottit contre lui. Mais ce n'était pas comme auparavant. Nulle tension, nul désir.
Simplement quelqu'un qui avait besoin d'une épaule.
 
L'Envieux le comprit et serra la prêtresse contre lui.
- Ce n'est qu'un mauvais moment. On va continuer… Et trouver les filles.
- Je ne sais plus, Réo… Si je craque dès maintenant…
- Ce n'est pas par ordre croissant de difficulté. Tu as bien le droit… D'être touchée par ce qu'il se passe. Les autres cercles pourraient être moins… Tu comprends. Garde confiance. Moi, j'ai confiance en toi.
Sans rien dire, Reimu acquiesça. Elle avait peur. Un sentiment qu'elle n'avait que peu éprouvé. Mais ici, il était partout.
Peur de ce qui pouvait lui arriver.
Peur d'échouer.
Peur de ce qu'elle allait découvrir.
Gensokyo lui manquait déjà. Mais Réo avait raison, elle ne devait pas lâcher prise. Après tout… Marisa n'aurait jamais abandonné si la situation était inversée.
Reimu resta quelques instants comme ça puis se recula. Elle serra le manteau qui l'enveloppait contre elle.
- Merci, Réo.
- … De rien, Reimu. A charge de revanche. Je risque d'avoir besoin d'un câlin, moi aussi, à un moment, durant cette épopée.
(- Ce cauchemar tu veux dire. Putain mais elle a failli… Kh. Si je dois sortir, je vais faire un malheur), grinça Pride.
En d'autres circonstances, Réo aurait relevé, indiquant que le Seigneur des Ombres était en train de s'inquiéter pour Reimu. Mais il ne releva pas.
Pride avait beau ne pas être en bons termes avec la prêtresse, il n'était pas, plus, un monstre.
- Remettons-nous en route, décida la miko.
Elle ramassa son goheï et remonta par le trou creusé par Malbas. Les deux jeunes hommes la suivirent.
 
Ils arrivèrent à l'endroit que Malbas voulait indiquer plus tôt. Il s'agissait d'une rivière. Il n'était cependant pas d'eau, mais d'un liquide blanc bien plus épais.
- … Immonde, lâcha Réo.
- Ce n'est pas ça l'important. Regarde.
Malbas désignait un endroit, plus loin. A bien y regarder, la lumière faiblissait là-bas. Il semblait même que le sol se stoppait. Un précipice ?
Eux qui devaient descendre, ils devaient en avoir le cœur net.
Le trio suivit l'infâme rivière. Les deux précédents incidents avaient achevés de les réveiller et ils étaient bien plus sur leurs gardes. Cela ne les empêchait pas d'être assaillis par les lamentations tout autour.
Ils atteignirent le rebord indiqué par Malbas. D'immenses et obscènes statues occupaient l'espace. La rivière blanche s'écoulait là en une cascade écœurante. Mais pas seulement.
De celle-ci partait un réseau de fils blancs luminescents. Ils formaient une complexe toile s'étendant partout dans le précipice. Et tout en bas se trouvait une gueule.
Une véritable gueule, circulaire, aux dents proéminentes. Ouverte, elle jaillissait du sol organique comme un furoncle.
- Voilà notre sortie. J'en suis persuadé, indiqua le Dévoreur.
- Cette gueule semble étrange, indiqua Réo.
- Il n'y a qu'à aller voir, renchérit l'alchimiste.
 
Le groupe n'attendit pas plus longtemps. Réo se changea en aigle alors que les deux autres s'envolaient. Passer entre les fils était difficile. Ils étaient serrés malgré la taille de la structure.
Ainsi, Malbas se prit une jambe dans un fil. Cela collait et toute la toile vibra. Bloqué dans sa course, le Dévoreur tomba dans d'autres fils et s'emmêla dedans.
- Merde ! Il faut le sortir de là ! s'exclama Reimu.
Un rire se fit entendre. Féminin et venant du haut.
- Occupe-toi de lui. Je m'occupe de ça, indiqua l'aigle noir.
Celui-ci gagna de l'altitude. Il fit alors une forme arachnide descendre. Il s'agissait d'un croisement tant terrifiant que sensuel entre une araignée et une femme. Les huit pattes jaillissaient de son dos mais son corps était féminin et entièrement nu.
Seule la présence d'une chitine noire en guise de peau, et ce en plusieurs endroits, apportait une certaine ombre au tableau.
La monstruosité descendait à toute vitesse vers Malbas. Voyant passer l'aigle, elle tenta de lui cracher une boule de soie.
Il l'évita de justesse et passa au-dessus d'elle, reprenant forme humaine pour lui retomber dessus. Cela ne s'avéra pas être une bonne idée. Elle fit volte-face, l'attrapa avec ses pattes et le plongea dans les fils.
Réo plissa le nez. Cette toile empestait.
La femme arachnide se plaça devant lui. Ses yeux étaient intégralement noirs, comme le haut de son visage.
- Toi aussi, tu veux partager mon étreinte ? lui susurra-t-elle.
- C'est marrant, j'ai toujours associé la Luxure à une araignée. Je ne me trompais pas, on dirait, remarqua Réo.
Il remarqua que la femme approchait sa main de son pantalon. Il poussa un juron. Des éclairs rouges crépitèrent alors qu'une queue terminée par une lame jaillissait du bas de sa colonne vertébrale, pour détruire les fils qui le suspendaient.
Le changeur de forme opta ensuite pour sa forme d'aigle et plongea, la créature sur ses talons. Il ne remarqua qu'enfin les cocons occupant l'espace, d'où s'échappaient d'autres plaintes.
Il fut en revanche content de voir que Malbas était tiré d'affaire. Reimu et lui étaient rapidement descendus et avaient presque touché terre.
- Un petit coup de main, je vous prie ! hurla le polymorphe.
 
Il évita de justesse un coup de patte. La bestiole qui le pourchassait l'avait presque rattrapé !
Fort heureusement pour lui, une volée d'amulettes rouges fila dans sa direction. Faisant confiance au lancé de Reimu, Réo ne changea pas sa course. Et il fit bien.
L'araignée à ses trousses poussa un cri de douleur. Puis un autre, de surprise. Un grand déplacement d'air indiqua sa chute à Réo, qui perdit un instant sa trajectoire. Il vit, hébété, la femme arachnide tomber.
Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que les amulettes de Reimu avaient coupé les fils sur lesquels se déplaçait l'araignée.
- Ingénieux, commenta-t-il.
Au sol, Malbas se recula. L'araignée s'écrasa devant lui. Mais elle se releva aussitôt sur ses pattes, hors d'elle.
Elle s'apprêtait à parler mais le Dévoreur ne l'entendit pas de cette oreille. Il joignit ses mains et posa sa main droite sur le torse de la femme. Un éclair bleu illumina l'endroit avant que sa cage thoracique n'explose, l'envoyant en arrière dans une gerbe de sang.
- Oh…
Reimu détourna le regard.
- Tu ne fais pas dans la dentelle.
- Réo et moi procédons ainsi. Je pense… Qu'il est préférable que nous restions comme cela. Faites comme à Gensokyo.
La miko opina.
- J'ai des principes, tout de même… Autant éviter de les perdre.
Elle se tourna ensuite vers Réo, qui s'était posé et reprenait forme humaine.
- Merci. Elle a bien failli me choper. Comme à peu près tout dans cet endroit…
- Raison de plus pour s'en aller, renchérit Reimu.
Une chose que tout le monde voulait faire.
 
Le trio s'approcha de la gueule. Elle bougeait légèrement mais n'était pas terminée par un trou. A la place, on distinguait un cercle mou, comme une langue. La chose était assez large pour que le groupe s'y place.
- Quelqu'un a confiance en ce truc ? s'enquit Réo.
- Non. Mais je pense que nous n'avons pas le choix. Le cercle suivant est celui de la Gourmandise. Cela me semble approprié.
Reimu acquiesça. A contrecœur, tous se mirent dans la gueule. Laquelle se referma sur eux et descendit à toute vitesse, leur arrachant une exclamation de surprise.

Ils étaient encore bien loin de se douter de ce qui les attendait…
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Jealousy
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 2 Aoû - 20:38

Chapitre 36 : Les entrailles de la Géhenne

" L'Enfer a cela de bon qu'il rappelle à tous ses résidents ce qu'ils sont. Ici, corps et âmes s'entremêlent, presque sensuellement, pour montrer avec clarté qui et ce que nous sommes.
Dommage qu'il faille tant de souffrance pour enfin regarder la vérité en face et accepter nos plus profonds désirs. "
Asmodée, Roi du Second Cercle

(♪) Il y eut une série de bruits mous. Ecœurants. Reimu, Malbas et Réo suffoquaient dans une noirceur absolue, serrés les uns contre les autres dans une poche de chair. Ils se sentaient transportés, vers le bas. L'oxygène commençait à manquer et l'odeur était putride.
Puis enfin, ils virent la lumière. Un courant d'air frais les atteignit, alors que l'odeur empirait. Un instant plus tard et le trio fut craché par son moyen de transport.
Littéralement.
Un nouveau sol humide attendait les deux humains et le Dévoreur. Ils tombèrent dessus, roulèrent, sans pour autant se blesser. Un léger filme liquide les avait enveloppé, libérant des miasmes infâmes. Le premier réflexe de Malbas, alors qu'il se relevait, fut de se boucher le nez. Puis il se dégagea de ce liquide, qu'il identifia comme un mélange de bave et de suc gastrique.
L'odeur rappelait en effet celle du vomi.
– Quelle horreur…
Reimu s'était relevée à son tour, dégoûtée. Son regard porta vers la masse organique qui les dominait. Le monticule rosé formait une colline réduite. Le ver qui les avait transportés, monstruosité beige, grasse et énorme, retournait à l'intérieur en reculant.
Sa gueule fut finalement la seule chose dépassant de la paroi, formant une porte des plus glauques.
– Franchement, peu importe ce qu'il y a ici, je préfèrerai ça à ce qu'on a eu avant. Plus jamais je n'y remets les pieds, lâcha le polymorphe.
Il agitait ses bras, espérant ainsi se dégager de l'humide crasse qui le recouvrait.
– Il faut bien ça pour entrer dans une gueule géante sortant du sol, nota Malbas.
– Je pense que notre ressenti est le même…
En parlant, Reimu avait resserré le manteau du Dévoreur contre elle. Elle n'était pas prête d'oublier ce qu'il s'était passé, et avait manqué de se passer, au Cercle précédent.
– C'est le meilleur moment pour faire une pause, je pense. Je vais en profiter pour grimper là-haut et voir ce que cet endroit nous réserve, énonça le polymorphe.
– Ne nous attardons pas trop, tout de même, indiqua Reimu en s'asseyant malgré sa répugnance.
– Certes mais si on ne peut plus avancer, on perdra encore plus de temps. Fais pas de connerie pendant ce temps, Malbas, même si ce Cercle t'est tout indiqué.
Le concerné eut un regard mauvais en direction du changeur de forme, qui lui rendit bien. Sans un mot de plus, Réo se changea en aigle noir et prit son envol.

– Toujours aussi imbécile, lâcha l'alchimiste en se posant au sol.
– Si vous pouviez éviter de vous étriper… Même si je sais que vous en avez chacun très envie.
Le Dévoreur regarda la miko au visage neutre.
– C'est une longue histoire. Mais je ne compte pas laisser ce gamin capricieux me prendre de haut. Nous agissons ensemble, aujourd'hui, pour une cause commune mais ne vous y méprenez pas. Nous ne faisons que nous supporter, pour un temps limité.
– Un temps qui a tout intérêt, pour vous deux, à recouvrir celui de notre escapade ici. Je ne vous laisserai pas condamner Marisa, Nue et Murasa à cause de votre guéguerre personnelle.
Malbas acquiesça.
– Je pense que c'est clair pour nous trois.
– Comme le fait que je ne compte pas en laisser un tuer l'autre par la suite ?
Le Dévoreur détourna le regard, pour suivre une mouche se baladant autour d'eux.
– Ça aussi… J'ai d'autres objectifs que la vengeance, à présent. Ma faim est plus importante que Réo.
Même si dévorer l'Envieux était le meilleur moyen de se libérer de cette faim insatiable. Malbas n'avait pas oublié son objectif de toujours. Il avait été implanté dans sa conscience dès son apparition. Mais il s'était juré de trouver une autre voie.
Cela ne changeait rien à son ressentiment envers son cocréateur. Il n'éprouvait qu'un profond mépris pour lui et sa haine n'était pas prête de disparaître. Toute son existence, ses tourments, n'étaient liés qu'à un caprice d'adolescent ne se souciant pas des conséquences de ses actes.
Réalisait-il seulement tout le sang qu'il avait sur les mains ? Tout ce sang inutile, versé pour une amourette perdue ?
Si quelqu'un avait sa place ici, c'était bien lui. Beaucoup devaient l'y attendre avec impatience. Peut-être réaliserait-il alors combien il faisait souffrir les autres pour son propre petit bonheur personnel.
Le Dévoreur leva pensivement la tête.
Malgré tout, lui non plus n'était pas tout blanc, loin de là. S'il imputait une bonne partie de ses actes à Réo et la pré-programmation de son esprit dès sa création, il avait largement sa part de responsabilité. Tuer pour manger était une chose mais il aurait été mentir de dire que toutes ses morts étaient utiles. Certaines auraient pu être évitées. De même, s'il blâmait l'Envieux pour son égoïsme, reporter les conséquences de sa faim sur les autres ne le rendait pas meilleur. Loin s'en fallait.
Il devait régler ses problèmes sans que quelqu'un d'autre en paie le prix. Fut-t-il celui qui était à l'origine de tout.
Si lui essayait de changer, peut-être que Réo pouvait le faire aussi.

Le changeur de forme concerné décrivait quelques cercles dans les airs. Ce qu'il voyait lui glaçait le sang.
Le paysage tout entier était organique. Ce n'était qu'un tapis de chair brune et de muqueuse. Des collines entières grossissaient et rapetissaient à vue d'œil, furoncles d'un corps pourri et immense. Par intermittence, des vers beiges, dotés d'une gueule à la dentition humaine bien que plus grosse, sortaient par des trous qu'eux-mêmes creusaient. Ces sorties n'étaient pas fortuites puisqu'ils attrapaient alors les formes humanoïdes qui grouillaient sur cette lande vivante.
Des formes qui couraient dans tous les sens pour s'entre-dévorer les unes les autres. Certaines avaient d'ailleurs une taille largement supérieure aux autres et ramassaient des poignées entières de nourriture, avant de tout recracher, s'effondrer et être dévorées à leur tour par les formes plus petites. Certaines grossissaient alors et recommençaient le cycle.
Captivé par ce spectacle macabre, Réo s'était posé sur la butte de chair surplombant ses deux compagnons de route. Ses yeux d'aigle finirent par se poser sur une structure éloignée, jurant avec le reste de par sa couleur sombre et sa droiture. Plus loin, l'horizon était bouché par une brume verte mais d'autres formes étaient discernables.
Leur destination était toute trouvée, mais ils avaient une longue route à parcourir. Or le danger était présent partout et d'une manière bien plus directe que dans le cercle de la luxure. A cette pensée, le rapace noir frissonna.
Ils avaient bien failli ne pas en sortir. Dire que Reimu et lui étaient bien partis pour…
Il secoua la tête. Ce n'était pas le moment de penser à cela.
Attiré par un éclat de lumière bleue, le polymorphe baissa la tête. Il remarqua ainsi que Malbas avait récupéré son manteau et le transmutait, de sorte à redonner des vêtements décents à Reimu. Le changeur de forme aurait très bien pu regarder où en était la prêtresse mais détourna le regard.
Ce qui fit rire Pride.
(– Regardez-moi ce gentleman.)
J'ai d'autres priorités.
(– Tu m'étonnes. Genre sortir vivants de ce merdier. On en est qu'au tiers, globalement, du voyage et on en a déjà marre. Une belle bande de héros, moi je vous le dit.), commenta l'Orgueil.
On fait de notre mieux. Reste à voir si cela suffira.
(– Reste surtout à voir si on va buter Malbas ou non. Ce con a fait l'andouille pendant un bon moment à Gensokyo et le voilà, là, comme une fleur. T'aurais dû le laisser avec la succube, tout à l'heure.)
Réo roula des yeux.
J'aurais pu. Mais pour le coup, j'ai agi sans trop réfléchir. Il est utile, pour l'instant. De toute façon, nous battre ne changera rien.
(– Cela règlerait juste le problème définitivement. On le bute et tout son drama est terminé. Fin. Tout le monde est tranquille.)
Il a l'air d'essayer de se racheter une conduite.
(– Ah oui. Le fameux "je suis désolé, être méchant c'est mal en fait". Je l'avais oublié.
Nous ne sommes pas des exemples de bonne conduite non plus. On va voir ce que ça donne. Mais rassure-toi, je ne peux pas l'encadrer non plus.
(– Ah bah tu me rassures. J'ai bien cru que t'étais devenu un hippie pendant deux secondes. Du reste, j'espère qu'on croisera Lucifuge. Un bon poing dans sa face lui ferait le plus grand bien. De ce que j'ai pigé, il a juste failli faire sauter Gensokyo avec son branleur masqué fumigène.)
Il veut la tête de Reimu à tout prix…
(– On parle de celle qui a failli se faire trouer par toi puis des tentacules japonais, en plus d'avoir Méphisto au train, littéralement ? Mec, c'est tout l'Enfer qui la veut, là. Je te parie que les gloutons qu'on a vus vont juste la vouloir elle. Je sais pas pourquoi, mais je mettrais ma main à couper que tout ce bordel, c'est pour qu'elle soit là. Ils veulent sa peau. D'ailleurs le deal avec Lucifuge pour que tu la butes tiens toujours.)
Je sais. Qu'il aille dans le cercle d'avant. Enfin ils veulent aussi la briser. Violer quelqu'un, c'est pas le meilleur moyen de le tuer.
(– Pas littéralement. Mais c'est assez pour briser quelqu'un définitivement. Pousser au suicide aussi. Réfléchis un peu, demeuré vert que tu es. Le pari avec Méphisto est qu'on reste ici si on "se fait arrêter". Copuler joyeusement dans un mur jusqu'à la fin des temps me paraît correspondre à la définition.)
Il y a des images que j'aimerais bien ne pas avoir en tête, merci.
(– Quoi, tu vas encore sauter sur Mère Noël ? Un peu de tact, que diable.)
Si tu pouvais te faire bouffer à ton tour… Ah, on dirait que les deux autres ont fini.
(– Fais voir ? Ah ouais. C'est marrant elle est entièrement en rouge, maintenant. Malbas aurait pu lui faire autre-chose que ses vêtements de base, quand même. Remarque que les manches sont enfin rattachées au reste. Déjà une amélioration.)
Je pensais que tu n'en aurais rien à faire…
(– Mais je n'en ai rien à faire, mon gars. J'adore juste commenter.)
C'est ça. En attendant, tu t'inquiètes pour elle.
(– T'as pas mieux à faire que mater les gens et raconter des conneries ?)
Réo leva les yeux au ciel, lequel était chargé de nuages. Puis il rejoignit les autres, leur faisant un rapide compte-rendu de ce qu'il avait repéré.
Tous étaient d'accord : cela n'annonçait rien de bon. Ce fut à contrecœur qu'ils décidèrent de se mettre en route.
Une fois encore, l'idée d'y aller en volant serait évoquée. Reimu refusa. Surpris, les deux jeunes hommes acceptèrent de suivre sa décision, se fiant à son intuition.

(♪) Ils pataugeaient dans la mélasse, suivant à peu près le chemin décrit par l'Envieux. L'irrégularité du terrain rendait la chose compliquée, d'autant que ledit terrain changeait sans cesse. Le trio fut ainsi surpris de voir un ravin se creuser devant lui, très rapidement.
Plusieurs personnes tombèrent dedans. Des " gloutons ", comme les surnommait Malbas. Le terme de " zombie " avancé par Réo n'était pas entièrement à exclure non plus. Les personnes qui parcouraient ce cercle avaient la peau grisée et étaient incroyablement maigres. On devinait sans aucune difficulté leur ossature sous-jacente. Ils n'avaient pour la plupart que des guenilles déchirées en guise de vêtements, mais cette fois aucune sensualité ne s'en dégageait. Bien au contraire.
L'autre détail visible était leurs yeux blancs. Ces gloutons étaient aveugles. Cela expliquait leur chute dans ce nouvel abîme carné. Lequel se referma aussitôt. Le sol lui-même émit des bruits de mastication, vibrant en même temps.
Reimu eut une expression dégoûtée. Réo, lui, tâta le sol du pied.
– Si on veut passer, c'est maintenant, tant qu'il est occupé… fit-il, à moitié sûr de lui.
– Je n'ai pas l'impression que cela arrive à des endroits donné, de toute façon, nota Malbas.
Le Dévoreur regardait plus loin, où le phénomène se reproduisait, sur une plus petite zone. Il prit la tête et avança rapidement. Mais à présent, tous regardaient le sol avec attention.
Ce fut ce qui sauva Réo.

A peine cent mètres avaient été parcourus qu'un énorme ver jaillissait juste sous lui. Fort heureusement, Malbas avait remarqué la déformation du sol. D'un geste rapide et tournoyant, il propulsa Réo en arrière avec une violente bourrasque.
Le monstre dépourvu de membres referma sa mâchoire dans un claquement, certainement déçu de son piètre succès. Ses quatre petits yeux clignèrent tandis qu'il se cabrait et se tourna vers le Dévoreur, la gueule dégoulinant de bave opaque.
Un frisson le parcourut. Une lueur de démence était visible dans les organes oculaires de la chose. Mais plus que tout… Ses yeux étaient humains. La créature ouvrit sa gueule, émettant un râle aigu se terminant par un gargouillis. Sa langue s'agita. Elle était longue, fine et terminée par des dents recourbées, imitant des crochets.
– Il va rameuter les autres ! réagit le polymorphe en se remettant debout.
Malbas réagit aussitôt, envoyant une gerbe de feu sur le monstre. Lequel n'eut pas le temps de lui faire face car, d'un tout autre côté, plusieurs sceaux orangés explosaient à son contact.
Peu habitué à affronter deux adversaires coordonnés, le ver ne sut trop où donner de la tête.
Cette hésitation fut fatale. Réo allongea une fois encore ses doigts, malgré a répugnance à laisser la Luxure envahir son esprit en cet instant. Mais il n'avait pas le choix.
Ce fut avec une violence décuplée par ce hasard du calendrier qu'il abattit la Lance Ultime sur la bête, séparant son crâne en deux. Le ver s'effondra sur le côté et ne bougea plus, bavant encore.
Dans un chuintement, le polymorphe redonna une apparence normale à sa main.
– Toujours aussi pratique, commenta Malbas.
– Toujours…

Réo ne pouvait s'empêcher de fixer le ver, ignorant la mouche qui venait de se poser dessus. Il y avait quelque-chose qui l'attirait, sans pour autant qu'il puisse savoir quoi. Il passa sa langue sur ses lèvres sans véritablement le remarquer.
– Il faut s'éloigner. D'autres arrivent ! annonça Reimu.
Les râles des gloutons résonnaient autour d'eux. S'arrachant à son étrange rêverie, Réo suivit le Dévoreur et la miko.
(– C'était quoi ça ?), s'enquit Pride, intrigué.
Aucune idée… C'est un peu comme si j'avais soudain eu faim…
(– Y'a plus appétissant… Fais gaffe à pas prendre les gens pour des steaks.)
Le changeur de forme acquiesça mentalement. Il se retourna un instant, alors qu'ils montaient tous une nouvelle butte. Une horde de gloutons s'était agglutinée autour du ver mort. Une masse grouillante s'était formée. Le monstre ne tarda pas à disparaître, puis les gloutons commencèrent à s'entredévorer.
Au moins, ils gagnaient du temps. Malbas failli glisser alors que la pente qu'ils descendaient à présent dégonflait d'elle-même. Le décor ne cessait de changer.

A bien y regarder, l'horizon était masqué par des parois, donnant l'impression d'être dans un cratère. D'énormes formes démarquaient ces parois, rappelant des dents.
Ils n'étaient pas dans un cratère mais dans une gueule immense. Cela expliquait peut-être la fine pluie verdâtre qui commençait à tomber.
Malbas poussa une exclamation douloureuse alors qu'une première goutte touchait sa main droite. Surpris, il regarda. Et poussa un juron.
– Oh bon sang…Il faut s'abriter ! hurla-t-il, soudain paniqué.
– Qu'y a-t-il ? s'enquit Reimu.
Malbas lui montra sa main. Sur une surface minuscule, correspondant à celle d'une goutte, la chair était à vif.
– C'est de l'acide !
Reimu écarquilla les yeux et chercha un abri du regard. Le seul qui s'offrait à eux était bien trop loin. La miko projeta une poignée d'amulette dans le ciel. Un écran bleuté se forma, l'abritant ainsi que ses deux compagnons de route.
– Cela ne tiendra pas longtemps ! cria-t-elle alors que l'averse meurtrière commençait.
Les hurlements de douleurs et autres lamentations commencèrent à résonner dans tous le cercle. Le sol lui-même n'était pas épargner. A présent instable, il ondulait, se contractait et fondait au contact de ce suc gastrique.
Seul l'endroit où se tenait le groupe était intact. La protection bleutée crépitait à chaque impact, de plus en plus violemment.

L'alchimiste tendit ses deux mains. Son pouvoir de combustion fit voler en éclats un morceau de chair au-dessus d'un renfoncement que la pluie venait de créer. Il enchaîna avec une gerbe continue de flammes, réduisant la surface organique qui se rabougrissait sous l'effet de la chaleur.
– On va se faire un préau de fortune ! Reimu, tu peux nous permettre de l'atteindre ?
Sortant de nouveau sceaux, la prêtresse opina. Elle les lança à la limite de son écran de protection actuel. Ils purent avancer de quelques mètres. Il était temps puisque le précédent se brisa aussitôt.
Se sentant passablement inutile, Réo donna un coup de main à Malbas. Littéralement, puisqu'il utilisa ses doigts tranchants pour l'aider à creuser. La minceur de ses longues griffes noires lui permettait de passer entre une partie des gouttes. Sa régénération faisait le reste.
Il était bien moins efficace que Malbas qui calcinait les chairs, mais cela permettait de déblayer un peu. De cette manière, progressivement, le trio avança et finit par être à l'abri.
Un haut mur de chair légèrement en biais les couvrait. Fort heureusement, il n'y avait pas de vent, lequel aurait permis aux gouttes de les frapper de plein fouet. Il ne leur restait plus qu'à attendre dans leur espace bien limité. Ils avaient à peine la place nécessaire pour tenir debout.
Creuser plus encore, comme le fit remarquer Malbas, risquait de faire s'effondrer la structure sur eux. Structure que la pluie allait affaiblir plus encore. Si cela arrivait, ils n'auraient pas d'autre abri en plus de devoir gérer un éboulement.
C'était quitte ou double mais ils n'avaient pas d'autre choix.

Le trio attendit avec angoisse que l'averse passe. Nul ne parla, trop occupé à guetter un mouvement suspect ou la fin de l'averse. Ce qui finit bien par arriver, laissant le paysage ravagé, réduit à l'état de grumeaux organiques dans une soupe sanguinolente et fétide.
– On peut y aller, indiqua Malbas après avoir soigneusement observé le sol.
– On va pas voir la plante de nos pieds fondre ? s'enquit le polymorphe, peu confiant.
– Non.
Comme pour le prouver, le Dévoreur s'engagea en premier à l'air libre. Il fut surpris de remarquer que marcher était plus facile. Le sol ravagé ne collait plus et la pluie l'avait quelque peu égalisé.
Les lamentations des prisonniers de ce cercle ne se faisaient plus entendre. Ce fut une étonnante accalmie que les trois aventuriers savourèrent autant qu'ils le purent. Cette prison de chair s'était toute entière figée, après ce déluge.
Cette étonnante opportunité leur permis de progresser rapidement. Mais peu à peu, la vie infernale reprenait son cours. Les corps fondus se mêlaient à la chair naturelle pour former un nouveau terrain à l'aspect identique à celui d'avant. Les cris revenaient peu à peu. L'un d'eux, d'ailleurs fut tout près.

Reimu se tourna vers sa source, éloignant une mouche d'un geste rapide de la main. Une créature difforme contournait une butte qui venait de grossir. La chose ressemblait de prime abord à un humain, gros et gras, dont la taille avoisinait les deux mètres de haut pour presque autant de large. Ses énormes bras allaient et venaient, agitant ses doigts boudinés à la recherche de quelque-chose à attraper.
Sa tête était dépourvue d'yeux et sa bouche n'avait pas de bas. Et pour cause, elle se prolongeait jusqu'au nombril, formant une gueule affreuse, s'ouvrant sur une langue immense et fouettant l'air. En comparaison, les dents entourant cet abîme étaient ridicules, malgré leur taille imposante.
Reimu fit une grimace de dégoût. Cette chose était des plus répugnantes et elle n'aimait guère le fait qu'elle soit en train d'approcher lentement.
De fait, tous furent pris au dépourvu quand le monstre bondit droit sur la prêtresse. D'un habile saut, la miko se dégagea de là, laissant la créature projeter des morceaux de chair à son atterrissage. La langue claqua dans l'air avant d'aller vers Reimu, s'allongeant dans sa direction. Aucune chance que cela touche la jeune humaine, habituée à éviter des choses bien plus compliquées. Une kyrielle de projectiles bénis s'écrasèrent sur le monstre, le forçant à reculer. Malheureusement, une partie avait été dans sa gueule, ce qui les avait rendus inefficaces.
Le colosse tendit sa main vers son adversaire après s'être approché, mais il manquait de portée. La prêtresse lui tournait autour et était intouchable. Toute absorbée par ce monstre, elle n'avait pas entendu la horde de gloutons qui était apparue.

Une horde de grande taille, que Réo et Malbas affrontaient. Elle avait été attirée par le monstre précédent. Le polymorphe soupçonnait son odeur d'en être la cause.
Il empestait plus encore que la normale, déjà haute, du cercle. Si un odorat normal ne le remarquait pas forcément plus, surchargé qu'il était déjà, la différence était frappante avec l'amélioration offerte par la Gourmandise.
Réo avait testé rapidement et devait admettre que c'était saisissant. Mais également que se plonger dans ce péché en cet instant n'avait pas été une excellente idée. Si son odorat surdéveloppé s'était désactivé quand il l'avait voulu, chose qu'il bénissait, ce n'était pas le cas de sa faim.
Car il avait faim. Pas une faim normale, personne n'aurait de l'appétit dans un lieu pareil. Une faim différente, abusive, immorale. Une faim qu'il ressentait, en réalité, depuis longtemps mais qu'il reconnaissait enfin.
La chair l'attirait. La chair humaine ou ce qui y ressemblait. Il avait déjà commis des actes de cannibalisme, sans particulièrement y prêter attention. Suivant son instinct gourmand, cela avait été un repas comme un autre. C'était ce qu'il pensait jusque-là.
Il n'en était rien. Tel les yôkais chassant les humains, il se rendait compte que c'était là son caviar personnel.
Son plaisir coupable.
Il adorait ça et, alors qu'il n'en avait jamais vraiment éprouvé le besoin, celui-ci venait de naître. Son regard sur les gloutons changea.
Un regard de prédateur. Lorsqu'il attrapa un bras se tendant vers sa gorge, le polymorphe ne put s'empêcher d'apprécier sa texture et la taille des muscles. Les gloutons n'avaient sans doute pas la meilleure viande, mais elle devrait faire l'affaire.
Du coin de l'œil, Réo vit que Malbas reculait. Le Dévoreur ne pouvait pas utiliser l'environnement à son avantage, ce qui réduisait son champ d'actions.
La projection violente d'un zombie sur ses propres camarades donna un bol d'air à l'alchimiste. Ce dernier eut un frisson en croisant le regard du polymorphe. La lueur qu'il y décela ne lui plaisait pas du tout.

Il ne s'occupa pas de ce problème tout de suite. Tout d'abord, il se tourna dans la direction de Reimu, laquelle venait de défaire la monstruosité qui l'avait prise pour cible. D'autres grosses créatures toutes aussi difformes et malsaines approchaient d'elle. Cela devait faire réfléchir la horde qui préférait s'en prendre aux autres.
Le Dévoreur hésita. Il n’avait pas envie de laisser Reimu seule, mais Réo n’allait pas non plus pouvoir faire face à toute cette armée sans aide.
– Tu ferais mieux de lui filer un coup de main. Ces glands ne peuvent pas me faire grand-chose.
Le Dévoreur reporta son attention sur Réo. Il venait d'utiliser ses griffes noires pour trancher une vingtaine de gloutons, se frayant par là même un chemin vers Malbas.
Ce dernier joignit ses mains.
– Il est vrai que tu as encore des âmes. Mais tout de même. Ce serait idiot que tu meures ici.
L'alchimiste posa ensuite ses mains sur un ennemi approchant, faisant apparaître quelques éclairs rouges. Puis il pivota sur lui-même, accompagnant ceci d'un mouvement de bras. Un bras d'air se forma, assez puissant pour envoyer le glouton vers ses alliés. Il explosa ensuite dans un éclat rougeâtre, déblayant un peu la zone. Réo en profita, continuant d'abuser de ses griffes noires télescopiques pour tailler ses adversaires en pièces.
Malbas se recula et attira l'attention d'une des créatures s'en prenant à Reimu. La chose était encore une fois difforme et immonde, mais finalement peu dangereuse pour les combattants aguerris.
De longues minutes s'écoulèrent avant que le calme ne revienne. La miko envoya deux orbes yin-yang s'écraser sur les genoux d'un glouton de plusieurs mètres de haut. La violence de l'impact lui fit plier les genoux et mettre les mains au sol, l'immobilisant.
Ce fut largement suffisant pour que Malbas pose ses mains sur la peau grise de son crâne chauve, pour le faire exploser dans un éclat de lumière bleue. Il fut le dernier monstre à s'effondrer plus ne plus bouger.
– Il était temps, commenta sobrement le Dévoreur en faisant quelques mouvements de son bras gauche.
Il s'était pris un mauvais coup qui avait bien failli lui briser l'épaule.
– Merci pour ton aide. Mais qu'en est-il de Réo ? s'inquiéta la prêtresse alors qu'elle touchait à nouveau terre, près de son allié.
Elle n'avait pas pris un seul coup.

(♪) Leurs regards convergèrent vers le charnier crée par les cadavres de la horde. Réo s'était déplacé lors de son combat et n'était plus visible, du fait d'une butte ayant poussé, se dotant d'ailleurs d'une mâchoire tordue.
Le duo la contourna prudemment, notant la présence d'autres corps. Ils n'entendaient plus de bruits de combat, et pour cause : lorsqu'ils virent le changeur de forme, il ne se battait pas. Il était bien trop occupé à dévorer les cadavres de ses adversaires vaincus. Telle une bête sauvage, il arrachait les membres et la chair, enfournant le tout sans aucune distinction. Reimu eut une nouvelle grimace dégoûtée, mais son regard s'était durci.
– Réo ! l'appela-t-elle.
Il ne la remarqua pas, tout entier captivé par son festin.
– Voilà autre chose, grinça Malbas.
Au son de sa voix, le polymorphe releva la tête. Il avait allongé ses dents et considérait le Dévoreur d'un regard avide. Un frisson le parcourut. Il n'avait pas pris la peine d'absorber la moindre fraction d'énergie vitale.
Ironiquement, sa faim était passée au second plan, dans ce cercle.
– C'est mauvais. La Gourmandise l'a totalement submergé. Cela n'a pas perdu de temps.
– C'est pas vrai ! Reviens à toi, Réo !
Le changeur de forme pencha sa tête sur la gauche. Difficile de dire s'il comprenait vraiment ce qu'il entendait ou non.
Reimu serra les dents. Une fois encore, ils étaient soumis à l'influence de l'Enfer. Mais cette fois, la repousser promettait d'être bien plus compliqué. Elle voulait éviter l'affrontement mais ignorait comment raisonner le polymorphe.
Elle commença à marcher vers lui, à pas lents.
– Reimu, fais attention ! Il pourrait te sauter dessus à tout moment ! lui indiqua le Dévoreur, pas vraiment rassuré.
– Je sais bien ! Mais on ne va pas le laisser comme ça !
Le métamorphe fixait à présent la prêtresse. Il était clairement en train d'essayer de déterminer si elle pouvait lui permettre de compléter son banquet ou non. La miko leva sa main libre, l'autre tenant fermement son gohei.
– Réo… Doucement… Reste tranquille. N'écoute pas…

Elle se tut. Elle venait de remarquer quelque-chose. Quelques centaines de mètres en arrière, la silhouette d'un cavalier se tenait immobile. Dans le même temps, une énergie malsaine coulait de Réo. Elle pouvait presque voir des gouttes rouges de magie infernale suinter du corps du polymorphe.
A cause de cette découverte, elle fut trop déconcentrée pour remarquer les griffes noires s'allongeant vers le bas de son ventre. Malbas réagit dans l'instant, renvoyant le polymorphe en arrière à l'aide d'une violente rafale, pareille un poing d'air compressé.
Réo quitta le sol et s'écrasa quelques mètres en arrière, glissant sur le sol organique.
– Malbas ! Occupe-toi de lui, je vais m'occuper de ça !
– De quoi ?
Le Dévoreur n'eut pas le temps de comprendre que déjà, Reimu décollait. Elle fonçait droit sur le cavalier.
– Oh génial, grinça l'alchimiste alors que le polymorphe affamé se relevait.
C'était la première fois qu'il était opposé à lui sans la moindre âme pour lui sauver la mise. Il allait avoir du mal. Sans parler de l'environnement qui était inutilisable. Il ignorait ce que Reimu allait trafiquer mais il valait mieux qu'elle ne tarde pas.
Il repoussa son adversaire d'une violente gerbe de flammes et se recula. Au moins il avait son attention.

Reimu arriva à toute vitesse à l'endroit où se tenait le cavalier. Il était engoncé dans une sombre armure grise, visiblement lourde. Des visages tourmentés et lucifériens était gravés dans le métal dont l'aspect évoquait plutôt la pierre. Les épaulières, brassards, jambières et même le plastron étaient ainsi lugubrement décorés. Le casque, de même facture, était orné de deux cornes de bélier. Le visage pâle du démon était figé dans un rictus mauvais mais peu de détails étaient visibles du fait de sa protection. Seule la partie basse du visage était exposée.
Sa monture portait une armure plus sombre, tirant sur le brun. Les visages étaient remplacés par des pointes. Cela n'empêchait pas de comprendre que le destrier démoniaque n'avait plus de chair. Réduit à l'état de squelette, il disposait de deux ailes de chauve-souris dont la peau tendue était en lambeaux. Ses yeux rouges brillaient au travers de son casque et ses dents étaient si pointues qu'elles indiquaient un abandon du régime nutritionnel normal des chevaux.
Un étendard représentant une mouche noire sur un pentacle rouge était fixé à l'arrière du cheval. La main gauche du cavalier était fermée sur une longe lance à la lame dentelée. Reimu remarqua ensuite que le démon avait son bras droit tendu vers Réo et Malbas. Le serpent métalliques enroulé autour dudit bras était parcouru de stries rouges et sifflait sinistrement.

(♪) Deux amulettes explosèrent au contact de la lance du démon. Sa monture renâcla et recula. D'un geste, il avait interposé son arme aux projectiles destinés à son bras. Lequel n'était plus tendu, mais le serpent frémissait toujours. Le sortilège était toujours actif.
– Et bien, on ne perd pas de temps. Malheureusement pour toi, celui-ci ne joue pas en ta faveur, humaine, remarqua-t-il de sa voix rauque.
– Voilà pourquoi tu vas arrêter immédiatement !
– Tu es bien sûre de toi pour une humaine perdue en Enfer. Mais je suis le Duc Eligos et en tant que premier serviteur de Sa Majesté Belzebuth, je me dois de t'arrêter… Ainsi que tes compagnons, aussi amusants à manipuler soient-ils.
Il para une vague d'amulettes, mais fut forcé de faire galoper sa monture, alors qu'une pluie de projectiles rouges s'abattait sur lui.
Animé d'une vitesse surnaturelle, le cavalier démoniaque passa au travers de l'enfer de tir. Il fit par la suite volte-face en envoyant sa lance vers l'avant. L'arme passa juste à côté de la prêtresse, laquelle armait son pied gauche pour l'envoyer dans la mâchoire du duc. Il y opposa cependant son brassard droit, stoppant l'assaut. Le serpent s'était légèrement déplacé pour aller du côté du biceps, mettant de la distance entre lui et le pied de la miko. Laquelle se dégagea de là.
Elle évita ainsi un ver. Jaillissant du sol, il décrivit un arc de cercle, tentant de gober la jeune femme, avant de retourner à l'abri. Cette distraction donna le temps à Eligos de braquer sa lance vers son adversaire. L'arme se chargea d'énergie rougeâtre qu'elle relâcha sous la forme d'un long trait.
Bien déterminée à en finir au plus vite, Reimu effectua un looping pour le laisser passer, continuant de bombarder le duc. Elle ignorait comment les choses évoluaient du côté de Malbas et Réo, mais elle devait stopper le contrôle d'Eligos le plus vite possible. Le moyen le plus simple d'y parvenir lui semblait évident : détruire ce serpent de métal.
Mais elle savait que le démon avait raison : le temps jouait contre elle.

Malbas en était arrivé à la même conclusion. Usant de sa maîtrise de l'air, il se propulsa dans les airs, mettant encore une fois de la distance entre Réo et lui. Ce qui n'était pas très utile compte tenu de la charge qu'il effectua. Bien trop rapide pour les yeux de l'alchimiste, celui-ci n'évita le changeur de forme que grâce à son habitude de l'affronter. Il commençait à le connaître.
Le métamorphe passa ainsi à droite de Malbas et ne fut capable de s'arrêter que dix mètres plus loin. Exposé, il était une cible de choix et le Dévoreur ne se fit pas prier. Il tendit son bras droit, y concentra son énergie, surchauffa l'air et propulsa le rayon transparent explosif si efficace droit sur Réo.
Groggy, l'affamé n'eut pas le temps de réagir à la détonation indiquant le départ du projectile et fut pris dans la déflagration.
– Si cela pouvait te calmer, grinça un Malbas fatigué.
A force d'user et abuser la combustion, il perdait son énergie. C'était un pouvoir relativement gourmand, mais ordinairement il s'en sortait sans trop de mal. Mais en ce moment, sans aucune âme en lui, c'était plus exigeant encore.
Il abaissa sa main, observant le nuage de fumée. Il ne les voyait pas mais imaginait sans mal les éclairs rouges et le corps de son adversaire. Il devait déjà se relever.
– Tu as toujours été trop gourmand. Tu as demandé énormément de pouvoir, une nouvelle vie, tout et pourtant, tu continues à ne pas être satisfait. Le sacrifice de ta famille ne t'as-t-il donc pas suffit ?
Comme pour lui répondre, deux tentacules noirs filèrent vers lui. Une gerbe de flammes parvint à les tenir éloigner, mais cela ne suffit pas tenir Réo lui-même à distance. Il se changea en loup, avança rapidement puis bondit pour reprendre forme humaine en plein air. Un long serpent noirâtre jaillissait à présent du bas de son dos et tenta de mordre Malbas.
L'alchimiste se baissa pour éviter et d'un mouvement de la main, envoya une sphère enflammée sur Réo. Ce dernier l'évita sans mal et changea ses deux bras en lames acérées, fines et légèrement recourbées. Il renvoya le serpent à l'assaut, sans plus de succès qu'auparavant.
– Tu sembles oublier depuis combien de temps nous nous affrontons ! Allez, la Gourmandise n'est soi-disant pas le péché qui te correspond le plus ! Ça aussi tu l'as oublié ? Comme tous les gens qui doivent payer pour tes désirs ?
Malbas ne cachait pas son animosité. Il espérait pouvoir faire réagir le polymorphe de l'intérieur mais mis à part des grognements gutturaux, il n'obtint rien.
Réo n'avait jamais su contrôler quoi que ce soit de toute manière. Le Dévoreur évita un nouvel assaut, plus soutenu. Seule l'utilisation d'un épais fouet de feu parvint à lui sauver la mise. Il se concentra ensuite afin de générer de la glace autour de lui.
Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, ce pouvoir restait moins instinctif que les autres.
Cela ne l'empêcha pas de moduler la matière froide en une multitude de pointes qu'il jeta sur son ennemi, lequel fut cantonné à la défensive.

Malbas ne pouvait s'empêcher de s'interroger, pendant ce temps-là. Réo était-il comme " endormi " ? Ou était-il relégué au rang de spectateur impuissant ? Si l'extérieur était assimilable au comportement d'une bête sauvage, Malbas n'avait aucune idée de ce qui se passait à l'intérieur. Peut-être Pride essayait-il de prendre le contrôle mais force était de constater que c'était un échec cuisant.
Usant de sa maîtrise de l'eau, Malbas fit fondre les morceaux de ses projectiles précédant. Il put ainsi former un bras aqueux informe dont il se servit comme d'une lame, en jouant sur sa pression et sa vitesse. Ce fut suffisant pour prendre Réo à revers et lui infliger une blessure à la hanche droite. Laquelle ne mit pas bien longtemps à se refermer.
Malbas grimaça. A ce rythme, c'en était fini de lui. Il sortit une carte de sort d'une poche. Il ignorait si cela fonctionnait en Enfer ou non, mais il allait devoir tester.
– Alchemy Sign " Salamander Ignition ", énonça-t-il.

Des éclairs bleus apparurent autour de Réo. Dans son état, il n'y prêta pas la moindre attention. Sa surprise fut donc colossale lorsqu'un nouvel orbe de feu s'écrasa à ses pieds et provoqua une retentissante explosion dont il était le centre.
Le souffle fut tel que Malbas fut forcé de reculer. L'odeur de la chair brûlée s'ajoutait à celle du Cercle dans une osmose écœurante. En parlant de chair, Malbas nota la présence de morceaux calcinés s'échappant de la tourmente.
Etait-ce de Réo ou du sol ? Le Dévoreur fronça les sourcils. Il était incapable de trancher. Pour autant, de ce qu'il savait, les cartes de sort était conçues pour ne pas tuer, or l'explosion faisait partie de son effet. Ce qu'il voyait devait provenir du sol.
Pourtant, il ne pouvait pas dissiper le doute dans son esprit.  

Dans le même temps, le combat entre le duc Eligos et Reimu s'était déporté dans les airs. La monture squelettique était parfaitement capable de voler, ce qui avait surpris Reimu lorsqu'elle avait tenté d'avoir l'avantage de la hauteur.
Néanmoins, elle gardait un avantage non négligeable : celui de la distance. Eligos avait le plus grand mal à riposter, malgré ses déchaînements d'énergie impie. Il en refit l'expérience alors qu'un rayon carmin étendant sa lance ratait la miko. Elle eut ainsi toute l'occasion de bombarder le démon alors qu'elle allait subitement vers le sol.
Trop occupé par ce qui lui arrivait dessus, le duc ne remarqua pas ce que Reimu accélérait. Délaissant les attaques à distance, elle fila telle une projection magmatique pour entrer brutalement en contact avec le ventre du cheval morbide, pied droit en premier.
Il s'agissait de la partie du corps du destrier infernal qui était la moins protégée. Ses côtes à l'air libre furent pulvérisées par la violence de l'impact. La créature eut un mouvement rappelant un hoquet et commença à chuter inexorablement.
Reimu dégagea son pied de la carcasse et projeta plusieurs sceaux exterminateurs sur le cavalier en pleine chute, lequel dut endurer plusieurs explosions avant de s'écraser.

La prêtresse le rejoignit, à temps pour le voir se relever en s'aidant de sa lance.
– Surprenant, petite humaine. Je comprends qu'Asmodée ne se soit pas opposé à ta progression. Il doit être curieux.
– Peu m'importe !
De justesse, Eligos parvint à éviter la destruction du serpent, conjurant un écran de protection rouge devant lui, lequel vola en éclats suite à la collision de deux carrés orange.
– Même si tu atteignais le Hall des Gloutons ou même les Cercles inférieurs, tu ne pourrais sauver les âmes qui sont ici. Les morts le restent et aucune âme qui nous appartient ne peut en ressortir.
– C'est ce que nous allons voir. Mais je ne renoncerai pas.
– Un cœur noble. Amusant. Pourtant, celui que je manipule est un tel monstre que moi-même je ne saurais dans quel Cercle il doit être. Quoi qu'il en soit, la Gourmandise le sied à merveille. Son âme est si corrompue…
Son monologue fut interrompu par une série d'impacts contre son armure. Le duc recula d'un pas. Reimu était repassée à l'attaque, faisant peu de cas de ce qu'il racontait.
Il retenta de la blesser avec sa lance, mais sans succès. Son mouvement était bien trop lent, permettant à la miko de s'engouffrer dans sa garde. Son gohei se chargea d'énergie sacrée, ce qui se manifesta par une aura orangée. Les carrés de papier, d'ordinaire blancs, le terminant s'étaient colorés de rouge. De fait, lorsque l'artefact percuta le serpent de métal, un éclat vif indiqua son explosion. Ses débris volèrent alors qu'Eligos reculait, le bras endolori.
Reimu profita de son avantage et arma un nouveau lot d'amulettes. Elle les lança sur son adversaire perturbé et fulminant de rage. Son armure se craquela sous les impacts répétés. Pourtant, alors qu'une mouche se posait sur son casque, il se mit à rire.
– Je ne peux t'arrêter, c'est vrai. Mais j'ai foi… Vous vous entredévorerez bien vous-mêmes. A moins que mon maître ne le fasse.
Un bourdonnement lointain mais massif commençait à monter. Reimu pâlit et se tourna vers ses deux compagnons d'aventure. Leur combat s'était arrêté mais elle avait un très mauvais pressentiment.
Elle délaissa le duc vaincu et repartit en arrière, prise d'une étrange fébrilité.

Malbas poussa un long soupir. Réo s'était stoppé et était tombé à genoux, haletant.
– Quand arriveras-tu enfin à te contrôler ? lâcha le Dévoreur en considérant son Némésis.
(– Eh, je me pose la même question. Quand ce n'est pas ton Envie, c'est un autre truc.), remarqua Pride avec ironie.
– Tu peux parler, rétorqua le changeur de forme.
Malbas le considéra avec un mépris évident.
– Certains font des efforts. Cela ne me semble pas être ton cas. Tu t'es toujours laissé porter par tes émotions.
Il s'accroupit pour le regarder dans les yeux.
– Tu n'as pas activé l'Œil Ultime. J'en déduis donc qu'au moins, tu sais enfin réprimer tes accès de colère ridicules.
(– Depuis, bizarrement, il ne gagne plus un seul affrontement, ou presque. Enfin ça commence à faire un moment, blondasse.), renchérit l'Orgueil.
– Mais le reste… Tu as encore du travail. L'envie est, j'imagine, perdue d'avance. Mais ce sont ton avarice et ta gourmandise qui t'ont poussé à faire tout ça, en plus de ton envie. Tu pourrais d'ores et déjà être heureux, mais il t'en faut toujours plus. Tu veux tout pour toi. Tous les pouvoirs de tes personnages favoris, rien que ça. Pourquoi faire ? Ce n'est pas indispensable. Tu m'as créé, avec Pride, pour avoir tout ce que tu voulais sans même te préoccuper de ce que nous allions vivre. Si ce n'est pas de l'égoïsme, j'ignore ce que c'est.
Il approcha son visage. La haine transpirait de tous ses pores.
– Je pourrais te dévorer maintenant, " créateur ". Mais on m'a expressément demandé de ne pas le faire. Alors je vais me retenir. Ça, c'est mon prix à payer pour avoir une petite chance de vivre enfin en paix. Pour peut-être enfin pouvoir me regarder dans une glace sans voir une bête. Je te conseille de tenter. De te contenter uniquement de ce qui est vraiment nécessaire, avant que tes caprices ne nous tuent tous. Retiens bien une chose : la voracité ne mène à rien, si ce n'est à notre propre perte.
Voyant Reimu revenir en trombe, Malbas se recula.
(– Ça me casse les dents de le dire, mais ce gland a raison. Je te l'ai déjà dit, d'ailleurs.)
Réo serra les dents. Il savait, au fond de lui, que les deux avaient raisons. Alors qu'il se faisait manipuler, chose qu'il n'expliquait pas encore, il avait ressenti le péché de la gourmandise prendre toute la place. Si tuer Malbas ne l'aurait pas empêché de dormir, il était bien plus embêté par rapport à Reimu et à celles qu'ils venaient chercher en ces lieux maudits.
Tout aurait bien pu capoter à cause de lui.

– Malbas, Réo, vous allez bien ? s'enquit la jeune femme alors qu'elle atterrissait près de ses alliés.
– On fait aller. Je ne sais pas ce que tu as fait mais bien joué, répondit le Dévoreur.
– Un démon contrôlait Réo à distance en utilisant… Bref, nous n'avons pas le temps. Je crois que son maître approche alors ne restons pas là !
– Son maître ? releva Malbas
– Belzebuth ! lui répondit Reimu en décollant une fois encore.
Cela ne disait rien au Dévoreur qui échangea un regard circonspect avec un Réo qui se relevait à peine.
– Pas de temps à perdre, on dirait. On en oublie même la règle du " ne pas voler ", commenta l'alchimiste.
– C'est bien la merde, alors… On y va.
Il n'en fallut pas plus pour que Malbas ne s'envole et que Réo se change en aigle noir. Les deux suivirent, inquiets, une Reimu ouvrant la marche avec plusieurs mètres d'avance. Ils volaient à basse altitude, esquivant les nuages potentiellement acides flottant plus haut.
Cette mi-distance les plaçait à la hauteur des collines en mouvement perpétuel. Aller plus haut donnait la sensation de brûler, tel Icare s'approchant du soleil. Ils savaient que ce ne serait pas la cire qui fondrait, mais bien leur corps tout entier.

Rapidement, le Hall des Gloutons fut visible. Véritable greffe de pierre dans ce gigantesque corps pourrissant, le bâtiment s'élevait contre une immense pustule purulente. Il avait plusieurs étages et était courbé de sorte à épouser la paroi organique qui le jouxtait. Contrairement au bâtiment du cercle précédent, celui-ci se montrait bien moins audacieux. Aucune tapisserie ne volait, aucune statue ne montait la garde et il n'y avait pas plus de tours. Il ne s'agissait que d'un bloc de pierre brut, pas même percé de la moindre fenêtre ni de la moindre ouverture.
– On y est presque ! s'écria Reimu.
– J'espère que c'est bien là, sinon, on est mal ! hurla Malbas en retour.
Réo restait silencieux. Une agitation inhabituelle baignait le Cercle tout entier. L'atmosphère s'était faite bien plus lourde, prélude d'un orage pour le moment invisible. Seul le bourdonnement était perceptible.
Derrière les membres trio, un nuage noir venait à leur rencontre. Une masse mouchetée qui se disloquait au fur et à mesure de sa progression, formant une longue traînée sombre se démarquant du reste des lieux.
C'était autour d'elle que l'activité se faisait la plus intense. Des pluies acides se déversaient sur les prisonniers de la gourmandise, accompagnées des jaillissements des vers, plus voraces que jamais. La membrane servant de sol frémissait même plus que d'ordinaire et était prise d'ondulations atypiques. Le domaine infernal tout entier célébrait l'arrivée de son maître.
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeMar 2 Aoû - 20:38

(♪) Reimu fut la première à atterrir devant l'édifice. Son premier défi fut de rester debout, tant les tremblements du terrain s'étaient accentués. La prêtresse fit de son mieux, titubant vers la lourde double porte de pierre. Surmontée d'une arche, elle n'était pas plus décorée que le reste.
– Oh ! Nom d'un, c'est quoi ça ?! s'exclama Malbas, derrière elle.
Reimu se retourna. Le nuage était là et il était constitué d'une seule chose se répétant presque à l'infini : des mouches.
D'énormes mouches noires, lesquelles plongeaient vers le Dévoreur, ignorant superbement Réo qui était pourtant cinq mètres derrière lui. Malbas tenta de se dégager, mais le sol instable le ralentit. Une partie de la nuée parvint ainsi à engloutir son bras droit. L'alchimiste poussa un hurlement déchirant.
– Malbas !
Reimu fit demi-tour et envoya une volée d'amulettes sur l'armée d'insectes. Les déflagrations d'énergie consacrée permit de les faire reculer, juste assez pour que la miko atteigne le Dévoreur. Celui-ci ne tenait plus debout et respirait à grandes goulées. Il regardait, tétanisé, ce qu'il restait de son bras gauche. Reimu elle-même ne put retenir un cri d'horreur : du bout des doigts à l'épaule, les mouches n'avaient laissé presque que les os. L'ensemble était retenu par des lambeaux de chair et de muscle mais cela ne changeait rien au fait que Malbas n'avait plus qu'un bras squelette en cet endroit de son corps.
Il en approcha sa seule main valide, prit de tremblements violents. Seuls des gémissements passaient ses lèvres et Reimu le soutenait pour qu'il ne s'effondre pas.
La légion d'insectes carnivores s'était compactée, planifiant son prochain assaut.
– On ne pourra pas aller dans le Hall avec ces choses ! clama la jeune femme alors qu'elle tirait un alchimiste glissant de plus en plus vers l'inconscience.
– Je vais essayer de les retenir ! Mets Malbas à l'abri ! vociféra le changeur de forme.
C'était mauvais. Très mauvais. Ils ne pourraient pas distancer cet insaisissable et multiple ennemi avant de se faire dévorer. Réo comptait sur sa régénération pour lui permettre de gagner du temps mais si Reimu et Malbas ne trouvaient rien, il n'allait pas faire long feu.
Le polymorphe sortit une carte d'incantation, qu'il activa dès que les mouches repartirent à l'assaut.
– Deadly Sin "Wrath Inferno" !

La gerbe de flammes rouges fila sur les rangs d'insectes, en carbonisant plusieurs et les repoussant très temporairement.
Réo grimaça. Il n'allait pas aller loin avec ça. Il savait qu'il pouvait recouvrir sa peau de carbone mais cela ne serait pas d'une grande utilité : les mouches n'auraient qu'à l'ignorer et repartir vers ses deux acolytes. Elles commençaient d'ailleurs à faire cela.
Le pouvoir de la luxure ne serait pas plus utiles tant les rangs ennemis étaient nombreux. Le feu était la meilleure option. Aussi, ce fut en cette occasion que Réo arma une nouvelle carte.
(– Il faut que cela fonctionne. Mes ombres ne seront pas plus utiles que le reste de tes capacités et je n'ai pour l'instant pas mieux en stock avec le sang.), indiqua Pride pour conforter Réo dans son plan.
– Ça passe ou ça casse, commenta Réo.
Il prit une grande inspiration. Cela n'allait pas être simple.
– Wrath Sign "Dream of Fire" !

Le corps du polymorphe fut parsemé d'éclairs rouges. Il se mit à grandir, de plus en plus, tout en perdant toute forme humaine. Rapidement, ce fut un dragon qui faisait face à l'armada de petites bêtes. La créature mythique avait braqué ses yeux jaunes aux pupilles fendues vers ses adversaires. Ses écailles d'un rouge écarlate le rendaient bien plus visible que tout le reste. Sa taille restait modeste pour une telle bête, avec ses huit mètres de haut et seize de long. Sa queue pointue s'agita alors que l'envieux transformé poussait un rugissement.
Il déploya ses ailes et décolla d'un violent mouvement de celles-ci. Il put ainsi s'élever à la hauteur des innombrables insectes. La suite risquait d'être plus délicate : il devait réussir à cracher du feu. Il s'agissait du principal attrait de cette transformation mais ce n'était pas simple à utiliser. Déjà voler n'était pas simple tant cela était contre-nature avec sa forme humaine, mais le souffle enflammé était pire encore.
L'apprenti dragon ne comptait plus le nombre de fois où il avait simplement vomi ses entrailles ou toussé inutilement durant ses essais, lorsqu'il avait mis au point cette carte de sort.
Cette fois, il n'avait pas le droit à l'erreur. Le dragon ouvrit grand sa gueule. Une lueur orangée fut visible au fond de sa gorge avant qu'un torrent de feu ne s'en extirpe. Le brasier se déversa sur la cohorte volante, la poussant à reculer. Elle prit ensuite le parti de contourner le fleuve ardent par la droite. C'était sans compter sur les ailes du dragon, assez fortes pour lui permettre de se replacer alors qu'il refermait sa gueule. Faisant barrage de son corps, il coupa à nouveau la route aux mouches avec de nouvelles flammes. Une escadrille parvint à le blesser aux pattes, rongeant les écailles aussi facilement que de la peau. La régénération soigna cependant les blessures et les violentes rafales envoyées par les battements d'ailes de la bête suffirent à lui faire gagner assez de temps pour regagner de l'altitude. Il enchaîna avec une nouvelle averse brûlante, pour continuer à repousser les dévoreuses de chair.
Il espérait de tout cœur que les deux autres parvenaient à avancer.

De son côté, Reimu poussait sur la porte de pierre. Elle ne débordait pas de force physique, rendant l'effort bien plus important que prévu.
– Tiens bon, Malbas !
Toujours au bord de l'inconscience, le blessé ne lui répondit pas. Il continuait d'être porté par la jeune femme.
Une fois la porte ouverte, ils s'engouffrèrent à l'intérieur de l'édifice. Il n'était en fait constitué que d'une seule et même salle, divisée par plusieurs balcons disséminés sur toute sa hauteur. Des flambeaux répartis un peu partout éclairaient le Hall des Gloutons. Celui-ci justifiait son nom par les nombreuses silhouettes occupant la pièce. Toutes étaient attablées. D'immenses tables et bancs les accueillaient. Des mets somptueux les occupaient, en quantité astronomique. Pour autant, les râles qui se faisaient entendre n'étaient pas de plaisir.
Reimu s'accroupit pour aider Malbas à s'asseoir. En réalité, elle eut le plus grand mal du monde à ne pas le laisser s'écrouler.
– Uh… Reimu… Mon bras, parvint à articuler l'alchimiste.
– Je sais ! Il faut…
La prêtresse fut coupée par l'impact de Réo sur le sol, à l'extérieur. Il commençait à être en difficulté !
– Reimu… Aide-moi à les atteindre…
Du menton, le Dévoreur désigna les gloutons attablés. Un frisson parcourut la prêtresse. L'idée de Malbas est claire comme de l'eau de roche : dévorer assez d'énergie vitale pour régénérer son bras.
Elle hésitait. Aider Malbas revenait à condamner ces êtres déjà en souffrance. Pouvait-elle vraiment faire cela ?
Dehors, le combat faisait rage. La lueur des flammes était visible par l'ouverture, éclairant à intervalles irréguliers l'intérieur. Reimu pinça les lèvres. Ces âmes étaient d'ores et déjà mortes et leur sentence éternelle. Souffriraient-elles plus à l'intérieur du Dévoreur ? De ce qu'elle savait, une fois utilisées, elles reviendraient ici.
Mais tout de même, cela restait jouer avec la vie des gens. Ce n'était pas une chose que la prêtresse approuvait. Mais avait-elle le choix ?

Son regard se reporta sur Malbas. Dans son état, il ne pourrait rien faire. De plus, seul son pouvoir pouvait sauver son bras. Ils avaient besoin de lui. Elle, Réo et celles qu'ils venaient sauver.
Ce fut cette pensée qui décida Reimu. Demandant mentalement pardon, elle aida le Dévoreur à se relever, prenant soin de ne pas toucher son bras blessé.
– Très bien. Mais ne prends que le strict nécessaire, ordonna-t-elle.
Faiblement, Malbas opina.
– D'accord.
Il avança doucement, encore une fois en s'appuyant sur Reimu. Fort heureusement les premières proies étaient proches. L'alchimiste se tint à la table, permettant à Reimu de se retirer.
– Je peux me débrouiller, maintenant, assura le blessé.
– Tu en es certain ?
– Oui… Tu ferais mieux de retourner à la porte. On doit… Trouver un moyen…
Une pointe de douleur l'empêcha de continuer. Résolu, il abandonna Reimu pour se diriger vers un glouton.
Ceux qui étaient en ces lieux étaient liés à leurs bancs par d'épaisses chaînes. Celles-ci les empêchaient de bouger et donc d'atteindre les plats mis à leur disposition.
– Le supplice de Tantale, murmura Malbas alors qu'il arrivait à portée de sa réserve d'énergie. Il tendit sa seule main valide. Une bouche circulaire s'ouvrit au creux de celle-ci.
Reimu se détourna et revint à la porte. Réo avait atterri et continuait de batailler contre les mouches. Ses ailes étaient en train de se régénérer.
La miko eut du mal à retenir un juron. Mais maintenant, elle pouvait se concentrer sur ce qu'il fallait faire. Ils n'avaient pas besoin de défaire la horde d'insectes, seulement de les retarder.
Elle se rapprocha de la porte et commença à y placer des amulettes.

Malbas, quant à lui, avait fini son œuvre. A nouveau doté de deux bras fonctionnels, il avançait vers le fond du Hall. Il essuya la sueur ayant coulé sur son front. Il avait rarement été si mal en point.
A ce moment encore, il n'était pas au sommet de sa forme. Il sentait son bras le tirer et son cœur battre à un rythme anormalement élevé. Ses yeux allaient et venaient, cherchant une issue pour fuir cet endroit de malheur. Finalement, son regard se posa sur un ascenseur. Visiblement ancien, il était fermé par une grille rouillée. Un levier sur sa paroi droite permettait de descendre ou monter. Le seul problème venait de sa taille : Malbas doutait qu'ils tiennent à trois dedans. Mais Réo pouvait bien se transformer.
– Evidemment, il n'ira pas plus bas que le cercle suivant, remarqua le Dévoreur.
S'il allait bel et bien au cercle suivant. Malbas n'avait aucune garantie. C'était au moins plus engageant qu'une gueule sortant du sol. De toute façon, il n'avait guère le temps de se poser des questions.
Le plus important était de s'éloigner de cette armée de mouches. Ce faisant, il se retourna vers là d'où il venait.

(♪) De son côté, Réo piétinait. Il commençait à avoir de sérieuses difficultés à retenir ses adversaires. Acculé, il avait également du mal à cracher ses flammes. Combattre sous forme de dragon était plus éreintant que prévu.
– Réo ! Rentre, vite !
Le polymorphe ne se le fit pas répéter deux fois. Dans un éclat de lumière et d'éclairs carmin, il abandonna sa forme de dragon.
A nouveau humain, il fit volte-face et courut droit vers la porte ouverte. Le bourdonnement implacable des mouches lui apprit qu'elles le suivaient à la trace. En vérité, elles allaient même le rattraper.
Il vit que Reimu était accroupie, une carte de sort à la main. Concentrée, elle attendait visiblement le bon moment pour agir.
(– La prêtresse te couvre ! Je ne sais pas comment mais FONCE ABRUTI !), s'époumona mentalement Pride.
Qu'est-ce que je fais, selon toi ?!
A son grand regret, Réo ne pouvait pas utiliser la vitesse de la paresse, tant il n'était pas dans le bon état mental. Il ne pouvait pas imaginer ne serait-ce qu'une once de paresse en cet instant. Les premières mouches commencèrent à atteindre son dos et ses épaules, en arrachant la chair aussi aisément que du papier.
– Merde, merde, meeeeeeerde !
La distance se réduisait beaucoup trop entre lui et le peloton d'insectes carnivores. Heureusement, c'était également le cas entre lui et Reimu. A moitié en train de se faire dévorer, le polymorphe se jeta littéralement dans l'ouverture, se séparant temporairement de ses chasseresses.
A cet instant, Reimu plaqua carte au sol en énonçant :
– Divine Arts "Omnidirectionnal Demon Binding Circle" !

Une prodigieuse colonne de lumière orange dont Reimu était le centre se leva. Elle carbonisa les mouches à l'intérieur, ce qui correspondait à l'avant-garde de l'armada. La taille du pilier était telle qu'il faisait toute la largeur de la porte, empêchant les mouches d'entrer.
– Ferme la porte ! hurla-t-elle.
Malbas se mit en action. Usant de sa maîtrise de la terre, il manipula la porte de pierre pour qu'elle se referme violemment, alors que Reimu mettait fin à sa carte.
Les amulettes placées sur la pierre, y collant sans le moindre mal, s'illuminèrent. Un voile de lumière rouge enveloppa la seule entrée, suivit d'un son aigu insupportable. Un violent choc se fit entendre, accompagné d'un grésillement.
– La porte et scellée ! Faisons vite ! ordonna la prêtresse.
– Mais… voulut commencer Réo.
– Ferme-la et cours ! le coupa le Dévoreur en l'attrapant par les épaules pour le remettre debout et le pousser en avant.
Le polymorphe ne se le fit pas dire deux fois et se remit à courir. En arrière, les coups contre la porte continuaient, toujours accompagnés de grésillements.
– L'ascenseur est là ! indiqua Malbas en pointant du doigt leur destination.
Il n'eut pas le temps d'indiquer le problème de la taille qu'un fracas épouvantable se faisait entendre en arrière, accompagné d'un cri de rage et de douleur. Des morceaux de pierre volèrent dans toute la salle, écrasant les gloutons, les tables et manquant de peu d'aplatir les fuyards.
– Il est entré ! s'écria Réo.
Il entrait en premier dans l'ascenseur. Sans même faire attention, il avait dépassé ses deux acolytes. Il avait la main sur la grille.
– REIMU !!! tonna une voix monstrueuse, accompagnée de lourds pas.
La prêtresse concernée ne put s'empêcher de risquer un regard en arrière. Ses yeux s'écarquillèrent.

Progressant dans la salle, une forme haute de deux bons mètres approchait. Un colosse immonde, gras et fumant. Il était partiellement brûlé, ce qui était visible à son torse nu abominable. Des pattes insectoïdes s'extrayaient de son dos, encadrant des ailes translucides. Ses énormes mains agitaient l'air, mais ce n'était pas le pire. Sa tête était celle d'une mouche. Une mouche aux mandibules sans cesse en mouvement, déversant des torrents de bave acide sur le sol. Ses jambes, elles, étaient celles d'un bouc.
Plus loin, la porte et une partie du mur l'entourant étaient manquants.
Belzebuth, Roi du Troisième Cercle était entré.

Reimu eut un temps d'arrêt à la vision de ce cauchemar ambulant. Malbas la prit par la manche pour la sortir de sa torpeur et lui faire rejoindre l'ascenseur. Lequel était bien plus large que dans son souvenir. Finalement, ils pouvaient tous entrer.
Sans attendre, Réo ferma la grille, alors que Malbas abaissait le levier.
Un concert de crissement résonna alors que la cabine se mettait à descendre. De rage, Belzebuth cracha un énorme volume d'acide verdâtre dans la direction de l'ascenseur.
Trop tard. Il ne toucha que le mur se trouvant derrière, y creusant un trou. Plus bas, la machine accélérait, s'enfonçant plus profondément encore en Enfer.
Belzebuth en hurla de frustration. Mais il était loin d'en avoir terminé.

Il ne comptait pas les laisser lui échapper aussi facilement.
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Jealousy
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Chapitre 37 : Les brûlures de l'âme

"Les plus belles possessions des mortels ne sont ni leur or, ni leurs biens matériels. Ce sont leurs rêves et leurs espoirs.
C'est ce qui leur fait le plus mal lorsqu'on leur arrache."
Alastor


(♪) – Qu'est-ce qu'il fait chaud…
Ce fut la première chose que remarqua Réo alors que l'ascenseur s'arrêtait enfin. Dans un grincement, Malbas ouvrit la grille. Le décor qui se présentait à eux était bien différent du reste : ils étaient au bout d'un corridor sombre, éclairé par un liquide doré tombant de part et d'autres des murs en minces filets espacés de quelques mètres.
D'aspect, cet antre était fait de pierre taillée avec grand soin. Une chaleur étouffante prenait place et de la lumière dorée était visible au bout du couloir.
– On ferait mieux de ne pas rester là. Le gros risque de nous poursuivre, indiqua Malbas.
– J'ai qu'une envie, c'est m'effondrer et ne plus bouger, se plaignit le polymorphe.
– Ce n'est pas le moment, rétorqua Reimu.
Les bruits sourds venant d'au-dessus d'eux la confortèrent dans cette idée.
– Pas le moment du tout…
Ils s'avancèrent sans tarder. Pourtant, ils sentaient leurs forces diminuer. Le coup de stress précédent était passé et ils en ressentaient les effets. Pourtant, ils le savaient, ils n'avaient nul endroit où se reposer.
Rapidement, ils surplombèrent un puits. Il n'y avait pas d'autre mot pour désigner cette immense salle circulaire. Une cascade d'or fondu se déversait en son centre, si haut que le trio devait lever la tête pour essayer de voir le plafond. La luminosité les en empêchait.
Une corniche serpentait le long du puits, descendant doucement. Plusieurs ouvertures étaient visibles, menant sans aucun doute à d'autres couloirs. Des hurlements de douleur résonnaient de part et d'autre de l'endroit.

Le groupe se mit à descendre. La corniche menaçait de lâcher à tout moment. Elle s'arrêtait d'ailleurs bien avant d'arriver au lac d'or en fusion qui occupait le bas de la pièce. Des formes humanoïdes se débattaient à l'intérieur, brûlant pour l'éternité.
Comprenant qu'ils devraient chercher plus en avant, ils s'enfoncèrent dans l'un des trous du mur. Un nouveau couloir s'ouvrait à eux, plus large. Des formes étaient visibles tel cet être en robe de prêtre, écrasé par deux énormes croix chrétiennes de métaux et de pierres précieuses. Surchauffées, elles brûlaient tant qu'elles pressaient le corps du malheureux, se débattant sans succès.
Un peu plus loin, un trône supportait un roi dont la couronne toute aussi chaude était inversée, ses pointes s'enfonçant dans son crâne.
– Tout cette richesse pour finir comme ça, remarqua Malbas.
– L'Avarice a ses revers…
Réo grimaça. Il savait de quoi il parlait. Il avait trop demandé, trop voulu. Son pacte absurde lui procurait énormément de choses et à bien y réfléchir… Etait-ce vraiment la peine d'en demander tant ? Surtout vu le prix exorbitant qui allait avec.
(– Et c'est après tout ce temps que notre débilos national se réveille enfin. Arrête de te plaindre et fais avec.), railla un Pride visiblement lassé.
Sans répondre, Réo continua son chemin. Ou du moins, c'était l'idée.

Un grondement mécanique terrible fut audible. Les membres de l'expédition se regardèrent, inquiets. Puis subitement, le couloir se modifia.
La moitié qui était devant eux se sépara de leur partie. Ils se sentirent déplacés sur la droite, ce qui leur fit perdre l'équilibre. Ce "bras" qu'ils occupaient se déplaçait selon une trajectoire circulaire, le long du puits précédent. Ils se stabilisèrent subitement, avant de descendre, comme dans un ascenseur. Ils se stabilisèrent face à un nouveau segment de pierre taillée, plus long que celui qui les attendait originellement.
Endoloris par leur roulé-boulé dans le couloir, les trois sauveteurs mirent du temps à se relever. Heureusement que la descente n'avait pas été trop violente ou ils auraient eu les membres brisés.
– Ça… Ça va aller ? s'enquit le Dévoreur en se remettant debout.
– Oui, oui. C'était quoi ça ? demanda Reimu.
– Le couloir a changé. Quelque-chose me dit que c'est loin d'être la seule fois où ça va le faire. Nous voilà dans un labyrinthe sans cesse en train de se renouveler, grinça Malbas.
– Ça n'a pas que des points négatifs. Si Belzebuth nous suit, il aura du mal à nous retrouver, énonça la miko.
Elle n'avait pas tort. Réo fut bien obligé d'avouer que même en jouant sur l'odorat, retrouver la trace de n'importe qui serait bien compliqué. Les chemins s'arrêtaient bien trop brutalement, pour reprendre n'importe où d'autres. En théorie, ils étaient tranquilles.
En théorie.
Tous étaient conscients que cet endroit n'allait certainement pas leur faciliter la tâche. Quoiqu'il en soit, ils se remirent à avancer. Les murs étaient à présents remplis de silhouettes baignant dans l'or en fusion, emplissant l'air chaud de plaintes constantes.
– Par contre, trouver la sortie vers le Cercle suivant va être plus compliqué encore, nota le changeur de forme.
– On peut tourner en rond pendant une éternité, approuva Malbas.
– Nous n'avons pas ce luxe, remarqua Reimu.
Réo le savait bien mais il n'avait pas la moindre idée de la marche à suivre. Comment donc atteindre une destination sans cesse en mouvement ?
L'équation lui paraissait bien insoluble. Le polymorphe avait pris la tête sans vraiment y faire attention. Il s'épongea le front avec sa manche. La chaleur n'arrangeait vraiment rien et il mourrait de soif. Il ne pourrait pas étancher celle-ci avant un long moment, ça ne faisait aucun doute.
Il vit du coin de l'œil une forme dorée se balader au plafond et disparaître dans un creux. Nul doute que ce Cercle aussi avait son lot d'horreurs qui l'habitaient, en plus de celles que ses prisonniers subissaient. Dire que ce destin l'attendait sans aucun doute… Il essayait de ne pas y penser, mais Réo tremblait à cette idée. Enfin, il prenait toute la mesure de ses sottises. Sans parler du nombre affreux d'âmes, dont sa propre famille, qu'il avait expédié ici.

Le trio atteignit finalement un espace éclairé par une fontaine d'or bouillonnant au centre de celui-ci. Des monticules de pièces d'or et autres joyaux parsemaient la salle. C'était dans ceux-ci que se battaient des personnes dont la peau s'était métallisée, prenant une teinte grisâtre captant la lumière jaune environnante. Ces pauvres hères se frappaient dessus afin de récolter les précieuses richesses qu'ils lâchaient aussitôt et parfois poursuivaient. Reimu ne put s'empêcher de faire le parallèle avec sa propre quête en ces lieux maudits.
Ils ne semblaient pas s'approcher plus des âmes à sauver que les avares de leurs pièces. Au moins, ces prisonniers-ci ne leurs prêtaient aucune attention.
– Dire qu'avec une parcelle ridicule des richesses de ces lieux, nous serions tranquilles pour l'éternité.
Réo n'avait pas pu s'empêcher de dire cela. Il le pensait vraiment, même si prendre du butin ne le tentait pas vraiment. Il était certain que les objets des cercles grouillaient de malédictions en tout genre.
– Merci de nous rappeler que tu n'es pas qu'un envieux, lâcha Malbas.
Réo le regarda de travers.
– J'ai conscience de ce que je suis, merci. J'essaie de faire des progrès.
– C'est déjà ça, je suppose.
Reimu ne prit pas la peine de leur dire de s'arrêter. Elle était perdue dans la contemplation des avares, perdus dans leur quête éternelle.
– Regardez-les. Combien de temps doivent-ils faire cela ? Est-ce que cela a seulement une fin ?
Les deux garçons cessèrent de se regarder en chiens de faïence pour rejoindre la miko dans sa contemplation.
– Je ne sais pas. Mais rien qu'imaginer réduit à ça me donne des frissons, avoua Malbas.
– On ne sait même pas ce qu'il faut faire, vraiment, pour en arriver là. Méphistophélès juge par rapport à quoi exactement ? Un seul faux pas suffit à nous envoyer ici ? s'enquit le polymorphe.
Même si pour lui, il ne se faisait guère d'illusions. Son malaise ne faisait que croître.
– Je l'ignore. Je pense même qu'il vaut mieux l'ignorer. Nous ne pourrions pas vraiment profiter de la vie si nous connaissions tous ses tenants et aboutissants. Ce sont des règles qu'il vaut mieux garder floues, exposa la prêtresse.
Malbas opina.
– S'il faut un nombre de péché ou un montant, il n'y aurait qu'à s'arrêter juste avant. A moins que calculer ainsi ne suffise. Cela deviendrait trop compliqué. Si en plus il faut comparer avec nos bonnes actions, ça devient ingérable.
– Eh. Nos bonnes actions pour racheter notre âme…
Réo eut un rictus. Dans son esprit, Pride ricana.
(– C'est sans doute le seul moyen pour toi de t'en sortir, à moins de conclure un pacte qui t'exempt du séjour ici. En réalité, tu pensais y échapper en sacrifiant les autres mais le Diable t'a bien eu. Dans tous les cas, tu finissais ici. Finalement, le Malin porte bien son nom.)
Je te signale qu'on est dans le même bateau pour ça.
(– Tu crois ? Pas moi. J'ai juste été le guignol écrit dans le pacte et dans un manga pendant un sacré bout de temps. Je viens juste de commencer à avoir ma propre personnalité. Pas sûr que ça me mette à ton niveau.)
Il avait beau vouloir le cacher, la voix de Pride s'était teintée d'inquiétude.
Hebi Gurin n'est pas de cet avis, pas plus que tous ceux que tu as bouffé, même après notre arrivée à Gensokyo. Dans notre monde.
(– Hé, je fais qu'appliquer les merdes du pacte que TU as signé ! J'ai rien demandé, moi !)
Et Hebi ?
(– Légitime défense, ce serpent de malheur voulait notre peau. Tant pis pour Doku.)
– Et ça espère ne pas finir en Enfer en pensant comme ça…
(– Pardon monsieur parfait. Je sacrifierai ma famille la prochaine fois, et la nana sur qui j'ai un crush ridicule, je serai plus respectable.)
Réo ferma les yeux. Il le savait, d'eux deux, c'était au final lui le pire. Il n'était bel et bien qu'un monstre. Un monstre aux yeux verts. Et il ne voyait aucun moyen de se racheter ou d'amenuiser ses erreurs, en dépit de pouvoir les réparer.
En fait si… Je peux faire quelque-chose. Toutes ces âmes que j'ai envoyé ici, je peux les faires sortir.
(– Jolie intention, mais ça se compte en centaines. Vous galérez pour trois, tu ne sais même pas où ils sont… On ne peut pas changer le passé. Et ne pense surtout pas à un pacte, tu te ferais baiser.)
– En réalité il y a une autre solution mais…
Pride le coupa d'une voix sèche.
(– Je peux te jurer que je ferais tout pour t'en empêcher.)
Mentalement, Réo eut un maigre sourire. Il se doutait bien de cela. L'autre solution était tout bonnement d'annuler son contrat avec le Diable. Renoncer à ses pouvoirs, mais également libérer les autres âmes. Mais annuler tous ce que le contrat à créer revenait aussi à tuer Malbas et Pride.
A présent, ce n'était plus envisageable. Il lui faudrait trouver un autre moyen, mais il doutait vraiment d'y arriver.
Peut-être la seule chose qu'il pouvait réellement faire était bel et bien de se racheter ?
C'était en tout cas la seule piste valable à disposition. Restait à avancer dans ce dédale.

Malbas remarqua la sortie de la salle le premier. En revanche, ce fut Reimu qui vit l'araignée d'or qui lui sauta dessus depuis le plafond. Fort heureusement, elle l'intercepta d'un rapide lancé d'amulette. La tête formant le corps de l'araignée ne résista pas à la décharge de magie sacrée qui s'inséra dans sa structure et vola en éclats, arrosant le Dévoreur de poussière dorée.
Réo leva rapidement la tête. Merveilleuse idée puisque d'autres araignées tombaient des hauteurs. Elles ne posèrent néanmoins pas la moindre patte sur un seul membre du trio. Reimu les faisait exploser en une myriade de particules étincelantes en les bombardant de projectiles sacrés, sans vraiment tenir compte de leur apparence. A moins que cela ne joue au contraire. C'était difficile à dire mais le résultat était là : l'assaut des créatures fut très rapidement déjoué.
Les seuls bémols venaient de la poudre d'or couvrant le trio. Cela aurait pu n'être qu'un détail si les avares ne se tournaient pas de plus en plus vers eux pour les détailler avec insistance.
– On dirait qu'il va encore falloir courir, nota Malbas.
– Nous pouvons tout aussi bien voler, il faut juste faire attention aux parois, nota Reimu.
Il fallait dire que les couloirs n'étaient pas spécialement larges. Réo allait pouvoir suivre mais il se transforma en aigle noir pour cela. Ils évitèrent ainsi un combat qui aurait pu être bien fastidieux.

Malheureusement pour eux, ils n'avaient pas plus d'indice sur la direction à prendre. Le labyrinthe souterrain continuait, enchaînant les cascades d'or et les supplices infligés aux avares. Cela en devenait presque habituel, une pensée qui empli Reimu de terreur. Si elle commençait déjà à glisser vers l'indifférence devant la souffrance, qu'est-ce que cet endroit allait finir par faire d'elle ?
La pensée la fit ralentir. Qu'était-elle donc en train de se dire ? Que tout ceci ne comptait pas ? Que ces pauvres gens n'étaient que du décor ?
– Reimu ? Que t'arrive-t-il ?
Malbas s'était stoppé, se tournant vers la prêtresse. Il voyait son visage, légèrement doré par la cascade d'or en fusion à leur droite.
– Je…
Reimu cligna des yeux. Elle avait l'impression de s'être pris un coup de poing dans l'estomac.
– Je ne me sens pas bien, confia-t-elle. Je… C'est cet endroit.
Malbas regarda ce couloir identique à tous les autres d'un air sombre.
– L'Enfer n'est accueillant pour personne. Plus nous passons de temps ici, plus il risque de se refléter en nous. Il a déjà failli nous…
Il se coupa. Cela suffisait. Inutile d'en rajouter. Tout le monde se souvenait parfaitement du second cercle. De ce qui s'y était passé et avait bien failli se produire.
Le Dévoreur considéra un instant la jeune femme. Il n'avait pas idée de ce qui se passait dans son esprit mais nul besoin d'être psychologue pour comprendre que cela commençait à faire trop. Beaucoup trop.
A ce rythme, elle allait craquer avant d'atteindre le cercle suivant. Elle ne serait sans doute pas la seule. Malbas lui-même se sentait de plus en plus mal, même s'il le cachait du mieux qu'il pouvait.
– Euh les gens, je veux bien admettre qu'on aurait bien besoin d'une pause mais…
Malbas jeta un regard noir au polymorphe, lui indiquant que garder le silence pourrait être une bonne idée. Le regard inquiet de Réo se posa sur Reimu et il admit en son for intérieur que, finalement, une pause était nécessaire.
Ils allaient dans tous les sens depuis bien trop de temps. S'asseyant au sol, Réo perdit son regard dans l'or fondu.
Ils restèrent comme cela un moment. Difficile de dire combien de temps, celui-ci était capricieux en Enfer. A tel point que si la fatigue s'installait, ce n'était pas le cas de la faim, surtout pour Réo qui avait déjà fait un festin de gloutons.
La chaleur en revanche appelait la soif, chose qui ne saurait être satisfaite en ces lieux.
Puis sans crier gare, le couloir changea.
(♪) Un concert de rouages et cliquetis sépara la ligne de roche en deux. Les cris des avares écrasés dans le processus résonnèrent, alors que le trio était envoyé dans tous les sens, n'évitant que de peu une plongée dans l'or bouillonnant.
Utilisant leurs capacités de vol, Reimu et Malbas étaient ceux s'en sortant le mieux. Réo eut juste le temps de se recouvrir de carbone avant de commencer à percuter les murs. Lorsque le chaos de métal et de roche redevint normal, il se releva en retrouvant une peau normale.
– Ah bon sang, ça réveille.
Reimu lui hurla de faire attention mais le changeur de forme n'eut pas le temps de bouger. Une violente douleur secoua son être au niveau de l'abdomen. Il regarda, hébété, le crochet de boucher qui en sortait, avant qu'il ne sente une brûlure atroce se répandre dans son corps et son esprit. Un violent coup en arrière et l'arme se décrocha, arrachant tant la chair qu'autre-chose.
Réo fut incapable de dire ce dont il s'agissait. Il y eut comme un claquement dans sa tête, un déchirement comme jamais il ne l'avait ressenti. Il s'affaissa, comme vidé, alors que la combustion de Malbas faisait une explosion.
Visiblement sans grand effet puisqu'un rire démoniaque retentit.

– Ce n'est pas toi que je voulais en priorité mais tant pis. Il est temps pour toi de te rendre compte de ce que tu redoutes.
Reimu envoya une volée d'amulettes qu'un mur de flammes avala. Des flammes dont elle ressentait la chaleur jusqu'aux tréfonds de son âme, provoquant un malaise atroce. Elle détaillait ce nouveau venu, lequel faisait des moulinets avec sa chaîne, terminée par le crochet. Celui-ci, autant en fusion que sa chaîne, était en plus entouré d'une forme noirâtre, se lovant autour.
Le détenteur de tout cela était un démon, vêtu d'une sombre armure de cuir parsemée de clous, crochets et instruments de torture. Sa tête était déformée pour rendre sa bouche trop grande et son sourire permanent proche de celui du Chat du Cheshire. Sa peau était également rougeâtre, à croire qu'il avait baigné dans du sang.
– Qu'est-ce que tu as fait ? tonna la prêtresse.
– Ce que je fais le mieux. Infliger le supplice approprié. Cet endroit est une prison et j'en suis son bourreau : Alastor.
Joignant le geste à la parole, il changea le crochet au bout de sa chaîne par un crochet vierge, laissant celui occupé par cette ombre pendre au niveau de sa taille.
Il fit ensuite tournoyer cette arme pour se protéger des amulettes, avant de générer de nouvelles flammes si particulières qu'il envoya vers Malbas, sans grand succès.
Le Dévoreur attrapa Réo et le tira en arrière. Il trouvait le changeur de forme bien pâle. Malgré son aversion, il sentit une pointe d'anxiété.
Qu'est-ce ce type avait fait exactement ?

Difficile de savoir alors que le tortionnaire reculait sous le déluge que lui décernait Reimu. Il ne devait pas avoir l'habitude de se battre, remarqua la prêtresse en évitant la pointe de son crochet. Elle dût tout de même reculer pour que le coutelas qu'il avait pris dans sa main droite ne la touche pas. Elle se coula sur sa droite et envoya son pied droit dans la tête du démon, forcé de reculer sous l'impact. Cela empira lorsqu'un sceau éclata sur son torse.
Néanmoins, Reimu entendit un bourdonnement approchant. Elle se crispa, alors qu'Alastor souriait d'autant plus.
D'un geste, il conjura une dizaine de chaînes enflammées, jaillissant des murs et du sol. Seul un pilier d'énergie sacrée invoqué par Reimu permit de s'en débarrasser.
– Il faut s'en aller ! indiqua-t-elle à Malbas, lequel portait à présent Réo.
– Je veux bien mais je me vois mal voler avec lui sous le bras ! contesta le Dévoreur.
Reimu évita un nouvel assaut et repoussa Alastor d'un grand coup de goheï surchargé de magie. D'un coup d'œil, elle vit les premières mouches approcher. Cherchant dans sa tenue, Reimu sortit une poignée de carrés de papiers. D'une incantation, ils brillèrent de bleus et se posèrent sur les murs. Ils formèrent ainsi un écran bleuté qui brûla les mouches entrant à son contact.
De quoi gagner quelques précieuses secondes, le temps que Belzebuth reprenne sa forme démoniaque. Malbas joignit ses mains et les posa au sol. Celui-ci se modifia pour former un mur, lequel se mit derrière la barrière de Reimu.
Tenant Réo, il abandonna le vol pour la géomancie, déplaçant la roche sur laquelle il se tenait. Avoir un environnement normal était vraiment beaucoup plus agréable.
– Holy Relic "Yin-Yang Sanctification Jade"

Un orbe yin-yang bleuté se forma devant la prêtresse avant de filer sur Alastor. Percuté de plein fouet dans une atroce odeur de soufre et de brûlé, il fut propulsé en arrière et s'écrasa contre le mur de Malbas.
Cela présagea de son effondrement et de l'arrivée de l'immonde archidémon aux attributs de mouche. Lequel vit une fois de plus ses proies s'enfuir, le faisant hurler de rage.
Il repassa sous forme de mouches pour les poursuivre, alors qu'Alastor prenait le chemin inverse. Malgré sa défaite, il souriait toujours autant et regarda son trophée avec une certaine joie.
Il était loin de repartir les mains vides.

– Il est toujours là ! hurla Malbas.
– Je sais ! répondit Reimu.
Les deux effectuèrent un virage serré sur la droite, bien obligés de suivre l'unique chemin proposé par le couloir actuel. Aucun ne savait comment distancer Belzebuth avec certitude et ils n'en avaient aucune quant à l'issue d'un affrontement avec lui.
Même en cas de victoire, rien ne disait qu'ils seraient capables de continuer leur périple.
– Comment on fait ? On ne va pas pouvoir faire ça éternellement ! remarqua le Dévoreur.
Il jeta un regard à Réo. Il lui paraissait… Vide. Aussi vide qu'il était amorphe. Reimu était toute aussi alarmée par son état, mais elle avait d'autres choses à s'occuper en priorité. Elle remarqua les nouvelles sources d'or fondu.
– Malbas, il doit y avoir tout un stock de métal en fusion au-dessus, regarde là ! fit-elle en désignant une véritable cascade.
Ils allaient d'ailleurs passer tout près de celle-ci. Les mouches continuaient de les suivre, elles étaient à moins de dix mètres de distance.
– Je vais essayer…
Malbas était plus en arrière que Reimu. Il prépara son bras droit, dépassa la cascade et utilisa une fois encore sa combustion. Le rayon transparent percuta la jointure entre le plafond et le mur d'où coulait le liquide aussi précieux que brûlant. Le plafond se fissura avant de s'effondrer littéralement, libérant un torrent d'or sur les mouches.
De quoi enfin donner une confortable avance aux fuyards. Ils débouchèrent sur une nouvelle grande chute de métal et d'âmes, s'étendant sur l'équivalent de plusieurs étages.
Il n'y avait aucune corniche cette fois. Si descendre en volant était une idée intéressante, mais nécessitant un minimum de doigté pour ne pas finir brûlés, Malbas avait une autre option. Il utilisa simplement sa géomancie pour former une plate-forme de roche qu'il fit descendre le long de la paroi, droit vers le bas. Plusieurs tunnels étaient visibles.

Pendant ce temps, Reimu était au chevet de Réo. Celui-ci était toujours apathique, éteint. Jugulant comme elle pouvait le début de panique qui s'installait, elle plaça des carrés de papiers sur lui, commençant là un examen dont elle seule avait le secret. Le Dévoreur la regarda du coin de l'œil, se demandant ce qu'elle trafiquait. Cela brillait de blanc mais c'était bien la seule chose qu'il pouvait remarquer.
Cela jurait avait l'enfer environnant. A tel point que cette chandelle dans la nuit avait quelque-chose d'apaisant.
– Son âme a été touchée, commenta sobrement la miko.
– Tu es sûre ? Il n'est pas tout seul là-dedans.
– Je sais… Les autres âmes sont encore là mais… C'est bizarre, je sens qu'il y a un vide anormal.
– Tu peux le sortir de cet état ?
– J'essaie…
Malbas se tut, laissant Reimu faire ce qu'elle devait. Ignorant ses incantations, il regarda autour. Ils ne tarderaient plus à atteindre un tunnel et il déplaçait leur plate-forme en conséquence.
Le Dévoreur ne pouvait s'empêcher de s'étonner. Pourquoi diable s'inquiétait-il, même un peu, pour le changeur de forme ? Il n'avait que ce qu'il méritait et encore, c'était bien trop peu. A moins que ce ne soit simplement la crainte d'avoir un poids mort dans l'équipe ?
Malbas doutait et il n'aimait pas cela. En vérité, il était même lassé de toujours douter. Quand arriverait-il enfin à se poser ?
Ses pensées dérivèrent vers Koakuma. Il s'était si bien senti avec elle… Aussi vite, cela en était presque ridicule. Il serra les poings en repensant à la manière dont il s'était fait avoir dans le cercle de la luxure. Une fausse Koakuma… C'était si idiot.
Si idiot que cela avait fonctionné. Malbas avait complètement perdu ses moyens et sans Réo, il doutait d'avoir pu s'en sortir.
Etait-ce pour cela qu'il s'en faisait pour lui, maintenant ? Malgré sa haine à son égard, y avait-il à présent une sorte de gratitude ? Après tout c'était aussi grâce à lui qu'il était en vie.
Une vie qu'il commençait enfin à imaginer autrement qu'en dévorant tout le monde. Avec l'aide d'Eirin Yagokoro, nul doute qu'il pourrait vivre normalement. Aussi normalement que possible en essayant de se racheter, plutôt.
Encore fallait-il réussir à revenir à Gensokyo.

Malbas fut sorti de sa rêverie par l'inspiration de Réo. Il était enfin revenu à lui. Reimu retira ses amulettes et l'aida à s'asseoir.
– Ça va ? Comment tu te sens ?
Le polymorphe ne répondit pas tout de suite. Il respirait vite et fort. Nul ne le pressa mais tous virent son expression. Il était paniqué.
– C'est pas vrai…
– Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit Reimu.
Réo tourna vers elle un visage décomposé.
– Pride… Il a disparu ! Il n'est plus là !
Reimu pâlit.
– Comment ça ?
– Ce type… Alastor… Il l'a arraché ! Il nous a séparés !
L'affolement du changeur de forme était total. Reimu posa ses mains sur ses épaules.
– Calme-toi ! On… On va le retrouver…
– Il est peut-être mort ! Je ne sais pas s'il peut survivre sans être avec moi ! C'est pas vrai…
Reimu lança un regard à Malbas.
– Je… Je pense plutôt qu'il l'a emmené ailleurs. Il se serait vanté de l'avoir tué…
Le Dévoreur n'y croyait pas lui-même. Il sentait l'inquiétude le gagner à son tour. Pride et Réo avait toujours été ensemble, personne ne savait ce qui pouvait se passer en cas de séparation.
C'était encore plus incertain en ces lieux où âmes et corps semblaient indissociables. S'il était également emprisonné, cela faisait une quatrième personne à aller chercher. Sachant que cette fois-ci, ils n'avaient aucune indication pour le retrouver.
La situation devenait critique. Le bourdonnement de mouches approchant n'arrangeait rien. Reimu leva la tête. L'essaim qu'était Belzebuth approchait depuis le haut de la salle, mais il était encore loin.
– Réo, tu peux te lever ? Je suis désolée pour Pride mais nous devons partir d'ici au plus vite !
Sans vraiment attendre de réponse, la prêtresse aida le polymorphe à se mettre debout. Il tremblait, mais tenait tout de même sur ses deux jambes. La plate-forme de Malbas avait fini par rejoindre le tunnel et ils s'y engagèrent aussitôt. L'alchimiste se permit même de boucher l'entrée avec la roche amenée jusque-là.

L'équipe traversait un nouveau couloir. Il était affreusement long, constellé une fois encore d'âmes torturées dans la richesse qu'elles avaient convoitée de leur vivant. Entre celles avalant de force des joyaux et les autres broyées par de riches engrenages, c'était un nouveau temple de la torture qui se montrait.
Pourtant, le trio put voir sa fin. Une plate-forme d'or était subitement visible, au fond du corridor. Large de cinq mètres, circulaire, elle était pourvue d'un levier.
– Je suis sûre que c'est là ! leur cria Reimu.
Tous espéraient qu'elle ait raison. Ils se mirent au centre et actionnèrent le levier. Les engrenages du couloir s'actionnèrent plus vite encore et ce fut dans les hurlements de douleur des prisonniers des lieux que la plate-forme s'enfonça dans le sol.
Les membres du trio se regardèrent. Ils venaient de passer un cercle. C'était à présent avec une certaine appréhension qu'ils atteignaient le cinquième cercle, celui de la colère.

Il avait froid. Si froid.
C'était la seule et unique chose qu'il pouvait ressentir, la seule sensation que son esprit arrivait à concevoir. Un froid glacial, le gelant corps et âme.
Jamais il n'avait ressenti ça. Incapable de juguler la terreur l'envahissant, il n'était pas habitué à cette émotion, il s'agita. Ou plutôt essaya, car il se rendit compte que son corps entier était pris dans la glace.
L'obscurité l'entourant était ainsi due au fait que ses yeux étaient fermés, mais il ne s'en rendait compte que maintenant.
Où était-il ? C'était comme s'il se réveillait.
Pride pesta, signe que son esprit commençait à faire la part des choses. Que lui était-il arrivé ?
Il ne le savait pas. Il ne parvenait pas à se rappeler, pas même à penser correctement.
Il n'y avait que le froid. Le froid absolu qui gommait tout ce qui existait.
Le froid et la peur. Il était seul. Si seul…

Réo aussi sentait le poids de la solitude. Il entendait pourtant encore les âmes au fond de son être, emprisonnées et hurlant de douleur.
L'absence de Pride créait un trou béant. Un gouffre comme jamais il n'en avait connu. Quelle ironie, lui qui avait bien souvent souhaité en être séparé. Maintenant que c'était fait, il se rendait compte qu'il n'y gagnait que bien peu au change. Il s'était tant habitué à la présence de son ombre que ce vide l'effrayait.
Pourvu que Pride aille bien.
– Glauque, releva Reimu.

Le trio marchait dans le cinquième cercle. Il s'agissait d'une étendue boueuse, coupée en deux par un fleuve absurdement large. De l'autre côté, au loin, un volcan rougeoyait dans la pénombre. Il faisait plus frais et plus humide, cela contrastait énormément avec le cercle précédent. Au point que cette moiteur était difficilement supportable.
Le commentaire de Reimu était lié aux silhouettes se noyant dans l'eau sale, alors qu'un véritable de tapis de nageurs se battait en surface. Leurs mouvements et leurs corps empêchaient les noyés de remonter et respirer.
– Pour cette fois, on peut voler je pense, nota la prêtresse.
Décision prise à l'unanimité. Le trio s'envola, commençant par longer le fleuve. Difficile de savoir s'ils devaient aller vers le volcan ou suivre l'eau. Ils pouvaient estimer le point de départ du fleuve avec la position de leur ascenseur, ce qui leur permettait de le suivre dans le bon sens.
Encore une fois, Reimu eut un sursaut de stress en se rendant compte qu'elle s'habituait aux lamentations des torturés.
– Tout est de ma faute, murmura le polymorphe malgré sa forme d'aigle noir.
– Oui, lui asséna Malbas.
Leurs regards se croisèrent. Reimu était devant eux, ce qui leur permettait de parler sans trop se soucier de ce qu'elle écoutait ou non.
– Pride s'est retrouvé dans sa situation à cause de toi. Certes, tu es la cause de sa naissance mais n'être qu'un spectateur n'est pas vraiment une existence enviable.
– Nous avons déjà parlé de ça lui et moi.
– C'est bien. Mais si on le retrouve, vous ferez quoi ? Si vous avez le choix.
– Je… On… On verra…
La réponse aurait dû sembler évidente. Pourtant, Réo se rendait compte que c'était tout l'inverse.
Ils restèrent silencieux un moment.
– Tu as peur de te retrouver tout seul, comme avant ton pacte. C'est pour ça que tu n'as pas vraiment envie que Pride soit totalement indépendant. Comme tout ce que tu fais, c'est égoïste.
– T'as fini de vouloir à tout prix me les hacher menu ?
Malbas soupira. Mais sa voix cachait de plus en plus mal sa colère.
– Ça ne veut pas rentrer. Tu te rends compte qu'on en est en partie là parce que tu ne veux pas admettre tes conneries ?
– Je les admets, c'est juste inutile de ressasser cela toutes les deux minutes !
C'était au tour de Réo de perdre son calme.
– Permets-moi de douter de la véracité de cette affirmation, continua Malbas.
La tension montait à chaque phrase. Réo reprit même forme humaine, se maintenant en l'air à l'aide de deux ailes de chauve-souris. Le Dévoreur et lui se regardaient dans les yeux. La haine les animant se changeait en rage. Ils tremblaient d'envie de se jeter l'un sur l'autre et déchaîner cette fureur qu'ils ressentaient depuis le début de leurs existences communes.
Le goheï de Reimu, tendu entre eux, les coupa dans leur élan.
– Cela suffit vous deux ! Nous avons assez de problèmes comme ça !

Les regards convergèrent vers la prêtresse. Elle les jaugeait avec sévérité.
– Vous êtes encore en train de tomber dans le panneau ! Ce cercle vous affecte comme celui de la luxure ! N'êtes-vous pas fichus de le voir ?
La situation l'agaçait. Cela sautait aux yeux.
– Mais…
La miko coupa Réo.
– Mais rien du tout ! Nous mettons bien trop de temps à cause de vos querelles ! Vous avez déjà fait bien assez de dégâts comme ça, hors de question qu'on perde Marisa et les autres car vous vous étripez ! Sans compter qu'il faut aussi retrouver Pride qui, je vous le signale, m'a causé moins d'ennuis que vous deux !
– Tu exagères, il voulait aussi dévorer les gens ! s'emporta Réo.
– Il n'a fait qu'une victime et n'a jamais recommencé après mon avertissement à son sujet. Certains ici ont fait plus !
– Il le faisait par plaisir, je le fais pas nécessité ! s'énerva à son tour Malbas.
– Je te signale que Nue et Murasa sont là par ta faute ! Et toi, Réo, dois-je te rappeler tout le bordel que tu as foutu à ton arrivée ?! J'ai exterminé des yôkais pour bien moins que ça !
Le contraste était saisissant. Les membres du trio avaient perdu toute forme de calme. Plus que tendue, la situation était explosive.
– Alors essaie donc, je t'attends, prêtresse ! fit le Dévoreur en se mettant en garde.
– Les leçons de morale à deux sous, ça commence à bien faire ! renchérit Réo.
Reimu se préparait à envoyer des amulettes sur lui mais une voix les héla depuis le fleuve.
– Ohé, du bateau, vous avez fini de vous crier dessus ? J'entends que vous !

Tous baissèrent la tête. Le fleuve de corps et d'eau accueillait désormais une barque. Celle-ci n'était pas inconnue puisque Komachi était dedans. Mains sur le manche de sa faux plongée dans le fleuve, elle regardait les autres d'un air aussi railleur qu'inquiet. Hébétés, ils ne réagirent pas tout de suite. Le temps que la pression retombe et qu'ils se rendent compte de ce qu'ils avaient dit.
Le temps aussi que l'influence du cercle retombe. Calmés comme par magie, interloqués et honteux, ils descendirent pour rejoindre la passeuse.
– Bah alors qu'est-ce qui vous arrive ? s'enquit-elle lorsqu'ils furent à bord.
Ils se regardèrent, gênés. Ce n'était vraiment pas glorieux.
– C'est… Cet endroit, commenta sobrement Reimu.
– Quoi cet endroit ? Il est moche, oui, mais bon.
La barque de la passeuse ne semblait guère souffrir du mouvement incessant des coléreux se battant et se noyant. Leur présence ne causait qu'un balancement léger, aisément oubliable.
– Mais que fais-tu ici ? s'enquit finalement Malbas.
La question, sensée, avait aussi le mérite de lui permettre de reprendre contenance.
– Un type en blanc m'a expliqué les termes de votre pari nul avec Méphistophélès. Je me suis dit que je pouvais venir afin de vous récupérer et vous ramener directement à Limbo. C'est mieux que de devoir se trimballer les âmes et refaire tout le trajet en sens inverse, non ?
Eberlués, les explorateurs infernaux ne répondirent pas tout de suite. Komachi les regarda un à un.
– Bah quoi ? fit-elle innocemment.
– Tu nous sauves la vie. Merci. Je crois que nous n'aurions jamais pu faire le retour.
Reimu avait parlé avec une émotion certaine. Un poids immense quittait ses épaules. Consciente qu'ils pouvaient enfin se poser, elle se laissa même tomber, plus qu'elle ne s'assit, dans l'embarcation.
Ses deux compagnons d'infortune l'imitèrent.
– Merci, vraiment, renchérit Malbas.
– Ouais merci… Mais tu ne risques pas d'avoir des ennuis avec Sheik… Ski… Ta patronne ? demanda Réo.
Il ne pouvait s'empêcher de maudire les noms des habitants de Gensokyo. Pour toute réponse, la femme aux cheveux rouges haussa les épaules.
– Bah, même si elle s'énerve, ça ne changera pas de d'habitude. Et puis Méphistophélès n'a jamais dit que c'était interdit, si ?
– Pas que je me souvienne, répondit Reimu.
– Alors tous les coups sont permis ! J'ai quand même envie que vous réussissiez, vous savez.
– Ça ne dérange pas si on prend une pause ici du coup ? On en a bien besoin, argua Réo.
Il se sentait vidé.
– Faites donc. Je vais vous faire avancer pendant ce temps.
Sans ménagement, Komachi arracha sa faux des mains d'un coléreux s'y agrippant et s'en servit une fois encore pour pousser la barque. Personne ne fit de commentaire sur l'impossibilité physique de la chose, à moins que la faux ne puisse s'allonger de plusieurs mètres.

Ils avaient d'autres priorités, axées pour le moment sur le repos. Ils ignoraient quelles horreurs les attendaient mais ils n'allaient pas laisser filer cette opportunité de répit. L'occasion pour eux de se rendre compte d'à quel point ils étaient éreintés. Cela remplit Reimu d'effroi : comment auraient-ils pu continuer dans cet état ?
Ils se seraient effondrés en plein milieu du cercle suivant. Pour peu qu'il l'ait atteint. Le doute s'installait de plus en plus dans l'esprit de la prêtresse.
Elle se sentait vraiment épuisée et savait ne pas être la seule. Dans quel état était Réo, maintenant qu'il était seul ? La jeune femme ne pouvait s'empêcher d'angoisser au sujet de Pride. Comme si récupérer Marisa, Murasa et Nue ne suffisait pas !
S'ils le retrouvaient. Ils n'avaient pas la moindre idée de sa localisation.
Mais ils devaient le retrouver. Il avait beau être détestable, il ne méritait pas ça. Pas alors que Youmu l'attendait de pied ferme. Pas alors qu'il changeait pour devenir quelqu'un de… Meilleur ? Par rapport à ses débuts, tout de même…
C'était la même chose pour Réo et Malbas, bien qu'elle fût toujours méfiante quant au dernier. Mais son intuition lui disait que c'était réel.
D'un autre côté, elle faisait aussi confiance à Eirin. La doctoresse n'était pas du genre à pouvoir être trompée facilement.
L'esprit de la miko alla vers ce qui avait failli se passer dans le cercle de la luxure. Elle faisait de son mieux pour éviter d'y penser mais ce n'était pas chose aisée. C'était la première fois qu'elle se retrouvait dans une telle situation. C'était si…
La jeune femme se recroquevilla. Cela la rendait malade.
Elle songea alors à ce qui avait failli se passer juste avant. Cette fois, ce fut la honte qui la submergea.
– Les gars… Pour tout à l'heure, je suis désolée…
Elle vit Réo, l'air las. Il lui fit un sourire forcé.
– Pareil. On s'est encore fait avoir comme des bleus.
– Je m'excuse également. J'aurais dû m'y attendre.
– Vous n'avez pas l'air fins, encore, nota Komachi.

Cela leur rendit un semblant de sourire, fugace mais nécessaire. Ils repartirent ensuite dans un simulacre de repos.
La barque continuerait son chemin sans interruption dans ce paysage affligeant de monotonie et de souffrance. Difficile, une fois encore, pour les passagers d'estimer le temps qu'ils passaient là. Nul doute néanmoins que cela leur fit un bien fou.
Ainsi, quand la barque accosta sur une rive noircie, rocailleuse et aux veines ardentes, le trio était reposé. Du moins, autant qu'ils le pouvaient en Enfer.
– Je ne peux pas vous emmener plus loin. Je vais vous attendre là, du coup. Si j'en crois mon pote Charon, le cercle suivant est par là-bas ! Ramenez-moi les autres et on se tire !
– Merci Komachi. Tu nous rends vraiment un fier service.
La passeuse sourit à la miko.
– Tout l'plaisir est pour moi !
La femme aux cheveux rouges dit la même chose aux deux autres qui la remercièrent à leur tour. Puis elle s'assit dans sa barque, les regardant s'éloigner.
Ils allaient vers le volcan. Le cercle de la colère avait perdu son apparence marécageuse, la troquant contre celle d'une lande dévastée par des éruptions volcaniques répétées.
Parmi la cendre et l'obsidienne, des silhouettes humaines étaient visibles. Elles étaient figées dans une robe de poussière ardente, tels les amants de Pompéi. Les flammèches s'allumant parfois ainsi que leurs lueurs orangées indiquaient que leur étouffement était encore allié à la brûlure. Mais aucun cri, aucune plainte n'émanait d'eux.
Cela rendait ce spectacle encore plus glaçant.

La température avait à nouveau grimpé, continuant son ascension au fur et à mesure que le groupe avançant vers la montagne de feu. Laquelle ressemblait de moins en moins à une véritable bouche de feu et de roche.
Diverses rivières de lave s'en échappaient. Pourtant, au bout du chemin, le trio put voir que la montagne était faite de corps suspendus en l'air par des chaînes se perdant dans le ciel noir. Ils étaient un nombre incalculable, figés dans les airs, écartelés sans que leurs hurlements n'atteignent le sol.
Cet édifice gigantesque n'était pas fermé. Il était tel un cocon pour une ville, ceinte d'une haute muraille. De loin, on en discernait quelques bâtiments embrasés, assez hauts pour passer l'enceinte.
Laquelle était au bord d'une falaise s'enfonçant dans un abîme de noirceur et de lave, uniquement éclairé par les cascades de roche en fusion s'y déversant. L'exception était un unique pont de pierre, aux énormes proportions. Orné de gargouilles sur les côtés, posant un genou à terre, il menait à une porte de métal noir de plusieurs mètres de haut.
– On vole par-dessus ? s'enquit un Réo bien peu en confiance.
Le groupe n'avait pas encore emprunté le pont.
– Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement, nota Reimu.
Elle-même manquait de conviction. Néanmoins, cette idée fut retenue et ils s'envolèrent, pensant passer par-dessus la muraille.
Ils en furent incapables.
A peine atteignirent-ils le niveau de l'enceinte qu'ils furent assaillis par une horrible chaleur. Tel le feu de l'enfer, elle attaquait l'esprit et la chair, les forçant à faire marche arrière.
Ils atterrirent sur le pont, à mi-distance de la porte, tremblants.
– Bon sang, je me disais bien que cela aurait été trop simple, maugréa Malbas.
– Alors tu n'avais qu'à le dire ! contesta Réo.
– Du calme vous deux, ordonna Reimu en se remettant debout.

(♪) Un rugissement terrible lui répondit, provenant de l'abîme.
– Quoi qu'on fasse, il va falloir faire vite ! paniqua Réo.
Ils repartirent, à pieds, vers la porte. Mais ils furent une nouvelle fois interrompus. Non pas par un phénomène magique mais par la main gigantesque qui frappa le sol juste devant eux. Un démon colossal se hissait à leur niveau, grimpant sur le pont.
Haut de plus d'une dizaine de mètres, son corps était embrasé de feu infernal. La peau brûlée était noircie, la chair exposée rougie et ardente. Aux flammes s'ajoutaient un semblant d'armure d'or, simples brassards s'affinant en de longues pointes allant vers l'arrière. De telles pointes formaient de grandes cornes à la créature au visage rappelant fort celui d'un humain, bien que déformé. Ses yeux n'étaient que deux points de lumière jaune. Son nez large était plus proche de celui du taureau que de l'homme. Quant à sa gueule dépourvue de lèvres, elle était figée dans un rictus mauvais. Dans son dos, deux moignons d'ailes s'agitaient.

La créature agita ses doigts griffus, certains ornés de bagues armures. Ses membres tenaient plus du reptile que de l'humain. L'immense monstre leva son bras droit et balaya l'espace devant lui. Sa taille ne l'handicapait pas trop, lui permettant de se mouvoir à une vitesse non négligeable.
Cela n'empêcha pas ses adversaires de s'envoler juste à temps pour ne pas être propulsés dans le précipice, avec l'intégralité de leurs os réduit en miettes. Cependant, le démon avait un autre tour dans son sac, qu'il montra en inspirant avant de cracher un flot de flammes.
L'action surprit mais fut bien trop lente, cette fois. Reimu passa à côté sans faillir et envoya ses amulettes sur le visage du démon. Cela le fit reculer d'un pas et attira son attention, mais Reimu devait à présent manœuvrer pour ne pas être fauchée.
Réo, lui, était bien plus embêté. Il était retourné au sol mais avait bien du mal à blesser la créature.
Il voulut trancher son mollet droit en utilisant sa Lance Ultime. Malheureusement pour lui, la chaleur corporelle du démon était telle que les doigts allongés se brisèrent au contact de la chair de feu, n'entaillant celle-ci que peu.
Le métamorphe ne put contenir une exclamation de douleur alors que sa main redevenait normale. Ce fut toutefois avec surprise qu'il vit que les éclairs accompagnant sa régénération n'étaient plus rouges. Ils étaient passés au vert émeraude.
– Ça ne sert à rien ! commenta Malbas alors que l'explosion qu'il générait sur le bras gauche du monstre ne lui faisait pas de grands dégâts.
– Que fait-on alors ? lui hurla Reimu.
Elle plongea pour éviter de se faire happer par le démon géant et envoya de nouveaux projectiles sacrés sous le bras, touchant l'aisselle. Cela fut plus efficace, vu la fumée et l'odeur de soufre qui s'échappa, accompagnées du grognement du géant. Cela l'énerva aussi et il déversa un nouveau fleuve de flammes sur la prêtresse, en vain.
Gensokyo avait eu le mérite de bien former la miko et elle n'avait pas son pareil pour éviter les attaques adverses. Celles de ce titan enflammé lui paraissaient presque pataudes.
Cela ne résolvait pas leur problème principal : pénétrer dans la cité infernale.
– Il faudrait qu'il frappe la porte ! s'époumona Malbas.
– J'ai déjà son attention ! nota Reimu, laquelle alla vers l'extrémité du pont.
Le démon la suivit, s'approchant ainsi de leur objectif. Il essaya encore de toucher la prêtresse, sans grand succès. Elle jouait à un jeu dangereux, n'évitant plus que de justesse les assauts répétés du monstre.
Mais la stratégie s'avérait payante, les poings ardents touchaient de plus en plus la porte, jusqu'au moment où une ouverture suffisante pour passer fut créé.

La créature s'en rendit compte et hurla de rage, provoquant une explosion enflammée dont il était le centre. Nulle question d'esquiver cette fois : Reimu ne put que se protéger par un mur d'amulettes protectrices, lequel éclata sous la pression et la chaleur.
– Comment se débarrasse-ton de lui, maintenant ?! demanda Réo.
– Le pont ! On casse le pont ! nota Malbas.
Il n'attendit pas plus revint sur leurs pas, atteignant l'extrémité du pont opposée à celle où se trouvait actuelle Reimu.
Réo, lui, s'était approché d'une statue. En désespoir de cause, il se saisit de l'une d'elles, empruntant sa force surhumaine au pouvoir de la Paresse. Chose qui lui demandant quelques secondes de concentration, il était bien difficile de faire ressortir cet aspect de sa personnalité en cet instant.
Dans un hurlement, signe de son effort, il projeta la lourde statue sur le démon géant. Le projectile percuta l'arrière du genou, faisant perdre en partie son équilibre au monstre. Il tituba, permettant à Reimu de se dégager de son mauvais pas. Le démon se retourna, regardant Réo. Lequel lui envoya une autre statue, que le monstre envoya valdinguer d'un revers de la main.
Réo recula, se disant que Pride aurait très certainement trouvé un commentaire très intéressant à faire. Il se dit également que ses ombres auraient réglé le problème en un rien de temps.
– Malbas ? C'est maintenant ! fit polymorphe.
La distance empêchait le Dévoreur de l'entendre, aussi Réo remercia Reimu lorsqu'elle dévia le coup de poing que lui destinait le démon d'une amulette explosive bien placée.
Le changeur de forme se transforma par la suite en aigle noir et s'envola. A cet instant, une explosion retentit et peu à peu, le pont commença à s'effondrer.
Malbas rejoignit ses comparses en volant.
– Pas de temps à perdre !
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeDim 14 Mai - 17:59

(♪) Il fonçait vers la porte, alors que dans un nouveau rugissement, le démon basculait dans le vide, tentant de se rattraper à la pierre qui l'accompagnait dans sa chute.
Rien n'empêchait plus à présent le trio de pénétrer dans la ville.
Une ville comme ils n'auraient jamais pu l'imaginer. Ses bâtiments sombres étaient constellés de corps enflammés, accrochées aux murs, pendues ou crucifiées.
Cette fois, on entendait leurs cris et ils furent vite insupportables.
– Je crois que c'est là… Le sixième cercle ! nota Réo, yeux écarquillés.
Reimu avala difficilement sa salive.
Si tel était le cas, cela voulait dire que Marisa était quelque-part ici. Plus que tout le reste, l'imaginer être l'une de ces pauvres âmes était un cauchemar.
– Alors… Il va falloir fouiller, articula-t-elle difficilement.
Malbas grimaça.
– Trouver une seule personne là-dedans sera compliqué. Mais nous sommes trois.
Reimu hocha négativement la tête.
– Allez chercher Murasa, Nue et Pride. Nous prendrions trop de temps à les chercher un par un. Vous devriez mettre moins de temps à rejoindre le cercle suivant.
Les deux concernés se regardèrent.
– Tu es sûre ? Je veux dire, toute seule, commença Malbas.
– Oui. Allez-y !
La voix de Reimu manquait de force. Mais ni Réo, ni Malbas n'avaient envie de se lancer dans un débat sans fin. De plus, l'argument de Reimu n'était pas faux en lui-même. Il fallait juste espérer qu'ils réussiraient à se débrouiller chacun de leur côté.
– Comme tu voudras. Fais bien attention à toi et bonne chance, souhaita Malbas.
– Pareil pour vous deux. On se rejoint ici… Mais si vous tardez trop, je plonge vous retrouver, avertit la prêtresse.
– Ça marche, on sera forcés de remonter de toute façon, nous. A tout à l'heure.
Réo fit une tentative de sourire, complètement ratée. Mais il avait essayé. Sur un dernier regard, ils se séparèrent, Malbas et lui s'envolant de leur côté.

Reimu, elle, s'envola à nouveau pour s'enfoncer dans le sixième cercle. Elle passa à côté d'une tour noire, comptant nombre de personnes crucifiées à ses murs. Mais où donc pouvait-elle trouver Marisa ?
La prêtresse était forcée de s'approcher et de détailler chacune de ces figures. Toutes avaient conservé leur apparence humaine, rendant une identification possible. Mais si Reimu avait pu passer plus ou moins outre cette débauche de souffrance jusque-ici, c'était désormais impossible.
Elle avait l'impression de devenir folle.
Ne pouvant écouter que son instinct, elle revint près du sol. Elle passa un portail torii portant d'importants stigmates de brûlures. Qu'est-ce que ça faisait là ?
Ce fut alors qu'au milieu des cris, Reimu entendit une incompréhensible prière. Psalmodiée par une voix sombre, elle n'avait pas de source précise. En plissant les yeux, la miko crut voir d'indistinctes formes prier des idoles géantes et calcinées.
Elle ferma les yeux un instant. Elle devait se concentrer.

– Tu penses que ça va aller pour elle ?
Malbas ne répondit pas tout de suite à la question de Réo.
– Oui, finit-il par dire. Elle est déterminée.
– La détermination c'est bien mais ça ne fait pas tout, nota le changeur de forme.
– Elle en a vu plus que nous deux réunis. Et toi, comment te sens-tu sans Pride ?
Ce fut au tour de Réo de ne pas répondre tout de suite.
– Je me sens vraiment mal. Mais je n'ai pas vraiment le temps de m'attarder sur ce sujet.
Malbas voulut ajouter quelque-chose mais se retint. Ce n'était pas le moment de relancer les hostilités. Ils devaient encore trouver un passage vers le cercle inférieur. Ils se dirigeaient vers ce qui leur semblait être le centre de la ville. Cela ne devait pas être une très mauvaise idée puisqu'ils purent remarquer nombre de fissures dans le sol, laissant entrevoir la lueur de flammes souterraines.
En leur for intérieur, quelque-chose leur disait qu'ils étaient sur la bonne piste.

Reimu, elle atteignit ce qui ressemblait à une cathédrale. Noire, ses hauteurs comptaient nombre de personnes brulées vives, comme autant de gargouilles.
La prêtresse fit de son mieux pour passer outre cela et ouvrit la porte. Elle ignorait pourquoi elle avait été là mais sentait qu'elle était sur le bon chemin. L'intérieur était aussi cauchemardesque que l'extérieur.
Si des bougies rouges étaient présentes sur les côté, l'édifice comptait surtout nombre de croix dorées accrochées au plafond. Inversées, elles soutenaient chacune une personne, tête à l'envers, hurlant alors que les flammes déchiraient leur chair. Mais il n'y avait pas que cela.
Des tombes ardentes occupaient les murs, continuant le supplice. Les noms des personnes y brûlant était inscrit. Fiévreusement, Reimu y cherchait celui de Marisa. Sans succès.
– Elle n'est pas ici. Pas loin, mais pas ici. C'est une véritable invasion, tout le monde veut récupérer des gens, aujourd'hui.
Reimu se crispa. Tremblant pour diverses raisons, elle se tourna vers la voix. Elle vit Lucifuge, mains jointes, sourire aux lèvres.
– Je peine à croire que vous ayez réussi à aller jusqu'ici. Méphistophélès a été bien sot de vous laisser faire.
– Où est-elle ?! lui hurla Reimu.
Cela fit sourire le premier ministre.
– Pourquoi devrais-je répondre ? Ce paris ne regard que vous. Mais je me demande jusqu'où vous êtes prête à aller.
– Jusqu'au bout !
Le sourire du démon s'élargit.
– Oh mais je l'espère.
Ce fut alors que Reimu vit qu'il n'était pas seul. Quelqu'un se tenait derrière lui.
– Je vous laisse régler cela entre vous.

D'une gerbe de flammes, il disparut. Et ainsi, Reimu pu la voir. C'était une femme, dont l'habit rouge était ironiquement très similaire au sien. Seulement, celui-ci était ensanglanté et brûlé en plusieurs endroits. Les manches n'étaient également pas détachées.
La prêtresse rouge portait également un masque. Egalement rouge, il représentait un visage d'oni, au grand sourire démoniaque jaune, aussi jaune que ses yeux. Deux cornes s'en échappaient.
Quant à la chevelure de la femme, ils étaient noirs et descendaient jusqu'au milieu de son dos. Enfin, Reimu vit qu'elle avait un fourreau.
Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, un frisson la parcouru. Plus qu'un frisson, un véritable malaise.
– Qui êtes-vous ? s'enquit-elle d'une voix blanche.
Reimu recula d'un pas. Le malaise allait en grandissant.

Réo et Malbas, eux, avaient posé un pied à terre. Ils avaient trouvé un véritable trou circulaire, à même le sol. Un puits de noirceur d'où s'échappait une abominable odeur de sang. Tous deux étaient certains qu'ils devaient aller par là. Mais quelqu'un était entre eux et ce puits infâme.
Un être encapuchonné, avec une cape noire, un linceul et surtout un masque blanc sans le moindre relief. La seule marque distinctive était la marque noire descendant de chaque œil et allant sur la joue, comme des larmes.
Quand l'être fit un pas, ils se mirent en garde. D'un geste, Ierukah matérialisa un sabre de ténèbres, strié de lignes rouges.

Au même instant, la prêtresse au masque d'oni dégaina son propre katana. Reimu sentit son cœur rater un battement.
La lame de l'arme était rouge, striée de lignes noires.
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Jealousy
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MessageSujet: Re: L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire   L’Uroboros de l’Enfer : fantastique voyage illusoire - Page 2 Icon_minitimeSam 7 Juil - 21:13

Chapitre 38 : Abandonnez toute espérance

"Nul n'échappe à l'Enfer indéfiniment."
Méphistophélès, juge des âmes et Roi du Premier Cercle


– Dis-moi, Pride. Qu’as-tu prévu de faire, plus tard ?
Surpris par la question, l’Orgueil regarda à sa droite. Il était assis, à l’ombre d’un cerisier, à côté de Youmu. Leur entraînement venait de se terminer, avec brio puisque sa toute nouvelle carte de sort était prête.
Il eut un instant de quasi frustration en voyant que la demie-fantôme ne montrait aucun signe de fatigue. Puis la frustration se teinta d’une certaine admiration. Puis… D’autre chose encore.
– C’est quoi cette question ? fit-il avec étonnement.
Youmu le regarda d’un air presque neutre.
– Tu dois bien avoir des projets.
– Déjà, retourner purger ma sentence chez Remilia.
– Je sais, ça. Mais… Plus tard ?
L’Orgueil haussa les épaules.
– Je n’y ai pas vraiment réfléchi. De toute façon, faut voir ça avec l’autre. Je ne suis pas vraiment libre de choisir ma vie de toute façon.
– C’est vrai. Quel dommage. Mais… Si tu pouvais choisir ?
Il la fixa. C’était qu’elle était insistante. Elle-même s’en rendit compte et regarda ailleurs.
– Désolée. Je ne devrais pas demander des choses comme ça.
– Non, non… Je suis juste surpris. Enfin, si je devais choisir…
Il marqua une pause. Il venait de se rendre compte de ce qu’il allait dire. Après tout, des projets, il n’en avait en réalité pas beaucoup.
– Ne te fiche pas de moi. Mais en fait, je ne sais même pas vraiment ce que je ferais. Faire chier Reimu, juste pour le plaisir. Peut-être faire des coucous à Sakuya. Mais au fond, j’ai juste envie d’être ici.
Un petit sourire illumina le visage de Youmu. Mais elle ne répondit pas tout de suite. Le temps de savourer cette information.
– J’espère que tu trouveras un moyen d’être libre. Je ferai tout ce que je peux pour t’y aider.
Pride eut à son tour, comme souvent avec elle, un sourire. Il regarda le ciel, pensif.
– Je ne sais même pas si c’est seulement possible. Mais bon, impossible n’est pas Gensokyo.
– C’est vrai. Ne le prends pas mal, mais je pense avoir vu plus étrange que toi.
– Je ne sais pas comment je suis supposé le prendre, orgueilleux que je suis !
Youmu roula des yeux.


Youmu.
A ses côtés… Pride se sentait à sa place. Elle comblait un vide dont il ne se rendait même pas compte de l’existence, autrement. Entre la présence de Réo, les blagues et remarques acerbes ou toute autre occupation spirituelle. L’Orgueil vivait ainsi, l’air de rien. Mais à présent, il s’en rendait compte. Il n’y avait qu’avec Youmu qu’il se sentait libre. Vivant.
Entier.
Il voulait être à ses côtés. Il voulait la rejoindre. Il devait la rejoindre !

Pride revint à lui.
Il reprit conscience de son environnement. Lui-même avait du mal à y croire. Le froid qui le gelait corps et âme lui paraissait plus clément. Acceptable. Depuis combien de temps était-il là ? Pride n'en avait aucune idée.
Des heures. Des jours peut-être ? Le temps lui paraissait étiré, anormalement long même s'il n'avait aucun moyen de le mesurer.
Allait-il pourrir ici ? Hors de question. Youmu ne lui pardonnerait jamais. Lui-même ne se le pardonnerait jamais. Alors, son esprit bataillait pour ne pas perdre pied. Ne pas se laisser noyer sous un flot de désespoir glacial. Ne pas lâcher prise. Il ne devait pas lâcher prise.
L'Orgueil fit un effort surhumain pour ouvrir les yeux. Il ne vit rien. D'insondables ténèbres l'entouraient. Son cœur se serra, alors qu'une panique inconnue embrassait son esprit. Il n'avait pas d'ombre, il ne pouvait pas bouger. Il n'avait rien. Seulement l'éternité à attendre, dans ce cercueil de givre. L'éternité à voir sa santé mentale s'étioler, son esprit s'effondrer en rêvant d'une liberté abolie.
Tout ça pour ça ? Il avait vraiment vécu tout ça pour, au final, ne pas arriver au bout ? C'était hors de question.
Pride eut un infime mouvement de la tête. Juste de quoi mettre son œil droit contre la glace infernale. C'était atroce. Seul le fait que ses muscles ne répondaient pas l'empêchait d'hurler. La douleur.
Youmu.
Il devait se concentrer sur Youmu. Il devait se tirer de là avec les autres, retourner à Gensokyo… Et que Lucifuge et ses potes restent en Enfer.
Il avait une vie à vivre et se rendait compte que ce droit n'était pas garanti. Au contraire. Le sang commençait à couler de son œil que la glace détruisait. Les éclairs rouges crépitèrent. Quelques instants.
Quelques secondes. Pendant quelques secondes, une lumière rouge brilla dans les ténèbres du Neuvième Cercle.
De fugaces moments où la lumière repoussa la noirceur. Juste assez pour que l'ombre existe. Avec une violence inouïe, d'énormes lames noires s'abattirent sur la prison de Pride, sans aucune retenue, transperçant le gel, la peau et la chair. Les éclairs continuèrent et le déchaînement ténébreux aussi, jusqu'à ce que l'Orgueil puisse s'effondrer sur le parterre de givre. Il criait, grelottait, saignait, se régénérait.
Mais il était libre. Lui, Pride, était libre.
Et les démons allaient le regretter.

La douleur était intolérable. Réo toussa alors que du sang s’accumulait dans sa trachée, bloquant sa respiration momentanément. Il sentait le dur sol du Sixième Cercle sous lui ainsi que la flaque de sang qui se répandait. Il avait du mal à ouvrir son œil droit et espérait que le gauche ne tarderait pas à se régénérer. Les éclairs verts crépitaient autour de lui pendant qu’un râle montait un peu à sa droite. Ce devait être Malbas. L’autre masqué était silencieux. Il n’avait pas eu besoin de dire un mot pour les tailler en pièces. Ils s’étaient fait littéralement détruire. C’en était presque humiliant. Presque car Réo commençait à avoir une certaine habitude de la chose. C’était bien plus pratique quand il y avait Reimu.
L’Envieux attendait le commentaire moqueur de Pride. Mais évidemment, il ne viendrait pas. Chose qui lui fit remarquer à quel point il était stupide, ce qui expliquait certainement sa propension à l’échec.
Bon sang qu’il se sentait nul.
Un frisson le parcourut. Sa régénération s’était terminée, mais il ne se sentait qu’à peine mieux. Toutes ses blessures s’étaient-elles véritablement refermées ?
Les lames et mâchoires générées par le Damné avaient fait un ravage. Il était rapide, imprévisible et s’apparentait au final à un changeur de forme. Seul son sabre était resté tout du long du combat à sens unique.
Réo s’assit en grimaçant, avec des mouvements aussi tremblants que lents. Il avait encore mal partout et, visiblement, Malbas, désormais au sol, était dans le même état. Le polymorphe ne pouvait pas vérifier mais il doutait de la taille de son stock d’âmes, qui avait déjà bien diminué avec la séparation. A ce rythme, il allait tout simplement mourir ici. C’était ce qu’il méritait, après tout.
Mais il n’était pas là pour lui-même. Il y avait des âmes qui ne méritaient pas leur place ici qu’il se devait de sortir de là. Malheureusement, le polymorphe voyait mal comment passer le Damné qui leur faisait face.
Il devait bien y avoir un moyen de passer tous les deux ! En soi, il pouvait peut-être passer et laisser Malbas en plan mais c’était l’abandonner à son sort, ce qui équivalait à une mort certaine. C’était donc un mauvais plan.
Non pas qu’il tenait particulièrement à la vie du Dévoreur, mais ramener les âmes sans lui serait plus compliqué. Surtout qu’une fois sa besogne finie, le Damné viendrait pour lui et là, ce serait la fin. Mourir en cet instant ou dix minutes plus tard ne changeait pas grand-chose à l’affaire.
Comment faire ? Il n’y avait pas d’issue…
– On dirait que vous avez besoin de soutien.

Ce fut avec une certaine surprise que Réo vit la silhouette blanche et bien connue du Voyageur le dépasser.
– Vous ? Mais… Qu’est-ce que vous foutez ici ?
– Je viens accomplir ma destinée.
Entendant la voix, Ierukah tourna la tête vers le nouveau venu. Même si tout son corps était caché, Réo fut certain de le voir se crisper. Il lâcha l’alchimiste qu’il tenait par le cou, le laissant ainsi s’effondrer comme une masse.
– Toi…
(♪) La voix sifflante était venue d’un tentacule sortant du dos du Damné. Le bout de l’appendice ténébreux formait une gueule garnie de dents sombres, surmontée de deux yeux rouges. Réo ne put s’empêcher de frissonner.
– Continuez votre route. Vous avez encore fort à faire pour atteindre vos objectifs et ils sont forts nombreux !
Le Voyageur lui sourit, avant de se concentrer sur le Damné, lequel marchait lentement vers lui.
Ce n’est pas le moment d’hésiter ! pensa le polymorphe en courant, plus ou moins, vers Malbas.
Sans perdre de temps, il le mit sur son dos, jetant tout de même un coup d’œil inquiet à Ierukah. Celui-ci pouvait encore l’intercepter ! Mais il ne le fit pas. Son visage, ses deux tentacules parlant, son sabre, tout son être était tourné vers le Voyageur.
Pourquoi donc ?
Réo n’avait pas le temps de théoriser et entreprit d’atteindre le gouffre qu’il avait repéré plus tôt avec Malbas. Ils devaient atteindre le cercle inférieur !
– Cela faisait longtemps. Vous n’avez… Pas changé depuis notre dernière rencontre, lâcha le Voyageur à l’encontre de son adversaire.
Il n’en fallut pas plus pour qu’il se change en fumée noire. Il couvrit la distance le séparant de l’homme en blanc en deux secondes, se reformant pour frapper de son sabre. La lame noire striée de rouge fut arrêtée à mi-course par la canne du Voyageur. Ses yeux orangés jaugèrent l’arme obscure et un voile de haine et de colère les obscurcirent.
– Comment osez-vous…
Une rage sans nom le fit trembler. Sa main libre se saisit d’Unmei, sa montre à gousset dorée. Un instant plus tard, il se trouvait à quelques mètres sur la gauche du Damné, ce dernier entouré de cartes. Lorsque le temps reprit son cours habituel, les projectiles de papiers fondirent sur Ierukah dans un concert d’explosions.
– Comment osez-vous imiter son arme ?
Dans un cri strident, le combattant de noirceur sortit de la fumée et des flammes. Il était devenu une véritable lame de ténèbres, laquelle ne toucha que le vide. Usant et abusant de sa montre, le Voyageur se faisait insaisissable, pour le moment.
Ainsi, Réo put sauter dans le puits, transportant encore le Dévoreur.
Cela n’échappa pas au Voyageur, lequel se fendit d’un petit sourire.

– A présent, je n’ai qu’à vous ralentir…
Il sortit une carte de tarot de son éternel manteau blanc. Il la lança vers son adversaire, lequel vit cinq épées lui filer dessus. Pas de quoi le faire flancher : il n’eut qu’à reprendre sa forme de fumée noire pour passer entre les projectiles.
Il fut accueilli par quatre coupes flottant dans les aires. Horizontales et dorées, leur creux était tourné vers le damné. Celui-ci fut alors la cible de quatre superbes gerbes de flammes orangées. Cette fois, cela le repoussa, il n’appréciait pas cela même décomposé en fumée.
– Je dois avouer que les ténèbres vous vont bien. Vous êtes masqué mais votre véritable visage n’a jamais été aussi apparent.
L’être de noir reprit sa forme normale. Deux énormes gueules ténébreuses apparurent et filèrent sur l’homme vêtu de blanc, rattachées à leur détenteur par un long cou. Le Voyageur lâcha deux cartes, lesquelles devinrent sept cercles métalliques de trente centimètres de diamètre. Lorsque les gueules les touchèrent, ils générèrent un champ de force bleuté stoppant l’action. Mais les pièces surdimensionnées disparurent comme les coupes précédentes.
Cela n’empêcha ainsi pas Ierukah de frapper à nouveau. Seulement, une fois encore, son ennemi n’était plus là. Ce fut par réflexe que le damné s’entoura d’un courant ténébreux, lui permettant de dévier les cartes qui avaient fusé dans sa direction tout autour de lui.
Le Voyageur était à nouveau visible, dix mètres sur sa gauche. Au loin, un bruit d’explosion terrible se fit entendre.
Les deux levèrent la tête. Seul l’homme en blanc sourit.
– Elle a tout prit de sa mère, n’est-ce pas ? Quel dommage… Vous auriez vraiment pu être la parfaite petite famille. Malheureusement, vous avez tout gâché par crainte.
Plus le Voyageur parlait, plus il perdait son calme. Ses paroles, chargées de haine, étaient portées par une voix anormalement tremblante.
D’autres explosions retentirent, ainsi qu’un effondrement. Ierukah reposa son regard inexistant sur son ennemi.
– Quinze ans se sont écoulés, à Gensokyo. Pour moi, cela fait bien plus longtemps. Pour vous aussi. Je ne suis plus celui que vous avez connu, en quelque point que ce soit. Oh, j’ai été détestable, je le concède. Mais j’ai au moins pris la peine d’apprendre. Qu’en est-il de vous ?

Le commentaire ne plut visiblement pas au damné. Il fixa le Voyageur de son regard inexistant. Dans son dos, ses deux gueules apparurent à nouveau, faciès reptiliens monstrueux terminant chacun un tentacule.
– Tu… Trahis…
Le Voyageur prit la mouche.
– Plait-il ? Vous étiez le seul à devoir payer le prix ! Surana n’avait rien à voir avec ça ! VOUS êtes au moins aussi responsable que moi !
Désormais, l’homme à la canne tremblait de colère. Il sortit une carte qui se changea juste à temps en trois nouveaux cercles de métal pour le protéger d’une morsure.
– Je vous ai offert ce que vous vouliez. Une nouvelle vie.
Le Voyageur ne put guère poursuivre. Ierukah l’avait rejoint en un instant. Il arma son sabre et commença d’ores et déjà son coup de taille. Comme tout le reste, il se figea à mi-parcours.
L’homme vêtu de blanc venait de mettre la main à sa montre à gousset dorée. Seul dans cet espace hors du temps qu’il venait de générer, il contourna son assaillant, passant rapidement une main sur sa hanche gauche. Ce genre d’exercice n’était plus vraiment pour lui, même si Ierukah cognait moins fort que Flandre Scarlet.
De plus, contrairement à elle, il était véritablement déterminé à le tuer.
Le Voyageur resserra sa prise sur le crâne en argent ornant sa canne.
– Dire que je vous enviais…

Le temps repris son cours, le katana noir strié de rouge ne toucha que l’air vicié et brûlant du sixième cercle. Six nouvelles coupes étaient apparues sur sa gauche. Leurs flammes léchèrent sa capuche sans faire plus de dégâts. L’âme damnée s’était écartée sur la droite d’un mouvement rapide.
Que pouvait-il bien penser derrière son masque ? Les larmes de celui-ci avaient-elles un sens ?
Même le Voyageur l’ignorait. En vérité, ce n’était même pas important. Il entendit une nouvelle explosion au loin. Il ne savait que trop bien ce dont il s’agissait. La petite Reimu avait bien grandi en quinze ans. Elle n’avait plus rien à voir avec la dernière image qu’il avait eue d’elle.
– Vous aviez son cœur. Quelque-chose que je ne pouvais avoir, peu importât les moyens. Mais il a fallu que cela tourne mal. Que le Diable apprenne son existence, qu’il apprenne l’importance des Hakurei.

Le tentacule qu’envoya Ierukah était plus proche du fouet qu’autre chose. Fin et aussi ténébreux que le reste, il s’enroula autour de la pièce surdimensionnée qui était apparue pour protéger le Voyageur. D’un mouvement, il l’écarta, permettant aux deux gueules de repartir à l’assaut.
Ses défenses contournées, le Voyageur tendit une nouvelle carte de tarot.
– Arcane quinze « La Tempérance » !

Il n’eut ainsi pas à bouger. Les gueules le traversèrent sans infliger le moindre dommage.
– Voilà qui vous fera patienter quelque peu,
Le Voyageur se recula, préparant déjà une nouvelle carte. Ierukah l’assaillait de coups, tous aussi inutiles les uns que les autres. Bien que les apparences semblaient lui donner l’avantage, l’homme en blanc n’en menait pas large. Il n’avait, en effet, pas infligé de dommages sérieux à son adversaire. S’il en avait seulement infligé.
Il savait que la même chose ne serait pas vraie pour lui. Pour autant qu’il essayait de gagner du temps, la moindre erreur rendrait ces efforts superflus.
Ce ne fut donc pas une carte, mais deux, que le Voyageur prépara.
– Arcane quatre « L’Impératrice » !

En un instant, Ierukah fut coincé dans une cage d’amulettes rouges et blanches. Elle se déplaçaient tout autour de lui, tant et si bien qu’en distinguer les détails n’était pas possible. Seule leur couleur générale pouvait être captée par l’œil. Un tentacule de ténèbres jaillit du dos du Damné, pour tenter de passe outre. Mais les arêtes de ce cube, légèrement de côté, d’amulettes étaient liées entre elles par un écran bleuté repoussant l’assaut sans faillir. Tournant sur lui-même, Ierukah se rendit rapidement compte qu’il ne pouvait pas s’en échapper.
– Arcane trois « L’Empereur », annonça sobrement le Voyageur.

Ierukah se tourna vers lui, toujours enfermé dans sa cage. La carte de tarot tenue par l’homme vêtu de blanc s’illumina. Elle explosa littéralement, envoyant de multiples pieux de métal gris tout autour de Ierukah, formant un motif qu’il ne pouvait pas voir depuis le sol. Cela ne dura qu’un instant avant que les projectiles ne s’illuminent pour exploser.
La déflagration fut violente. Si violente que le Voyageur fut forcé de reculer tout en mettant sa main droite à son chapeau. Les flammes ricochèrent sur la barrière, transformant l’intérieur de la cage en une véritable fournaise. Puis la cage disparut et le lieu retomba dans sa mélodie de cris et de souffrance habituelle.
Le Voyageur plissa ses yeux. Il ignorait l’état dans lequel ces deux sortilèges allaient laisser son adversaire. Il ne tarda pas à avoir la réponse.
Propulsé par une haine sans borne, le Damné surgit de sa tourmente, sous sa forme de fumée noire. Il fut si rapide que le Voyageur n’eut pas le temps d’atteindre sa montre à gousset et ne put que mettre sa canne en défense. L’objet intercepta le sabre noir du Damné juste avant qu’il n’atteigne le visage de l’homme en blanc. L’être en noir avait ses vêtements brûlés de toutes parts et son masque était fissuré. Ses yeux étaient dirigés vers ceux de son ennemi.
– Cette fois… Je ne vous laisserai pas accomplir votre œuvre !

La main droite du Voyageur alla à la recherche d’Unmei. Il la saisit et cria de douleur. A moitié. Le son se bloqua dans sa gorge, alors qu’il réalisait ce qui venait de se passer et que Ierukah baissait son pied, lequel venait d’atteindre la hanche gauche de son ennemi.
Le Damné se recula alors que la montre tombait au sol, précédant son propriétaire.
– C’est… Terminé… Samaël.
La voix d’outre-tombe de Ierukah était, cette fois, venue de sous son masque.
– Ce nom… N’est plus le mien… Comme vous avez perdu le vôtre, Ichiro Hakurei.
La verve du blessé se perdit dans sa douleur. Le Damné avait visé sa hanche sans la moindre hésitation. Il n’avait donc pas oublié.
Le Voyageur bougea sa main droite, douloureusement. C’était terminé.
– Cela… Dois vous rappeler le temple… Il y a quinze ans…
Ierukah ne répondit pas. Pas plus qu’il ne bougea. Il contemplait son ennemi vaincu et nul ne savait ce qu’il se passait dans son esprit. Peut-être se remémorait-il, effectivement, leur dernière rencontre. Samaël avait l’impression de la revivre. Il était à nouveau là, au sol, incapable de bouger.
Il était à nouveau là, le Damné le surplombant, sans qu’il ne puisse réagir. Mais cette fois, le cadavre de Surana n’était pas là. Non. Cette fois, Surana se battait contre sa fille.
Reimu le savait. Comment le vivait-elle ? Il ne pouvait le savoir. Il ne pouvait plus rien faire. Avait-il échoué ? Peut-être.
– Surana… S’est damnée… A cause de vous. Mon dernier pacte. Ne jamais...
La lame noire et rouge se planta dans sa hanche droite. Nouveau cri. Ierukah jouait avec lui. Il le haïssait comme lui le haïssait. Ils étaient tous deux en cause. L’un avait parlé de la prêtresse pour apaiser le Diable, pensant échapper à la sentence. L’autre avait dû exécuter l’ordre, et la femme qu’il aimait.
Mais il n’avait pas pu. Samaël, bras droit du Diable, Premier Ministre de l’Enfer, n’avait pas pu mener sa mission à bien. Il n’en était pas capable.
Alors…

Le Voyageur cessa d’y penser. Il devait éloigner Ierukah d’ici. Mourir lui importait peu, mais s’il trépassait et que le Damné rejoignait Reimu, elle était finie. Elle ne pouvait l’emporter face à ses deux parents réunis.
Alors que le katana noir retombait vers le corps de l’homme en blanc, tâché de rouge, avant de s’enfoncer dans son ventre, il parvint à saisir la tenue de son ennemi. Et Unmei, qu’il avait récupéré dans sa main droite, s’activa, les faisant disparaître tous les deux.
Comme s’ils n’avaient jamais été là.

(♪) Une nouvelle explosion se fit entendre. Un nouvel édifice noirâtre vola en éclats, projetant corps enflammés, pierre et ustensiles de torture.
Reimu essuya la sueur qui lui descendait vers les yeux. Elle espérait que Marisa n’était pas à l’intérieur. Comme elle espérait que tout ceci n’était qu’un cauchemar. Mais c’était encore pire. C’était l’Enfer.
Elle volait quelque-part dans le sixième cercle. La prêtresse rouge avait engagé le combat sans tarder, après son apparition. Coincée sur la défensive, Reimu ne réalisait que maintenant, après avoir évité un assaut meurtrier.
Sa mère.
C’était sa mère.
Mais que faisait-elle là ? Comment pouvait-elle être là ? Pourquoi serait-elle, elle aussi, damnée ? Cela n’avait aucun sens !
Pourtant, Shugo démontrait le contraire. Seuls les Hakurei pouvaient s’en servir. Alors quoi ? Etait-elle censée l’affronter ? Ne pouvait-elle pas la sauver ? Devait-elle…
Une volée d’orbes d’énergie rougeâtres coupa le flot de ses pensées. Reimu, toujours dans les airs, se décala pour les éviter. La prêtresse rouge les suivait, toujours avec son masque d’oni.
Reimu tendit la main vers elle. Des sceaux explosifs orangés filèrent dans sa direction. La femme damnée n’eut aucun mal à passer entre eux. Pire, elle approcha dangereusement de la prêtresse de Gensokyo. Celle-ci n’évita que de justesse la lame rouge et noire qui lui était destinée.
Reimu entrouvrit les lèvres. Elle voulut dire quelque-chose, interpeller son adversaire, mais aucun son ne voulut sortir. Elle… Se sentait mal. Son cœur, serré, lui faisait mal. Elle était perdue. Ses repères s’étaient effondrés et elle avait l’impression de voler seule dans un abîme qu’elle ne parvenait pas encore à identifier.
La prêtresse rouge tourna sur elle-même. Un nouvel orbe carmin était né dans sa main gauche libre et fila sur Reimu. Qui le réduisit à néant avec son gohei, chargé qu’il était d’énergie sacrée.  
Que faire ?
La fille remit de la distance avec sa mère. Celle-ci créa des rideaux de sphères d’énergie rouges, filant à leur tour sur la jeune humaine. Laquelle se détourna, pour foncer vers un obélisque noir entouré de braseros. Bien entendu, des corps enflammés, non, des personnes enflammées, y étaient accrochées.

Ce servant de ce décor comme couverture, Reimu prit quelques secondes pour réfléchir.
Elle ne pouvait pas lui échapper, elle était trop rapide. De plus, elle ignorait encore où se trouvait Marisa, là-dedans. Il ne restait plus qu’un seul choix : l’affronter.
Mais en était-elle seulement capable ? Il s’agissait de sa mère, elle ne pouvait qu’être meilleure qu’elle !
Et si ce n’était pas le cas ? Peut-être pouvait-elle la vaincre mais ensuite ? Elle ne pouvait pas la laisser là ! C’était inimaginable ! Mais elle ignorait comment la sortir de là !
A moins de l’échanger contre…
Reimu se secoua. Hors de question de donner la moindre âme aux démons, même en échange d’une autre. Elle leva la tête alors qu’une explosion retentissait plus haut. Le sommet de l’obélisque venait de se détacher du reste et chutait à présent dans sa direction.
La jeune prêtresse se dégagea, de quoi apercevoir les nouveaux orbes filant vers elle dans un ensemble digne d’une mitrailleuse. Reimu s’en sortit par un réflexe salutaire : un mouvement rapide du bras et quelques amulettes formèrent un bouclier bleu temporaire devant elle. De quoi lui permettre de reprendre de l’altitude pour ne pas être touchée par l’un des nombreux projectiles envoyés à son encontre.
La menace de cet essaim écarlate passé, la jeune fille conjura ses quatre orbes yin-yang. Les artefacts sacrés, tournant autour d’elle comme autant de satellites autour d’une planète, ne tardèrent pas à libérer une myriade de projectiles, inversant le sens du déluge.
Une série d’explosions pourpres se produisit. Il ne fallut qu’un instant pour que la prêtresse au masque d’oni ne rejoigne sa fille, laquelle para un assaut de Shugo à la dernière seconde avec un bouclier bleu. Celui-ci vola en éclats, mais le souffle produit par cette destruction inopinée envoya Reimu plus en arrière. Elle s’en sortit ainsi avec une plaie au niveau de l’avant-bras gauche.
Elle eut une exclamation de douleur. Cela semblait profond. La rotation des orbes yin-yang et leurs tirs incessants obligèrent la damnée à se reculer.
Reimu accéléra sa vitesse de vol et se posa près d’un édifice de pierre noire, rappelant un mausolée.
– Barrier "The Home Where One Lays to Rest"

Un nombre absurde d’amulettes rouges et bleues se mirent à circuler autour de Reimu. Elles formaient deux cercles concentriques, tournant dans des sens opposés.
Ignorant les cris se dégageant du bâtiment derrière elle et l’odeur de soufre mêlé à celle de cendres qui emplissait son nez, Reimu vit des sphères rouges filer vers elle.
Les impacts couvrirent les autres sons pendant quelques secondes. Mais sa protection résista, les explosions dues aux impacts constellant sa surface sans qu’elle ne montre de signe de faiblesse.
Reimu n’avait cependant pas beaucoup de temps devant elle. Se concentrant uniquement sur ses mouvements, elle enleva le ruban dans ses cheveux et s’en servit comme bandage de fortune, afin d’arrêter ce fichu saignement. Elle ne pourrait pas faire mieux dans l’immédiat.
La barrière explosa en cet instant, projetant une onde de chaleur sur la miko. Elle décolla à nouveau, évitant ainsi la charge de la prêtresse cramoisie. Celle-ci leva son visage masqué vers Reimu, qui reprenait de l’altitude.
Le visage crispé, elle rappela à elle ses orbes yin-yang, son adversaire filant vers elle à toute allure. C’était une nouvelle myriade d’amulettes rouges qui tombait sur la damnée, accompagnée d’autres, plus rares mais plus grosses, oranges et explosives. Un cocktail qui avait fait ses preuves maintes et maintes fois à Gensokyo contre les yôkais.
Mais ce n’était pas Gensokyo.
Et ce n’était pas un vulgaire yôkai.

Shugo se chargea d’énergie impie et trancha dans l’avalanche sacrée se déversant. Des sphères cramoisies en jaillirent, explosant aussitôt. De quoi obstruer brièvement la vue de Reimu, qui se décala sur la droite juste à temps pour éviter l’estoc de l’arme séculaire.
Celle-ci changea ensuite de trajectoire, pour frapper un orbe yin-yang de plein fouet. La lame rouge et noire s’enfonça comme du beurre dans l’objet, lequel resta sur place alors que Reimu se reculait vivement.
Elle le sentait mal. Elle se sentait mal. Et ce malaise ne fit qu’augmenter lorsque son orbe frémit et devint intégralement rouge. Il alla ensuite tourner autour de la prêtresse cramoisie.
Reimu eut presque un hoquet de surprise. Elle venait de lui voler un orbe yin-yang ! Un des artefacts sacrés de-
Elle mit ses mains contre son ventre. Un froid terrible se saisissait d’elle, alors que la prêtresse rouge avait tendu un bras. Les trois orbes restant quittèrent leur trajectoire circulaire pour converger vers la damnée, adoptant la même apparence que l’orbe fracturé précédent. L’énergie sacrée qui les habitait avait disparue. Leur lien avec le Dieu Hakurei était coupé, remplacé par un autre, plus horrible que tout ce que Reimu avait pu voir jusqu’alors. Les go-shintai de son dieu, ses artefacts sacrés, étaient désormais ceux du Diable lui-même.
Et ce fut avec horreur et une pointe, toute nouvelle, si inhabituelle, de terreur que Reimu vit, dans un éclat de lumière, une nouvelle horde écarlate fondre sur elle.

– Où sommes-nous ?
Malbas se relevait enfin. Difficilement. Il était encore endolori, ayant du mal à trouver une partie de son corps exempte de peine.
Assis à sa gauche, Réo lui fit un maigre sourire, indiquant sans mal qu’il était dans le même état.
– Regarde par toi-même…
Le Dévoreur leva la tête, prenant conscience de son environnement, grimaçant aussitôt du fait de l’odeur âcre qui prenait aux narines, ici. La paire improbable était assise à l’entrée, ou la sortie, d’une longue caverne. La pierre noire constituant le sol du Cercle qu’ils avaient quitté les entourait encore. Devant eux, en revanche, le paysage changeait.
Ils voyaient un fleuve absurdement large, son eau étant remplacée par du sang bouillonnant. Des personnes étaient plongées dedans, se débattant et hurlant. Cela expliquait l’odeur, au moins.
– Septième Cercle, hein, marmonna le Dévoreur.
– C’est ça. « Violence », je crois.
– Il t’est réservé, je pense.
– Ta race.
Les deux se regardèrent et eurent un ricanement blasé. Ils étaient en piteux état. Vêtements déchirés, des ecchymoses constellaient sans doute leurs corps. Ils prendraient d’ailleurs quelques instants supplémentaires avant de s’en rendre compte mutuellement.
– … Tu es à sec ? demanda l’Envieux avec inquiétude.
– Oui. Toi aussi, je suppose, admit l’alchimiste.
– Complètement.
Ils fixèrent le fleuve. Une forêt s’étendait de l’autre côté. Ses arbres étaient torturés, aux formes étranges mais la distance empêchait d’en voir plus. Ils étaient au moins sûrs de devoir l’atteindre. Il n’y avait rien d’autre à l’horizon, de toute façon.
– Murasa est ici, dans tous les cas, nota le Dévoreur.
– Ah.
Le polymorphe balaya les environs du regard. La retrouver dans tout cela s’annonçait bien compliqué. Pensée qu’il exprima sans tarder :
– Comment on la trouve dans tout ce bordel ?
– Ne t’en occupe pas. Fonce chercher Nue.
Réo le regarda d’un drôle d’air.
– T’es sûr ? Si l’autre se ramène, t’es tout seul. Ou si…
– Au pire, je me servirai en âmes ici ! Mais on doit gagner du temps ! Je te rejoindrai quand je l’aurai trouvée !
La voix de Malbas s’était fait pressante. Il n’était pas bien sûr de ce qu’ils faisaient, mais il doutait clairement de leur capacité à survivre encore longtemps en ces lieux.
Il fallait faire au plus vite !
Réo ne discuta pas plus. Il ne tarda pas à se changer en aigle noir pour prendre son envol. Le fleuve de sang étant en ébullition, il pouvait profiter du courant d’air ascendant qui s’en dégageait. Le trajet ne serait ainsi pas fatigant du tout.

Le Dévoreur, quant à lui, allait utiliser le pouvoir qu’il avait « emprunté » à Cirno. Il allait ainsi rafraîchir l’air autour de lui et poser le pied sur les flots de vermeil, se créant une plate-forme de sang gelé sous ses pieds.
Il n’avait qu’à utiliser son pouvoir d’aquamancie pour bouger ce radeau improvisé. Fort heureusement pour lui, il n’y avait quasiment pas de courant, ici. Les mouvements incessants des âmes ébouillantées s’annulaient les uns les autres. Il devait seulement veiller à constamment rafraîchir son embarcation de fortune.
– Murasa ! tenta-t-il naïvement, et il le savait.
Bien évidemment, l’intéressée ne lui répondit pas. Si elle l’avait seulement entendu.
Du coin de l’œil, Malbas vit Réo atteindre la forêt. Au moins pourrait-il progresser, espérait-il. Tout comme il espérait que Reimu se débrouillait, de son côté. Il balaya, une fois de plus, le Cercle des yeux.
Trouver Murasa dans tout ceci allait prendre longtemps. Mais il ne comptait pas repartir d’ici les mains vides. Il se devait de réparer les dégâts que sa faim avait causé.

De son côté, Réo allait continuer son chemin. Avec la hauteur, il pouvait voir que la forêt était sombre. De plus, il lui semblait voir des ruines ici et là. Des tours affaissées sur elles-mêmes, des murs effondrés, voir même ce qui ressemblait à de grandes statues de pierres, désormais face contre le sol. Plus il avançait, plus l’air était sec et il ne tarda pas à sentir un vent chargé de sable le fouetter. Ce faisant, il avait lui-même du mal à voler. D’autant qu’au loin, il pouvait discerner le fleuve de sang, encerclant la sinistre forêt.
Le passage vers le cercle inférieur devait se faire sur cette île. Au centre, à tous les coups. Il ne sentait de toute manière pas capable de tout traverser en volant. Ainsi, comme de coutume à Gensokyo, l’aigle noir se posa dans la forêt, avant de prendre forme humaine.
Mais habituellement, au pays des illusions, Réo aurait eu un petit sourire. Ce n’était pas le cas. En ce lieu abandonné de toute grâce et de tout dieu, il n’avait aucune envie de sourire. Ce fut une grimace qui déforma ses traits, accompagnant sa salive qu’il avala de travers.
Ces arbres, dont la forme le dérangeait depuis le début, avaient forme humaine. Grotesque, tordue, mais une fois que l’on était proche, il était impossible de ne pas le remarquer. Les bras étaient devenus des branches d’où suintait du sang servant de sève. Le visage… N’était pas visible. Du moins, Réo ne parvenait pas à trouver celui de l’arbre lui faisant face. Un autre, en revanche, était plus devinable. Ses traits évoquaient sa souffrance et une forme plus évidente était visible autour de son cou. Un pendu ?
A bien écouter, des gémissements émanaient des arbres. Mais ils étaient bas, formant une mélopée macabre occupant le fond sonore sans même que l’on y prête attention au premier abord.
Une fois le chœur remarqué, il prenait toute la place. Réo se sentait pris, emporté par ce miasme de tourment, résonnant dans son esprit de plus en plus fort. Après les corps brûlés, ébouillantés, écartelés, violés…
Cet endroit allait le rendre fou. Mais ne l’était-il pas, au fond, déjà ?

Le plomb qu’il avait pété dans le Cercle de la Gourmandise n’en était-il pas une preuve de plus ? Sans parler de ses crises passées. Combien de vies ?
Depuis le début de cette aventure infernale, Réo avait l’impression de ne pas être si différent de ces monstres qu’ils croisaient à chaque pas.
Il s’ébroua. Se reconcentra sur lui-même. A l’inverse de la forêt, l’intérieur de son être était silencieux, pour la première fois depuis bien longtemps. Pas une âme. Pas même Pride. Il était seul avec lui-même.
Vraiment ?
A bien se concentrer…

Des bruits. Des gens approchaient.
Réo revint enfin à la réalité. Il entendit finalement des cris. Ce n’était pas comme le reste. Habituellement, la douleur se prolongeait et les plaintes aussi. Pas cette fois. C’était soudain et éphémère. Que se passait-il dans cette forêt ?
Réo alla dans la direction supposée du cri. Cela était vers sa gauche, donc vers le centre. Un autre hurlement de douleur retentit au loin. Puis il entendrait des explosions. Qu’est-ce que tout cela signifiait ?
Il atteignit rapidement un arbre rappelant un saule pleureur. Sauf que les branches tombantes ne faisaient que rappeler les cheveux d’une ancienne vie. La tête qui les supportait était en mauvais état, écrasée et supportant nombre de fêlures courant sur tout l’arbre. Instinctivement, Réo pensa à une chute violente.
Mais le plus intéressant n’était pas là. Un homme se trouvait au pied de l’arbre, agonisant. Il était vêtu de haillons ayant depuis longtemps perdu leurs couleurs et son corps était constellé de blessures. La plus importante était la plaie abominable barrant son torse.
Cela ne ressemblait pas à ce qu’il se passait normalement.
Réo regarda une fois de plus autour de lui. A bien y regarder, la terre calcinée faisant office de sol était parcourue de petites flaques de sang. Il vit ainsi trois personnes approcher, l’air hagard, armées de poignards de fortune, constitués visiblement d’os.
Leur corps était clairement visible. Trois hommes, cheveux courts, sans doute d’Amérique du Sud. Bon nombre de tatouages couvraient leurs bras nus. Leurs vêtements avaient beau être déchirés, laissant voir leurs nombreuses blessures, ils étaient en bien meilleur état que le reste de la population infernale.
Cependant, une lueur malsaine brillait dans leur regard.
– Une proie… Une proie…
– Tué ou être tué…

Telles étaient les paroles qu’ils prononçaient, tels des automates détraqués. Bien entendu, un coup de Lance Ultime suffit à les découper en morceaux. Réo remarqua alors, à sa grande surprise, que les cadavres se décomposèrent en poussière. Du coin de l’œil, il vit que cela avait fini par être le cas du corps vu auparavant. La poussière s’éleva et fut emportée par le vent.
Un autre tas de poussière fut visible, allant en sens inverse. Il atteignit le sol et une nouvelle personne se forma. Un homme cagoulé, armé d’un fusil d’assaut.
Le Cercle de la Violence portait bien son nom.
L’homme voulut braquer Réo, mais son arme se désagrégea. Cela expliquait les armes rudimentaires des autres. Au loin, d’autres cris et des bruits de lutte étaient audibles.
C’était donc ça.
Ici, les prisonniers se traquaient et se tuaient, inlassablement. Encore et encore. L’autre personne n’eut pas le temps d’agir. Une forme rapide l’avait rejoint et Réo vit, étonné, une main sortir du ventre du violent. Le cœur était dedans et finit rapidement en charpies quand le membre se serra autour de lui. La pauvre victime se dispersa à son tour.
– Et bien, et bien ? Comme l’Enfer est petit.

Une jeune femme se trouvait là. La vingtaine, visiblement, même si elle ne devait pas être humaine. Ses courts cheveux étaient verts. Un vert à peine plus foncé que sa tenue, composée d’un gilet et d’une jupe de couleur similaire. Le tout était maculé de sang, rendant les détails invisibles. Ses yeux étaient jaunes aux pupilles verticales, bien que des traces de rouges étaient visibles, et deux boucles d’oreilles en forme de serpent se balançaient de chaque côté de sa tête.
Des écailles vertes occupaient ses mains terminées par des griffes et mangeaient son cou, remontant jusqu’au bas de sa joue droite. Une corne noirâtre et tordue sortait de la tempe droite de la jeune femme.
Réo eut un temps d’arrêt. Etait-ce bien elle ?
– Tu n’as pas beaucoup changé depuis la dernière fois, humain !
– Toi, si, Hebi Gurin.
Elle eut un petit ricanement, bien trop hautain vu leur passé commun.
– Allez, tu ne m’intéresse pas, toi ! Montre-moi celui qui m’a dévorée ! Je vais tuer Pride ! Encore et encore, c’est pour ça que tu es ici, hein ? C’est ce qu’on fait ! Cela fait des années, des années, des années que je tue, me fais tuer, tue, meurs, encore, encore, et encore !
Sa voix était partie dans les aigus et elle partit dans un fou-rire incontrôlable. Réo, lui, tiqua.
Des années ? Comment cela pouvait-il faire des années qu’elle était là ? Le temps ne s’écoulait-il pas de la même façon entre Gensokyo et l’Enfer ? Combien s’était véritablement écoulé pour les autres ?
Un frisson glacé parcourut son échine.
Tout leur plan était basé sur leur intervention rapide. Se pouvait-il qu’il soit déjà trop tard et que les âmes étaient d’ores et déjà irrécupérables, déformées, corrompues comme celle d’Hebi ?
A présent, celle-ci avait tout de démoniaque. Comme toutes les choses affrontées jusqu’alors. Cependant, l’infernal mêlait ici à la folie pure. L’influence de l’Enfer sur ses résidents avait quelque-chose d’effrayant. Cela créait de véritables monstres.
Réo percuta.
Non.
Cela créait des démons.

Plongé dans ses réflexions, il faillit ne pas voir le coup de griffes que lui destinait la yôkai en cours de transfiguration. Un instinctif saut en arrière le mit hors d’atteinte.
– Attends ! Je ne…
Nouveau coup de griffes, à nouveau évité.
– Montre-le moi ! Amène-le moi ! Je veux Pride ! Je veux tuer Pride ! Je vais tuer Pride !
– Il n’est pas là ! tenta Réo.
– Alors ce sera toi !
Cela paraissait être peine perdue. Déjà de son vivant, elle n’avait pas eu l’air très raisonnable. Là c’était pire !
Son bras droit se recouvrit de carbone, lui permettant de parer le poing fermé de son ennemie.
– Je connais Doku ! C’est devenu un yôkai, comme toi !
Réo avait dit ça sans vraiment y réfléchir. Lui-même avait encore du mal à y croire. Doku, sa shikigami autoproclamée, était la sœur de la première personne tuée lors de cette aventure. Sa présence ici était de sa faute, autant que celle de Pride. Elle était un rappel de ses innombrables péchés.
Avait-il vraiment évolué depuis lors ?
De son côté, Hebi se figea. L’espace d’un instant, elle sembla lucide.
– Doku ? Elle.. Elle va bien ?
Le revirement étonna le changeforme. Hebi le regardait, remettant les bras le long de son corps.
– Oui.
Elle grimaça. Un sifflement de mauvais augure s’échappa de ses lèvres alors qu’elle serrait les dents, ses canines s’allongeant en crochets. Elle luttait. Luttait contre contre la folie qui s’emparait déjà d’elle.
– Rends-moi… Un service…
Les bras de Réo se recouvraient de carbone. Il savait comment cela allait se terminer. Il ne pourrait rien faire pour l’aider. Seulement continuer le cycle de la Violence.
Il avait le sentiment de lui être redevable, sans vraiment savoir de quoi. Etait-ce de la culpabilité ? Celle d’avoir une victime de son Pacte en face de lui ? Elle était loin d’être la seule.
– Dis-lui…
Des fissures rouges apparurent sur le corps de la yôkai.
– Que je suis désolée… De la laisser seule. Et que je l’aime.
Elle sourit. Un dernier sourire.
Les monstres pouvaient-ils, au fond, être humains ?
– Requête acceptée, murmura-t-il.
C’était le moins qu’il puisse faire. Pour Doku, surtout. Elle connaissait déjà le destin de sa sœur, mais il ne lui en avait pas encore parlé en détails. Elle n’avait plus évoqué le sujet depuis. Encore quelque-chose à régler.

L’instant de lucidité arriva à son terme. Le répit de l’âme d’Hebi était terminé. Elle repartit d’un rire psychotique tout en produisant nombre de sphères vertes. Réo n’en avait pas gardé un bon souvenir. Le pouvoir d’Hebi, un venin empoisonnant l’esprit, était une horreur pour le polymorphe psychiquement fragile.  
Cela avait permis la première prise de contrôle de Pride à Gensokyo. Cela avait aussi fait d’elle la première victime du duo.
Le changeforme se déplaça sur la droite, pour éviter la nuée émeraude qui filait sur lui. Cela lui rappelait son combat contre Parsee. L’air de rien, depuis le temps, Réo avait pris du galon.
Il n’eut, de fait, aucun mal à éviter le reste de l’assaut magique. Hebi voulait, de toute manière, arriver au contact. Malheureusement pour elle, son poing droit rencontra le bras gauche recouvert de carbone de l’Envieux. Sa contre-attaque fut immédiate et seul un réflexe inespéré évita à Hebi de recevoir un coup de griffes.
Malheureusement pour Réo, celles d’Hebi réussirent à lui entailler le flanc droit. Aussitôt, un vertige assaillit son esprit. Cela causa un instant de doute chez lui, qu’Hebi mit aussitôt à profit. De nouvelles griffures s’ouvrirent sur son torse. Une nouvelle fois, son esprit fut assailli.
Un bruit de chaînes résonna dans les tréfonds de son âme. L’eau d’un lac onirique fut parcourue de petites ondes, devenant des vagues de plus en plus fortes.
Les images vinrent enfin. Cette Envie que Réo avait ressenti au fil du temps. Ceux qui avaient une vie réussie, des amis à la pelle, des amours… Cela faisait un moment, finalement, ce que cela ne lui était plus arrivé. En tout cas, pas aussi violemment.
Un grognement animal monta de ses lèvres. Hebi, toujours en riant, rassemblait son énergie verdâtre dans sa main droite. Un serpent s’y forma, peu à peu. Mais il ne partit jamais.
Deux des doigts de Réo s’étaient allongés et la Lance Ultime traversa ainsi la gorge d’Hebi. Elle hoqueta. Fit un pas en arrière. Puis disparut en poussières, pour certainement se reformer plus loin.
Ses bras redevenus normaux, Réo se prit la tête d’une main. Habituellement, ce genre de trouble serait diminué par Pride ou par les âmes hurlant dans son être. Mais à présent, il était seul. Seul face à ses péchés et les conséquences de ses actes et de son pacte.
Seul pour tenter d’atteindre le Cercle suivant. Il espérait que les autres s’en sortaient mieux.

L’obscurité était totale. Pourtant, Pride ne doutait pas du chemin à prendre. Il n’avait pourtant pas de point de repère. Il s’éclairait à l’aide d’une torche de fortune, à savoir un bras récupéré sur une autre victime de la glace. L’Orgueil avait réussi à enflammer le sang qu’il avait déposé dessus et cela brûlait sans s’arrêter.
Une fois encore, il trouvait le temps anormalement long. Pourtant, cette fois, il bougeait.
Sortir d’ici. Il devait sortir d’ici. Rejoindre les autres.
Et après ? Il n’était qu’une âme extraite d’un corps. Cet endroit donnait corps aux âmes mais une fois ressortis, rien ne pourrait le retenir. Il n’avait toujours pas de corps.
Ce n’était qu’une illusion de liberté. Il ne faisait que toucher son rêve du doigt. Il n’avait toujours aucun moyen de l’atteindre réellement. De plus, pouvait-il seulement retourner à l’intérieur de Réo en attendant ?
Pride rejeta cette pensée. Il n’en avait pas envie. Une étape avait déjà été franchie, ce n’était pas le moment de faire marche arrière. Il devait bien y avoir un moyen ! S’il le devait, il volera le corps d’un démon !

Ainsi, sans s’en rendre compte, les pas de Pride le menèrent enfin à quelque-chose. Il s’agissait d’une structure de glace, que l’Orgueil ne parvenait pas à comprendre. C’était immense et une douce lumière s’en échappait, changeant entre le blanc et le bleu.
Comment diable ne l’avait-il pas vu avant ? Pride détaillait cette anomalie, cherchant à en comprendre le sens. Il finit par remarquer les chaînes qui l’entouraient. Il en compta sept, enserrant horizontalement l’objet luminescent. Les chaînes elles-mêmes n’étaient pas de matière clairement définissable. Rien que les voir demandait un effort de concentration indéniable. En distinguer la forme exacte était encore plus compliqué. Elles étaient plus d’énergie et de magique que de matière physique.
Puis, finalement, il le vit.
Figé dans la glace, un homme était enfermé dans cette infernale prison de givre. Un homme à la longue chevelure noire, au visage fin et imberbe. Son torse nu semblait bien musclé et le reste du corps était masqué par l’opacité du sarcophage. Pride pouvait tout de même deviner les six ailes de plumes et de lumière qui jaillissaient du dos de la personne emprisonnée. La luminescence venait de là.
L’homme avait les yeux fermés et paraissait être plongé dans un profond sommeil. A bien y regarder, Pride le trouva également bien familier. A bien y réfléchir, il lui ressemblait. Pas trait pour trait, mais tout de même. La ressemblance se faisait de plus en plus frappante, à force de regarder.
Qui était-ce donc ?
Mû par une force quasi hypnotique, le Seigneur des Ombres autoproclamé posa sa main droite sur la glace. Il grimaça en sentant le froid mordre sa chair, mais ne rompit pas le contact pour autant.
– Bienvenue, Pride.

(♪) Une présence était derrière lui. Malsaine. Pride aurait bien voulu se retourner mais la paroi de cristal hivernal l’en empêchait.
Un frisson d’angoisse parcourut l’Orgueil, sans qu’il ne puisse l’expliquer. La voix était pourtant douce, quoiqu’un peu éraillée. Elle évoquait celle d’un grand-père meurtrier rassurant tout de même son petit-fils.
– Je suis heureux d’enfin te voir de face, mon fils.
– Pardon ?
Il eut un petit rire. Amusé.
– Rares, très rares, sont ceux pouvant trouver ma prison. Seul notre lien si… Spécial… A permis à tes pas d’arriver jusqu’à moi.
– Mais vous êtes qui bordel ?!
La voix de Pride se teintait d’angoisse. Il forçait pour se décrocher de la glace mais rien n’y faisait. Il était désespérément collé. Quant à ses ombres, elles refusaient de se montrer.
– Tu le sais très bien. Je t’ai permis d’exister, après tout.
Pride avala sa salive. Il ne parvint pas à répondre. Derrière lui, Il se déplaçait. Au son, Il devait avoir une canne. Et l’espace d’un instant, Son ombre se découpa sur la cage. Une ombre rachitique et cornue, courbée vers l’avant comme du fait du poids des années. Une silhouette aux moignons d’ailes et avançant doucement.
L’Orgueil, d’habitude si téméraire, se sentait comme un petit garçon face au grand méchant loup. Il voulait se tirer, il devait se tirer !
– Du calme, du calme. Je ne te veux aucun mal, malgré les âmes que tu souhaites me soutirer avec tes amis. Entre nous, ce n’est là qu’un détail. Jusqu’ici, tout se déroule comme je l’espérais. Mais ce n’est pas ton cas. Tu veux toujours un corps, pour rester auprès de ta jardinière du Royaume des Morts.
Une goutte de sueur tomba du visage de Pride et gela en touchant le sol glacé. Il était au courant de tout. Le maître des ombres déglutit.
– Vous… Vous allez me proposer… Un Pacte ?
– Non, non, bien sûr que non. Pourquoi le ferais-je ? Toutes les âmes que tu as fauchées font que tu es à moi quoi qu’il arrive. L’Enfer te tend déjà les bras, comme pour Réo, comme pour ton frère, Malbas.
Il les voyait donc ainsi. Comme ses enfants. Mais Pride doutait qu’il leur porte le moindre amour paternel. Son cœur battait à tout rompre et il continuait ses tentatives de s’extraire de là.
– Nous nous ressemblons bien plus que tu ne le crois, Incarnation de l’Orgueil. Ne t’en fais pas. D’ici, je continuerai à suivre tes aventures. Je sais que, le jour venu, tu ne me décevras pas. L’Aspect du Sang a un œil sur toi, après tout. Pauvre petite prêtresse…
Allez, allez, ALLEZ !!!

Enfin, la main se décolla. Emporté par son élan, Pride fit quelques pas en arrière. Il se retourna, mais c’était trop tard. Le malaise avait disparu. Il était à nouveau seul.
Il se retourna à nouveau vers la prison. Son détenu n’avait pas bougé. Mais à présent, Pride savait de qui il s’agissait. Puis, il eut un flash. Il était parfaitement au courant de ce qu’il se passait.
Il avait clairement dit que tout cela était prévu. C’était donc bel et bien un piège. Et depuis le début, ils étaient les marionnettes du Diable.
Pride se mit à courir, à tout rompre. Il devait sortir d’ici. Il devait rejoindre les autres. Ils devaient sauver Reimu !

Jusque-là, Pride s’était dirigé au hasard. Si ses pas l’avaient d’abord mené à la cage de glace, cette fois il atteignit un escalier de la même matière. Il était cependant exempt de luminosité et seule la torche de fortune qu’il tenait encore permettait à Pride d’y voir quelque-chose.
Il n’hésita pas à emprunter l’issue inespérée, notant tout de même l’étrangeté de cette découverte. Quelque-chose lui disait que ses pas n’étaient peut-être pas guidés par le hasard, ni le destin. C’était là l’apanage de Reimu et de sa chance légendaire que Remilia lui avait rabâché à longueur de temps.
Mais la chance, même surnaturelle, ne faisait pas tout.
Pourquoi diable ce dernier ne voulait-il pas lui lâcher la grappe ? Qu’est-ce qu’il en avait à faire, de Gensokyo, au fond ?
Depuis sa discussion avec son créateur littéral, Pride avait un très mauvais pressentiment. Quelque-chose était sur le point de se produire. Quelque-chose qu’ils allaient tous regretter.
Il gravit ainsi rapidement les marches, quittant peu à peu le froid polaire du Neuvième Cercle. Il fut incapable de revenir un sourire de satisfaction en voyant une lumière directe descendre du haut de l’escalier.

Il déboucha ainsi sur un tout autre environnement. Le ciel était orangé et la chaleur n’était, pour une fois, pas trop importante. Pride pouvait voir un mur s’élever tout autour de la zone où il était remonté, formant un énorme cercle de pierre sombre.
La zone qu’il délimitait avait un diamètre de plusieurs kilomètres, pour ce que cela signifiait en ces lieux, et elle était remplie d’âmes agonisantes.
A bien y regarder, certains avaient des membres manquants. Pride fut certain de voir un pouce tomber d’un coup, pour rejoindre le majeur qui avait fait de même un peu plus tôt. D’autres étaient déformés, le corps gonflé à des endroits aléatoires.
Il s’agissait donc du Huitième Cercle, celui de la fraude. Ce qui signifiait que Nue était ici, quelque-part.
Le Seigneur des Ombres ne perdit pas de temps. Il étendit son ombre et y fit naître ses yeux habituels, pour étendre son champ de vision. Il comptait ainsi sonder tout l’endroit pour trouver la perturbatrice notoire. Cela ne prit pas longtemps. Ses ailes étranges rouges, bleues et asymétriques étaient repérables dans cette mer de souffrants. La récupérer ne fut ainsi pas compliqué. Elle aussi n’était qu’une âme mais se manifestait comme si elle avait un corps. La farceuse ne réagit pas. Les yeux clos, elle tremblait, quand elle n’était pas prise d’une violente quinte de toux. A voir son expression, elle avait horriblement mal.
Pride la mit donc sur son dos, utilisant l’ombre comme un harnais. Du fait de leur nature, il put même faire sortir ses parodies d’ailes par son "Shadowflight". Il décolla ainsi, pour aller au-delà du mur. Et il en vit neuf de plus, le plus en extérieur étant un mur couvrant tout l’horizon. Dix aires concentriques formaient le Cercle de la Fraude. Malheureusement, il ne voyait pas la sortie, bien qu’il devinait son existence sur la muraille extérieure.
Il s’y propulsa sans tarder et vit, au loin, des formes volantes aller vers lui. Ce fut un rictus carnassier qui déforma ses lèvres.
Il ne tarderait pas à savoir par où aller.
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